Et si on regardait… Opérations Jupons

Posté par vincy, le 25 avril 2020

Lundi 27 avril sur Arte, à 20h55, on vous recommande très vivement Opérations jupons, film de guerre pas comme les autres, mixant dans un même pot de peinture, le romantique, l'action, le queer, le féminisme (et son inverse, le sexisme), le grivois et le burlesque.

Blake Edwards était un prodige dans le genre. Avec ce scénario hybride et réjouissant, nommé aux oscars, il va enfin se faire une belle place à Hollywood. jusqu'ici, les commandes avaient été diverses et variées: des séries tv, des films de genre, de la comédie. Rien de marquant. Opérations Jupons va être son premier carton, deux ans avant Breakfast at Tiffany's (Diamants sur canapé). Ici il s'agit de gagner une guerre avec les moyens du bord: des avaries, des femmes (ça porte malheur) à bord, des marins en chaleur, des vivres et des outils en pénurie, ... C'est une double cohabitation qui s'annonce: celle d'un commandant aguerri avec un lieutenant novice et peu conformiste, et celle de sous-mariniers avec cinq superbes femmes-infirmières devant être rescapées. Et de temps en temps les Japonais lâchent des bombes.

Opération Jupons est typiquement le film hollywoodien qui repose sur ses deux stars masculines, antagonistes par l(âge et le style de séduction, mais surtout les plus ambivalentes du cinéma hollywoodien de l'époque.

En daddy, le bisexuel Cary Grant (nommé aux Golden Globes pour sa performance), toujours un peu factieux, sûr de son statut de tête d'affiche, cabotinant légèrement avec ce personnage de vieux loup de mer , amusé par les prouesses de son jeune lieutenant, très sérieux quand il s'agit de lancer des missiles, fussent-ils un leurre à base de soutiens-gorges. Cary Grant est au top de son charme et de sa carrière. Il ne tournera que cinq films après celui-là (dont le délicieux Charade), mais en cette année 1959, il est aussi la vedette de La mort aux trousses d'Alfred Hitchcock, assurément son film le plus iconique de sa longue carrière débutée en 1932. Les temps qui grisonnent, il a enchaîné des succès aussi différents qu'Indiscret et Elle et lui. Grant avait d'ailleurs refusé le rôle dans un premier temps, considérant qu'il était trop âgé pour dirigé un sous-marin, fut-il peint en rose par un hasard de circonstances, rôle qu'il avait déjà endossé 16 ans auparavant dans Destination Tokyo (un tout autre registre).

"Lt. Cmdr. Matt T. Sherman: Ditess-moi quelque chose. Pourquoi avez-vous rejoint la Navy?
Lt. Nicholas Holden: Parce que j'avais besoin d'un uniforme d'officier."

En doublure plus jeune, le non moins séduisant Tony Curtis, fidèle d'Edwards, métrosexuel avant l'heure, malin comme un singe, débrouillard sans scrupule (ce qui lui coûtera quelques affaires), snob un peu pédant, capable de tous les compromis, et pas forcément promis à une carrière de capitaine. Ça pourrait être une affaire père fils ou maître élève. Niveau jeu, la partition est très différente, si bien que les deux acteurs peuvent être dans leur zone de confort sans faire de l'ombre à l'autre, ce qui créé une belle alchimie virile. Tony Curtis est alors en pleine ascension. Il tourne depuis dix ans à peine, mais a déjà à son actif des films forts et populaires comme Les vikings, la Chaîne, Le grand chantage et Trapèze. Surtout, en cette année 1959, il se travestit dans Certains l'aiment chaud, comédie culte de Billy Wilder, avec Marilyn Monroe et Jack Lemmon. D'ailleurs pour la comédie de Wilder, Tony Curtis, grand fan de Cary Grant depuis son adolescence, avait calquer sa voix sur celle de son aîné.

De la taille des bonnets au phallique submersible, tout est évidemment un peu érotique dans le sous-texte. Les marins ne sont pas réputés très subtils dans l'art de la drague: et de voir débarquer un escadron féminin alimente les réflexions un brin misogynes. cependant, le mélange des deux sexes va s'avérer plutôt salvateur dans cette guerre en plein Pacifique. C'est une ode à la féminité: la femme est non seulement l'égale de l'homme (même en mécanique) mais elle l'améliore (jusqu'aux plus endurcis). Hommes ou femmes sur le front, tout le monde est finalement à la même enseigne, à chanter "Ce n'est qu'un au revoir " en guise de communion de nouvel an.

