Annecy 2018 : retour sur la sélection courts métrages qui fait une escale au Forum des Images

Posté par MpM, le 26 juin 2018

Comme chaque année, le Forum des images accueille à Paris (mercredi 27 et jeudi 28 juin) une reprise du Festival d'Annecy à travers deux séances réunissant les courts métrages primés, toutes sections confondues, ainsi qu'une sélection opérée par l'agence du court métrage, une carte blanche autour des 80 ans de films d'animation de Disney et la projection en avant-première du Cristal 2018, Funan de Denis Do. L'occasion de revenir sur la sélection 2018 de courts qui demeure, pour certains festivaliers, le véritable clou de la manifestation.

C'est en effet au travers des différentes compétitions de courts métrages (internationale, off-limit, perspectives, films d'école et jeune public), pensées comme un instantané de la création mondiale, que l'on peut se faire une idée précise de l'état de l'animation contemporaine, de ses courants, de ses thèmes et techniques de prédilection, de ses expériences et de ses réussites. Le moins qu'on puisse dire, au retour d'Annecy, est que l'on peut se réjouir de l'inventivité, de l'audace et de la maîtrise dont font preuve aujourd'hui les réalisateurs de courts métrages d'animation. Qu'ils passent ensuite au long, ou non, ne pourrait pas moins importer tant le talent, lui, est d'ores et déjà au rendez-vous.

La large sélection (130 courts) permet une approche à la fois riche et éclectique qui laisse toutes les facettes de l'animation s'exprimer, des techniques les plus "artisanales" aux plus technologiques, des effets visuels les plus sophistiqués à la simplicité la plus épurée. On a notamment croisé des films réalisés en sable ou en poudre, à l'aquarelle, à l'encre de chine, en peinture sur verre, sur un écran d'épingles, avec des figurines duveteuses ou en pâte à modeler, avec des marionnettes, avec des photos, en papiers découpés, en rotoscopie, en prise de vues réelles, en 2D, en 3D...  Cette édition 2018 était d'ailleurs un savant mélange de valeurs sûres et de découvertes réunissant des propositions formelles fortes, parfois philosophiques, des œuvres narratives légères, sensibles ou drôles, et des films plus personnels à la portée universelle.

Contrairement au long métrage, qui cette année se voulait porté sur le réel, engagé et même politique, le format court s'est le plus souvent montré intimiste, pour ne pas dire intime, mettant en scène des expériences individuelles ou abordant des sujets ayant trait au quotidien et aux relations familiales ou amoureuses. Dans cette veine ténue, on retrouve notamment le très beau Week-end de Trevor Jimenez (récompensé par le prix du public et celui du jury, et dont nous vous parlions au moment de Clermont Ferrand), qui évoque avec poésie la "garde alternée" qui conduit un enfant à passer du domicile de sa mère à celui de son père, mais aussi le lauréat du Cristal, Bloeistraat 11 de Nienke Deutz qui montre le délitement sourd de l'indéfectible amitié entre deux fillettes en train de muer en jeunes filles.

On peut aussi citer Vibrato de Sébastien Laudenbach qui, bien qu'il fasse partie d'une carte blanche donnée par l'Opéra de Paris à différents réalisateurs, illustre le monologue sensuel et coquin de la veuve de Charles Garnier, se rappelant avec émotion leurs ébats sexuels dans les moindres recoins du Palais ; Etreintes de Justine Vuylsteker qui revisite avec une infinie délicatesse le trio amoureux femme-mari-amant ou encore Telefonul d'Anca Damian, évocation poétique et surréaliste des parents du narrateur.

Certains films étaient encore plus intimement liés au vécu de leur réalisateur, à l'image de Between us two dans lequel Wei Keong Tan évoque à la fois sa mère disparue et son homosexualité ; Travelogue Tel Aviv, sorte de carnet de voyage du réalisateur Samuel Patthey sur son séjour en Israël ; Guaxuma de Nara Normande dans laquelle la réalisatrice parle de son enfance à la plage, et de sa meilleure amie Tayra ; Tightly wound de Shelby Hadden qui souffre de vaginisme et raconte le parcours du combattant que cela a représenté pour elle ; Egg de Martina Scarpelli, sur un épisode particulier dans la période d'anorexie qu'a vécu la réalisatrice ; Mariposas de Mauricio LeivaCock, Andrés Gomez Isaza, qui aborde le cancer qui a touché la mère de l'un des réalisateurs...

