Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24





La silhouette se dessinait dans un halo de lumière, à contre-jour. C'est la première image que je garderais de cette Vénus. Santa Monica est une esquisse parfaite de la femme idéale.
Vincent Cassel fait les présentations. Au mot Internet, elle lève les yeux au ciel... Madone amusée. La sirène s'assoit. Sa délicatesse contraste fortement avec son rôle de Nat La Gitane.
Elle a une manière unique de remettre ses longs cheveux en place. Des deux mains, elle donne un légéer coup pour les remettre derrière ses épaules. Petits gestes de déesse.
Mais n'en rajoutons pas. Il s'agit avant tout d'une comédienne, certes bellissima. Elle aime son métier, le prend au sérieux. L'Art Monica c'est une dose d'instinct (le choix de ses films), une liqueur de travail et un gramme de passion. Elle n'est pas branchée technologie et s'étonne du culte qui lui est voué. Surprise même d'être aussi sollicitée par les médias montréalais, alors qu'elle n'est qu'à l'aube de sa carrière. Mais L'Appartement tient encore l'affiche 5 semaines après sa sortie. Et Dobermann est amplement mis sur le marché. Bellucci accède au Star-system par la porte du "nouveau" cinéma français. Et elle ne s'emprisonne pas ni dans un genre, ni dans un rôle. Alors comment débuter un entretien avec une femme, une italienne, une actrice? Par l'Italie. La chaleur et la générosité ont brisé un peu la glace et notre timidité. Elle vient de Perugia, où la terre vient de trembler. L'Ombrie est une région de montagnes et de lacs, entre Florence et Rome...Il n'y a pas que le cinéma dans la vie.
Ecran Noir: Bonjour Mlle Bellucci...On vous connaît finalement assez peu. D'où venez-vous ?





Monica Bellucci: Mes parents habitent à côté de Pérugia, en Ombrie, dans le centre de l'Italie. Moi je partage mon temps entre Rome et Paris surtout.

EN: Je ne vous cache pas que cette interview est assez attendue par vos nombreux fans. Vous êtes très populaire.

MB: Mais qu'est ce qu'il y a sur Internet ?

EN: Votre biographie, votre filmographie, quelques photos dont celle de Richard Avedon...Et vos pages sont très populaires. Monica, vous étiez mannequin. Aujourd'hui vous êtes actrice. Comment s'est fait le passage de l'un à l'autre ? Est-ce que c'est quelque chose que vous avez voulu ?