"Vous voyez, quand une fille a moins de 21 ans, elle est protégée par la loi. Quand elle a plus de 65 ans, elle est protégée par la nature. N'importe où entre les deux, elle est un jeu équitable!"

Derrière cette "potacherie" brillamment menée, aux couleurs vives du climat floridien, il y a quelques anecdotes véridiques: le manque de papier toilettes (déjà) est réellement survenu et a fait l'objet d'un courrier officiel au sein de la marine, un sous-marin, le Sealion, a bien été coulé alors qu'il était à quai aux Philippines et, last but not least, le Seadragon fut peint en rouge après avoir vu sa couleur noire sérieusement abimée par un raid aérien.

Désormais classé parmi les sous-marins les plus célèbres du cinéma (et parmi les rares dans la comédie), le Tigre des mers rugira une dernière fois (un immonde rot de pétroleuse). On soulignera qu'un remake a été réalisé en 1977 avec Jamie Lee Curtis, fille de Tony et de Janet Leigh, dans le rôle de Barbara, celle qui tombe amoureuse du beau lieutenant.

4e hit de 1959, Opérations Jupons fut un énorme succès aux Etats-Unis, bien plus important que Certains l'aiment chaud (6e) et La mort aux trousses (8e). Cary Grant, grâce à ses deux films, fut l'acteur le plus bankable de l'année après Rock Hudson. En France, ce fut l'ordre inverse: Certains l'aiment chaud (4 millions d'entrées), La mort aux trousses (3,5 millions) et Opérations Jupons (1,3 million). A vous de vous rattraper.

La vie passionnée de Kirk Douglas (1916-2020)

Posté par vincy, le 6 février 2020

C'était, avec Olivia de Havilland, la dernière légende de l'âge d'or hollywoodien, une star immense. Il aura vécu plus d'un siècle. Kirk Douglas est mort cette nuit à l'âge de 103 ans. C'est une part de cinéphile qui s'éteint.

Découvert par Lauren Bacall, ce fils de chiffonniers a débuté en 1946. Il tournera jusqu'en 2008. On le voyait encore engagé il y a quatre ans contre Donald Trump. On était touché par les clichés de son fils, Michael Douglas, et de sa belle-fille, Catherine Zeta-Jones, circulant sur Facebook et Instagram à chaque anniversaire. Il a tourné 96 films, reçu un César d'honneur et un Cecil B. DeMille Award pour l'ensemble de sa carrière et un Oscar d'honneur "pour 50 ans de force créative et morale dans la communauté cinématographique". Il fut aussi Président du jury du festival de Cannes en 1980 et Président de la cérémonie des César en 1990.

Avec sa fossette au menton, son nez de statue grecque, son regard perçant et son large front, il avait une gueule. Pas celle du jeune premier. D'ailleurs, ses grands rôles il les aura après ses 33 ans. Après l'avoir aperçu dans L'Emprise du crime de Lewis Milestone, avec Barbara Stanwyck, Kirk Douglas tourne pour Jacques Tourneur (La griffe du passé) et Joseph L. Mankiewicz (Chaînes conjugales). En 1949, il obtient ses premiers galons avec Le Champion de Mark Robson, qui lui vaut sa première nomination aux Oscars.

Sa carrière décolle dans les années 1950. Il va enchaîner une succession de films qui lui vaudront d'être classé parmi les 20 plus grandes stars de l'histoire selon l'American Film Institute. En 1950 et 1951, il tourne avec quelques uns des plus grands cinéastes de l'époque, dans tous les genres. Trompettiste virtuose dans La Femme aux chimères de Michael Curtiz, avec Lauren Bacall et Doris Day, homme brisé dans La Ménagerie de verre d'Irving Rapper, drame adapté d'une pièce de Tennessee Williams, marshall dans un western, Une corde pour te pendre, de Raoul Walsh, reporter dans Le Gouffre aux chimères de Billy Wilder, détective dans Histoire de détective de William Wyler.