L'autre grand courant de cette sélection 2018 est ancré résolument (et assez classiquement) dans la fiction, et va vers une forme de divertissement plus ou moins assumé, qui parfois n'empêche pas une certaine profondeur. On pense à des films comme La mort père et fils de Denis Walgenwitz et Vincent Paronnaud (dit Winshluss), comédie noire dans laquelle le fils de La Mort se rêve en ange gardien ;  Raymonde ou l'évasion verticale de Sarah van den Boom et son pendant estonien Maria ja 7 pöialpoissi de Riho Unt, qui présentent tous deux une figure féminine (une chouette qui a été chaste toute sa vie dans le premier et une religieuse dans le second) attirée, si ce n'est obsédée, par les plaisirs charnels) ou encore Le chat qui pleure de Jean-Loup Felicioli et Alain Gagnol : puni, un petit garçon est contraint de passer l'après-midi avec un homme inquiétant qui lui propose un étrange marché.

Citons encore Animal behavior de Alison Snowden et David Fine (une thérapie de groupe à destination d'animaux aux travers encombrants) ; Mang-ja-ui-sum (Island of the deceased) de Kim Ji Hyeon, dans lequel un homme solitaire prend les yeux des morts pour redonner vie aux cadavres qui l'entourent ; Creature from the lake de Renata Antunez, Alexis Bédué, Léa Bresciani, Amandine Canville, Maria Castro Rodriguez, Logan Cluber, Nicolas Grangeaud, Capucine Rahmoun-Swierczynski, Victor Rouxel, Orianne Siccardi et Mallaury Simoes, une parodie de film d'aventure féministe et délirant ou encore L'homme aux oiseaux de Quentin Marcault, une fable sur le passage du temps et la transmission.

Difficile de tirer autre chose que des tendances générales sur une sélection de 130 films, mais on peut malgré tout relever également quelques films avec une portée plus sociale ou engagée, à l'image de (Fool) time job de Gilles Cuvelier (fable clinique et désespérée sur un homme contraint d'accepter un travail terrifiant pour nourrir sa famille, dont nous parlions déjà ici) ; Happiness de Steve Cutts (satire sur le capitalisme, la surconsommation et le monde du travail), Simbiosis carnal de Rocio Alvarez (une vaste fresque qui relate l’histoire de l'Humanité du point de vue des femmes), Mr Deer de Mojtaba Mousavi (une réflexion désenchantée sur l'absence d'empathie et de solidarité de l'être humain), An Excavation of Us de Shirley Bruno qui raconte l'histoire vraie d'une femme soldat s'étant battue pendant la révolution haïtienne, ou encore Afterwork de Luis Usón et Andrès Aguilar (une parabole sur l'absurdité du travail et de l'existence). D'autres s'intéressaient à la vie d'artistes célèbres, de Charles Bukowski dans Love he said d'Inès Sedan à James Brown et Solomon Burke dans Make it soul de Jean-Charles Mbotti Malolo, ou encore Oskar Kokoschka dans I'm OK d'Elizabeth Hobbs.

Il faut enfin mentionner des œuvres franchement singulières qui se distinguaient avant tout par leur ambition esthétique ou leur portée existentielle, à l'image de la série de 6 films réalisés par John Morena (sur les 52 qu'il revendique en 2017), à la durée très courte, et qui exploitent à chaque fois un concept visuel particulier pour parler d'un sujet "d'actualité" comme la guerre ou le droit des femmes ;  La chute de Boris Labbé (œuvre-somme hypnotique qui convoque à la fois l’histoire de l’art et celle de l’Humanité) ; III de Marta Pajek (une drôle de plongée dans le tourbillon de la séduction et de l'amour véritablement charnel) ; le moyen métrage Ce magnifique gâteau ! de Emma de Swaef et Marc Roels (44 minutes), mélange de cinéma absurde, de satire cruelle sur la colonisation et de poésie décalée ; Garoto transcodificado a partir de fosfeno de Rodrigo Faustini (des images abstraites réalisées à partir de phosphènes - un phénomène qui se traduit par la sensation de voir une lumière ou des taches dans le champ visuel - dévoilent fugacement l'image qu'elle dissimule) ou encore, aussi symbolique qu'introspectif, Le Sujet de Patrick Bouchard, dans lequel un personnage dissèque le corps d'une marionnette à taille humaine qui se révélera être son double.

Autant dire que cette sélection ne manquait ni d'ambition, ni de sensibilité, ni encore de panache, et offre de l'animation un visage que l'on peut juger suffisamment contrasté et éclectique pour être représentatif de la vitalité du genre. Les films programmés donnaient ainsi une vision relativement mature d'une forme de cinéma qui n'a définitivement pas à choisir entre la fiction "grand public" et le reste, faisant joyeusement le grand écart entre les représentations du monde, les styles de récit et les explorations formelles.