MB: D'abord je suis très cinéphile. Je crois que même si je n'étais pas comédienne, j'irais au cinéma tout le temps, parce que c'est quelque chose que j'adore. Dans ma vie j'ai eu beaucoup de coïncidences mais aussi des choses que j'ai cherché à avoir, comme tout le monde. Quand j'ai commencé comme mannequin, c'est pas quelqu'un qui m'a pris dans la rue et qui m,a dit: "ah tiens, t'es mignonne tu pourrais être mannquin!" Je suis allé dans une agence. Je voulais faire ça. A cette époque, j'avais fini mon bac et je m'étais inscrite à l'université en Droit. Et à l'époque je pensais pouvoir étudier et travailler en même temps. Je me suis dit: ça va être génial, je peux voyager, je peux être indépendante économiquement, et tout. J'ai commencé à travailler dans cette agence, puis j'ai quitté l'université, etc... J'ai continué ça pendant 3 ans. Et après c'est la mode qui m'a amené au cinéma. Parce que Dino Risi, qui est un réalisateur Italien, maintenant âgé, avait vu de sphotos de moi. Il m'avait repéré, il a voulu me connaître, il m'a fait faire des essais. Et j'ai tourné mon premier film comme ça. Je dois dire un truc. Quand je me suis vu la première fois, je me suis pas aimé. Il y avait trop de rigidité, de trucs comme quelqu'un qui n'est pas encore habitué aux mouvements de la caméra. Quand on vient de la photo, quelque part on est habitué à un résultat très rigide. Alors que le cinéma c'est tout à fait la vie. Ça veux dire que tu te vois quand tu marches, quand tu parles, quand tu vis. Quand tu te vois la première fois, tu as un effet étrange puisque tu te dis "je suis vraiment comme ça!?" parce que tu te vois pas en train de vivre. Là tu te vois vraiment, comme tu es. T'es plus nue au cinéma que nue sur une photo de Avedon. Et c'est assez rôle. Je crois que quand j'ai fais mon premier film, j'ai été choisie pour mon physique à l'époque et pas parce que j'étais la comédienne la plus talentueuse du monde. Mon physique était important pour le rôle parce que c'était l'histoire d'un homme âgé qui tombe amoureux d'une femme jeune, belle, etc... Mais c'est vrai que si je n'avais pas travaillé sur moi, ça serait arrêté là. J'aurais fait un film, deux peut-être mais ça aurait finit là. Je me suis rendue compte que je voulais faire ça absolument et j'ai travaillé sur moi-même. J'ai pris des cours, j'ai appris des langues. J'ai bougé quoi. Et aujourd'hui j'espère être meilleure. Je crois. J'ai commencé à travailler en Italie. Mais aujourd'hui le cinéma italien c'est plus comme à l'époque. On a un problème, pas de talents, mais économique et politique. On fait très peu de films, et ceux qu'on fait sortent très rarement d'Italie. Je me suis rendue compte que si je voulais faire un vrai chemin de carrière, j'avais besoin de sortir du pays. C'est pour ça que j'ai choisi la France. Sans oublier l'Italie, bien sûr, parce que quand il y a des beaux projets intéressants, je rentre. Mais si aujourd'hui je suis ici, pour la première fois de ma vie, au Canada, c'est grâce à des films comme L'Appartement ou Dobermann ou Mauvais genre qui sont quand même des films français. Et c'est à travers la France que j'arrive à sortir partout. Et quand je dis ça, je dis ça avec un peu de rage parce que mon pays a eu un passé tellement magnifique, que ça me rend un peu triste aujourd'hui que ce ne soit pas pareil.

EN: Qu'est ce qui vous fait choisir un rôle ?

MB: Il faut que la femme que je dois interpréter me ressemble ou le contraire de moi, mais il faut que je la comprenne.

EN: Dans L'Appartement par exemple... ?

MB: Pour le moment j'ai eu beaucoup de chance parce que je me suis retrouvée à faire des rôles très différents. Et L'Appartement c'était un peu la femme-rêve. Il y avait une espèce de sensibilité que je peux avoir dans la vie. Alors que pour Dobermann ça n'avait rien à voir. A la fin de Doobermann, je fais sortir des choses de moi-même pour comprendre Nat la Gitane. Parce que c'est vrai que dans la vie, je ne suis pas quelqu'un qui tue les gens, qui lêche les fusil ou qui parle avec le langage des signes. Alors, c'était un vrai rôle décalé. Complètement "déconstruit".

EN: Vous avez eu peur de ce rôle ?

MB: Non je me suis beaucoup amusée. Il y avait beaucoup de travail aussi derrière. Pour moi ce film, ce n,était pas simplement une expérience de comédienne, mais aussi une expérience humaine. Pour faire ça, j'ai du apprendre le langage des signes, alors j'ai rencontré des acteurs sourds-muets, j'ai été les voir au théâtre, je suis allé dîner avec eux. Et d'un coup je suis rentré dans un univers qui était inconnu pour moi. Et c'est vrai que c'est une manière de communiquer tellement physique, tellement faite à travers les yeux, les mains, les corps... C'est quelque chose à laquelle on n'est pas habitué. On est toujours gêné à être trop expressifs. Et là c'est tout à fait le contraire. Il faut être très physique.

EN: Vous aviez une confiance totale envers Jan Kounen ?

