[2019 dans le rétro] Des espoirs qui brillent

Posté par kristofy, le 2 janvier 2020

Révélation internationale de l'année : Zazie Beetz
C’est elle la principale révélation de cette année 2019 : les partenaires les plus prestigieux qui lui donnent la réplique à l’écran, plusieurs films dans les festivals de cinéma et sortis en salles, et un immense succès mondial avec Joker ! Son ascension est classique avec quelques rôles dans des séries télé et quelques films, jusqu’au moment où elle s'est retouvée à l’affiche de Deadpool 2 l’année dernière. Depuis elle a reçu des piles de scénarios et surtout des propositions de rôle différentes : 5 nouveaux films ! Cette année on a pu la voir en février dans High Flying Bird de Steven Soderbergh (sur Netflix), puis à la Quinzaine des Réalisateurs dans Wound avec Armie Hammer et Dakota Johnson (diffusé ensuite sur Netflix également). Elle est venue à Venise pour y défendre deux films : Seberg avec Kristen Stewart (qui a une liaison avec un leader du mouvement Black Panther, dont Zazie est la compagne) et Joker avec Joaquin Phoénix (elle est la voisine dont il devient amoureux) qui y recevra le Lion d’or. Elle joue aussi dans Lucy in the sky avec Natalie Portman (dont la sortie a été décalée début 2020). Zazie Beetz était presque partout et surtout dans les bons films...

Révélation féminine en France : Noémie Merlant
Elle avait déjà été nommée dans la catégorie César du meilleur espoir féminin. Malgré plusieurs années d'activité, son nom et son visage restaient méconnus du grand public mais ça a changé en 2019. Cela devrait même valoir à Noémie Merlant une prochaine nomination au César de la meilleure actrice. Même si elle ne gagne pas cette statuette dorée, l’actrice de l’année 2019 fut la sienne. Dans les trois films à l’affiche où elle était l’héroïne, elle a presque éclipsé de son charisme ses partenaires de jeu. Elle a fait briller Les Drapeaux de papier de Nathan Ambrosioni (sorti le 13 février), elle a fait vibrer Curiosa de Lou Jeunet (sorti le 3 avril), et surtout elle a fait enflammer Portrait de la jeune fille en feu , face à Adèle Haenel, de Céline Sciamma.

Révélation masculine en France : Anthony Bajon
Son nom s'est imposé en 2018 pour son rôle dans La Prière de Cécric Kahn avec, au Festival de Berlin, un Ours du meilleur acteur pour ses 23 ans. En coulisses, les gens qui ont travaillé avec lui en font son éloge : Cécric Kahn, Philippe Lioret, Adèle Haenel, Guillaume Canet... Il lui fallait confirmé qu'il était plus qu'un espoir, mais bel en bien en train de devenir un nouvel acteur qui va compter, et c'est en train de se produire. Cette année il a justement partagé l'affiche avec Guillaume Canet dans Au nom de la terre de Edouard Bergeon et c'est lui qui impressionne le plus : le film est devenu un grand succès public (inespéré) avec 2 millions de spectateurs. On y voit ce jeune Anthony Bajon prendre de l'épaisseur et s'imposer naturellement à l'écran. En 2019 il était aussi à l'affiche de Tu mérites un amour de Hafsia Herzi. Il y incarne un photographe en devenir et, là encore il retient l'attention. Anthony Bajon a aussi beaucoup tourné dans des films à venir en 2020 : la série Paris-Brest de Philippe Lioret, il sera dans le prochain Stéphane Brizé Pour le meilleur et pour le pire avec Vincent Lindon et Sandrine Kiberlain, dans La troisième guerre avec Leïla Bekhti et Karim Leklou, et dès ce 8 janvier il a aussi un petit rôle dans Merveille à Montfermeil de Jeanne Balibar.

