Blockbusters: de l’importance du bon son (et de la méfiance à l’égard des B.O.F.)

Posté par wyzman, le 15 mars 2015

insurgent

A l'heure où Divergente 2 s'apprête à envahir nos salles obscures, il semblait nécessaire de revenir sur un phénomène qui a pris une ampleur considérable ces dernières années: la bande originale. Si la musique est aussi vieille que le cinéma, son utilisation en a fait un véritable outil marketing depuis l'avènement des blockbusters. Et à l'heure où certains luttent encore pour faire financer leurs films, d'autres dépensent et gagnent des millions grâce à des morceaux fournis par des majors ou spécialement conçus pour l'occasion. Alors, en attendant que "Holes in the Sky" de M83 et Haim (à écouter sur Deezer) ne deviennent un vrai tube, petit coup de projecteur sur cette chose essentielle qu'est la musique d'un film.

Une recette vieille comme le monde

S'il y a un studio qui a compris toute l'importance de la musique dans la promotion d'un film, c'est bien évidemment Disney, qui a toujours porté un grand soin à ses BOF (souvenez-vous Le Livre de la jungle, Mary Poppins, ou plus récemment Le Roi Lion). L'idée a été poussée jusqu'à faire des films servant de prétextes à de la musique comme High School Musical et Camp Rock. Ces téléfilms musicaux ont marqué toute une génération de jeunes acheteurs qui, bien malgré eux, se vantaient à l'époque de posséder tous les morceaux. Véritable mastodonte de la communication, Disney peut aujourd'hui se vanter d'avoir réussi le plus gros coup de 2014 avec La Reine des Neiges (et en télévision avec Violetta). Près de 1,3 milliard de dollars de recettes dans le monde et une BOF qui vient de dépasser les 8 millions d'exemplaires vendus. Oui, oui, vous avez bien lu : 8 millions d'exemplaires. Alors, qui a parlé de crise du disque ?

Si l'idée de vendre un CD avec un film n'est pas mauvaise, force est de constater que c'est surtout bon pour l'image. Prenons l'exemple de trois films au hasard clairement destinés à un public jeune et à la qualité parfois douteuse : Projet X (à écouter sur Deezer°, Spring Breakers (à écouter sur deezer) et The Bling Ring (à écouter sur Deezer). Le premier a rapporté plus de 100 millions de dollars et fait exploser des artistes tels que Far East Movement et Kid Cudi. Le second, Spring Breakers, a su profiter de l'aura déjantée de Skrillex pour justifier son imagerie clippesque et un film finalement bien creux. Enfin, The Bling Ring a permis à Sofia Coppola et Emma Watson de s'encanailler un (petit) moment sur les meilleurs tubes des rappeurs Rick Ross et Kanye West. De là à parler d'outil de communication, il n'y a qu'un pas que l'on veut bien franchir.

En utilisant des morceaux déjà populaires ou émanant d'artistes sulfureux, ces films ont su jouer avec les codes et les frontières. Ainsi, ce que l'on ne peut pas montrer clairement à l'écran, on le fait passer à travers les paroles des chansons et le tour est joué. Et en choisissant les bons morceaux, les bons artistes ou en ciblant bien son public, on peut très vite faire mouche. Car si le spectateur n'est pas particulièrement intéressé par le film, il sera tenté d'aller y jeter un coup d'œil (en salles de préférence) si la bande originale lui plait.

hunger games 3

Vendre et mentir

Mais si les exemples cités ci-dessus sont honnêtes quant à la marchandise, ce n'est pas le cas de tous. Face à des sagas littéraires telles que Hunger Games ou Divergente, comment résister ? Après le succès d'une saga pour adolescents (mais pas que) telle que Harry Potter, il aurait été stupide de refuser de participer à l'aventure Hunger Games. 26 millions de livres vendus dans le monde et l'assurance d'un joli succès au box office. Quel artiste sensé dédaignerait une proposition de collaboration ? Les faits sont là : les trois premiers films ont rapporté 2,3 milliards de dollars et des artistes tels que Taylor Swift, Maroon 5, Coldplay, Sia, Lorde, Ellie Goulding ou bien Major Lazer ont participé au projet. Et là, vous vous dites : "Ah bon? Ils sont vraiment tous passés dans les films?" Et la réponse est non.

