Stanley Donen (1924-2019), grand styliste qui a tout donné

Posté par vincy, le 23 février 2019

Le réalisateur américain Stanley Donen est mort d'une crise cardiaque jeudi à New York, à l'âge de 94 ans, a indiqué samedi l'un de ses fils, Mark Donen, au Chicago Tribune.

S'il n'avait jamais remporté d'Oscars pour ses films et s'il n'a jamais été nommé en tant que réalisateur, ce qui en soi est un scandale et relativise beaucoup le poids de la statuette dans la cinéphilie mondiale, il avait reçu un Oscar récompensant l'ensemble de sa carrière, en 1998 et un Lion d'or d'honneur à Venise en 2004.

Né le 13 avril 1924, avec un père gérant d'un magasin de robes et une mère fille de bijoutier, il avait souvent confié que son enfance n'était pas très heureuse et qu'il avait été victime d'antisémitisme. Pour s'échapper de l'ennui, il passe l'essentiel de sa jeunesse au cinéma, adorant les westerns, les comédies et les thrillers. En 1933, en voyant Flying Down to Rio avec Fred Astaire et Ginger Rogers, il décide d'en faire son métier et commence à tourner quelques films avec une caméra 8mm. Il prend des cours de danse, se produit au théâtre municipal et a la chance de voir les comédies musicales de Broadway lors des vacances d'été.

Il débute comme assistant chorégraphe (de Gene Kelly) et assistant réalisateur (de George Abbott) durant la seconde guerre mondiale. Finalement, il passe à la réalisation en 1949 en signant un contrat de sept ans avec la MGM. Il n'a que 25 ans. Un jour à New York ( On the Town), adaptation du hit éponyme de Broadway, avec Gene Kelly et Frank Sinatra, un histoire de beaux marins qui pose les bases de son cinéma: aérien, volant même, léger, et musical.

Le succès est au rendez-vous. Il enchaîne avec Mariage Royal, où il retrouve l'autre grand acteur-danseur-chanteur de l'époque, Fred Astaire, pour un autre musical. "Quand Fred Astaire danse, tout est parfait dans ce monde". Puis il fait tourner Elizabeth Taylor dans Une vedette disparaît, comédie romantique de commande qu'il s'applique à mettre en scène.

Son génie du cinéma - alliant avec grâce le rythme et le divertissement - va éclater très vite avec l'un des chefs d'œuvre de la comédie musicale, où il insuffle son envie de joie et de bonheur. En 1952, il tourne Chantons sous la pluie (Singin' in the Rain) avec Gene Kelly, Debbie Reynolds et Cyd Charisse. Tout le monde connaît le titre phare de cette romance qui a pour toile de fond le passage du cinéma muet au parlant à Hollywood. L'exigence de Gene Kelly et le perfectionnisme de Stanley Donen font des étincelles avec des séquences sublimes, sommet de l'âge d'or de la comédie musicale. Paradoxalement, le film n'a reçu que deux nominations aux Oscars (et aucune victoire). Aujourd'hui, il est considéré comme l'un des deux meilleurs films de son genre de l'Histoire du 7e art.

Sous contrat avec la MGM, Stanley Donen ne va pas être utilisé à sa juste valeur. Il réalise une comédie, L'Intrépide (Fearless Fagan) avec Janet Leigh, et des musicals comme Donnez-lui une chance (Give a Girl a Break), avec Debbie Reynolds, et Beau fixe sur New York (It's Always Fair Weather), avec Gene Kelly, Cyd Charrisse et Michael Kidd. Mais c'est avec Les Sept Femmes de Barbe-Rousse (Seven Brides for Seven Brothers), où chorégraphies (de Kidd) et mise en scène (de Donen) impressionnent. Le film est cinq fois nommé aux Oscars, dont meilleur film, et repart avec l'Oscar de la meilleure musique.

Chez Donen, tout est toujours beau, de la direction artistique aux acteurs. Mais cela ne cache pas la complexité de ses personnages, tourmentés, contradictoires, parfois idéalistes, ou tout simplement cherchant le bonheur dans un monde assez noir. En 1957, pour son déjà 10e long métrage, le réalisateur ose le mélange entre la comédie romantique et la comédie musicale, une gloire mythique comme Fred Astaire et une étoile montante nommée Audrey Hepburn, un film entre questions existentialistes qui traversent les courants de pensée de l'époque et le carpe diem qui se fout du quand dira-t-on. Drôle de frimousse (Funny Face) est son deuxième chef d'œuvre. Et son premier film tourné à Paris, so chic. Tel un styliste de haute-couture, le réalisateur utilise parfaitement les décors et les comédiens pour donner l'émotion idoine. Mais surtout, il prouve qu'il est un as des ciseaux avec un montage endiablé et précis qui sont sa marque de fabrique. "Jean-Luc Godard a dit que le cinéma c'était la vérité en 24 images seconde. Je pense que le cinéma c'est des mensonges en 24 images secondes" expliquait-il.