MB: Jan, j'avais vu ses courts métrages. J'avais entendu parlé du film. Des gens me disaient: "tu veux faire Dobermann, tu es folle, c'est un projet de fou." Et moi je croyais que Jan il avait quelque chose de tout à fait nouveau à proposer dans le cinéma français. Je voulais absolument faire partie du projet. On s'est rencontrés. Lui il avait vu quelques photos de moi, il avait vu Dracula, mais il ne savait pas vraiment qui j'étais. Et quand il m'a vu en vraie, il m,a dit: "Mais Monica tu es tellement douce, tu sais c'est le rôle d'une tueuse. Là ton visage, on dirait un ange." Moi je lui ai demandé de faire des essais. J'ai pris 3 jours de cours de langage des signes pour les essais. Je suis arrivée très maquillée, en noir, avec un ensemble noir très moulant et tout. Et là il m'a dit oui tout de suite. J'ai même pas eu à attendre une semaine. Il avait déjà vu des comédiennes avant. Mais dès qu'il m'a vu à l'essai, il a dit que c'était moi.

EN: Pour Gilles Mimouni, ça s'est aussi passé comme ça ?

MB: Pour le moment je ne fais que des essais. Ça ne m'est pas encore arrivé qu'un réalisateur me dise, "voilà c'est toi." Maintenant j'ai un projet mais le réalisateur a vu les films alors il se rend compte de ce qu'il peut faire avec moi. Mais pour L'Appartement, Dobermann ou Bénégui, c'était des essais.

EN: Quels sont vos rapports avec les réalisateurs ?

MB: C'est très important. Quand on a un bon rapport avec les réalisateurs, on peut inventer plein de choses. J'aime bien qu'on me laisse la liberté d'exister mais j'aime bien être suivie aussi. Ça veut dire être suivie par quelqu'un qui sait ce qu'il veut.

EN: Vous êtes quasiment une débutante. Comment voyez-vous votre métier? Quand vous lisez un scénario, vous savez tout de suite s'il est bon... ?

MB: Je suis une débutante, je viens de commencer en effet. Tout est arrivé tellement vite. Là je vais faire un nouveau film avec Tchéky Karyo, c'est un premier film. Le scénario est extraordinaire. Quand je l'ai lu, j'ai tout de suite voulu rencontrer le mec. Et j'ai rencontré quelqu'un plein de pêche. Je sais qu'il va faire quelque chose de son scénario. Ça se fera en mars mais je peux pas en parler trop maintenant. Là j'ai le feeling, je sais que c'est quelque chose de fort. C'est comme ça. J'ai besoin du scénario, de la rencontre avec le réalisateur, qu'il me donne envie de travailler avec lui. Je sais qu'il peut faire quelque chose d'intéressant. Je fais ce métier parce que c'est quelque chose que je fais avec amour, qui m,amuse. Pour le moment c'est ce que je veux faire. Mais comme à l'époque où j'étais mannequin, j'adorais ce que je faisais. Et d'un coup j'avais besoin d'évoluer. Alors peut-être que nous on se reverra dans 5 ans, et je serais quelqu'un de différent, que j'aurais évolué autrement, que je ferais autre chose même. Je sais pas.

EN: Est-ce que votre image, votre beauté vous gêne ?

MB: La beauté ça devient un problème quand on compte que sur ça. Mais je crois qu'un problème c'est quand on n'a pas les jambes, on n'a pas les bras, qu'on est malade. La beauté aujourd'hui elle est là, demain elle est plus là. C'est lié à la jeunesse, à la fraîcheur. Après il y a d'autres sens à la beauté... Quand une femme voit la beauté comme un rpoblème, je trouve ça ridicule. D'abord je n'y croit pas. Parce que les femmes dépensent des millions de $ chaque année pour être de mieux en mieux. Donc je ne crois pas que ce soit un problème. C'est un problème de ne pas l'avoir.

EN: Vous avez dit que vous étiez cinéphile au début de notre entrevue. Vous aimez quel genre de cinéma ?

