Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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Le Web Bar était l'endroit idéal pour une rencontre avec Pierre-Paul Renders, le réalisateur belge de « Thomas est Amoureux », film original et visionnaire. Peut-être que les futurs Thomas étaient déjà dans la salle, vivant leurs derniers moments de vie sociale en extérieur? Nous espérons que non !!


E.N. : Combien de temps a duré le tournage ?

P.P.R. : Seulement cinq semaines! Mais ça a été très confortable, car il n’y a pas beaucoup de plans dans le film: seulement 80. Avec vingt-cinq jours de tournage, nous étions très confortables, nous tournions deux ou trois plans par jour, et nous pouvions recommencer beaucoup de fois. La moyenne était de quinze prises par séquences - séquences qui faisaient parfois 6 ou 7 minutes! Dans la foulée, il faut les tenir; c’était un travail intense pour les comédiens. Mais ce sont des gens qui peuvent aussi aller sur des scènes de théâtre et tenir une heure et demie, deux heures sans s’arrêter; ça fait partie de leur métier! C’est vrai que le tournage a été court et confortable, beaucoup plus confortable que pour les premiers films d’habitude, car en général, ils se tournent dans des conditions où on n’a pas beaucoup de budget, donc le planning est super chargé . Nous, nous n’avions pas beaucoup de budget, mais nous avions au moins ce confort là! Par contre, là où on a explosé le temps, c’est lors de la postproduction! Nous avions prévu 9 ou 10 semaines de montage et de finition, et en fait ça nous a pris 9 mois à l’arrivée! Parce que nous nous sommes rendus compte qu’avec l’image digitale, il y avait tellement moyen d’apporter des améliorations, de re dynamiser des scènes en faisant des coupes là où nous n’avions pas prévu d’en faire... Nous nous étions dit à la base, qu’avec 80 plans à monter, il n’y avait pas 36 solutions, et que nous verrions vite ce qui fonctionnait ou pas! En fait, ça marchait, mais chaque fois, nous pouvions aller plus loin, améliorer les choses, créer des fonds virtuels derrière, et nous nous sommes pris au jeu. J’en suis très reconnaissant à la productrice qui a cru de plus en plus au projet au fur et à mesure que celui-ci avançait et qui a accepté que l’on explose notre budget de postproduction pour que le film aille au meilleur du meilleur de ce qu’il pouvait donner !

E.N. : En ce qui concerne l’acteur principal, avez-vous rencontré des difficultés pour le convaincre de ne jouer qu’une voix? Parce qu’un acteur, dans l’imaginaire collectif, existe avant tout par l’image.

P.P.R. : C’est étonnant, car c’est une question qui revient souvent, et surtout en France; comme si l’idée qu’un comédien soit nécessairement égomaniaque au point qu’il va être très frustré si on ne voit pas son image...

E.N. : C’est une question qu’on se pose moins maintenant, car dans « Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain », Dussolier fait quasiment la moitié du film en voix Off, mais c’est vrai que ça surprend parce qu’en France, on a l’habitude de voir au moins le visage...

P.P.R. : Là, c’était prévu dès le début. Je lui ai fait lire le scénario en le prévenant que c’était particulier, et lui a trouvé l’idée extraordinaire, et il avait vraiment très envie de le faire. A aucun moment il n’a été frustré qu’on ne le voit pas à l’écran! C’est vrai qu’on aurait pu le faire, car la visiophonie ,telle qu’elle existe pour l’instant, propose en plus dans l’écran une petite image de soi-même pour qu’on vérifie de quoi on a l’air et qu’on n’a pas un truc qui sort du nez alors qu’on est en train de parler.

E.N. : Le comédien a-t-il été choisi parce qu’il avait une intonation de voix particulière ?