Ensuite, il co-réalise avec George Abbott Pique-nique en pyjama (The Pajama game) avec Doris Day, et Embrasse-la pour moi (Kiss Them for Me), où il créé le duo improbable Cary Grant et Jayne Mansfield. Deux films mineurs. Mais en 1958, il réussit à réunir Cary Grant et Ingrid Bergman (12 ans après Les Enchaînés) pour Indiscret (Indiscreet). Donen expérimente de plus en plus l'image pour lui donner du rythme, notamment en utilisant le split-screen. Dans ce quasi huis-clos annonçant le futur Charade, il s'en sert même pour contourner la censure. Mais, durant cette période, le talent de Stanley Donen se gâche avec des scénarios pas vraiment à la hauteur. En dehors de l'adaptation du musical Damn Yankees!, co-réalisé avec Abbott une fois de plus, il tourne Chérie recommençons (Once More, with Feeling!) et Un cadeau pour le patron (Surprise Package), tous deux avec Yul Brynner. Il retrouve Cary Grant pour Ailleurs l'herbe est plus verte (The Grass Is Greener), avec également Deborah Kerr, Robert Mitchum et Jean Simmons.

Cela clôt une décennie inégale malgré quelques prodiges. En 1963, Stanley Donen tourne la comédie-thriller pop, piquante et romantique, en plus d'être hitchcockienne, Charade, à Paris, avec Cary Grant et Audrey Hepburn. Il retrouve là son mojo. Avec la réalisation élégante, le montage électrique, l'alchimie des deux stars et la musique d'Henry Mancini, le film devient vite un classique, summum du scénario à twists et de la comédie à répliques.

En tournant moins, Donen semble libéré de la pression des studios. Avec Arabesque trois ans plus tard, il tente quand même la même formule qu'avec Charade. Cette fois-ci les étincelles proviennent du duo Gregory Peck, après le refus de Cary Grant, et Sophia Loren, habillée en Dior. Le cinéaste trouvant le scénario moyen, décide de rendre la mise en scène clinquante, utilisant des angles de caméra étranges et des compositions visuelles excentriques. Il change complètement de direction avec son film suivant, en 1967, Voyage à deux (Two for the Road), avec Albert Finney, disparu il y a peu, et Audrey Hepburn. Ce qui aurait pu être un banal mélo sur un couple prêt à divorcer devient un hymne à l'amour à travers les souvenirs de ce couple tout en critiquant son embourgeoisement. Le génie de Donen est de mélanger les époques avec un montage malicieux où seuls les vêtements, coiffures et voitures permettent de distinguer les époques. Avec en bonus l'une des plus belles partitions de Mancini.

A compter de cette période le génial Donen va se perdre dans des projets moins intéressants, dépassé par un nouveau cinéma américain, loin de l'âge d'or qu'il vénérait. Il filme Bedazzled, adapte (et rate) Le Petit Prince, tourne Lucky Lady (avec Gene Hackman, Liza Minnelli et Burt Reynolds), s'essaie à la science-fiction (le nanar culte Saturn 3, avec Farrah Fawcett, Kirk Douglas et Harvey Keitel), offre deux films en un avec Movie Movie qui est divisé en deux parties, un film de boxe Dynamite Hands, et un musical Baxter's Beauties of 1933. Donen était l'un des rares à s'affranchir des contraintes et des conventions. Rappelons qu'il a réalisé en 1969 L'escalier (Staircase), avec Rex Harrison et Richard Burton, qui y formait l'un des premiers couples gays du cinéma américain. Aujourd'hui le film est perçu comme homophobe. A l'époque, ça a surtout été un désastre au box office.

La carrière du cinéaste s'arrête en 1984 avec La Faute à Rio (Blame It on Rio), remake du film Un moment d'égarement de Claude Berri , avec Michael Caine comme dernière star de sa filmographie. Malgré des projets, malgré son travail de producteur (pour la télévision principalement) ou de metteur en scène à Broadway, il n'a plus jamais sorti de film au cinéma. Il n'avait plus de défis à relever sans doute. Comme il le confiait: "Je pense que ce que nous aimons tous dans la vie, c'est le défi de faire quelque chose… qui n'est pas facile à faire."

Burt Reynolds, populaire et séducteur, nous quitte (1936-2018)

Posté par vincy, le 6 septembre 2018

C’est un des acteurs les plus populaires du cinéma américain qui vient de s’éteindre. Burt Reynolds est décédé à Jupiter (ça ne s’invente pas) en Floride ce 6 septembre à l’âge de 82 ans. Il était né le 11 février 1936.