Dix films remarqués au 40e Festival de Clermont-Ferrand

Posté par MpM, le 9 février 2018


Pour qui n’est jamais allé au festival du court métrage de Clermont Ferrand, il faut imaginer une cité en perpétuel mouvement, organisée en nombreux lieux et espaces de projections autour des deux centres névralgiques que sont la maison de la culture et le marché du film.

Ici, on croise des scolaires en file indienne, deux par deux derrière leurs professeurs, des festivaliers acharnés aux yeux un peu cernés d’avoir déjà vu trop de films, des professionnels affairés du monde entier, qui courent d’un rendez-vous à un autre, des réalisateurs qui accompagnent leur film, intimidés ou galvanisés, c’est selon, par l’immense salle Cocteau susceptible d’accueillir 1400 spectateurs... Et que dire de ces longues files d’attente qui se forment toute la journée devant les salles ? On se croirait à Cannes, la neige en plus et l’hystérie et le tapis rouge en moins.

Pour cette 40e édition, environ 450 films étaient présentés, répartis dans les 3 compétitions, les rétrospectives et les différents focus. Certains des films les plus remarqués de 2017 étaient ainsi présentés, à l’image de The burden de Nikki Lindroth Von Bahr (qui a justement reçu le prix du Court métrage de l'année remis par l'association Short Film Conference à Clermont Ferrand), Des hommes à la mer de Lorris Coulon (tout récemment auréolé du prix du meilleur court métrage français 2017 décerné par le Syndicat de la critique), Ligne noire de Mark Olesa et Francesca Scalisi (Grand prix à Winterthur), Une nuit douce de Qiu Yang (Palme d'or à Cannes), Vilaine fille d'Ayce Kartal, Chose mentale de William Laboury, Gros chagrin de Céline Devaux (lion d'or à Venise), Le visage de Salvatore Lista, (Fool)Time Job de Gilles Cuvelier...

Nous avions déjà eu l'occasion de vous dire tout le bien qu'on en pense lors de notre grand bilan 2017 consacré au format court (à lire ici pour les films plébiscités en festival, ici pour les films français et ici pour les films étrangers).

Mais d’autres, plus récents, ou qui n’étaient pas encore parvenus jusqu’à nous, ont à leur tour plus particulièrement retenu notre attention. Petite liste (non exhaustive) de dix films qui ont fait notre festival.

Copa Loca de Christos Massalas


Copa-Loca est une station estivale grecque. Hors saison, il n'y a rien à y faire. Mais Paulina, elle, est toujours prête pour mettre un peu de baume au cœur des habitants. Raconté en voix-off dans un style faussement documentaire, et jouant précisément du décalage entre le récit et l'image, le film est une satire joyeuse et décomplexée dans laquelle le corps exulte quand bon lui semble.

Everything de David O'Reilly


A première vue, nous voilà dans une conférence scientifique à mi-chemin entre la spiritualité new age et la démonstration implacable de l'interconnexion du monde, animée par des extraits sonores enthousiastes et péremptoires du philosophe Alan Watts. Mais très vite on s’interroge non sur ce que l'on entend, mais sur ce que l'on voit, des images semblant empruntées à un jeu vidéo vintage, dans lequel les animaux se déplacent en roulant indéfiniment sur eux-même et où les décors sont si minimalistes qu'ils semblent avoir été conçus par des enfants. Et pour cause, puisque tout le film a été tourné dans le  jeu vidéo Everything, également créé par O'Reilly en 2017, dans lequel on peut littéralement incarner n'importe quel être vivant. Par défaut, le jeu est en mode "autoplay", c'est-à-dire que le joueur n'a rien à faire sinon suivre les péripéties de son personnage sur l'écran. Ce qui le place finalement dans une position de complète impuissance, devenu spectateur de son propre destin. Une idée qui traverse Everything, le film, de part en part, interrogeant à la fois les limites de l'animation elle-même, mais aussi celles du spectateur, du joueur, et par extension, de tout être vivant lancé dans cette absurde boucle infinie que l'on appelle l'existence.

L'intervalle de résonance de Clément Cogitore


Le festival de Clermont Ferrand propose sous forme d'un court métrage construit en trois parties la monumentale installation vidéo présentée par Clément Cogitore au Palais de Tokyo en 2016, dans laquelle l'artiste interroge nos croyances collectives. Mêlant différentes formes d'images très hétérogènes (des plus professionnelles aux plus amateurs), il croise deux récits de manifestations aux origines physiques mystérieuses, la mythologie existant autour de la perception de sons émis par les aurores boréales et l’apparition d’une étrange formation lumineuse en Alaska. D'une très grande beauté formelle, le film est un voyage fulgurant au croisement du fantasme, du rêve, de l'invisible, de la perception et de la rationalité scientifique.

