Arras 2015 nous emmène Tout en haut du monde

Posté par MpM, le 8 novembre 2015

Tout en haut du mondeFruit de la collaboration entre la scénariste Claire Paoletti, accompagnée de Patricia Valeix et Fabrice de Costil, et le réalisateur Rémi Chayé, Tout en haut du monde est un film d'animation exigeant et subtil qui confirme la bonne santé actuelle de l'animation française. Après avoir fait l'ouverture du festival d'Annecy, où il a également reçu le prix du public, il est présenté à Arras dans le cadre du Festival des enfants, ce qui ne l'empêche nullement de séduire un public adulte. Il faudra d'ailleurs en finir, un jour, avec ce raccourci systématique entre cinéma d'animation et cinéma pour enfants.

Tout en haut du monde raconte la quête mouvementée de Sasha, jeune aristocrate russe de la fin du XIXe siècle, pour retrouver contre l'avis de tous le bateau de son grand-père disparu lors d'une expédition au Pôle Nord. Volontaire, courageuse et déterminée, l'adolescente (doublée par l'actrice Christa Théret) entraîne équipage comme spectateur dans les eaux glaciales de l'océan arctique, et jusqu'aux confins de la banquise hostile.

Au-delà d'un récit plus dur qu'on pourrait l'imaginer, allant parfois jusqu'à être inquiétant, on est ébloui par les choix formels du film qui a fait le pari d'un dessin épuré à l'extrême, sans contours, donnant l'impression de vastes aplats de couleurs dont les teintes évoluent au gré des émotions et des lieux traversés par l'héroïne. Un style singulier que le réalisateur a accepté de nous détailler.

Ecran Noir : Pouvez-vous nous décrire les choix esthétiques qui ont déterminé formellement le film ?

Rémi Chayé : Avant tout, c'est une recherche de simplicité. Pour un spectateur, ce qu'il faut expliquer, c'est que c'est un film d'animation en dessin animé, tous les personnages sont dessinés, et il n'y a pas de 3D, à part un tout petit peu sur le bateau. Ca fait 56000 dessins réalisés par 40 personnes à Paris et une vingtaine au Danemark. C'est un dessins sans ligne de contour, ça fait partie de son originalité par rapport aux dessins animés qu'on voit souvent, où il y a des lignes de contour qu'on remplit de couleur. C'est aussi très coloré et il y a un gros travail de recherche sur la lumière, sur les ambiances lumineuses. Cela va avec le sujet puisque Sasha va jusqu'au Pôle Nord et les lumières là-bas sont fantastiques. L'idée, c'est que les rayons du soleil arrivent de manière très oblique sur la surface de la terre et donc cela diffracte la lumière comme un prisme et la palette des couleurs est extrême et très riche. L'idée c'était de travailler là-dessus, et aussi sur Saint-Pétersbourg qui est une ville très colorée, avec du rose, du vert, des dorures... Et le fait de ne pas avoir de trait noir autour des personnages permet à la lumière d'exploser. Elle réagit beaucoup plus fortement que si les contours l'empêchent d'exister.

EN: Vous vous êtes basé sur quelque chose de réel pour recréer l'atmosphère des différentes séquences.

RC : Dans un certain sens, c'est une interprétation de la réalité. C'est ça l'avantage de l'animation. On peut donner des émotions au paysage. On peut faire un ciel vert ou rose. On peut pas dire que c'est réaliste, parce que c'est simplifié mais ça donne une certaine idée de la réalité. On a essayé d'aller à l'extrême de tout ce qu'on pouvait dans le côté sombre, quand c'est la nuit polaire et quand ils sont au dernier degré de la catastrophe, quand elle lutte contre les éléments. Et au contraire, à certains moments, on fait exploser la couleur. L'animation permet cette liberté-là. On s'est aussi basé en partie sur les affiches des compagnies ferroviaires des années 40-50 qui vantent par exemple des voyages pour les Rocheuses. Ce sont des partis pris très forts, avec des couleurs très saturées. Le directeur artistique Patrice Suau est reparti de ça pour donner le style final au film.

EN : Comment s'est passée concrètement la réalisation ?

RC : On utilise des palettes qui sont à la fois des écrans d'ordinateur et des palettes graphiques, sur lesquelles on dessine directement. On voit le dessin qu'on fait, on peut tracer comme sur un papier, et on utilise un soft qui s'appelle flash et qui permet en appuyant sur un bouton l'animation qu'on vient de faire défiler. On gagne un temps fou. Et si on a besoin de réduire la tête, on n'a pas besoin de gommer et de redessiner entièrement... Mais attention, la machine est là pour nous aider, mais il a quand même fallu les dessiner et les peindre, ces décors ! Ca reste une combinaison entre la tradition et la modernité.

EN : L'un des vecteurs d'émotion, c'est la musique, écrite par Jonathan Morali du groupe Syd Matters. Il y a également une chanson du groupe dans le film. Comment s'est faite la rencontre ?

RC : Je connaissais quelques-uns de leurs disques. J'aimais beaucoup, notamment leurs parties musicales qui sonnent incroyablement riches, et puis les chansons, j'adore ! Je cherchais à savoir si c'était possible de travailler avec lui, et j'ai découvert qu'il faisait déjà des musiques de film. Il avait déjà pris ce cap. C'était aussi une évidence de travailler avec lui car stylistiquement, Jonathan travaille de manière très simple comme nous au dessin. Il a une grosse caisse, un petit clavier des années 70, une guitare, et quand il a besoin il fait venir un copain violoncelliste. Il fait une maquette et après il la pousse, mais jamais beaucoup plus loin. C'est hyper délicat, c'est très précis. Il ne va jamais chercher un orchestre. Ca se mariait très bien avec le film, sachant que l'idée depuis le départ, c'était le contrepied musical. Ne pas être dans la musique d'aventures comme on entend beaucoup d'habitude, et ne pas être dans la caricature de la Russie. On voulait une musique pop d'aujourd'hui, pour un film en costumes. J'avais adoré Marie-Antoinette de Sofia Coppola ou Deadman de Jarmush, c'était ce genre de contrepied-là que je trouvais intéressant aussi en dessin animé.