[La Rochelle 2/6] Victor Sjöström: l’homme, la communauté et la nature

Posté par Martin, le 21 juillet 2019

Le Festival du film de La Rochelle, qui a lieu chaque année fin juin début juillet, est l’occasion de découvrir des films inédits, avant-premières, rééditions, et surtout des hommages et des rétrospectives. Cette année, furent notamment à l’honneur les films muets du Suédois Victor Sjöström (1879-1960) et les dix premiers films de l’Américain Arthur Penn (1922-2010), un des pères du Nouvel Hollywood. Parmi les nouveautés, fut remarqué le très bel essai de Frank Beauvais, Ne Croyez surtout pas que je hurle, qui sortira le 25 septembre 2019. Ces cinéastes questionnent chacun à leur manière la place de l’individu dans la collectivité. Tour d’horizon en trois chapitres.

Suite du chapitre 1


Fuir la ville, entrer dans le paysage

Directeur d’acteurs subtil – certains de ses acteurs jouent avec une modernité stupéfiante – Victor Sjöström est également metteur en scène de théâtre et comédien – il incarnera le vieil homme qui se souvient dans Les Fraises sauvages (1957) d’Ingmar Bergman. Sjöström en tant qu’acteur s’engage physiquement dans ses films, notamment Terje Vigen, Les Proscrits et La Charrette fantôme. Il faut le voir dans Terje Vigen se présenter face à la mer orageuse, puis secourir une barque au bord d’être brisée, ou se laver dans la chute d’eau des Proscrits. Chef d’œuvre impérissable, Les Proscrits pose mieux encore la question de la collectivité. Une veuve tombe amoureuse d’un étranger qui arrive du désert (il s’est échappé du bagne), et une fois son identité connue, s’enfuit avec lui. C’est la femme cette fois qui doit faire le choix entre son monde (dans lequel elle tient une place de choix) et l’amour, ici un sentiment qui semble venir du fin fond du corps autant que de l’âme. Le couple reconstruit une communauté, d’abord avec un enfant, puis avec un ami qui lui aussi a fui – mais que le désir frustré transforme en nouvel ennemi, intérieur. Chaque communauté sème, dès sa création, sa propre destruction : en s’exilant dans la nature, le couple se crée un refuge en forme de tombeau, la femme met au monde un enfant qu’elle tuera, l’ami qui aide à survivre, à chasser et pêcher, retournera sa main contre eux. Au-delà de la tension du récit, mélodramatique, extrêmement bien construit, ce qui sidère le plus dans Les Proscrits, ce sont les paysages. Tourné en décors naturels, le film est parsemé de plans impressionnants dans l’eau, dans la montagne, au bord d’un précipice. Ce qu’essaie de calmer les hommes « d’en bas », ceux du village, ce sont des passions que la nature, elle, déploie pleinement. La dernière image, sublime, sculpte le couple autant qu’elle l’efface, l’immortalisant à jamais dans la nature.

Habiter le vent

Avec Le Vent (1928), son chef d’œuvre américain, Sjöström va encore plus loin dans l’affrontement. Une jeune femme, Letty, vient s’installer dans un village – cette fois c’est le personnage féminin qui vient d’ailleurs. Elle est une fois encore incarnée par Lillian Gish, mélange de fragilité et de détermination inégalable. Poussée hors du giron protecteur de la ferme de son cousin dont l’épouse est jalouse (on la comprend, Gish est sublime), elle est obligée d’épouser un cow-boy qu’elle n’aime pas. Mais le vent souffle dans ce désert américain et recouvre tout sur son passage. Le cow-boy part sauver quelques chevaux et défier le vent, dans l’espoir que Letty finisse par l’aimer. Restée seule, la jeune femme affronte un élément d’une telle force qu’il recouvre quasiment la porte de la petite maison, la transformant – là encore – en tombe. Le conflit apparent – exister face à une communauté jalouse, envieuse – est dépassé par un autre, celui d’une nature violente. Sjöström enferme son héroïne dans cette maison, devenue centre de toutes les passions. Letty comprend qu’il y a plus fort qu’elle, qu’eux tous. C’est en acceptant cette découverte que le vent devient pour elle un allié – il recouvre un cadavre qu’elle veut cacher. A la fois film très impressionnant et capable du plus grand dénuement – la seconde partie se passe uniquement dans une chambre et devant la porte – Le Vent dessine une réconciliation de l’homme avec la Nature. A la fin, Letty ne fuit plus, elle accepte les lois, qui ne sont pas tant celles, éphémères, d’une communauté, que celles, atemporelles, de la Nature. Comme le personnage de Terje Vigen qui apprend à se mouvoir dans la mer, Letty a appris à habiter le vent, et c’est ce qui la rend capable d’aimer. Sa nouvelle identité est donc une acceptation inespérée, un pacte entre l’homme, la collectivité et la nature.

