Regard sur le cinéma tadjik

Posté par MpM, le 3 février 2008

Les cinémas d'Asie centrale sont particulièrement bien représentés à Vesoul cette année grâce à la rétrospective tadjike qui propose dix films des années 60 à nos jours, offrant un panorama divers mais fidèle de la production du pays. "Parmi les cinématographies de la région, il s'agit d'une des plus accidentées", souligne Eugénie Zvonkine, la consultante du festival spécialisée dans les anciennes républiques soviétiques. "Déjà, la production a commencé tardivement, dans les années 30-40. Mais en plus, elle a purement et simplement été stoppée par la guerre civile qui a ravagé le pays entre 1992 et 1997. Malgré tout, il existe des styles très différents dont il fallait rendre compte."

On retrouve ainsi un péplum flamboyant, Roustam et Soukhrab, de Boris Kimiagarov, représentatif du "kitsch soviétique décoratif" des années 70 qui cherchait à redonner de l'importance à la culture tadjik ; L'otage, de Younous Youssoupov, un "eastern" (équivalent des westerns occidentaux) revisité, ce qui en fait une sorte de western spaghettis tadjik (où les indiens sont remplacés par des "basmatchis", les bandits locaux) ; un film sociologique décortiquant la structure rigide de la société tadjike (Secrets de famille de Valeri Akhadov) ou encore un film idéologiquement dans la plus pure ligne de propagande soviétique, Les enfants du Pamir, mais d'une audace esthétique à couper le souffle. "Le réalisateur, Vladimir Motyl, est russe", raconte Eugénie Zvonkine. "Comme souvent dans les années 60, il est juste venu tourner au Tadjikistan pour se faire un nom. Du coup, loin de Moscou, il bénéficiait d'une grande liberté : images figées, accélérations, ralentis, illustration sonore sans paroles, séquences d'animation... Comme idéologiquement, c'est du premier degré, visuellement, il pouvait tout se permettre."

L'un des films les plus récents de la sélection, L'ange de l'épaule droite de Jamshed Usmonov, donne par ailleurs l'occasion de se pencher sur la situation actuelle du cinéma tadjik, à savoir l'absence complète de studios et l'existence d'une "liste noire" de réalisateurs. "Pour tourner un film au Tadjikistan, il faut une autorisation et une license. Mais les réalisateurs qui viennent de l'étranger font ce qu'ils veulent". D'où l'exil de tous ces artistes qui reviennent tourner au pays mais n'y restent pas. Ainsi, Usmonov qui vit et travaille en France. Ce cinéaste important évoque justement dans son oeuvre l'opposition entre le pays que l'on aime et celui où l'on doit s'exiler pour travailler. "Sur les 7,5 millions de Tadjiks, deux millions partent travailler à Moscou tous les ans", explique Eugénie Zvonkine. "Là-bas, ils subissent le racisme, et au final ne sont plus nulle part chez eux."

Curiosités

Posté par MpM, le 1 février 2008

Pour être un bon festivalier, il faut être curieux, voire carrément aventureux. En cette veille de week-end, le panorama du cinéma tadjik offrait deux occasions de repousser les frontières de l'expérience cinématographique. Roustam et Soukhrab de Boris Kimiagarov, d'abord, un peplum improbable de 1971 où deux formidables guerriers s'entretuent sans savoir qu'ils sont père et fils. Adapté en cinémascope d'un poème extrait de l'oeuvre Chahname de Ferdousi, qui compte les guerres perpétuelles entre Perses et Tourans aux 8e et 9e siècles, il exacerbe les grandes émotions (haine, vengeance, amour, honneur) sur fond de fresque épique à l'esthétique kitsch et plutôt fauchée. Curieusement, il propose assez peu de scènes d'action, hormis quelques combats singuliers peu spectaculaires et d'innombrables chevauchées échevelées dans des paysages sauvages, mais d'interminables dialogues élégiaques qui font ressembler ces farouches guerriers à de vieilles femmes plaintives. Le destin et l'ironie du sort y jouent bien sûr un grand rôle et sous les yeux ébahis du spectateur, malgré tous les indices, Roustam aveuglé par la haine ne reconnaît pas son fils. Une fois décillé, il se lancera dans une longue diatribe contre l'infamie de la guerre décidée par les gens puissants pour faire mourir les plus modestes...

Dans un genre très différent, Les enfants du Pamir de Vladimir Motyl, également adapté d'un poème (Lénine au Pamir de M. Mirchakar) est une sorte d'ovni cinématographique qui, malgré sa date de réalisation tardive (1963), s'inscrit dans la droite ligne du cinéma soviétique des années 20 d'un point de vue aussi bien esthétique (utilisation de la profondeur de champ, contre-plongées expressives sur les enfants, choix des cadres...) qu'idéologique (il y est questions des bienfaits de la révolution dans un hameau lointain du Pamir). Mais ce qui fait réellement son charme, c'est le mélange extrêmement novateur de scènes expressionnistes, de séquences d'animation et même de passages muets qui donnent à cette histoire désuète une véritable force dramatique.