Meilleur espoir féminin : #NousToutes
Les films dans les différentes sélections du Festival de Cannes cette année ont fait forte impressions jusqu'à être pressenti pour des nominations à un Oscar, et c'est pour certains films aussi un nouveau tremplin pour plusieurs actrices : Emily Beecham (Prix d'interprétation) dans Little Joe de Jessica Hausner, Mina Farid dans Une fille facile de Rebecca Zlotowski, Lyna Khoudri (photo) dans Papicha de Mounia Meddour; tous des films réalisés par des femmes.
Plus important, 2019 aura beaucoup fait évoluer la représentation de ce que à quoi ressemble une grande actrice : ce n'est plus seulement une star avec une imposante filmographie. Les plus grandes actrices de cette année sont des débutantes ou des émergentes, qui ont su porter un film sur leurs épaules malgré ou à cause de leur différence : la culturiste musclée Julia Föry dans Pearl de Elsa Amiel, la petite mexicaine devenue cyborg Rosa Salazar dans Alita: Battle Angel de Robert Rodriguez, Mélanie Gaydos avec un visage marqué une maladie génétique rare dans Tous les Dieux du ciel de Quarxx, la jeune femme transgenre Mya Bollaers dans Lola vers la mer de Laurent Micheli, et la collégienne de 12 ans Lise Leplat Prudhomme dans Jeanne de Bruno Dumont.

Bravo à elles!

Venise 2019 : Joker, de Todd Phillips, avec Joaquin Phoenix

Posté par kristofy, le 1 septembre 2019

Qui est le Joker ? Ce personnage de bande-dessinée Batman est d'abord apparu en 1940, avec un visage et des couleurs de costume qui sont souvent restées dans les films. Les diverses adaptations de l'univers du milliardaire qui se prend pour une chauve-souris au cinéma en ont fait un méchant particulièrement iconique : visage de clown blanc avec un inquiétant et trop large sourire rouge, parfois des cheveux verts, et un costume flamboyant. Après Cesar Romero dans le Batman de 1966 (oublié), c'est cet ennemi qui est choisi pour faire face au héros dans sa résurrection cinématographique, le Batman de Tim Burton en 1989 (qui a d'ailleurs relancé la production de films de super-héros jusqu'à la cadence industrielle que l'on connait aujourd'hui). Le Joker a donc été un gangster défiguré par de l'acide avec un excessif Jack Nicholson. Puis il est devenu un habile voleur de banque avec Heath Ledger en 2008 (The Dark Knight de Christopher Nolan), dont la subtilité et le génie formaient une combinaison parfaite. Il y eut ensuite l'outrance de Jared Leto dans Suicide Squad de David Ayer (symptomatique de la regrettable tendance au cross-over avec différents personnages en même temps). On pourrait ajouter le personnage Lego dans les films d'animation. C'est le méchant idéal qu'on adore.

Aucun de ces films n'ont fait du Joker le héros principal. Un tel personnage iconique méritait probablement d'avoir un film qui lui soit uniquement consacré. C'est ce que propose ce nouveau film de Todd Philipps, cinéaste habituellement porté sur la comédie : une nouvelle histoire du Joker, comme vous ne l'avez encore jamais vu... Un "Very Bad trip" noir et anxiogène.

Le pitch: Le film, qui relate une histoire originale inédite sur grand écran, se focalise sur la figure emblématique du Joker. Il brosse le portrait d’Arthur Fleck, un homme méprisé par la société...

Dans Joker, il ne sera jamais question de Batman, qui n'existe pas encore. L'histoire semble se dérouler dans un New-York des années 70, assez familier: celui de Taxi Driver, dont les similitudes sont frappantes. Un homme habillé en clown tient une pancarte publicitaire sur un trottoir pour que des passants entrent dans une boutique de la rue. C’est un job plutôt nul, surtout quand il se fait rouer de coups par des jeunes lui ayant piqué sa pancarte. C'est ça la vie d'Arthur Fleck : se déguiser en clown pour quelques dollars, il vit avec sa mère malade dans un petit appartement ; parfois, il rigole tout seul en écrivant des trucs bizarres dans un cahier ; il s'imagine devenir comédien de stand-up à raconter des blagues mais il est seul et sans ami...