[La Rochelle 1/6] Victor Sjöström: l’homme, la communauté et la nature

Posté par Martin, le 20 juillet 2019

Le Festival du film de La Rochelle, qui a lieu chaque année fin juin début juillet, est l’occasion de découvrir des films inédits, avant-premières, rééditions, et surtout des hommages et des rétrospectives. Cette année, furent notamment à l’honneur les films muets du Suédois Victor Sjöström (1879-1960) et les dix premiers films de l’Américain Arthur Penn (1922-2010), un des pères du Nouvel Hollywood. Parmi les nouveautés, fut remarqué le très bel essai de Frank Beauvais, Ne Croyez surtout pas que je hurle, qui sortira le 25 septembre 2019. Ces cinéastes questionnent chacun à leur manière la place de l’individu dans la collectivité. Tour d’horizon en trois chapitres.

Chapitre 1 : Victor Sjöström

Si la carrière de Sjöström semble se partager en deux périodes, la suédoise et l’américaine – il fut appelé à Hollywood après le succès des Proscrits (1917) et de La Charrette fantôme (1921) – elle n’en reste pas moins profondément unie. L’intrigue de ses films repose en effet toujours sur une dialectique qui oppose l’homme et la communauté dans laquelle il vit, souvent une petite ville perdue au bord de la nature : un homme ou une femme cherche à faire partie d’un groupe puis à le fuir. C’est de la tension entre ses deux mouvements que naissent des récits riches en tensions qui donnent la part belle aux paysages.

Les larmes du monde

Femmes infidèles ou considérées comme telles dans La Fille de la tourbière (1917) ou La Lettre écarlate (1926), patronne qui tombe amoureuse d’un proscrit dans le film du même nom, homme qui sort du bagne dans Terje Viegen (1916) mais aussi dans Les Proscrits : comment être dans ce monde qui nous rejette ? Larmes de clown (1924) raconte bien aussi la même souffrance : après avoir été volé à la fois de sa découverte scientifique et de sa femme par un ami, Lon Chaney est giflé aux yeux d’un groupe de scientifiques hilares. Cette humiliation première, il n’a pas de cesse de la rejouer puisque, scientifique déchu, mari abandonné, il devient clown qui se fait gifler dans un cirque : c’est le sens du titre original, He who gets slapped. L’espace du chapiteau devient un miroir déformant de la scène originelle – il fait rire en recevant des gifles qui lui coupent constamment la parole, tombe amoureux d’une jeune acrobate qui n’a d’yeux que pour un autre. Chaney se réapproprie son humiliation autant qu’il n’arrive pas à la dépasser. A la fin, il se confond avec son personnage de scène et détache le cœur de son costume pour le tendre à la jeune acrobate. L’élan comique du clown rejoint le geste tragique de l’homme. La place du public, donc du groupe, est centrale : dans la vision subjective du clown, les scientifiques moqueurs se transforment en clowns grimés, tandis les spectateurs du cirque se transforment en scientifiques. En devenant clown, il n’est plus le scientifique qu’il était, mais il renonce également à sa place d’homme dans la communauté : il est l’objet des regards au centre d’un chapiteau, il n’est ni partie prenante du public ni même, à l’inverse des autres artistes, d’un groupe sur scène – le couple d’acrobates, le dompteur et son lion. Il est montré du doigt, désigné par la foule comme à jamais exclu, par ce rire qui le condamne tel Sisyphe à revivre le même calvaire.

