ETOILES ROUGES

Los Angeles et son ciel bleu voit rouge, et vire rouge. Les acteurs, les scénaristes et les producteurs sont parés pour se mettre en grève; à quand une manif sur Hollywood Boulevard ?

Ne rions pas. D'abord, il ne s'agit pas que des stars à millions de dollars. Un grand nombre de personnes dans ce milieu gagnent à peine le salaire minimum. Ensuite cela ne concerne pas que le cinéma, mais bien l'ensemble de l'industrie audiovisuelle.
Et ça tombe au plus mauvais moment. L'Amérique déprime. La bourse s'écroule, les entreprises les plus importantes licencient, les pannes d'électricité paralysent la Californie, la croissance s'essouffle. Dans le même temps, Los Angeles, la principale ville concernée par cette grève à venir, attendue, anticipée, élit son maire. Autant dire que l'enjeu devient politique, aussi, dans une métropole majoritairement démocrate. Cela concerne en effet 470 000 travailleurs, directement ou indirectement, dans le Grand Los Angeles. On estime à 1.8 milliards de $ de pertes économiques par mois pour la régionŠ Il est logique que l'actuel maire Riordan appelle au dialogue entre les parties. Car pour couronner l'ensemble de gigantesque bazar annoncé, les syndicats ou guildes (Writers, Screen Actors et Producers) ne s'entendent pas entre eux, ni même en leur sein. Les divisions sont très nettes chez les acteurs. Et les pourparlers ont été maintes fois interrompus.
De quoi un peu stresser Hollywood.

Si l'été américain qui vient ne subira pas les effets de la grève, l'été 2002 en souffrira certainement. On ne compte plus les projets accélérés, les films annulés ou retardés, les hypothèses avancéesŠ Un temps, on songeait même à ne recruter que des acteurs étrangers. Et si les chauffeurs des stars ont peur de ranger leurs clés, personne ne pense que l'épreuve de force durera très longtemps.
Ceci dit, la grève était prévisible. Les contrats entre les Guildes et les studios arrivant à leurs termes, il était logique que tout soit rediscuté. Mais nul ne pouvait penser que l'époque allait tout changer ; les revenus aujourd'hui ne proviennent pas uniquement des salles de cinéma et de leur fréquentation. D'ailleurs en 2000, le nombre d'écrans a drastiquement diminué, et depuis un an, le nombre de billets vendus s'effondre aux USA. C'est dans les écrans dérivés que les studios font leurs profits : télévision, vidéos et DVD, bientôt Internet.
C'était d'ailleurs sur le montant global des recettes de Friends que le casting de la série l'an dernier avait calculé sa hausse de salaire. Pour les acteurs comme pour les scénaristes, il s'agit de récupérer un peu plus de parts du gâteau, et notamment les rediffusions, les séances de paiement à la demande, les ventes astronomiques de DVD...
Les acteurs se considèrent comme des produits d'appels, les scénaristes comme les auteurs du film; dans tous les cas, cela revient à faire d'un film de cinéma une oeuvre collective, juridiquement parlant, avec 4 familles de créateurs : les producteurs, les réalisateurs, les scénaristes et les acteurs. Surtout, cela revient à calculer les recettes et profits d'une production sur l'ensemble de sa chaîne de diffusion. Cela paraît censé si l'on porte crédit aux déclarations des majors qui veulent faire du réseau Internet, une nouvelle fenêtre de visionnage de films. Les recettes en salles deviennent alors dérisoires, ou en tout cas relatives.
Aussi, les artisans du 7ème art réclament leurs dus. Difficile à négocier avec des studios qui perdent souvent plus d'argent qu'ils n'en gagnent, des investissements lourds à envisager à cause du numérique, et un contexte économique incertain.

D'ores et déjà Hollywood accélère la cadence : Spielberg sort AI et tourne Minority Reports ; avant de s'occuper se son second enfant, Jodie Foster renonce à la présidence du Festival de Cannes, et tourne le nouveau Fincher. The Matrix 2 et 3 se concentreront sur les effets spéciaux en attendant que les acteurs puissent retravailler. Butterfly, avec Julia Roberts, nécessite 70 jours de tournage. Il n'en reste que 50 jusqu'à la grève. Retardé. Terminator 3 et Basic Instinct 2 ont eu du mal à accoucher d'un scripte, à pactiser avec leur star initiale, à trouver un réalisateur. Retardé. Seuls les dessins animés continuent leur bonhomme de cheminŠ Idem pour les séries TV, les pilotes de sitcom de la saison à venirŠ L'Amérique sans images, ou uniquement des rediffusions ?
Le manque à gagner se fera surtout sentir pour l'année prochaine : sans scénarii ni tournages, que va proposer Hollywood, si ce n'est des films baclés et produits à la va vite... ?
On aurait bien des petites idées (offrir plus de places à des films étrangers, passer plus de temps à écrire des bons scripts, ...). En voyant la saison qui s'annonce, on se dit qu'avec autant de sequels et de remakes, les scénaristes sont un peu gonflés de réclamer le statut d'auteur.
En attendant, ceux qui ne négocient pas (e première ligne on trouve Spacey et Dreyfuss), tournent tout azimut.

Si désormais Los Angeles se prend pour une rouge révolutionnaire, Hollywood s'attend à passer un début de millénaire très noir.

- Vincy

[ Dossier Hollywood en grève: FANTAISIES FINALES? ]

 (C) Ecran Noir 2001