J'attends Jupiter d'Agathe Riedinger


Reposant à 99% sur la performance habitée de l'actrice Sarah-Megan Allouch, J'attends Jupiter est à la fois la chronique naturaliste d'un moment de basculement et le portrait sensible d'une génération nourrie aux rêves de gloire et de célébrité. L'héroïne est ainsi persuadée, lorsqu'elle accède au second tour d'un casting de télé-réalité, que sa vraie vie va enfin commencer. On la voit alors se débarrasser sans état d'âme de tout ce qui composait cette "pré-existence", brossant un état des lieux cruel d'une société qui n'a plus grand chose à offrir à sa jeunesse.

Manivald de Chintis Lundgren


Quand un renard introverti et sous la coupe d'une mère étouffante s'amourache d'un beau loup sexy et pas farouche, cela donne une satire sociale irrévérencieuse et irrésistible. Entre absurdité et ironie, le film joue de son style graphique très classique pour faire passer l'humour et les situations les plus décalées.

Le marcheur de Frédéric Hainault

Le marcheur est un film coup de poing porté par une voix-off dense et habitée dont la diction précipitée trahit l'urgence et la colère. C'est l'histoire d'un homme qui, un jour, a décidé de ne plus se résigner. Qui s'est mis en route et n'a plus jamais cessé d'avancer, de marcher, de contester. Peu importe la complexité de sa pensée politique, peu importe la cause. Le marcheur refuse, en bloc, tout ce qui est injuste et laid, révoltant et insupportable. Il ne revendique rien, si ce n'est ce droit à marcher, et à ne plus courber l'échine. Les choix formels sont à l'unisson de cette démarche, refusant un esthétisme gratuit, une "beauté" qui ne collerait pas avec l'âpreté du ton et du sujet. On est à la fois assommé et conquis par cette oeuvre à la puissance politique concrète et immédiate.

Reruns de Rosto


Le dernier volet de la tétralogie de Rosto autour de son groupe de rock Thee Wreckers est une plongée hallucinée et fourmillante dans les méandres du passé. Le personnage incarné par le réalisateur lui-même est pris dans une sorte de boucle temporelle qui lui permet de se revoir simultanément à différents âges. Dans un montage saccadé et hypnotique, le réalisateur néerlandais interroge les effets du temps passé et des rêves brisés. Comme le bilan punk et trash d'une vie déjà écoulée. On est à la fois sidéré par l'esthétique du film (dans la droite ligne de l'oeuvre du réalisateur néerlandais) et emporté par la profondeur de la réflexion que cela éveille en nous.

Ugly de Nikita Diakur


Ne vous fiez pas au titre, qui dissimule mal un film singulier et joyeux dans lequel un chat fait la connaissance d'une sorte de gourou dans les décombres d'un monde en déliquescence. Tout est rose et bleu, les objets nous assaillent et se multiplient, les décors mutent, l'univers part à vau-l'eau (ou se reconstruit, selon les interprétations), et pourtant on a l'impression d'être devant un feel good movie (sous ecstasy). Le réalisateur a spécialement créé une technologie numérique pour obtenir ces effets de déconstruction et de bizarrerie (le ugly du titre), en exploitant notamment des erreurs générées dans le code, ce qui donne l'impression d'un film où les pixels ont pris le pouvoir,  échappant à tout contrôle humain. De quoi ouvrir de nouvelles perspectives.

Weekends de Trevor Jimenez


Sans pathos et avec une tonalité très tendre, Trevor Jimenez (qui travaille chez Pixar) raconte la nouvelle existence d'un petit garçon dont les parents viennent de divorcer. Le film le suit tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre, dans des activités enfantines basiques, ou d'autres plus singulières, racontant tout en douceur, avec poésie et délicatesse, le temps qui passe et la vie qui change.

Wednesday with Goddard de Nicolas Ménard

Parti à la recherche de Dieu suite à une averse lui donnant envie d'avoir la foi, le personnage rencontrera l'amour, puis le désespoir. Ton décalé, scènes cocasses et humour loufoque sont au rendez-vous de ce Wednesday with Goddard irrévérencieux à souhait. Dissimulée sous une couche de premier degré volontairement simpliste, la quête pour trouver Dieu est notamment une succession de piques à l'égard de la religion (on adore la séquence de l'Eglise) et d'ironie mordante sur l'Humanité.