Il a l'air souvent en colère dans ses personnages. Kirk Douglas avait un talent certain pour incarner les personnages nerveux, enragés, bouillonnants, tout en pouvant être charmeur et séducteur malgré sa beauté non conventionnelle. En 1952, il est à l'affiche de deux grands films: La Captive aux yeux clairs de Howard Hawks, un western, et Les Ensorcelés de Vincente Minnelli (The Bad and the Beautiful), mise en abime d'Hollywood, où Douglas, dans ce film noir, joue un producteur pas franchement sympathique. Cela lui vaut sa deuxième nomination aux Oscars.

Douglas tourne avec Edward Dmytryk, Henry Hathaway, Anatole Litvak, King Vidor. Mais dans les années 1950, l'acteur devient l'un des plus populaires du monde grâce à Vingt Mille Lieues sous les mers de Richard Fleischer, d'après le roman du très français Jules Verne, grosse production à effets visuels, avec James Mason. C'est aussi avec un autre personnage français, mais cette fois-ci réel, qu'il va obtenir sa troisième nomination aux Oscars. La Vie passionnée de Vincent van Gogh, de Vincente Minnelli et avec Anthony Quinn, lui offre une de ses plus belles prestations, tragique et subtile. Dans le mythique Règlements de comptes à OK Corral de John Sturges, avec son ami Burt Lancaster - avec qui il se moquera des Oscars le soir de la cérémonie en faisant un duo chanté parodique -, il est un joueur de poker, atteint de tuberculose, qui va s'allier à Wyatt Earp. Notons qu'avec Lancaster, ils ont tourné huit films ensemble.

Fort de son pouvoir, il choisit le jeune Stanley Kubrick pour réaliser Les Sentiers de la gloire, l'un des plus grands films sur la première guerre mondiale et ses tranchées. Colonel désobéissant, effaré par l'absurdité de la guerre et de ses dommages, il est transcendé par le rôle. Le film, antimilitariste, est censuré pendant 18 ans par la France, en pleine guerre d'Algérie.

Il retrouve Kubrick trois ans plus tard pour un péplum, Spartacus, avec Laurence Olivier, Peter Ustinov, Jean Simmons, Charles Laughton et Tony Curtis. Beaucoup se souviennent des scènes à l'esthétique homoérotiques, mais le film, qui raconte une révolte d'esclaves, est avant tout politique. D'autant que Douglas, producteur du film, enrôle Donald Trumbo comme scénariste, alors blacklisté par les anti-communistes.

Avec Tony Curtis en frère ennemi, il a aussi tourné Les Vikings, de Richard Fleischer, où il s'offrait le sale rôle de ce plan à trois avec Janet Leigh. Une fresque populaire de casque et d'épée, où Douglas apparaît défiguré et accepte son sort de traître. Il a déjà été amputé d'un doigt (La captive aux yeux clairs) et d'une oreille (Van Gogh). Alors pourquoi pas borgne.

Dans les années 1960, la star continue de croiser les plus grands réalisateurs : El Perdido de Robert Aldrich, Le Dernier de la liste de John Huston, Sept jours en mai de John Frankenheimer, Première Victoire d'Otto Preminger, Paris brûle-t-il ? de René Clément, Les Frères siciliens de Martin Ritt et L'Arrangement d'Elia Kazan, avec Faye Dunaway et Deborah Kerr. S'il a été souvent admiré pour sa musculature de sculpture antique, il continue d'aller chercher des rôles dramatiques intenses, comme dans ce film, où, en homme qui a tout réussit matériellement, cherche un sens à la vie après une tentative de suicide.

A partir des années 1970, les choix se font pourtant moins pertinents. Un nouvel Hollywood a envahit les écrans, avant l'ère des blockbusters. Il est un peu mis à l'écart, même s'il est toujours aussi juste et formidable comme dans Le Reptile de Joseph L. Mankiewicz, Furie de Brian De Palma (qu'il retrouvera dans Home Movies), ou L'Homme de la rivière d'argent de George Miller. Il se retrouve à l'affiche de téléfilms. Le relais est passé à son fils, Michael, producteur et acteur de premier plan dès les années 1980.

