Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24





L'homme est grand. Le regard doux mais les sourcils épais. La voix rocailleuse. Un froncement et on le croirait méchant. Zem est pourtant la crème des hommes. Prolixe, franc, il a l'assurance de ces hommes qui ont galéré avant d'y arriver. Avec deux films en présence à Locarno, Ordo et Tenja, Roschdy Zem s'affirme comme une valeur sûre du cinéma français.
Ecran Noir : Ordo est un film drôle, alors qu'on s'attend à un drame.

Le livre Bye Bye Bahia


Roschdy Zem : Oui ça m'étonne moi aussi parce qu'au moment de tourner, à aucun moment, je ne pensai que certaines scènes pouvaient faire rire.

EN : Pourtant vos rapports avec le chinois sont remplis d'humour...
RZ : Mais je l'ai toujours pris au premier degré! Je ne pensai pas que ça pouvait être cocasse. C'est un acteur qui essayait d'avoir l'accent chinois et qui se cassait la tête pour ça. Et puis moi je le jouais premier degré parce que le personnage d'Ordo est comme ça, aussi. Mais je ne jouais pas pour faire drôle.

EN : Même les autres personnages sont aux limites du burlesques. Presque caricaturaux. les deux seuls personnages qui sont dans le "drame", c'est le vôtre et celui de Marie-Josée Croze. Ca ne se voyait pas dans le scénario?
RZ : Si. Notamment la caricature de l'homo égocentrique ou la grossièreté da la mère de la vedette (jouée par Marie-France Pisier, NDA) étaient visibles. Mais je ne trouvai pas ça drôle. C'est bizarre, d'ailleurs, quand on est acteur d'un film et de ne pas voir ces choses... On est envahit par l'humeur du plateau et on n'a pas le recul nécessaire de ce qui transparaît. Je m'en rend compte aujourd'hui. J'ai vu le film hier, en même temps que vous, et cette dérision qui nous paraît évidente maintenant, ne l'était pas au moment du film. J'étais persuadé qu'on faisait un film mystérieux, un peu noir. Mais c'est la bonne surprise, parce qu'en même temps, en lisant le bouquin, c'est très fidèle.

EN : Vous étiez peut-être trop imprégné par votre personnage, qui lui est franchement monolithique, dramatique...
RZ : Absolument. Je me suis identifié au personnage, qui, en plus, est tout le temps présent. Il est spectateur de tout ce qu'il se passe. Donc à aucun moment je ne suis hors d'une scène pour pouvoir l'apprécier.

EN : Pourquoi avez-vous été attiré par ce personnage?
RZ : Justement parce qu'il est attirant, ce personnage. J'espère que le spectateur s'identifie à lui. Si vous voulez, c'est un homme comme je les aime. J'appelle ça des hommes moyens en tout. Il est pas bon, mais il est pas mauvais non plus.

EN : Ca a l'air d'être un bon coup quand même!
RZ : Oui, apparemment! Mais là, pareil : ce type est tellement anodin qu'on s'attend à rien avec lui. Donc si c'est juste bien, c'est déjà extraordinaire.

EN : Il a une réelle humanité, une forme de candeur... ce n'est pas négligeable.
RZ : Oui, il n'a pas l'esprit d'analyse. Les choses sont telles qu'elles sont. Il est quand même marqué par quinze ans d'armée. Il a donc des principes dans la vie et il faut les suivre. Alors ça, mêlé à un environnement lié au cinéma, je trouvais le film intéressant. C'est quand même deux opposés.

EN : Vous vous reconnaissez dans cette vision du cinéma, assez critique?
RZ : Non absolument pas. mais ce n'est pas le but. L'idée n'était pas d'avoir une vision tout à fait réaliste et actuelle du cinéma. C'est plutôt l'image du cinéma qu'on se fait quand on ne le connaît pas : la star, la troupe autour de la star, la caravane, le tournage, les potins... Et il y a aussi la vision qu'Ordo a du cinéma. Je pense que ce n'est pas la vision que le metteur en scène a du cinéma. C'est en tout cas le cliché qu'on a du cinéma quand on n'y appartient pas.

