Cannes 2019: la Palme d’or pour Parasite de Bong Joon-ho

Posté par vincy, le 25 mai 2019

"Les récompenses d'aujourd'hui ne reflèteront que l'opinion de neuf personnes dans le monde" - Alejandro González Iñárritu

C'était impossible en effet de satisfaire tout le monde. la presse a hué le prix pour les Dardenne, modérément apprécié celui pour Emily Beecham. On peut regretter que Almodovar, Sciamma, et surtout Suleiman (qui hérite d'une nouveauté, la mention spéciale, comme si la Palestine n'avait pas vraiment le droit d'exister au Palmarès) soient sous-estimés dans la hiérarchie. Mais on peut aussi se féliciter que deux premiers films de jeunes cinéastes soient primés, contrastant avec la seule grosse erreur du palmarès, le prix de la mise en scène pour les indéboulonnables Dardenne, plutôt que de le donner à Almodovar, Sciamma, Suleiman, Mendonça Filho, Malick ou Tarantino.

Le cinéma français en tout cas repart flamboyant, contrairement à l'année dernière, tandis que le cinéma nord-américain a été snobé. La diversité aussi a été gagnante. Cela fait plaisir de voir une telle variété de cinéastes aux parcours si différents, du Sénégal à la Palestine en passant par le 9-3 et la Corée du sud. C'est réjouissant de voir le cinéma brésilien, que l'actuel de gouvernement menace par des coupes dans le financement, couronné hier à Un certain regard (A lire ici: Tous les prix remis à Cannes) et ce soir par un prix du jury. A travers le double prix du jury pour Les Misérables et Bacurau, présentés le même jour, ce sont ces deux films de résistance et de chaos social et citoyen qui ont été distingués.

Ce fut un grand moment, aussi, de partager le sacre d'un Antonio Banderas, qui a le droit à une ovation pour son plus grand rôle en 40 ans, dédiant sa récompense à son mentor, Pedro Almodovar, qui manque une fois de plus la Palme d'or, mais peut se consoler avec le succès public de son film et les excellentes critiques reçues.

Le jury d'Alejandro González Iñárritu a du faire des choix dans cette sélection "incroyable", avec une mix de "réalisateurs iconiques, des nouvelles voix du monde entier dans différents genres".

Cette diversité des genres, avec des thrillers, des films fantastiques, et souvent un cinéma engagé qui évoque les luttes de classes, a été récompensée. C'est en cela où Parasite, grand film populaire admirablement maîtrisé, parfaite synthèse de ce que le Festival a montré, en insufflant du politique dans le suspens, de l'intelligence dans le divertissement, mérite sa Palme. A l'unanimité. Il pouvait remporter chacun des prix du jury tant le résultat est magistral. Un an après un drame familial social japonais (Une affaire de famille de Kore-eda), c'est un autre drame familial social, mais coréen, qui l'emporte. Comme deux faces d'une même pièce, chacun dans leur style et leur sensibilité.

C'est enfin la première fois que le cinéma sud-coréen remporte la prestigieuse récompense du Festival de Cannes. Il était temps.

Palme d'or: Parasite de Bong Joon-ho (à l'unanimité)

Grand prix du jury: Atlantique de Mati Diop

Prix du jury ex-aequo: Les Misérables de Ladj Ly et Bacurau de Juliano Dornelles et Kleber Mendonça Filho

Prix de la mise en scène: Jean-Pierre et Luc Dardenne (Le jeune Ahmed)

Prix d'interprétation masculine: Antonio Banderas (Douleur et gloire)

Prix d'interprétation féminine: Emily Beecham (Little Joe)

Prix du scénario: Céline Sciamma pour Portrait de la jeune fille en feu

Mention spéciale: It Must Be Heaven d'Elia Suleiman

Caméra d'or: Nuestras madres de César Diaz (Prix Sacd à la Semaine de la Critique)

Palme d'or du court-métrage: La distance entre nous et le ciel de Vasilis Kekatos (Queer Palm du court-métrage)
Mention spéciale: Monstre Dieu de Agustina San Martin

Cannes 2019 : Qui est Mati Diop ?

