Vesoul 2019 : le silence et l’exil face aux politiques absurdes

Posté par kristofy, le 11 février 2019

Comme à son habitude, le Festival International des Cinémas d'Asie de Vesoul propose en compétition des films de tous horizons (Chine, Corée du Sud, Inde, Japon, Iran, Philippines, Afghanistan...) La plupart de ces films, dont trois sont signés de réalisatrices, montrent des familles qui éprouvent diverses difficultés. Certaines sont en résonance avec leur pays avec en fond une critique d'un système. Deux films sont particulièrement interrogateurs, voir dénonciateurs : Widows of silence et A family tour.

Widows of silence, réalisé par Praveen Morchale : originaire de l'Inde, il s'agit de son 3ème long-métrage. Il raconte une histoire dans le  Cachemire. Une femme dont le mari est porté disparu depuis 7 ans est seule avec sa fille de 11 ans et sa belle-mère âgée muette de chagrin. Cette femme doit plusieurs fois se déplacer pour des formulaires demandant un acte de décès de son mari qu'elle n'arrive pas à obtenir, l'une des raison est d'ailleurs de lui soustraire des terres de son mari...

Praveen Morchale explique ce qui l'interpelle : « Le Cachemire est une zone très conflictuelle entre l'Inde et le Pakistan, depuis des dizaines d'années. Il y a des gens qui traversent des frontières pour disparaître et d’autres pour devenir soldat ailleurs par exemple. Il y a surtout le problème interne des gens qui sont à un moment arrêtés par des militaires et qu'on ne revoit jamais. Il y aurait 2500 femmes veuves officiellement mais plutôt environ 10000 disparus officieusement, la situation est douloureuse pour les proches surtout les épouses et les enfants. Il y a un peu plus d'un an j’ai découvert dans un article de journal le terme de ‘demi-veuve’ et je me suis intéressé à ce que ça voulait dire, en fait des femmes dont les maris ont disparus après des arrestations.

Je suis allé au Cachemire et j'y ai rencontré des gens incroyablement généreux et qui partagent beaucoup de choses, et aussi des femmes qui m'int raconté des choses horribles et absurdes qui arrivent là-bas. Les médias locaux ne parlent jamais des malheurs de ces femmes et de ces enfants, les journaux et les radios ne parlent que d'actions militaires victorieuses par exemple, mais rien de négatif sur le pays. Beaucoup de ces femmes sont illettrées ou bloquées au quotidien dans des démarches administratives, elles sont d'autant plus silencieuses ou ignorées que personne ne parlent d'elles, de ces veuves dont les maris sont morts on ne sait où ni comment. Environ 6 mois plus tard je faisais le film, le tournage a duré 17 jours dans un petit village où personne n'avait jamais vu de caméra. A l'écran c'est la réalité, les villageois jouent leur vie à l'image : le chauffeur est chauffeur, l'infirmière est infirmière. Que des non-professionnels donc sauf l'actrice principale qui a fait du théâtre et le chef du bureau d'état civil qui est en fait mon assistant qui fait l'acteur ici. Dans mon film 99% des choses sont vraies d'après ce que m'ont raconté plusieurs femmes rencontrées là-bas, sauf le final est fictif. »

A family tour, réalisé par Ying Liang : il est chinois mais il a dû s'éloigner de sa région natale pour aller vivre à Hong-Kong, sa précédente réalisation When night falls lui avait valu diverses difficultés avec le pouvoir et c'est d'ailleurs le sujet de son nouveau film. Une réalisatrice exilée à Hong-Kong parce qu'un de ses film a offensé les autorités chinoises participe à un festival dans la dissidente Taïwan. Elle en profite pour y faire venir sa mère malade qu'elle n'a pas vue depuis cinq ans. La mère participe à un voyage groupé touristique et à chaque étape la réalisatrice avec son mari et son fils va la rejoindre pour passer du temps ensemble...

Ying Liang évoque comment la Chine surveille des cinéastes : « Cette histoire est une fiction qui reflète mon histoire personnelle. Un de mes films a fait que je ne pouvais plus retourner en Chine, c'était une phase difficile et j'ai repensé totalement ma vie. La première version du scénario était à propos d'un homme réalisateur en exil et c'était trop proche de moi. Faire du personnage principale une femme réalisatrice permettait de suggérer différents choix de vie et en faire un personnage plus fort : ici ce n'est pas une femme qui suit son mari par exemple, c'est elle qui est moteur des décisions. Je suis originaire de Chine mais à Hong-Kong il y a plus de libertés, notamment pour faire des films et les montrer, mais en ce moment Hong-Kong change à une vitesse folle et en pire.