EN : Le fantasme, justement, n'est-il pas le vrai sujet du film?
RZ : Bien sûr. L'identité aussi. Parce qu'il est amoureux non pas de la star, mais de la femme qui existait avant d'être une star. Elle est tellement différente de la gamine qu'il a connu, que ce n'est pas l'actrice qui l'intéresse le plus. Je pense pas un instant qu'il veuille rester vivre avec elle. Pas avec la star. C'est la curiosité qui les pousse l'un vers l'autre des années après.

EN : Marie-Josée Croze, comme Agnès Jaoui dans Le rôle de sa vie, joue une star un peu capricieuse, confondant jeu et réalité... Comment on joue face à une personne qui change tout le temps quand on a un personnage plutôt rigide?
RZ : Voilà, c'est ça. Marie-Josée Croze avait un certain confort à jouer la star. Effectivement, lorsque son personnage se livrait, il fallait trouver la bonne note. Et pour moi c'est facile parce que mon personnage, lui, est lunaire. Et de toute façon, c'est comme ça que je travaille, je ne sais jamais comment je vais jouer la scène avant de la tourner.

EN : Dans tous vos films?
RZ : Oui.

EN : Pourtant, dans certains de vos films, il y a des rôles qui exigeaient un vrai travail de préparation...?
RZ : Oui. Mais au moment où j'arrive, au moment de l'action, je ne sais pas comment je vais jouer la scène. J'essaie de garder un maximum de spontanéité en fait. On est au cinéma, donc il faut essayer des choses. Quand on est prêt, on n'a pas besoin de réfléchir : "alors quand elle dira ça, moi je vais le dire comme ça." Si on est prêt, il faut laisser le corps et l'émotion parler. Si on est prêt, c'est que tout va bien. En règle générale, ce sont les meilleures prises, en ce qui me concerne. Je suis plus dans l'action que dans la réflexion.

EN : Ca transparaît à l'image. Vous avez un vrai charisme, y compris dan des rôles complexes comme Change-moi ma vie...
RZ : Je vais pas vous répondre "Oui effectivement"!

EN : Oui, mais même quand il y a une vraie transformation, vous y apportez votre touche, un peu d'humanisme. Ils ne sont jamais vraiment méchants vos personnages...
RZ : Oui. Je regrette parfois. J'ai très envie de jouer des rôles de méchants ou de salauds. Mais le cinéma français arrive à un stade où l'on confie des rôles à type comme moi. Là je parle de personnages qui ne sont pas en rapport avec mes origines. Et déjà c'est une petite victoire...

EN : Puisque vous abordez le sujet, parlons dans ce cas de Belphégor. Jean-Paul Salomé m'avait confié que vous deviez avoir le rôle (finalement tenu par Frédéric Diefenthal, NDA), mais que vous avez été victime de "discrimination".
RZ : Je ne devais pas l'avoir : je l'avais. Mais bon, j'ai tourné la page.

EN : C'est une injustice surtout.
RZ : Bien sûr que c'est une injustice. Si ne pas vouloir accepter de partager l'affiche avec un acteur, parce qu'il est d'origine maghrébine, n'est pas une injustice... Mais je me relève de ça. Je ne me conditionne pas dans cette position de victime. Ca ne concerne pas que moi. Ca concerne aussi les acteurs de la génération à venir. Il faut défendre ça. Et si vous voulez, puisqu'on partait de là, si j'arrive à décrocher des rôles comme Ordo ou le Maréchal Bertrand (dans Monsieur N., NDA), ces victoires c'est toujours bon à prendre. Mais, parce qu'il y a un mais!, on arrive à un effet inverse. Ce sont toujours des rôles où le personnage est bon. Justement, de vouloir montrer sa position humaniste, contre les sectarismes, les producteurs refusent de confier un rôle de méchant à un acteur d'origine maghrébine. Pour vous donner un exemple, je suis tombé par hasard sur un scénario - je tournais La parenthèse enchantée - puisqu'on me dit : "il y a un rôle pour toi qui est génial..." Je le lis. Le metteur en scène était inconnu au bataillon. Et j'adore, vraiment j'adore. Mais finalement on me dit que ce n'est pas possible pour moi. Le film s'appelait Harry, un ami qui vous veut du bien...