Dès ses premières images, le film scrute le visage de Arthur Fleck devant un miroir en train de se maquiller. On voit cet homme comme quelqu'un de fragile qui se donne une autre image de lui même. Il dissimule son étrangeté derrière une autre apparence. On découvrira qu'il est est marqué par le mantra de sa mère 'put on a happy face': il faut se montrer joyeux même si c’est avec un sourire de façade... Arthur Fleck va souvent voir une psychologue même si elle ne l’écoute pas vraiment. Cela lui sert pour avoir ses médicaments. Arthur est un homme dépressif depuis longtemps. Sa vie comme cette ville ne peuvent que (le) déprimer. La seule chose distrayante, c’est une émission de télévision avec un animateur dont il est fan: il s’imagine bien y être invité un jour, même si personne ne le trouve drôle. Un bien sombre tableau où l’on découvre au fur et à mesure plusieurs aspects de la personnalité de cet Arthur Fleck, toujours inquiet et instable en gardant son désespoir et sa colère en lui, tant qu’il peut... Trois hommes imbéciles avec leurs costumes de banquier vont provoquer une nouvelle humiliation qui va faire basculer Arthur Fleck avec son allure de clown dans un geste particulièrement violent. Le fait-divers fait la une des journaux et de la télévision on réprouve cet acte d’un mystérieux clown. Arthur Fleck commence alors à basculer de plus en plus vers son alter-ego de Joker… Comme une révolte "Anonymous" à l'humiliation de la finance sur le peuple. Joker est un gilet jaune à sa manière.

L'ombre de Scorsese et de Rousseau

La seule concession du film à l’univers des comics c'est Gotham, le nom de sa métropole,un hôpital du nom de Arkham, et un riche Thomas Wayne qui se présente aux élections de la mairie. Joker n’incorpore aucun élément qui relève d’un univers extravagant de super-héros. Au contraire il s’attache à montrer au plus juste une ville en crise un peu comme l’ambiance de Taxi Driver (avec Robert De Niro, ici en animateur de télé qui rappelle un autre film de Scorsese, La valse des Pantins).

La puissance de Joker est justement d’ancrer son récit dans la réalité, dans une réalité proche d’ailleurs de celle que l’on connait encore aujourd’hui dans les périphéries de New-York : beaucoup de pauvreté, un peu de violence, des coupes de budget dans les services publics, les mouvements de protestation des 99%... C’est là que réside l’impact du film: il n’a rien d’une histoire pour adolescents puisqu'il s’agit bien d’un parcours de vie proprement dramatique, une spirale infernale vers la psychose. C'est du Rousseau: "Qu’il sache que l’homme est naturellement bon, qu’il le sente, qu’il juge de son prochain par lui-même ; mais qu’il voie comment la société déprave et pervertit les hommes ; qu’il trouve dans leurs préjugés la source de tous leurs vices ; qu’il soit porté à estimer chaque individu, mais qu’il méprise la multitude ; qu’il voie que tous les hommes portent à peu près le même masque, mais qu’il sache aussi qu’il y a des visages plus beaux que le masque qui les couvre."

Arthur Fleck a un passé tragique, il va faire de son présent une farce macabre en devenant le Joker. Joaquin Phoenix utilise son corps avec une démarche tantôt claudicante ou dansante selon la tristesse ou la frénésie du moment, et surtout son visage et ses yeux qui traduisent, en plus de ses dialogues, un langage décryptant sa folie. L'acteur a confessé à Venise vouloir interpréter un personnage "indéfinissable". C'est prodigieusement réussi. Avec Joker Joaquin Phoenix a probablement déjà son siège réservé pour une prochaine nomination à un Oscar…

Joker est prévu le 9 octobre dans les salles françaises.