Jean-Pierre Mocky, le béni maudit, s’en va geler en enfer (1933-2019)

Posté par vincy, le 8 août 2019, dans In memoriam, Personnalités, célébrités, stars.

Le cinéaste, exploitant, producteur, acteur et auteur Jean-Pierre Mocky est mort, a annoncé sa famille. Il avait 90 ans officiellement, son père ayant modifié sa date de naissance en 1942, qui devient le 6 juillet 1929, pour qu'il puisse voyager seul et rejoindre son oncle en Algérie, durant l'Occupation allemande.

Il a filmé plus de 60 longs métrages entre 1959 et 2017, certains bricolés avec des bouts de ficelle, d'autres dotés de castings prestigieux: Michel Serrault, Jacqueline Maillan, Catherine Deneuve, Bourvil (son "frère"), Charles Aznavour, Anouk Aimée, Michel Galabru, Sabine Azéma... Sa carrière est fluctuante entre fiascos et films populaires, mais son cinéma reste assez constant, flirtant parfois avec le surréalisme, toujours assez fidèle à l'esprit de la Nouvelle Vague, et avant tout colorés par un humour noir et corrosif, un style acerbe et une vision un peu anar du monde.

Je vais encore me faire des amis !

Il tourne beaucoup, tutoie le gotha du cinéma français, a la langue bien pendue. Parfois, lorsqu'il évoque ses souvenirs, on pourrait le prendre pour un mythomane. Mocky était presque plus connu pour ses révélations et son franc-parler que pour ses films, ces vingt dernières années. Cet artisan, qui peut réaliser un film en moins de deux semaines, parie sur l'efficacité plutôt que les effets de style. La caméra doit raconter l'histoire, à base de plans fixes et de courte focale.

Les réalisateurs d'aujourd'hui sont tellement inféodés aux exigences racoleuses de leurs producteurs qu'ils finissent par y perdre leur âme.

Ce qui frappe chez lui, c'est évidemment l'esprit de satire, le goût de la moquerie, la défiance aux systèmes - politiques, économiques, religieux, sport (A mort l'arbitre, sans doute l'un de ses films les plus noirs) - et un appétit pour le libertinage, et notamment la liberté sexuelle des femmes. Lui-même a su en profiter, n'étant pas très #MeToo en apparence, et fanfaronnant qu'il avait 17 progénitures. Il aimait provoquer et même choquer jusque dans ses affiches, comme celle d'Il gèle en enfer qui avait fait scandale en présentant deux anges sexués.

Son cinéma, romantique et révolutionnaire, anarchiste et presque punk, féministe tout en étant assez binaire dans les genres, reposait sur l'art habile de mélanger des vedettes et des gueules, des personnalités plutôt que des comédiens techniquement parfaits. Il aimait employer les gros cachets pour pas grand chose et surtout pour un contre-emploi (Deneuve en frisée rousse et vieille fille en est le meilleur emblème dans Agent Trouble, 630000 curieux au compteur). Pour lui, tout est dans le jeu, en rappelant : "Je suis un comédien qui est devenu metteur en scène parce qu’il n’avait pas de rôle. Nous étions toute une cuvée, dans les années 50, qui sortait du Conservatoire, Marielle, Girardot, Belmondo. Tous ont réussi. Il faut dire qu’on avait Louis Jouvet comme prof."

Mocky soit qui mal y pense

Il y a dans le cinéma de Mocky la même aspiration (et inspiration) que pour un caricaturiste: il grossit le trait. Ce n'est pas du cinéma réaliste, même si son univers est très réel, et souvent du côté des "petites gens". Il peut en faire une comédie ou un polar, cela reste des fables, des nouvelles, des contes visuels influencés par le cinéma américain des années 1930 ou d'Hitchcock.

Par exemple, c’est Hitchcock qui m’a donné le goût de tourner vite : lorsqu’en 1962 je l’ai rencontré à Los Angeles, chez Maurice Jarre, il m’a confié que douze à quinze jours lui suffisaient pour mettre un film en boîte.

Depuis quelques années, son œuvre, si singulière, si impressionnante, faisait l'objet de rétrospectives ou de prix honorifiques. Evidemment aucun César, même pour l'honneur. Trop décalé? Trop marginal? L'ancien propriétaire du cinéma Le Brady à Paris (durant 17 ans) et propriétaire du Despérado (l'ancien Action Ecoles) a pourtant essayé de transmettre en tant qu'écrivain (avec ses Mémoires, qui se vendaient bien) et en tant qu'exploitant sa passion pour le cinéma. Lui qui avait commencé comme acteur en Italie, stagiaire chez Fellini et Visconti, n'était sans doute pas reconnu à sa juste valeur, même si la moitié de sa filmographie est oubliable. Il a, malgré tout, connu de gros succès comme Les dragueurs en 1969 (1,5 million d'entrées), La bourse et la vie (625000 spectateurs), La grande frousse (680000 spectateurs), Un drôle de paroissien (2,3 millions d'entrées), Y-a-t-il un Français dans la salle? (800000 français dans la salle) ou Les saisons du plaisir (770000 spectateurs) ou Le miraculé (820000 fidèles)....

M. le Mocky

On se souviendra surtout de ses conflits récurrents avec la profession, qui ne lui a pas facilité la vie. Il s'est progressivement fâché avec tout le monde, y compris avec son ami Godard, à force de ne mélanger personne. Il considérait le ministère de la Culture comme son ennemi. Il balançait sur le sexe et les femmes. Bref, Mocky se plaignait d'être maudit, tout en étant béni par les journalistes qui se régalaient à l'avance du buzz qu'il allait produire. Et lui-même adorait parler devant un micro, tout en se plaignant de ne plus pouvoir avoir l'argent nécessaire pour faire ses films.

Les étoiles des critiques ?
On se croirait à une distribution de prix à la fin de l'année.
Les critiques sont-ils des profs et nous des élèves ?
Quelle connerie !
Comment expliquer ce paradoxe : un film sort et il est aussitôt étoilé :
une, deux, trois étoiles, comme dans le Guide Michelin. Et même des quatre étoiles.
Quand il passe à la télé, le film de quatre étoiles n'en a plus que deux ou une ou pas du tout.
Je ne vois pas d'autre explication : on met une cotation d'office quand le film
sort en salle pour faire venir les gens, et quand il passe à la télé, on note pour ce que ça vaut, ces cons de téléspectateurs vont avaler le navet cuit de toute façon.

Son cinéma épuré, ses dialogues très travaillés et ses comédiens toujours bien dirigés pourraient, pourtant, mériteraient qu'on s'attarde un peu plus sur sa filmo. Le cinéaste, résolument indépendant et sûrement très fier d'être le canard noir du métier (ça le distinguait), restait finalement le symbole d'une époque révolue où une certaine liberté de ton et d'expression étaient encore possibles, quitte à passer sur la fin pour un vieux schnock. Tout était un peu défraîchi, poussiéreux. Mais il n'avait rien perdu de sa verve. Cela lui a permis de devenir comique cathodique et radiophonique et conférencier. Cet homme d'images a finit avec l'art de la parole, faute de moyens. Nostalgique sans doute de ce 7e art qu'il a toujours vénéré mais qui lui échappait de plus en plus.

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