S'ils sont nombreux à figurer sur les CD, rares sont les artistes que l'on entend vraiment dans les Hunger Games. Et c'est bien là tout le problème. A force de rameuter des tas d'artistes sur le CD, l'équipe artistique a carrément oublié (!) de les caser dans le film. Très axé sur la participation de Lorde, Hunger Games : La révolte - 1ère partie est une grosse déception musicale. Un peu mou par rapport au précédent, ce volet avait en effet tout de la supercherie. Les artistes "vendus" ne figuraient pas dans le film ou sur le générique de fin. Colère. Pourtant, la BOF a fait un carton avec une chanson, originale, "The Hanging Tree", interprétée a capella par la star Jennifer Lawrence (en écho à "Moon River" dans Breakfast at Tiffany's par Audrey Hepburn).

Par chance, un peu plus tôt dans l'année, Nos étoiles contraires et Divergente nous ont prouvés qu'un film pour ados pouvait respecter son quota d'artistes intrus. Nos étoiles contraires s'est reposé sur les "Boom Clap" de Charli XCX et "All of the Stars" d'Ed Sheeran. Verdict sans appel : les clips comptent respectivement 161 et 35 millions de vues sur YouTube. Quant à Divergente, le premier volet à user jusqu'à la corde les morceaux d'Ellie Goulding ("Beating Heart", Hanging On") et de Woodkind ("Run Boy Run"). Du coup, gros coup de scalpel dans la bande originale de Divergente 2 : 7 chansons contre 16 pour le premier film. Mais Woodkid a accepté de revenir. C'est déjà pas mal !

Pour ados mais pas que

Si les bandes originales de films pour ados se vendent bien, elles ne sont pas les seules. Porté par le single "Young & Beautiful" d'une certaine Lana Del Rey, Gatsby le Magnifique de Baz Lurhmann (à écouter sur Deezer) a rapporté plus de 350 millions de dollars au box office mondial et la BO orchestrée par Jay Z a vite dépassé le million d'unités vendues. L'an dernier, si l'on a beaucoup parlé de La Reine des Neiges (2 Grammy Awards cette année), Marvel n'est pas resté les bras croisés : Les Gardiens de la Galaxie a rapporté plus que Captain America 2 au box office mondiale et la bande originale 100% eighties s'est écoulée à plus d'1,8 million d'exemplaires. Pas mal pour l'adaptation d'un comic que peu d'entre nous connaissait…

Bien utilisée, une BO peut faire beaucoup pour un film mal parti. Et ce ne sont pas les producteurs de Cinquante nuances de Grey qui nous diront le contraire. Si l'on ne peut pas nier les 100 millions de livres vendus à travers le monde, les chansons d'Ellie Goulding, Sia et Annie Lennox ont beaucoup, vraiment beaucoup aidé ! Utilisés dans les teasers et les différentes bandes-annonces, les morceaux (remixés) de Beyoncé ont su faire monter la pression là où le film en était difficilement capable. Un bien pour un mal, dirons-nous.

Si au moment où j'écris ces lignes, la Toile s'intéresse fortement à l'album concept que Rihanna a créé pour le film d'animation En route!, il convient de regarder plus loin et de se poser les bonnes questions. Qui sera en mesure de rivaliser avec Adele ("Skyfall") pour Spectre, le prochain James Bond ? Beyoncé acceptera-t-elle que sa musique soit utilisée pour Cinquante nuances plus sombres ? Enfin, combien de chansons l'équipe artistique va-t-elle réussir à caser dans la suite du "nouveau Hunger Games", j'ai nommé Le Labyrinthe ? Affaire à suivre…

Mais une chose est certaine: les films ne puisent pas seulement leur sujet dans les livres, ils exploitent aussi de plus en plus les vedettes de la musique. Ce n'est pas nouveau. De "Vogue" de Madonna pour Dick Tracy à "Lose Yourself" d'Eminem pour 8 Mile, la chanson est une tête de gondole d'un film pour les radios, télés et maintenant pour le web. C'est surtout une manière pour cette industrie culturelle d'occuper tous les fronts: des librairies aux plateformes de streaming/téléchargements. Peu importe que le chanson ne soit qu'au générique de fin (souvenez-vous Titanic et la bluette d'une certaine Céline Dion) voire inexistante dans le film. Désormais, on peut lancer un film avec l'aide d'un chanteur/une chanteuse (et ses comptes sur les réseaux sociaux). C'est l'économie transversale, entre marketing mensonger et commercialisation habile. Et côté recettes, il semble que tout le monde en profite.