Il a toujours été engagé politiquement - prenant la défense des Indiens dans les westerns -, alertant des risques de la guerre (Les sentiers de la gloire) ou de l'extrême droite dans un coup d'etat antidémocratique (Sept jours en mai), appréciant les personnages à contre-courant, de déclassés ou de cowboys non stéréotypés. Kirk Douglas a mis sa notoriété au service de grandes causes. Démocrate, parlant français et allemand, progressiste, dénonçant la stratégie de la peur du candidat Trump, il a aussi été un écrivain populaire, avec ses romans et ses mémoires (Le Fils du chiffonnier, premier des quatre tomes, en 1988). A travers ses écrits, il évoque sa quête de judéité, sa renaissance après son accident vasculaire cérébral en 1996, sa dépression, l'overdose de son plus jeune fils... Sa part de douleur dans son parcours de gloire.

Le vice plutôt que la vertu

Issur Danielovitch Demsky, né le 9 décembre 1916, était ambitieux et séducteur, artiste dans l'âme et patriarche, impliqué dans ses films et fidèle à des artistes souvent mégalos ou persécutés. Comme Trumbo, qui signe le scénario de Seuls sont les indomptés en 1962, le film préféré de la star, qui y incarne un cow-boy refusant de se soumettre aux contraintes du monde moderne. Tout un symbole.

"Je dois ma carrière à ma mère si elle avait cru en moi, je me serais contenter d'être secrétaire" écrivait-il, soulignant qu'il avait eu la chance d'être né dans la pauvreté "la plus abjecte", un net avantage pour se construire un destin. "Les acteurs sont des enfants qui refusent de grandir" expliquait ce géant du cinéma. Il assumait ses personnages de "fils de pute" qui l'ont grandit justement. "La vertu n'est pas photogénique. Qu'est-ce que c'est d'être un bon gars? Ce n'est rien en fait. Juste un gros nul avec un sourire pour tout le monde..." Il aimait cette ambiguité, ces rôles que peu pouvaient assumer et incarner, comme celui du Major dans Ville sans pitié de Gottfried Reinhardt, devant défendre quatre soldats accusés de viol (et pour lequel il touche alors un cachet record d'un million de dollars en 1961). Cela ne l'empêchait pas d'avoir l'image d'un homme bon et généreux.

"Ils disent qu'il n'y a rien de nouveau sous le soleil. Depuis ma naissance, notre planète en a fait le tour 100 fois. Avec chaque orbite, j'ai vu notre pays et notre monde évoluer d'une manière qui aurait été inimaginable pour mes parents - et je continue de m'étonner chaque année." Jusqu'à aujourd'hui. Mais il sera toujours Spartacus dans l'éternité. Un homme de rien qui s'est battu contre les empereurs, au coeur de l'arène hollywoodienne.

Blake Edwards (1922-2010) : fin de « Party »

Posté par vincy, le 16 décembre 2010

Il avait une marque de fabrique. La comédie chic, élégante, enchaînant les gags les plus farces, les situations les plus improbables, des plans toujours soignés. Il savait aussi choisir ses stars. Blake Edwards (de son vrai nom William Blake Crump) a vécu une belle vie. Né en plein été 1922 au fin fond de l'Oklahoma, il est décédé aujourd'hui, au début de l'hiver 2010. 88 ans jusqu'au dernier clap. Et pour une fois, il n'y a aucun délire. Julie Andrews est veuve.

On lui doit une série de succès (pour ne pas de triomphes populaires), de films cultes, d'oeuvres respectées. Certes cela faisait 15 ans qu'il ne tournait plus, mais il a donné de son humour durant 40 ans.  Si les Oscars l'ont snobé (une seule nomination en tant que scénariste), ils se sont rattrapés en 2004 avec un Oscar d'honneur bien mérité, remis par Jim Carrey. Il laisse derrière lui un César (meilleur film étranger avec Victor Victoria), un Donatello (meilleur scénariste, pour le même film), plusieurs prix et nominations glanées ici et là, quelques statuettes pour l'ensemble de sa carrière et deux prix du meilleur scénario de la Writer Guild of America (Quand la Panthère rose s'en mêle, Victor Victoria) parmi huit nominations. Côté réalisateurs, ses confrères de la Director's Guild avait nommé Diamants sur Canapé (alias Breakfast at Tiffanny's) et en 1993, ils lui donnèrent un prix spécial.