Posté par MpM, le 16 mai 2019

Les fées qui se sont penchées sur le berceau de Mati Diop ne manquaient ni de bienveillance ni de discernement. La jeune femme, fille du musicien Wasis Diop, a en effet croisé sur son chemin Claire Denis, Sharunas Bartas, et surtout Djibril Diop Mambéty, le grand cinéaste sénégalais qui n’est autre que son oncle. Même si elle explique l’avoir peu connu, c’est lui qui semble avoir guidé ses premiers pas de cinéaste, en lui inspirant le film Mille soleils qui l’a révélée.

Flash back. En 2008, Mati Diop joue la fille d’Alex Descas dans 35 Rhums de Claire Denis. Elle vient de passer plusieurs semaines dans le studio de Sharunas Bartas près de Vilnius, expérience "romanesque" mais "chaotique", et pourtant "très forte et très enrichissante", et a d’ores et déjà compris que le cinéma est son destin. Coïncidence, 2008 est le 10e anniversaire de la mort de Djibril Diop Mambéty, et la future cinéaste réalise le poids de cet oncle réalisateur dans le cinéma mondial.

"Mesurer cette absence a alimenté le besoin de me retourner sur mon histoire et sur mes origines cinématographiques", expliquait-elle aux Inrocks en 2014. "Je me mets à parler de mon oncle avec mon père et je constate que lui-même a besoin d’en parler. On évoque beaucoup Djibril, ses films, et je me suis concentrée sur Touki Bouki [le premier film du cinéaste sénégalais, qui avait été présenté à la Quinzaine des réalisateurs en 1973. Il raconte le rêve des deux personnages principaux de partir en France, et leurs combines pour trouver l’argent du voyage.] Mon histoire familiale m’a été transmise comme une légende, quelque chose de très romanesque et, d’emblée, elle s’inscrivait dans de la fiction. Et quand j’ai su que les acteurs de Touki Bouki ont suivi la même trajectoire que leurs personnages, j’ai su qu’il y avait un film : un dialogue avec Touki Bouki et avec mon histoire familiale." Mati Diop décide alors d’aller à Dakar, de retrouver les comédiens, et notamment l’acteur principal Magaye Niang, pour renouer avec le film, et le faire dialoguer avec le sien.

Elle mûrira ensuite le projet pendant cinq ans, passant entre temps par l’excellente école nordiste du Fresnoy, et tournant plusieurs courts métrages dont Atlantiques, un documentaire sur un jeune homme de 20 ans qui s’apprête à tenter la traversée de l’Atlantique pour rejoindre l’Europe. Repéré au Festival "Cinéma du Réel" du Centre Pompidou en 2010, il y reçoit une mention spéciale, mais aussi le Tigre du meilleur court métrage à Rotterdam.

Mati Diop n’en a pas fini avec le sujet, et y reviendra d’ailleurs presque dix ans plus tard dans son premier long métrage. Mais avant cela, elle termine le projet consacré à son oncle : ce sera le moyen métrage Mille soleils, mélange de documentaire et de fiction, pensé comme une enquête intime à la fois dans l’histoire familiale de la réalisatrice et dans celle de son personnage principal Magaye Niang. Le film reçoit plusieurs récompenses dont le Grand Prix à Marseille, et le prix du moyen métrage à Amiens. Il reçoit surtout un immense succès critique, et bénéficie d’une sortie en salles en avril 2014.

Cinq ans plus tard, Mati Diop fait donc son entrée dans la compétition cannoise, avec un premier long métrage longtemps intitulé La prochaine fois, le feu, et qui s’appelle désormais plus prosaïquement Atlantique, en écho au court métrage du début des années 2010 dont il est en quelque sorte le prolongement. La réalisatrice y revient sur le sujet de l’exil et des dangers de la traversée, à travers une intrigue qui se déroule à Dakar. Sans star et sans fard, ancré dans une réalité humaine forte, c'est a priori l'un des films les plus excitants de la sélection.

Cannes 2019: comme en 1939, un festival très franco-américain

Posté par vincy, le 14 mai 2019

La première édition de Cannes est le produit d'une alliance anti-fasciste (Venise) des pays libres (la France en tête avec Jean Zay) et d'Hollywood (les studios américains en profitant pour avoir un accès libre au marché français à travers un accord international). Ce Festival très politique, l'ADN du festival finalement, n'a pas eu lieu puisque la seconde guerre mondiale fut déclenchée au même moment.

Cette année, après une édition 2018 audacieuse et renouvelée, le Festival mise sur pas mal de valeurs sûres, mais aussi de jeunes cinéastes. Géographiquement c'est une autre histoire. La domination franco-américaine est de retour. La présence de la France est toujours très forte (pas loin de 30 films et même beaucoup plus avec les coproductions), preuve que la Croisette reste la meilleure vitrine de la diversité française.