EN : ils ont donc préféré un Catalan...
RZ : Oui! Et pourtant, regardez aux Etats Unis, Denzel Washington a eu son Oscar pour un rôle de flic pourri. Et à aucun moment on se dit "c'est un noir qui joue un rôle de blanc." Donc il y a encore des barrières à franchir. Mais ça viendra. Ce n'est pas moi qui vais en profiter, mais ça viendra.

EN : Vous le pensez vraiment?
RZ : Quand je dis ce n'est pas moi, je dis ce n'est pas ma génération. Ca prend du temps.

EN : Mais il y a Bouajila, Taghmaoui, Kechiouche...
RZ : On parlait de Bouajila. On a la chance d'être arrivés au bon moment. Plus tôt, c'était que des rôles de tueurs ou de policiers.

EN : Vous avez ouvert la voie quand même.
RZ : Oui on a ouvert la voie. On ne l'a pas ouverte tous seuls. On nous les a proposés ces rôles-là, aussi. Mais chaque rôle obtenu c'est dix fois plus de travail que n'importe quel autre comédien.

# EN : Dans Ordo, le film commence avec une série de dates et le détail des origines de chaque personnage. On peut définir les gens simplement comme ça?
RZ : C'est très américain ça. Dans le bouquin, c'est comme ça. Le film y est très fidèle.

EN : Vous n'en avez pas marre de toujours être défini par rapport à vos origines? Parce que ça ne me serait pas venu à l'idée d'aborder le sujet...
RZ : Je réfléchis... Mais c'est vrai qu'on me le demande de moins en moins. Vous savez, il faut faire les choses pour qu'on les accepte. Je reviens sur le rôle du Maréchal Bertrand. Ce n'était pas évident au départ. Pourtant je n'ai eu aucun retour comme quoi je n'étais pas à ma place dans ce personnage. Une fois que c'est fait, ça passe comme une lettre à la poste. Je reviens à Denzel Washington. dans aucun de ses films, on se dit, mais qu'est-ce qu'il fait là? Mais avant ça, il faut passer des étapes, et ça demande des metteurs en scène qui soient un peu subversifs et qui se battent parfois avec le producteur pour nous imposer sur certains projets.

EN : Ordo, alors, vous le définiriez comment?
RZ : C'est un homme dans son temps. A bien y regardez, on a tous des origines multiples. Des gens franco-français il y en a des moins en moins. C'est vrai qu'on se pose de moins en moins la question, vous avez raison. Le problème ce n'est plus les origines, c'est la religion. Pour beaucoup de gens, un Juif c'est un Juif, sans se poser la question de savoir s'il est Français, Polonais ou autres... Pour les Musulmans, c'est pareil, c'est forcément un Arabe. Dans l'esprit des gens , c'est beaucoup moins précis que dans le bouquin de Donald Westlake, vous imaginez bien. Et puis alors catho, c'est tout ce qui est blanc? Voilà comment on définit les gens aujourd'hui.

EN : En quoi Ordo se rapproche de vous?
RZ : Pour moi, il a eu une jeunesse un peu chaotique... Moi aussi à 18 ans, j'ai faillit entrer à l'armée. N'ayant pas de diplômes, je ne ne voulais pas être un poids pour mes parents, c'est une bonne planque. On a un salaire tous les mois. Et Ordo pour moi c'est ça. Il a assez déconné à 21 ans, il décide de ne pas être un poids pour la société. C'est aussi con que ça. Ce n'est pas par goût de l'armée, l'uniforme et la hiérarchie. A 35 ans, il sera à la retraite...