La comédie est considérée comme un sous-genre, mais dans son cas, il fait partie de ses cinéastes qui ont donné leurs lettres de noblesse au cinéma de dérision. Héitier des Preston Struges, Leo Carrey, Howard Hawks, Billy Wilder, Blake Edwards a mis en scène Audrey Hepburn, Cary Grant, Tony Curtis, Jack Lemmon (son comédien favori), Natalie Wood, Bruce Willis, Kim Basinger, Julie Andrews, Burt Reynolds, David Niven, William Holden, Omar Sharif, Rock Hudson...

Avec un grand père grand réalisateur de films muets et un père chargé de production et premier assistant réalisateur, il passe logiquement derrière la caméra. Son premier long métrage date de 1955, Bring your smile around.

Le récemment disparu Tony Curtis devient vite sa star fétiche. Il tourna la plupart de ses premiers films avec lui. En 1959, il l'enrôle dans la Marine, aux côtés de Cary Grant, et forment un duo de tonnerre dans Opérations Jupons, une histoire de sous-marin rose durant la seconde guerre mondiale côté Pacifique, avec un gros cochon, des soutien-gorges et une armada d'emmerdements.

Mais c'est en 1961 qu'il trouve les premières formes de respect avec Diamants sur Canapé, adaptation d'un roman de Truman Capote. La fameuse scène où Audrey Hepburn, merveilleuse ingénue, frivole et romantique, où l'actrice , avec ses lunettes noires, boit son café et croque dans un donut devant les vitrine du bijoutier Tiffany, est devenue une référence (jusqu'à Desplechin qui utilisera un plan similaire dans Rois et Reine). Edwards a cet art de délirer avec classe, de se complaire dans la débauche et les désastres avec une décence assumée.

Le succès du film le pousse à passer au drame. Le jour des vins et des roses lui vaut un succès critique avec une histoire d'alcoolisme. À raison d'un film ar an, il enchaîne des films inégaux. Mais il croise une pépite. Une des premières franchises du cinéma depuis Tarzan, et à l'époque de James Bond : La panthère rose. Une musique de Mancini, un générique en animation, une histoire de casse avec un détective loufoque. Le tour est joué. Non seulement il cartonne au box office, mais il rencontre surtout Peter Sellers, à qui il met un imper et un bob et le métamorphose en Inspecteur Clouseau. Les gaffes de l'un et la maîtrise délicate de l'autre font une alchimie détonante. Il en réalisera huit épisodes.

blake edwards et peter sellersEn 1965, il filme une infernale course de voiture entre le diabolique Jack Lemmon, l'angélique Tony Curtis, la sublime Natalie Wood. La Grande course autour du monde révèle surtout une scène de tarte à la crème extrême. Mais c'est en 1968 qu'il entre dans la légende du 7e art avec The Party. Il laisse Peter Sellers en roue libre dans cette moquerie sur Hollywood et les mondanités (qui d'autre savait aussi bien filmer les pince-fesses?), nous offre une soirée mousse d'anthologie, un poulet qui se niche dans une coiffe, un rouleau de PQ interminable, des éléphants et leur pesant de gags. Les bévues de l'acteur indien joué par Sellers provoquent un délire hilarant et interminable.

Certes ils se sont fâchés sur la fin. Edwards lui reprochait son manque de professionnalisme et surtout d'envie. Il l'insérera quand même, de manière posthume dans A la recherche de la panthère rose en 1982. Pas rancunier. ils se devaient tant.

Hélas après, Edwards céda à des facilités, cumula les échecs (Darling Lili), s'attira les moqueries (Elle, avec Bo Derek), le mépris (S.O.B. pourtant très drôle par son cynisme). On pouvait croire à son déclin. Le nouveau cinéma américain le laissait sur le carreau. Les comédies avaient moins de place qu'auparavant. Surtout, hormis Burt Reynolds, il n'y avait pas stars charismatiques qui fassent rire dans les années 70. Il se rassure avec ses Panthère rose. Heureusement, 10, lui redonne espoir. Il est l'un des plus gros succès du box office de l'année 1979.

Et puis, un chant du cygne. Un scénario brillant, dans l'air du temps (rappelez vous Tootsie). Une actrice vénérée depuis Mary Poppins, Julie Andrews, qu'il a rencontré chez leur psychanalyste. Ils se sont mariés en 1969. Une réalisation utilisant à merveille tous les codes de la comédie classique américaine, mêlant vaudeville et quiproquos, enter Lubitsch et Wilder. Victor Victoria est sans aucun doute l'un de ses trois plus grands films, avec Diamants sur canapé et The Party. Une chanteuse se travestit en homme qui se fait prendre pour une femme, afin de pouvoir faire son métier dans un Paris des années folles.