MB: Moi j'aime tout. Ça veut dire que ça peut-être Blade Runner comme les films de Sautet. Moi j'aime bien les 2 cinémas. Le cinéma c'est un esprit. C'est quelqu'un qui veut parler et qui veut dire quelque chose. Et donc il faut être prêt à écouter plusieurs manières de penser. Doberman c'est un film fort, qui a le droit d'exister. Il y a une clé d'entrée. C'est la clé d'une BD. Mais à côté de ça, il y a Blier, Sautet, Oliver Stone, Antonioni. Qui peut dire qu,un est mieux que l'autre? C'est juste des univers différents. Et la beauté du cinéma c'est toutes ces différences.

EN: Vous avez été sensible aux réactions sur Dobermann en France ?

MB: Moi, en tant qu'étrangère, j'ai adoré tout ça. J'ai trouvé ça amusant. Là le film va bientôt sortir en Italie, et j'espère que ça va être pareil. J'espère que tout ce bruit d'amour et de haine qu'on a eu, je trouve ça exhubérant. C'est sûr que la critique a parfois été tellement forte, que c'en était ridicule. Ils ont rien compris. En même temps, Jan a entraîné des réactions tellement fortes, qu'il a touché quelque chose de nouveau. Quand il y a de stremblements comme ça, ça veut dire que tu es en train d'apporter quelque chose de nouveau. Comme toutes les choses nouvelles, y a du scandale.

EN: On parle de nouveautés. Avec Vincent Cassel, nous parlions d'Internet tout à l'heure. Ça vous a fait rire...

MB: Parce que moi internet, c'est comme si vous me disiez: "prend la navette et va sur la lune". C'est la même chose. Non mais je trouve incroyable à travers une machine de rentrer en contact avec le monde entier. mais moi je suis quelqu'un qui a pas le fax, qui a pas le téléphone portable, ...tu vois. Je suis même désespérée pour ça. J'ai peur de devenir l'analphabète de l'an 2000. Je vois tous ces gens sur Internet, et pour eux c'est vraiment un plaisir. Alors que pour moi ce serait comme un devoir d'être au pas avec les autres. Vraiment ça ne m'intéresse pas trop.

EN: L'Appartement est un film très parisien. Qu'est ce que vous appréciez le plus dans cette ville ?

MB: Paris c'est une ville magnifique. Il y a beaucoup d'énergie comme dans toutes les métropoles. En même temps il y a une qualité de vie assez incroyable avec des petits bars, des petits restaurants, des petites rues. C'est une ville où il y a une qualité de vie que quelque fois on n'a pas à cause du stress. En même temps on est en contact avec le reste du monde.

EN: Il y a quand même la pollution, le racisme...

MB: Là je te parle de Paris en tant qu'étrangère et comme quelqu'un qui aime Paris. Le racisme il y en a partout, à New York comme à Paris. C'est un problème humain, qui vient de loin d'ailleurs.

EN: Vous avez envie de faire quoi maintenant ? Quels genres de personnages ?

MB: Là je pars en Espagne. Je vais tourner un film espagnol, en costume. C'est une co-production entre la France et l'Espagne. Et moi je suis la co-production française. C'est très drôle non ? Et je suis en train d'apprendre l'escrime pour le rôle. J'y suis une escrimeuse. A l'époque il y avait très peu de femmes qui faisaient ça. Mais mon rôle est celui d'une femme éduquée par son père, un peu comme un mec. Et c'est une jeune réalisatrice qui fait ça. Elle s'appelle Isabelle Coixet. J'ai vu son premier film qui s'appelait All the things I never told you (Cosas que nunca te dije), un film indépendant américain qu'elle a produit et réalisé. J'ai été impressionnée par cette femme jeune, peline de pêche. J'ai eu envie de travailler avec elle. Elle a vraiment quelque chose de fort. Elle m'a proposée son film, j'étais très heureuse. Je crois que ça va être un projet vraiment curieux. En plus c'est la première fois que je travaille avec une femme en tant que réalisatrice. Je crois que ça va être très intéressant...

EN: Merci beaucoup Monica...

Propos recueillis par Vincy.


   vincy