Venise 2012 : Spring Breakers, le bad trip de Harmony Korine

Posté par kristofy, le 5 septembre 2012

En compétition à Venise, Spring Breakers s’annonçait sulfureux avec les "teen-idols" en bikini et James Franco en "gansta" devant la caméra de Harmony Korine : il y allait sûrement y avoir quelque chose de l’ordre de la perversion de l’adolescence... Pourtant Spring Breakers brille comme un sapin de noël auprès duquel on trouve pas le cadeau souhaité.

Les premières minutes :

“Let’s fucking do it!” Le générique s’affiche en rose fluo, c’est la fête sur la plage où l’alcool coule à flot dans la bouche des filles en maillot de bain qui sucent aussi des glaces de manière sexy (comprendre suggestive), beaucoup sont topless, et une paire de seins occupe tout l’écran sur une musique "dubstep"... La séquence d’ouverture ‘sexe drogue et rock n’roll’ montre en quelques minutes ce qu’est la fête durant le spring break, cette cassure où les étudiants américains se lâchent entre l'hiver et la dernière ligne droite avant les examens. Trois étudiantes trainent leur ennui dans la fumette, une autre préfère rejoindre un groupe religieux : elles constatent qu’elles n’ont pas assez d’argent pour partir en vacances. Et si elles faisaient un hold-up ?  Nos héroïnes vont déchanter, et les spectateurs avec.

Un casting all-stars :

“You can change your life, you can change who you are.” Les actrices - Selena Gomez, Vanessa Hudgens et Ashley Benson - sont devenues stars très jeunes. La majorité de leurs fans est mineure, et elles incarnent certaines valeurs familiales made in Disney Channel. Avec ce film, elles apparaissent comme des filles au comportement dépravé , presque tout le temps en petite tenue. C’est la bonne idée aguicheuse de Spring Breakers de les faire jouer ce genre de personnages (auxquelles il faut ajouter Rachel Korine, la compagne du réalisateur).

Face à elle l’acteur caméléon, tombeur de filles et fantasme des gays, James Franco, apparait ici en gangster tatoué, les cheveux tressés et les dents dorées. La musique est assurée à la fois par Skrillex, la révélation du "dubstep" (dont l’influence va jusqu’à Korn et Muse) et Cliff Martinez qui a oeuvré sur la B.O.F. culte de Drive (et plusieurs films de Steven Soderbergh). Le directeur de la photo n’est autre que Benoît Debie (le collaborateur de Fabrice Du Welz et de Gaspard Noé).

Harmony Korine a écrit les scénarios les plus audacieux sur l’adolescence (Kids et Ken Park de Larry Clark) et ses films en tant que réalisateur (Gummo, Julien Donkey-Boy) en ont fait une figure majeure du cinéma américain indépendant. Spring Breakers était donc sur les meilleurs rails.

Un film pas assez abouti ?

“It can’t be the end of the fun.” Le montage est assez clippé avec des contrastes de couleurs "flashy". Ici le réalisateur est loin de son esthétique naturaliste habituelle. Des bouts de scènes sont rattachés à d’autres pour plusieurs séquences en voix-off, les transitions se font plusieurs fois avec le bruit de la détonation d’un pistolet, ce qui accentue une forme de suspens. Le premier tiers du film nous plonge dans une ambiance du type ‘girls gone wild’ où les ‘interdits’ liés à la nudité ou la consommation de drogue sont franchis. Mais un des problèmes de Spring Breakers est qu’il ne contient que le début d’une idée de film (les 4 étudiantes rencontrent un jeune gangster). Ensuite il ne se passe plus grand-chose. Alors, on se rend compte de la signification de ce montage façon clip : les images se succèdent sans scénario solide.

Le meilleur est déjà passé : un hold-up vu de l’intérieur d’une voiture qui tourne à l’extérieur puis ensuite vu de l’intérieur du bâtiment. Le pire est à venir quand James Franco commence au piano une chanson de Britney Spears entouré par les filles qui portent une cagoule rose. Tout est artificiel (même une scène de triolisme dans une piscine, c'est dire). Le cinéaste ne sait plus trop quoi faire de ses personnages (les jumeaux ATL sont oubliés, d’autres s’en vont en bus), ni quoi raconter (la voix-off arrive comme une béquille).

Spring break forever, bitches !

Harmony Korine délaise son univers white-trash pour se perdre dans un film chic et toc. En tout cas, il n’a aucun doute sur le fait que son film va attirer l’attention quand il sortira en salles : « Cette nouvelle génération d’adolescent sont les enfants de la télévision, des jeux-vidéo, de Youtube », clame-t-il, et avec un grand sourire amusé « all Disney’s fans gonna love this shit ! »