Il réalisera encore quelques comédies romantiques, inégales. Boire et déboires, là encore un sujet sur l'alcoolisme, est sans doute le plus charmant de ses derniers films. On pourrait retenir aussi Switch, qui là encore traitait de l'identité sexuelle. Il adorait déguiser les hommes en femmes. Son humour "britannique".

Mais c'est une réplique française qui servira de conclusion. Dans Victor Victoria, il y a un bel adieu. "Au revoir". "Me too".

Dernière course pour Tony Curtis (1925-2010)

Posté par MpM, le 30 septembre 2010

tony curtisL'acteur Tony Curtis s'est éteint jeudi 30 septembre à l'âge de 85 ans. Lui qui avait été longtemps abonné aux rôles de charmeurs restera ironiquement dans les mémoires pour son rôle de travesti dans le chef d'oeuvre de Billy Wilder, Certains l'aiment chaud (1959), aux côtés de Marilyn Monroe.

Le beau brun au sourire irrésistible avait commencé sa carrière une dizaine d'années plus tôt sous la caméra de Robert Siodmak, dans le film noir Criss Cross (Pour toi j'ai tué).  Remarqué par un producteur, il avait alors signé un contrat de 7 ans avec les studios Universal. Et c'est ainsi que ce fils de tailleur qui connut une enfance difficile réalisa son rêve de jeunesse : devenir un acteur célèbre.

Entre 1950 et 1970, il tourne avec Douglas Sirk (No Room For the Groom), Carol Reed (Trapeze), Blake Edwards (L'extravagant monsieur Cory, La grande course autour du monde), Vincente Minnelli (Good Bye Charlie), Stanley Kubrick (Spartacus), Richard Fleisher (Les vikings)... C'est d'ailleurs ce réalisateur qui lui offrit son rôle favori en 1968 avec L'étrangleur de Boston.

L'acteur excelle dans les rôles comiques ou de séduction. A la fin des années 70, il trouve même le personnage synthétisant ces deux facettes : Danny Wilde, dans la série télévisée The persuaders (Amicalement vôtre). Il y forme un duo de choc avec Roger Moore. Le ton est léger, souvent facétieux et Curtis s'y montre plein d'ironie et d'auto-dérision. Malgré le peu d'épisodes tournés, la série devient culte, et revient régulièrement sur les écrans français.

Toutefois, on ne peut pas réduire son talent à ce seul type de rôles. A plusieurs reprises dans sa carrière, il a en effet prouvé sa capacité à se fondre dans des histoires dramatiques ou sombres. Dans Le grand chantage d'Alexander Mackendrick, il incarne ainsi un journaliste véreux pris au milieu des conflits d'intérêt. Mais c'est surtout avec The Defiant Ones (La chaîne) de Stanley Cramer, qu'il se montre sous son jour d'artiste engagé et militant. En effet, le scénario contraignait l'acteur principal à être enchaîné à Sydney Poitier pendant la majorité du film. Or, à cette époque de ségrégation, personne n'avait voulu apparaître ainsi aux côtés d'un acteur noir. Non seulement Tony Curtis accepta le rôle, mais en plus il insista pour que son partenaire soit également proposé pour l'Oscar du meilleur acteur. Bien qu'ils ne furent pas récompensés, le geste resta dans les mémoires. De même que la fameuse scène "gay" avec Laurence Olivier dans Spartacus de Stanley Kubrick. Censurée à l'époque, mais désormais célèbre.

Après tant de "remous", Tony Curtis s'était fait rare au cinéma. Il se consacrait à la peinture, à la photographie, à la télévision... On l'a vu malgré tout dans Le dernier Nabab d'Elia Kazan (1976), Treize femmes pour Casanova de François Legrand (1977), Sextette de Ken Hughes (1978)... ou encore Les adversaires de Ron Shelton (1999).

Pourtant, après plus de 120 films tournés, Tony Curtis ne s'estimait pas comblé. "J'ai l'impression de ne pas avoir eu les films que j'aurais dû avoir. J'avais l'impression que j'aurais mérité mieux", regrettait-il en 2008 lors d'un entretien avec l'AFP