Voir aussi la carte 2018

Deuxième délégation en nombre, les Américains, avec 15 films. Difficile de rivaliser. Le trio de tête est complété par le cinéma britannique (6 films).

Cependant, si le cinéma ouest-européen est largement majoritaire et si le cinéma asiatique est relativement peu présent cette année, les films venus d'Amérique latine et d'Afrique francophone sont bien représentés. La carte du monde a beaucoup de zones blanches, mais des cinémas venus du Brésil, d'Argentine (grâce à son focus à l'Acid), de Chine et d'Espagne sont bien répartis dans les sélections.

Pendant ce temps à Veracruz...

Plus notable, des cinémas rares seront mis en lumière cette année: le Costa Rica, l'Algérie, l'Islande, le Guatémala, le Pérou, la Tunisie, Taïwan, le Sénégal et la Palestine.

Du Costa Rica, petit pays, on connaît peu de films. On découvrira la cinéaste Sofía Quirós Ubeda à la semaine de la Critique, deux ans après Valentina Maurel, premier prix de la Cinéfondation. Outre Hernan Jiménez et Esteban ramirez, peu de cinéastes du pays traversent la frontière.

L'Algérie dépend toujours de la censure et du manque de financement dans la culture. Malgré une période faste dans les années 1960-1970 (dont une Palme d'or) et des coproductions françaises parfois populaires (Hors-la-Loi, en compétition à Cannes), les films parvenant dans les grands festivals sont rares, malgré quelques réalisateurs bien affirmés. Avec deux films - semaine de la Critique et Un certain regard - c'est un certain retour en force.

L'Islande a souvent vu ses cinéastes s'exiler en Europe ou aux Etats-Unis. Le cinéma islandais, ici sélectionné à la Semaine de la critique, est plus rare dans les festivals. On se souvient quand même de Béliers, prix Un certain regard il y a quatre ans, de Grimur Hakonarson ou de films signés Solveig Anspach, Baltasar Kormaruk ou Asdis Thoroddsen, sélectionné à la SIC.

Pour le Guatemala, la figure émergente est Jayro Bustamente (Ixnacul, Tremblements). Mais les films venus de ce pays d'Amérique centrale restent sporadiques, après une grande effervescence dans les années 2000. Cesar Diaz, à la Semaine de la Critique, va donc démontrer que ce pays existe sur la carte de la cinéphilie mondiale.

Plus au sud, le Pérou s'installe progressivement, entre le cinéma chilien, déjà bien honoré, et le cinéma colombien, de plus en plus courtisé. Il y a dix ans, le deuxième film de Claudia Llosa remportait l'Ours d'or à Berlin et une nomination aux Oscars. une première pour le cinéma péruvien. Avec Francisco José Lombardi dans les années 1980-2000, le Pérou a déjà connu la Croisette (Un certain regard) et les faveurs de la critique occidentale. Mais depuis dix ans, le Pérou se réveille, sans être forcément exporté en Europe.

La Tunisie est l'autre pays dont on voit le cinéma s'affirmer d'années en années. Il n'est plus présent qu'à la Quinzaine des réalisateurs (Tamless d'Ala Eddine Slim) et indirectement avec Abdellatif Kechciche en compétition (6 ans après sa Palme d'or), mais désormais on peut voir régulièrement dans les grands festivals - Berlin, Venise et Toronto - des productions tunisiennes. 2019 est d'ailleurs l'année du centenaire du cinéma tunisien. Des cinéastes comme Leyla Bouzid, Kaouther Ben Hania ou Mohamed Ben Attia (primé à la Berlinale en 2016) lui donne un nouveau souffle.

De Taïwan, on connaît Tsai Ming-liang, Hou Hsiao-hsien et Ang Lee. A force de les voir dans les festivals, on en oublie qu'une nouvelle génération émerge, dont Midi Z en est une des figures (Un certain regard cette année, après son précédent film à Venice Days à Venise). Et surtout, cela occulte les films populaires taïwanais, comme les récents Our Times de Frankie Chen, More than Blue de Gavin Lin, ou The Tenants Downstairs de Adam Tsuei. Outre ces films grand public, Taïwan produit aussi des films d'auteur, souvent ignorés en Europe comme ceux de Yang Ya-che, Umin Boya, Chang Tso-chi.