EN : Alors que vous, votre carrière décolle à cet âge-là...
RZ : Oui j'ai eu une progression très lente, mais progressive. Crescendo. Ce n'est pas mieux mais ça reste la meilleure méthode. J'ai tellement vu de jeunes acteurs qui se sont brûlés les ailes car ils ont eut très vite des premiers rôles. Tout doucement, on m'a proposé des petits rôles puis des rôles plus importants, et du coup on marque plus son empreinte dans ce métier. J'ai bousculé personne. Maintenant j'ai 39 ans et c'est maintenant que les rôles deviennent plus importants. C'est un âge parfait.

EN : Vous touchez à tous les genres aussi.
RZ : D'abord parce que je n'aime pas le mot "famille". J'avais envie de goûter à tout. Il n'y a pas de bons et mauvais genres de cinéma. Il y a des bons et des mauvais films. J'ai envie d'essayer plein de sortes de personnages. J'en avais assez d'avoir toujours les personnages de mecs mal dans sa peau. J'ai donc refusé de nombreux rôles. Ordo c'est un rôle assez cohérent dans ma carrière. Il est loin de Chouchou. Mais c'est le métier qui m'a rendu plus sombre que je ne le suis. Moi j'aime faire de la comédie. C'est le mot "que" qui m'embête. Les acteurs que j'apprécie, comme Jean Rochefort, n'ont pas fait que des comédies. Parce que sinon on va très vite s'ennuyer...

EN : Rôle différent, Tenja. Un homme accompagne son père dans son dernier voyage. Retour aux racines, rencontre avec une jolie Marocaine, rapport avec la mort...
RZ : Tenja c'est un film très touchant. Il raconte ce déracinement des jeunes d'origines maghrébines qui ne connaissent pas le pays de leur parent. Il y a la barrière de la langue et celle des moeurs. Quand Hassan Legzouli m'a proposé le rôle, je venais de perdre mon père, donc j'étais très touché. Mais comme le personnage, je me sens beaucoup plus étranger au Maroc qu'en France. C'est à Paris que j'ai mes marques. Quand j'arrive au Maroc, et pourtant j'ai une gueule de marocain, avant même que je ne dise quoi que ce soit, les gens sentent que je ne suis pas de chez eux.

EN : C'est une manière d'aider le cinéma africain? Il a du mal à exister...
RZ : Ce n'est pas qu'il a du mal à exister, c'est qu'il n'existe pas. Notre notoriété ne suffit pas. Il émerge quand même, il y a des studios de production, il y a une comédie populaire qui vient de cartonner en salles. Il y a le rôle important de TV5 qui fait que les films sont vus. L'engouement est là. Mais l'industrie n'existe pas encore. Le premier multiplexe vient d'être inauguré. Il faut créer l'offre et la demande suivra. Pour l'instant, ça reste marginal.

EN : Vous avez pensé à vous internationaliser?
RZ : Il faut du temps. Si vous quittez le pays dans lequel vous êtes connu, vous repartez à zéro là-bas. C'est sympa quand on a 25 ans. A 39 ans, avec deux enfants, et repasser par les étapes que je viens de franchir, franchement, j'ai pas le courage.

EN : Et vous voyez producteur?
RZ : Non. le business c'est pas mon truc. Ca a été. J'ai été commerçant. Je vendais des fringues sur le marché. C'est comme ça que je gagnais de ma vie. Justement, s'il y a un truc dont je suis content que le cinéma m'ait apporté, c'est de ne plus avoir à gérer de l'argent. Heureusement c'est assez cloisonné, je n'ai pas accès directement aux négociations, je dis juste oui ou non.

EN : Quels sont vos projets?
RZ : Justement, lundi (le 9 août, NDA), je commence le film de Jean-Pierre Sinapi (Camping à la ferme, avec Julie Gayet et Dominique Pinon, NDA). Mais après le film de Laurence, j'ai tourné le film de Radu Mihaileanu, le réalisateur de Train de Vie (Va, vis et deviens, NDA), en Israël, sur l'immigration éthiopienne dans les années 80. Jy suis un Israëlien...

propos recueillis par Vincy, au festival de Locarno, en août 2004


   vincy