La chair qui brûle

En adaptant le roman de Nathaniel Hawthorne, Sjöström trouve un personnage idéal, moins dans Hester, l’héroïne (divinement incarnée par Lillian Gish) qui, croyant son mari mort, tombe amoureuse du Révérend, que dans le personnage du Révérend lui-même (Lars Hanson). En effet, il est l’ordre. Au début de La Lettre écarlate, Hester est dénoncée pour avoir regardé son reflet – les miroirs sont présents dans le décor, mais recouverts de tissu, comme une tentation perverse – et elle est punie comme il se doit, mais le Révérend prend pitié d’elle, si frêle, les mains liées dans un bout de bois au centre du village. Elle est déjà persona non grata, exclue, même à l’intérieur du cercle. Et c’est pourtant l’homme des lois qui tombe amoureux d’elle. Leur amour ne peut avoir lieu qu’à l’orée du village, lorsque qu’il découvre un sous-vêtement de la jeune femme, partie à la rivière laver le linge. Dans l’alcôve soudain protectrice d’une clairière, le désir se libère. Il faudra pourtant au personnage tout un film pour assumer cet amour et déclarer être le père de l’enfant que la jeune femme met au monde. Cette tension parcourt son corps tout entier, et son geste final rappelle celui du clown qui tend son cœur : il ouvre sa chemise libérant le signe infamant, le « A » de l’adultère. Mais alors qu’Hester le porte sur son vêtement – et le cache parfois avec l’enfant qu’elle porte devant sa poitrine, ce qui ne manque pas d’ironie – le Révérend, lui, a gravé la lettre écarlate dans sa chair, sur son cœur. Aveugle village qui n’a pas voulu voir derrière les apparences – un bout de tissu – aveugle révérend qui a succombé aux interdits qu’il a lui-même nommés. Appartenir à une communauté, c’est faire brûler ses interdits dans sa propre chair.

Festival de la Rochelle : le rendez-vous estival des cinéphiles

Posté par redaction, le 27 juin 2019

Pour tous les cinéphiles, le Festival de cinéma de La Rochelle est un des événements incontournables du début de l’été. Lors de cette 47e édition, qui aura lieu du 28 juin au 7 juillet,  quelque 200 films seront projetés : fictions, documentaires, films d’animation provenant de très nombreux pays.

Organisé depuis 1973 dans le chef-lieu de Charente-Maritime, ce festival a la particularité de ne pas  présenter de compétition, ce qui permet de mettre les films et les réalisateurs sur un même pied d’égalité, sans en privilégier certains.

Marraine de l’édition 2019, l’actrice canadienne Alexandra Stewart présentera trois films de sa filmographie : Le feu follet de Louis Malle, Mickey One d’Arthur Penn et La duchesse de Varsovie de Joseph Morder.

Des hommages seront rendus, en leur présence, au réalisateur italien Dario Argento (Les frissons de l’angoisse, Suspiria), à la directrice de la photographie Caroline Champetier (collaboratrice de Leos Carax, Jean-Luc Godard et Claude Lanzmann notamment), à la cinéaste autrichienne Jessica Hausner (Lourdes, Little Joe), au réalisateur de films d’animation Jean-François Laguionie (Louise en hiver, Le voyage du prince) et au cinéaste palestinien Elia Suleiman (Intervention divine, It Must Be Heaven).

Des rétrospectives seront consacrées à l’acteur Charles Boyer, séducteur français qui a fait l’essentiel de sa carrière aux Etats-Unis, au réalisateur américain Arthur Penn (Bonnie and Clyde, Miracle en Alabama, Little Big Man), et à la réalisatrice ukrainienne Kira Mouratova (Brèves rencontres, Le syndrôme asthénique).

La comédie aura une place de choix cette année, avec la projection de films de Louis de Funès et de Jim Carrey, deux maîtres dans l’art de la mimique et de la grimace. Le premier a fait les beaux jours de la comédie populaire dans les années 1960 avec notamment La grande vadrouille (1966), qui est longtemps resté le film ayant réalisé le plus d’entrées au cinéma en France, avec plus de 17 millions de spectateurs. Il n’a été détrôné que ces dernières années par Bienvenue chez les Ch’tis (2008) et Intouchables (2011). Le second, Jim Carrey, a fait briller la comédie américaine dans les années 1990, notamment avec son interprétation déjantée dans The Mask.

Les festivaliers pourront aussi découvrir 13 films venus d’Islande, ainsi que neuf films muets du réalisateur suédois Victor Sjöström, accompagnés au piano par Jacques Cambra. Parmi les autres événements proposés : des films pour les enfants, un concert hommage à François de Roubaix, compositeur de bandes originales de films (L’homme orchestre, Le samouraï) et des films inédits ou présentés en avant-première.

L’an dernier, la manifestation rochelaise a présenté 158 longs métrages et 56 courts métrages, accueillant au total 86 037 spectateurs. Une belle affluence montrant qu’il n’est pas indispensable pour un festival d’organiser une compétition pour attirer le public dans les salles obscures.

Pierre-Yves Roger

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47e Festival de la Rochelle
Du 28 juin au 7 juillet
Retrouvez toute la programmation sur le site de la manifestation