Depuis près de 40 ans, le cinéma venu du Sénégal n'est pas en grande forme. Il y a eu Ousman Sembène qui a marqué les esprits, et Djibril Diop Mambéty. La présence d'un film tourné sur place par une cinéaste franco-sénégalaise en compétition, est d'autant plus exceptionnelle. Récemment, Alain Gomis a sans aucun doute été le cinéaste le plus récompensé de par le monde avec Félicité. Et n'oublions pas à Un certain regard en 2012, la sélection de La Pirogue de Moussa Toure.

A l'ombre du grand cinéma israélien, il existe heureusement un cinéma de Palestine. Son ambassadeur le plus célèbre est Elia Suleiman, pour la troisième fois en compétition cette année. mais le réalisateur reste rare. Et le cinéma palestinien ne peut compter que sur quelques films d'Emad Burnat, Ali Nassar, Leila Sansour ou Rasgid Masharawi. La censure ne facilite pas les choses. Si après le prix FIPRESCI à Cannes pour Noce en Galilée de Michel Khleifi (1987) semblai un peu perdu dans le désert cinématographique, la décennie des années 2000 a été productive, notamment avec Paradise Now d'Hany Abu-Assad, lauréat d'un Golden Globe et nommé aux Oscars, présenté à Berlin, et Le sel de la mer d'Annemarie Jacir, retenu à Un certain regard en 2008.

Festival Ecrans Noir: Les écrans s’allument en Afrique

Posté par vincy, le 26 juillet 2016

La 20e édition du Festival Ecrans Noirs à Yaoundé (Cameroun) s'est terminée samedi. Créé par le réalisateur Bassek Ba Kobhio, l'association Ecrans Noirs, qui organise l'événement, a pour objectif la diffusion des créations cinématographiques de six pays d’Afrique centrale (Cameroun, Gabon, Congo, République démocratique du Congo, République centrafricaine et Tchad) dans un continent qui souffre cruellement d'équipements pour le cinéma.
Cette année, le marocain Hicham El Jebbari a reçu l'Ecran d'or du meilleur film pour Larmes de Satan tandis que le prix du meilleur documentaire a été décerné au français Laurent Chevalier pour La trace de Kandia. La compétition confrontait CEO (Nigéria), Naked Reality (Cameroun), Sans regret, Innocent malgré tout (Cote d'Ivoire), Dealer (Congo), Le Pagne (Niger) et Katutura (Angola). Autant de films qu'on ne verra peut-être pas en France. Au moins CEO a bénéficié d'une avant-première inédite en étant diffusée sur un vol Lagos - Paris de la compagnie Air France (lire aussi le le reportage sur la jet set nigérienne et Nollywood à 10000 m d'altitude sur LeMonde.fr).

Mais si Ecrans Noirs a su s'installer au fil des ans, le problème de la visibilité des films africains perdurent. Manquant de salles, les pays d'Afrique de l'Ouest et du centre compensent avec la vidéo et internet. Youtube se targue d'être le premier diffuseur de films africains et un film qui n'y est pas a peu de chances d'être vu, y compris hors du vaste continent.

Un parc de salles insuffisant mais en progression

Récemment à Yaoundé, le groupe Vivendi a lancé la première de ses salles - Canal Olympia - parmi un grand nombre de cinémas prévus à Conakry en Guinée, à Cotonou au Bénin, à Brazzaville en République du Congo et à Dakar au Sénégal. C'est la première salle au Cameroun depuis 25 ans.
A Libreville au Gabon, il n'existe que la salle du Centre culturel français. A N'Djamena au Tchad, le Normandie n'a rouvert qu'en 2011 après 30 ans de fermeture. Mais les choses bougent. Outre les ambitions de Vivendi, il y a d'autres groupes ou promoteurs qui y voient un futur eldorado. Le cinéma Sea Plaza à Dakar, ouvert en janvier dernier, fait coexister blockbusters et films locaux.
Abidjan compte quelques vraies salles de cinéma, mais en a perdu beaucoup (notamment les légendaires cinémas du quartier de Yopougon). Cependant, le Majestic Ivoire, situé dans l'Hôtel Sofitel, fermé au début des années 2000, a rouvert il y a quelques mois, équipé pour la 3D. Enfin, le Nigéria a engagé un vaste plan de construction de cinémas et dispose de l'industrie la plus structurée (distributeurs, producteurs...).