Alors qu’il a été le champion du box office américain dans les années 1970, il n’a été nommé qu’une seule fois aux Oscars, en 1998, pour son rôle secondaire de réalisateur et producteur de film X dans Boogie Nights de Paul Thomas Anderson. Les Golden Globes l’avait sacré en second rôle pour ce même film, après l’avoir nommé deux autres fois pour The Longest Yard en 1974 et pour Starting Over en 1979 (à chaque fois en meilleur acteur de comédie).

Merci Brando

C’est peu dire qu’il fut respecté pour les recettes qu’il accumulait et beaucoup moins pour son talent. Le public ne s’en souciait pas. Il fut cinq fois récompensé par les People’s Choice Award comme acteur favori de l’année. Il a aligné d’énormes cartons en salles : Delivrance, The Longest Yard, Silent Movie, Hooper, The Cannonball run, The Best Little Whorehouse in Texas, avant de voir le public se désintéresser de lui dès 1983.

Une décennie flamboyante pour ce sportif qui rêvait de devenir footballeur professionnel, destin contrarié par une blessure. Il s’oriente vers la police quand, à l’Université, Watson B.Duncan III, professeur de théâtre, croit en son talent et lui offre un rôle dans une pièce.

Parallèlement à une riche décennie en séries télévisées, notamment en incarnant un amérindien dans Gunsmoke, ses premières armes au cinéma sont des films modestes, westerns spaghettis et autres séries B. C’est John Boorman qui l’expose en pleine lumière et fait de lui une star en lui offrant l’un des rôles principaux de Delivrance, aux côtés de Jon Voight. Boorman avait proposé le personnage de Reynolds à Marlon Brando, qui se trouvait trop vieux pour le rôle. Le film étant assez fauché, les comédiens durent faire leurs propres cascades. Et Reynolds y prendra goût pour ses films suivants. Film culte, la brutalité et la sauvagerie de ce « survival » en ont fait l’in des grands classiques du cinéma américain.

L'acteur le plus populaire des seventies

On est en 1972. Sa belle gueule, son corps athlétique (dont il savait s'amuser) font vite des étincelles. Par contraste. Les cinéastes émergents – Scorsese, Coppola, Spielberg… - ont peu d’affinités avec les bourreaux des cœurs. Redford et Newman choisissent essentiellement des grands drames populaires de qualité. Burt Reynolds a cet avantage d’occuper un créneau assez disponible : la comédie et l’aventure. Il tourne pourtant des films très variés, avec quelques grands noms du cinéma. The Longest Yard de Robert Aldrich n’est pas loin d’un film avec Pierre Richard. Aldrich le redirige dans La cité des dangers (Hustle), film noir et sensuel avec Catherine Deneuve. On le voit ensuite chez Peter Bogdanovich (At Long Last Love), Stanley Donen (Lucky Lady), Mel Brooks (Silent Movie), ou encore Alan J. Pakula (Starting Over). De la pure comédie ou de la comédie de mœurs, tout lui va. Il réalise même deux films (Gator, 1976, et la comédie noire The End, 1978).

Son plus gros hit reste Smokey and the Bandit (Cours après moi shérif !) qui eut le droit à deux suites médiocres, sorte d’équipée sauvage et burlesque, un peu crétine, où les « contrebandiers » sont les héros et les shérifs de sombres abrutis. Le film fut la 2e plus grosse recette aux Etats-Unis en 1977, derrière La Guerre des étoiles. Il recruta une fois de plus sa compagne de l’époque, l’actrice oscarisée Sally Field (avec qui il tourna trois autres films).

Le long déclin

Sa réputation de tombeur est accentuée par le choix de ses partenaires féminines, parmi les actrices les plus courtisées d’Hollywood, de Jill Clayburgh à Julie Andrews. Mais il manque tous les grands cinéastes et passe à côté de la mutation d’Hollywood et l’arrivée de l’ère des blockbusters. Le comédien n’a pas encore dit son dernier mot avec les années Reagan. Don Siegel s’essaie à la comédie policière (Rough Cut). En tête d’un casting quatre étoiles, de Roger Moore à Jackie Chan en passant par Farrah Fawcett, il devient pilote de course dans la distrayante Équipée du Cannonball (et sa suite, moins intéressante). Avec Dolly Parton, en mère maquerelle, il joue les shérifs au grand cœur dans La Cage aux poules (The Best Little Whorehouse…), où la chanteuse country inaugure I Will Always Love You. Blake Edwards en fait son Homme à femmes. Et puis de polars en comédies mal écrites (sauf peut-être Scoop, un peu au dessus du lot), sa carrière décline jusqu’à toucher le fond en 1996, avec Demi Moore, dans Striptease qui leurs valent une razzia de Razzie Awards. Il valait un million de dollars par film dans les 70s et 20 ans plus tard on pouvait l’avoir pour 100000$.

