Sotigui Kouyaté (1936-2010) et tous ses masques s’en vont

Posté par vincy, le 18 avril 2010

sotigui kouyateGriot, footballeur professionnel, enseignant et puis un jour comédien. Le burkinabé Sotigui Kouyaté, 74 ans, 1m90, est décédé samedi 17 avril dans l'après-midi, loin de l'Afrique, à Paris. Malade, ce natif de Bamako vivait en banlieue parisienne.

Cela faisait 44 ans qu'il avait commencé cette vie de comédien en créant sa compagnie de théâtre populaire.  A 50 ans, sa carrière prend un autre tournant quand il rencontre le metteur en scène britannique Peter Brook, dont il deviendra le comédien fétiche. Il fut révélé notamment avec son rôle dans le Mahabhrata. Il jouera pour lui du Shakespeare et du Sophocle.

Le cinéma a été plus avare. Mais on le remarque dans la comédie ethnique Black Mic mac, gros succès populaire de 1983, dans IP5, L'île aux Pachydermes, de Jean-Jacques Beinex (ultime film d'Yves Montand), Le Maître des éléphants de Patrick Grandperret (avec Jacques Dutronc) ou encore le film noir sur l'immigration clandestine à Londres de Stephen Frears, Dirty Pretty Things. Il a aussi été le narrateur du documentaire Génesis.

En 2001, Rachid Bouchareb l'engage pour Little Senegal, où il interprète un vieux guide du musée "La Maison des Esclaves" à Gorée qui part aux USA pour retrouver les descendants de ses ancêtres. le film est cité pour l'Oscar du meilleur film en langue étrangère. Les deux hommes nouent une complicité qui trouvera son apothéose avec London River, en 2008. Kouyaté gagnera le prix d'interprétation au Festival de Berlin en 2009.

Cet homme aussi magnifique que majestueux était l'un des ambassadeurs du cinéma africain les plus respectés. Lui l'artiste sans frontières qui avouait : "Je suis guinéen d'origine, malien de naissance et burkinabé d'adoption. Je ne suis passé par aucune école de théâtre, si ce n'est la grande école de la rue, de la vie".

Berlin : Rachid Bouchareb impressionne la Potzdamer Platz avec London river

Posté par MpM, le 12 février 2009

london river rachid bouchareb berlinale brenda nlethyn, sotigui kouyateLe réalisateur Rachid Bouchareb a de quoi être fier. Son long métrage London river vient d’obtenir la première place au classement quotidien des films préférés par la presse internationale. Avec une moyenne de trois étoiles (sur quatre), il passe aisément devant About Elly de Asghar Farhadi et The Messenger de Oren Moverman qui tenaient jusque-là la corde avec 2,6 étoiles chacun. Bien sûr, la compétition n’est pas terminée, et surtout les jurys sont rarement sur la même longueur d’ondes que les journalistes, mais cela présage d’ores et déjà une jolie carrière à l’international pour ce film tourné à Londres en anglais et en français.

Il faut avouer que l’histoire, située juste après les attentats meurtriers de Londres en 2005, a tout ce qu’il faut pour plaire à un public friand d’œuvres reflétant les problématiques sociales et politiques actuelles. On y suit très simplement une femme (Brenda Blethyn) à la recherche de sa fille au cours des jours ayant suivi la tragédie. Elle rencontre un homme (Sotigui Kouyaté) venu de France pour essayer, lui aussi, de retrouver son fils susceptible d’avoir péri dans les attentats. A ce stade, l’intrigue peut sembler banale, presque bébête. Il est vrai aussi que le scénario ne fait rien pour arranger les choses, un peu trop cousu de fil blanc pour surprendre le spectateur qui a l’impression d’avoir toujours un temps d’avance sur les personnages.

Pourtant, la mise en scène s’avère au contraire d’une rare subtilité, évacuant toutes les tentations mélodramatiques, multipliant les ellipses, et se concentrant avec une vraie justesse sur les deux protagonistes centraux et la relation qui se tisse entre eux. On est loin d’être dans The Visitor, mais l’on y songe lors de certaines scènes très ténues où un semblant de chaleur rapproche ces deux êtres mus par une même angoisse. Plus que la grande Histoire, c’est ce récit minuscule qui intéresse Bouchareb, en tant que symbole d’une fraternité possible et d’une humanité qui persiste même dans les pires moments. Quoi de plus actuel, universel et indispensable ?

Faro la reine des eaux : le poids des traditions

Posté par geoffroy, le 27 octobre 2008

faro.jpgSynopsis: Zan, enfant adultérin, retourne dans son village, plusieurs années après en avoir été chassé, afin de découvrir qui est son père. Son arrivée coïncide avec les brusques mouvements de Faro, l'esprit du fleuve, manifestations interprétées comme un signe de colère liée à l'arrivée du bâtard.

Notre avis: Le premier long métrage du malien Salif Traoré a les qualités de ses défauts. Film contemplatif qui prend le temps de filmer une nature imposant sa loi, cette plongée dans un village où rien ne semble changer demeure néanmoins sincère dans son approche. Coécrit avec Olivier Lorelle (scénariste d’Indigènes 2006), le scénario vise à confronter dans la constance des traditions un autre africain, venu de la ville, représentant la modernité et le monde extérieur. Malgré la rudesse des hommes du village, Zan, fils illégitime chassé jadis pour ce qu’il représente ne revient pas pour bouleverser une hiérarchie ancestrale mais plutôt pour amener une prise de conscience. Il veut influencer par son pragmatisme un village réfractaire à tout changement. Le réalisme du premier se verra opposer la dimension spirituelle d’une communauté phallocratique arc-boutée sur des rapports sociaux archaïques. Si deux Afrique se rencontrent, elles ne feront que s’observer. L’électrochoc d’une telle confrontation tombe à l’eau, le réalisateur n’arrivant pas suffisamment à bousculer une narration pourtant très thématique.

L’entrelacement entre modernité et tradition se fait dans la langueur d’un fleuve aux remous bien trop imaginaires. Filmé avec sobriété et sens du cadrage – les plans visages sont remarquables d’intensité – nous nous laissons embarquer dans un rythme peu prégnant dont le classicisme d’école n’arrive jamais à se départir d’un décor pesant, étouffant, réducteur. Rudes et serrés les silences s’accordent à la nature et se laissent guider par des lois divines qu’il ne faut pas contredire. Parfois proche du documentaire, la fiction imaginée par Traoré tarde à prendre son envol. Classique, son cinéma en deviendrait presque obsolète à trop vouloir se laisser bercer par la rive d’un fleuve capricieux. Si par moment le cinéaste esquisse une révolte (les femmes prennent un temps le pouvoir), élabore une critique sur les méfaits d’une société trop rigide instigatrice d’exclusion et de frustration, l’aspect fabuliste du réalisateur ruine les velléités politiques symbolisées par le fils Zan. Cette dichotomie entre Zan et le village dans sa constituante masculine affaiblit un film volontaire aux images parfois évocatrices.

Au final, saluons la démarche d’un metteur en scène conscient du rôle politique et social du cinéma qui, malgré son souci de vérité dans la confrontation, manque un peu d’âme et d’engagement de mise en scène.