Depuis le rapport d'Unifrance remis il y a deux ans, les choses ont bougé.

timbuktuUn problème de visibilité que compense en partie Internet

Pourtant, vu le retard pris, les producteurs misent avant tout sur la télévision, la vidéo et le web. Internet est d'autant plus crucial qu'il permet de toucher les expatriés dans le monde entier et surtout de faire connaître à l'international les productions nationales. Car là aussi, hormis quelques cas comme Timbuktu ou Un homme qui crie, peu de films d'Afrique de l'Ouest ou d'Afrique centrale parviennent à attirer des publics européens ou américains, quand ils sont distribués. Grâce à des liens de plus en plus intenses entre la Chine et l'Afrique, l'avenir serait peut-être en Asie: "L’industrie africaine du cinéma est une opportunité unique pour les investissements chinois sur le continent, expliquait il y a un an le professeur Nusa Tukic qui étudie les relations culturelles entre la Chine et l’Afrique à l’université Stellenbosh en Afrique du Sud. Et il existe de plus en plus de films qui prennent la Chine comme décor."

Chine et France

Dans cet article, il était rappelé que de plus en plus de sociétés chinoises investissent dans le secteur de la diffusion en Afrique, à l'instar de Star Times. "Les entreprises chinoises et nigerianes opèrent déjà conjointement des réseaux satellites, avec des signaux numériques de télévision couvrant 84% du continent africain. Le mariage de Nollywood et Chinawood devrait permettre d’alimenter les tuyaux. Certains l’ont bien compris. Le cinéaste Abderrahmane Sissako travaille en ce moment sur un nouveau projet de long-métrage ayant pour cadre la Chine et l’Afrique: « Avant tout une histoire d’amour, explique-t-il. Je veux montrer la mondialisation, la réalité d’un monde qui change. »"

Car hormis les trois grands producteurs du continent - Maroc, Nigéria, Afrique du sud - le cinéma africain souffre d'une dépendance vis-à-vis des aides internationales (et essentiellement françaises et européennes). Le CNC, à travers sa commission "Aide aux cinémas du monde" dispose d'un budget total de 6 millions d’euros. Ce sont surtout des films du Maghreb qui sont aidés. L'an dernier, le CNC a ainsi apporté son aide à Hedi de Mohamed Ben Attia (Tunisie), Ali, la chèvre et Ibrahim de Sherif El Bendary et Clash de Mohamed Diab (Egypte), La Miséricorde de la jungle de Joel Karekezi (Rwanda), Ladji Nyè de Daouda Coulibaly (Mali), Banc d'attente de Suhaib Gasmelbari Mustafa (Soudan), Dent pour dent de Mamadou Ottis Ba et Félicité de Alain Gomis (Sénégal), Indivision de Leila Kilani et Vigile de Faouzi Bensaïdi (Maroc), L'Abattoir de Lahsen hassen Ferhani et Le Fort des fous de Narimane Mari (Algérie).

Reconnaissance

Il y a un peu de lumière au bout du tunnel: le cinéma tunisien et le cinéma égyptien renaissent et sont de nouveau en vedette dans les grands festivals européens. Hedi a ainsi emporté deux prix à Berlin en février (dont celui du meilleur premier film). Des festivals - Marrakech, mais aussi Abu Dhabi et Dubai, permettent de mettre davantage à l'honneur ce cinéma méconnu auprès des professionnels. Et le Fespaco de Ouagadougou reste un événement incontournable chaque année.

En France, des festivals comme le Festival International Des Films De La Diaspora Africaine (en septembre à Paris), le Festival des Cinémas d'Afrique du Pays d'Apt (en novembre) ou Cinemas et Cultures d'Afrique (en mai à Angers) contribuent au rayonnement du cinéma de ce continent.

Des propositions pour promouvoir le cinéma en Afrique francophone

Posté par vincy, le 2 juillet 2014

Lundi 30 juin, Unifrance a publié un rapport passionnant, qu'on aimerait lire pour d'autres secteurs culturels comme la musique ou le livre. Pour l'instant, il s'agit de cinéma.