P.P.R. : Il a été choisi pour beaucoup de raisons, en fait. Je choisis tous mes collaborateurs de la même façon: à la fois pour leur talent et parce qu’ils correspondent à ce que je cherche, mais aussi pour leurs qualités humaines. Benoît est un ami, que je connais bien depuis longtemps. Il avait effectivement cette voix un peu rentrée et en même temps très touchante dans laquelle j’entendais l’agoraphobe dès le début! Les avis sont partagés sur cette voix: des gens disent qu’elle est un peu froide, un peu désengagée, mais la plupart des gens, et surtout le public féminin, trouve qu’il y a tout ce mystère et cet envoûtement que je vois moi-aussi. Le plus gros défi du film a vraiment été de construire un personnage rien qu’avec la voix. Je ne m’attendais pas à ce que ce soit si compliqué! Je suis content que le résultat plaise à autant de monde, parce que ça a été beaucoup de doutes, mais en même temps, l’un des confort du film a été que les erreurs que nous avions faites pendant le tournage, nous pouvions les corriger en postproduction. Pendant le tournage, nous nous étions dit que si Benoît jouait juste, la voix serait juste; mais en fait, nous nous sommes rendus compte que ce n’était pas aussi simple que ça, parce que jouer juste pour un comédien, c’est trouver l’équilibre entre ce qu’il donne physiquement et la façon dont sa voix sonne. Quand le comédien n’a que la voix et qu’il est dépourvu de tout le reste, il tombe très vite dans de fausses pistes.: il dit une phrase avec une certaine intention, et au final, on entend un truc beaucoup plus fort, parfois caricatural. Le comédien devait ramener encore plus que d’habitude, travailler sur des nuances, aller parfois a contrario des intentions pour faire passer ce qu’on voulait faire passer. On ne s’est rendu compte de toutes ces contraintes qu’au premier montage: le personnage de Thomas était antipathique en diable; nous l’avions fait trop agoraphobe, trop misanthrope. Il était très dur, méprisant avec les gens; alors que Benoît ne l’avait pas vraiment joué ainsi. On a donc du retravailler tout le rôle en postproduction. C’est rare d’avoir le privilège de pouvoir procéder ainsi. Nous avons surtout retravaillé le début du film. Pour les scènes d’émotion qui se trouvent à la fin du film, nous avons gardé ce qui a été réalisé au moment du tournage, parce que , si des choses peuvent être refaite en postproduction, d’autres non, parce qu’on n’arrive pas à retrouver l’émotion qu’on a eu au moment du tournage.

E.N. : Ne pensez-vous pas que , pour le spectateur, Thomas est finalement le personnage le plus virtuel du film ?

P.P.R : Oui et non! Une de mes frustrations par rapport à ce film est que j’aimerais que les gens aille voir le film sans en connaître l’histoire, sans lire les résumés dans les journaux, parce que ceux qui ne vont pas voir ne savent pas de quoi on va leur parler. S’ils ne savent pas quel est le sujet du film, s’ils ne savent pas quel est le problème du personnage principal, ils rentrent différemment dans le film, et certains , à cause de la première séquence, qui est en image de synthèse, imaginent que Thomas est virtuel , justement. Des gens m’ont dit que longtemps pendant le déroulement du film, ils imaginaient que Thomas était un personnage virtuel dans un ordinateur avec qui le monde extérieur communiquait. Je trouvais génial d’avoir cette piste qui faisait qu’ils avaient presque un deuxième film pour le prix d’un! C’est vrai qu’après on se rend compte qu’il s’agit d’un personnage réel, qui est aussi derrière un ordinateur. Je pense que ce personnage est virtuel autant que le spectateur le veut, c’est à dire que plus il veut s’impliquer avec son imaginaire, plus il peut le rendre concret. Ce côté où le spectateur peut s’impliquer dans le film m’intéresse énormément. Si on veut rester dans son fauteuil sans s’impliquer plus que ça, et regarder le film sans rien faire de plus, ça passe tout à fait bien. Mais, si on en a envie, le film est une tentation permanente pour stimuler l’imagination du spectateur, dans la mesure où on lui dit : « Ca , je ne vous le montre pas, c’est à vous de vous l’expliquer, de l’imaginer ». Pour moi, une de mes motivations quand je réalise, c’est d’essayer de créer un film qui nourrisse l’imaginaire du spectateur, mais sans la gaver. Trop de films sont presque une surcharge d’imagination, et le spectateur n’a plus aucun besoin de faire de gymnastique de l’esprit. Jean-Claude Carrière dit que l’imagination est un muscle, et je suis entièrement d’accord avec lui. Faire travailler son imaginaire, c’est comme faire du sport. Beaucoup de gens disent qu’ils ne sont pas sportifs, mais ils savent que s’ils se mettent à faire du sport, finalement ça fait du bien, et ils sont contents d’en voir fait, même s’ils ont un peu mal aux muscles au début! Tout le monde sait que faire du sport est bon pour la santé. L’imagination, c’est la même chose. Les gens qui disent qu’ils n’ont pas d’imagination se trompent. Leur imagination est là depuis leur plus tendre enfance, mais elle est endormie parce que le système d’éducation et ce qui nous est donné à voir dans les médias fait que nous ne sommes plus habitués à l’entraîner puisque tout est prémaché, tout est prédigéré . J’aime faire des films, qui, sans être difficiles à voir, sans être pénibles mais au contraire sont légers et grand public, ouvrent ces portes et permettent aux spectateurs de déverrouiller leur imagination. Je trouve que l’imagination n’est pas réservée aux artistes, c’est quelque chose qui, comme le sport, fait du bien à tout le monde, dans sa vie, dans ses relations avec les autres. On ne peut pas améliorer son quotidien sans avoir un peu d’imagination.