Les deux actrices sont originaires de Pékin, et je leur ai demandé clairement "voulez-vous prendre le risque d'apparaître dans mon film?" L'actrice qui joue la mère était déjà dans mon précédent film qui m'a vau des problèmes dans le rôle de la maman d'un garçon ayant tués des policiers chinois, en fait elle est aussi elle-même productrice de films indépendants comme Lou Ye, elle connait les risques de censure. Dans ma vraie vie; mes parents n'ont pas fait ce type de voyage dans un pays tiers pour me voir, c'est risqué car on ne sait pas ce qui peut se passer à leur retour. Le contact avec mes parents en Chine est comme dans ce film, c'est par internet et limité à des choses simples. Je ne peux pas leur parler de ce que je fais dans mon métier et cache certaines choses, et eux évitent de me poser certaines questions. »

Locarno 2012 : Léopard d’or pour le cinéaste français Jean-Claude Brisseau

Posté par vincy, le 12 août 2012

La poésie et le mystère du film de Jean-Claude Brisseau aura séduit le jury de Locarno. Depuis Peau d'homme cœur de bête de Hélène Angel en 1999, aucun cinéaste français n'avait remporté le Léopard d'or du Festival International du Film de Locarno. Brisseau est le 10e réalisateur de l'Hexagone a remporté ce prix. A 68 ans, cet autotodidacte en marge du cinéma national, porte un cinéma mêlant réalisme et fantastique, s'intéressant à la fracture sociale, et sa violence, aux femmes (et leur plaisir), au désir (et sa transgression). La fille de nulle part n'échappe pas à ces thématiques. Brisseau, dont la personnalité sulfureuse l'a conduit dans les tribunaux pour harcèlement sexuel, s'intéresse de plus en plus aux phénomènes paranormaux, qu'il insère dans ses scénarios. Le réalisateur de Noce blanche (qui révéla Vanessa Paradis en actrice) et De Bruit de Fureur remporte ici son prix le prestigieux.

Le jury de la Compétition internationale a livré un palmarès éclectique et cosmopolite. Une comédie américaine pour le prix du jury, un cinéaste chinois sous pression du pouvoir de son pays pour le prix du meilleur réalisateur, son actrice pour le prix d'interprétation féminine, un acteur autrichien pour celui d'interprétation masculine, ...

Notons que Ying Liang, prix du meilleur réalisateur, est actuellement l'objet de harcèlement de la part du gouvernement chinois qui a fait pression depuis des mois pour qu'il abandonne son projet. Le film est une transposition d'un fait divers sur un procès expédié et une exécution sans appel d'un homme accusé d'avoir poignardé des policiers. Le cinéastes est contraint de s'installer à Hong Kong.

Enfin du côté de la Piazza Grande, le prix du public est revenu à la cinéaste britannique Cate Shortland (Sommersault, 2004) pour Lore. L'histoire se déroule en 1945 à la fin de la guerre : un groupe d’enfants, dont les parents, des SS nazis, sont sous la garde des Alliés, s’apprête à traverser l’Allemagne dévastée pour retrouver leur grand-mère à près de 900 kilomètres au Nord.

Et les critiques du magazine professionnel Variety ont remis leur prix à un film français, présenté à la Quinzaine des réalisateurs cette année à Cannes, Camille redouble de Noémie Lvovsky. Le prix est attribué au film qui se distingue à la fois par ses qualités artistiques et par son potentiel pour une sortie en salles.

Compétition internationale

Léopard d'or : La fille de nulle part, Jean-Claude Brisseau, France
Prix spécial du jury : Somebody Up There Likes Me, Bob Byington, USA
Léopard du meilleur réalisateur : Ying Liang pour When Night Falls (Wo Hai You Hua Yao Shuo), Chine/Corée du sud
Prix d'interprétation féminine : An Nai pour When Night Falls (Wo Hai You Hua Yao Shuo), Chine/Corée du sud
Prix d'interprétation masculine : Walter Saabel pour Der Glanz des Tages (The Shine of Day), Autriche
Mention spéciale : le personnage Candy dans le film A Ultima Vez que Vi Macau, "dont la présence puissante malgré son absence résonne auprès du jury comme la représentation de l'immense courage du cinéma portugais à une époque où les faillites des gouvernements et des systèmes sociaux menacent les arts cinématographiques du monde."

Cinéastes du présent

Léopard d'or Cinéastes du présent - Prix George Foundation : Inori, Pedro Gonzaleez-Rubio, Japon
Prix du meilleur réalisateur en devenir : Joel Potrykus pour Ape, USA
Prix spécial du jury Ciné + Cinéastes du présent : Not in Tel Aviv, Nony Geffen, israël
Mention spéciale : Tectonics, Peter Bo Rappmund, USA

Premiers films

Léopard d'or de la meilleure première oeuvre : Memories Look at Me (Ji Yi Wang Zhe Wo), Song Fang, Chine
Mention spéciale : Ape, Joel Potrykus, USA

Piazza Grande

Prix du Public UBS : Lore, Cate Shortland, Royaume Uni/Allemagne
Prix Variety Piazza Grande : Camille redouble, Noémie Lvovsky, France