L'homme qui a refusé Star Wars et James Bond

Malgré Boogie Nights, qui prouva s’il le fallait, qu’il était un bon comédien, avec une certaine audace, il ne retrouva aucun rôle majeur par la suite, même s’il n’a cessé de travailler (avec Renny Harlin et Mike Figgis, en apparaissant dans des caméos, ou pour le petit écran). On ne voyait en lui qu’une espèce disparue d’un cinéma un peu honteux. On le cantonnait inconsciemment dans le registre des vedettes has-been, avec ou sans moustache (et sur le tard avec barbe). Il a aussi refusé des rôles qui auraient pu donner un tout autre visage à sa carrière comme Tendres passions, qui valu finalement un Oscar à Jack Nicholson. Mais il a aussi refusé Han Solo et James Bond.

Tarantino, épilogue manqué

Burt Reynolds vieillissait pourtant bien. Il avait ouvert un théâtre dans sa ville de Jupiter. Certes, il jouait dans des films qui passent rapidement en salles comme Shadow Fighter, dans le milieu de la boxe, sorti en mars aux USA. Il continuait de tourner. Il a terminé la comédie de Stephen Wallis, Defining Moment, prévue pour Noël. Mais ironiquement, il avait enfin trouvé un grand cinéaste avec Quentin Tarantino qui devait lui offrir un rôle dans Once Upon a Time in Hollywood, aux côtés de DiCaprio et Pitt. Malheureusement, les scènes n'avaient pas été tournées.

Le dernier film où il était à l’affiche était celui d’Adam Rifkin (en salles le 30 mars derniers aux USA). Il incarnait une ancienne star de cinéma qui devait faire face à sa réalité : une gloire déclinante et le temps qui passe. Presque autobiographique ? Ironiquement, ce film s’intitule The Last Movie Star. Personne ne l’a vu. Mais on sent que Burt Reynolds n’a pas fait les choses au hasard pour clore sa longue filmographie. Hormis cet acte manqué avec Tarantino qui aurait couronné une longue carrière à Hollywood.

Cyd Charisse quitte la scène (1921-2008)

Posté par MpM, le 18 juin 2008

Cyd Charisse

Cyd Charisse incarnait la Danseuse idéale, celle dont les jambes interminables semblent douées de vie propre. D'ailleurs ses guiboles étaient assurées une fortune (quelques millions de dollars) tant elles étaient une matière première qui valait de l'or pour les studios de l'époque... On la surnommait The Legs.

La native du Texas nommée Tula Ellice Finklea avait commencé, à 13 ans, dans le corps des ballets russes. Elle commença à changer de noms, souvent connotés d'un certain "exotisme slave" avant de faire ses premières pointes devant la caméra en 1943 (Something to shout about) et surtout en 1945 aux côtés de Fred Astaire (Ziegfeld Stories), qui la surnommera "Beautiful Dynamite". Elle attendra quelques années avant de devenir Cyd Charisse. Le nom lui vient de son premier mari. Le prénom serait lié au surnom que lui donnait son petit frère zozottant "sis' de "sister").

Le grand public ne l’a pourtant réellement découverte que sept ans plus tard, dans une scène d’anthologie de Chantons sous la pluie : tout de vert vêtue, cheveux courts et fume-cigarette, elle ensorcelait Gene Kelly en quelques entrechats, après avoir fait tourner son canotier au bout de ses escarpins vertigineux… Elle incarne le fantasme (la femme vamp, belle, et la danseuse exceptionnelle, à l'égale du danseur) dans un décor onirique et daliesque. Un quart d'heure de chorégraphie millimétrée qui l'a fait rentré dans le bal des grandes.

Elle allait ensuite être très vite associée à l’âge d’or de la comédie musicale américaine, notamment grâce à ses rôles dans des cartons de l'époque comme Brigadoon, Tous en scène, Traquenard (l'un de ses plus grands rôles, qui plus est dans un film noir) ou encore la Belle de Moscou, remake de Ninotchka. Hélas, le genre s’essoufflait déjà, et pour elle le début des années 60 marque le commencement du déclin. Elle figure au générique du dernier film de Marilyn, inachevé et de triste mémoire (Something’s got to give), puis dans des œuvres mineures de Vincente Minnelli et Stanley Donen. Privée de son moyen d’expression favori, la ballerine disparut peu à peu des plateaux. "Hurler et crier, ce n'était pas vraiment mon style" avait-elle déclaré en 1994.

Agée de 87 ans, elle a exécuté mardi sa dernière révérence et s’en est allée, sur la pointe des pieds, rejoindre tous ses compagnons de la grande époque.