E.N. : Pensez-vous qu’à l’avenir, nous allons rencontrer de plus en plus de Thomas ?

P.P.R. : Je ne sais pas. J’espère que grâce à mon film, il y en aura de moins en moins! (Rires) Je n’aime pas jouer aux prophètes. le film ne se veut pas une prédiction. Il se veut être une réflexion sur ce qui nous arrive aujourd’hui, sur des craintes que j’ai maintenant, mais j’ai plutôt confiance dans le genre humain, car plus on va vers l’excès, plus il y a de chances qu’il y ait des réactions, que les gens disent : « Non, ça suffit maintenant, arrêtez! ». Des José Bové se lèvent! Le combat est-il perdu d’avance ou pas? Je suis optimiste et j’ai envie de dire que non. Mon film n’est pas un cri à la José Bové, mais c’est quelque chose qui veut aller à l'encontre de ce qui peut paraître être des évidences. Communiquer n’est pas avoir une relation. L’audiovisuel ne suffit pas pour avoir un vrai contact! Si on ne se rencontre pas, si on ne se touche pas, si on ne se sent pas, on perd l’essentiel d’une relation.

E.N. : Pour terminer, de quel personnage du film seriez-vous tombez amoureux? D’Eva, de Mélodie, ou de la virtuelle Clara ?

P.P.R. : Je suis tombé amoureux de tous mes personnages! C’est ma définition de la direction d’acteurs. J’ai besoin d’aimer tous mes personnages pour qu’ils existent à l’écran. Donc, je n’ai pas d’amour particulier. Même Clara, oui, pourquoi pas! Maintenant, j’ai du mal à me mettre dans la peau d’un spectateur, mais constater qu’il y a une variété de perception dans le public, me passionne. Certains disent: « Moi, je préfère Élodie, je ne comprends pas bien ce qui se passe avec Eva! » , d’autres rétorquent: « Enfin, Eva est beaucoup plus émouvante, comment peux tu dire ça! ».. Une des choses que j’aimais bien dans le scénario, est qu’il parlait de l’amour en déconnectant les éléments. Le côté plus sexuel, fantasmatique, instinctif, Thomas le trouve avec Clara, la femme virtuelle. Mélodie représente plus le côté, « je me sens aimé et respecté tel que je suis, donc je ressens de l’amour pour la personne qui m’accepte tel que je suis et qui d’ailleurs me ressemble. » Et la troisième dimension de l’amour, qui est le fait d’être attiré par quelqu’un qui est très différent de soi et qui provoque un effet d’appel vers une autre dimension de soi-même, est représentée par Eva. En général, toutes ces dimensions de l’amour sont imbriquées les unes dans les autres dans le schéma amoureux; et selon leur dosage, l’histoire d’amour va durer plus ou moins longtemps. Dans le film, elles sont séparées, ce qui fait qu’on peut sortir en se demandant si Thomas tombe réellement amoureux; si on peut appeler ça réellement de l’amour. Ca reste un point d’interrogation, j’en suis bien conscient et j’aime que ça reste en suspens pour qu’il y ait débat entre les gens après. Thomas tombe amoureux une fois? Deux fois? A la fin, il sort par amour ou il sort parce que le milk-shake dans lequel il est passé l’a tellement secoué que c’est surtout une réflexion sur lui-même qu’il a faite....

(interview faite dans le cadre du FIFI)


   vincy

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