Le groupe de travail Francophonie, présidé par le producteur Eric Névé, constate, d'après les chiffres de l'Organisation Internationale de la Francophonie que 50% des 220 millions de francophones dans le monde résident sur le continent africain. Ce chiffre devrait grimper à 85% à l'horizon 2050 avec 750-800 millions d'habitants. La croissance économique suivra la croissance démographique avec un PIB multiplié par 15 entre 2020 et 2040 (selon la Banque mondiale).

Autant dire que les opportunités sont énormes pour l'industrie culturelle française, surtout avec le numérique qui permet d'abolir les frontières géographiques au profit de territoires linguistiques. Les Anglais ont toujours profité de leur langue pour s'exporter, certes, aidés par la puissance américaine, mais aussi en profitant du Commonwealth. Les Espagnols ne sont pas en reste en ayant vampirisé le continent latino-américain (à l'exception du Brésil). Face à la concurrence américaine, turque, indienne et chinoise, le cinéma français doit s'engager auprès de la filière naissante d'un cinéma en Afrique francophone pour bénéficier d'un relais de croissance à fort potentiel.

Mais l'Afrique francophone souffre de multiples carences que n'ont pas l'Amérique latine ou les puissances émergentes asiatiques. En Afrique francophone, il n'y a pas de distribution et peu de production de films, des salles de cinéma très rares et finalement un public à "former". Il faudrait donc investir dans un réseau complet, des films à l'exploitation en passant par la promotion.

Le rapport d'Unifrance montre cependant que tout évolue très vite.

L'insuffisance des salles de cinéma

Les pays se ressaisissent : il faut bien divertir les nouvelles classes moyennes. Au Maroc, la fréquentation n'a jamais retrouvé ses scores des années 80 (45 millions de spectateurs, 241 salles dans le pays. Alors on reconstruit. En 2012, il n'y avait que 61 salles dans le pays et deux millions de spectateurs. Mais Megarama et ses deux nouveaux multiplexes (Casablanca et Marrakech) a contribué à la construction de 23 de ces 61 écrans et capte la moitié des entrées du pays. En Tuinisie, le CinéVog vient d'être inauguré près de Kram et d'autres salles comme le CinéMadart à Carthage ont récemment émergé.  A Kigali (Rwanda), un multiplexe de 8 salles s'est également ouvert.

Dakar, Abidjan, N'Djamena, Bamako... autant de villes où des salles équipées en numérique ont éclos. A Dakar, le Sea Néma (3 salles) s'est installé dans le centre commercial le plus moderne de la capitale sénégalaise. A Abidjan, on a restauré l'antique salle Ivoire qui est ainsi passée à l'ère numérique. A Bamako (Mali), les deux salles du Ciné Magic sont flambant neuves. L'Institut français numérise aussi ses écrans d'Abidjan, Libreville (Gabon) et Yaoundé (Cameroun). Le Cameroun justement va réouvrir et contruire des salles dans les principales villes du pays. Le Burkina Faso veut réhabiliter 50 salles.

Le petit écran peut-être une solution

La Vidéo à la Demande reste balbutiante mais elle peut aider à la diffusion de films francophones dans un si vaste territoire. Un hit en VàD c'est 1400 téléchargements. Le rapport constate qu'Orange Sénégal a 7,5 millions de clients, mais seulement 1000 en IPTV et 100000 en ADSL. Africafilm.tv est passé à une formule d'abonnement avec un objecif de 10000 abonnés cette année. Une chaîne très populaire comme TV5 Monde est un relais inestimable. Et Canal + Afrique peut aussi servir de tremplin à la promotion et la diffusion de films francophones.

Reste le plus gros problème du continent : la nocivité du piratage. Comme en Asie, les DVD piratés se vendent au grand jour. Cela condamne un segment déjà très fragile de la chaîne du cinéma : la vidéo physique.

La distribution condamnée à être innovante

Pas facile de diffuser des films quand le marché de la distribution est inexistant. Tandis que le belge Cinéart et le suisse Xenix tentent l'expérience, aucun gros distributeur français ne s'aventure sur ce terrain. Certes, la rentabilité est faible. Mais on peut aussi remarquer le manque d'entrain des distributeurs français à aller vers les marchés étrangers, même européens.

Le box office incite à la prudence. La pirogue, pourtant acclamé dans les Festivals, n'a séduit que 932 spectateurs au Sénégal et 949 au Burkina Faso. C'est grâce au cinéma itinérant, le système MobiCiné, qu'il a pu être vu par 8128 spectateurs au Sénégal.

Pour la sortie d'Aya de Yopougon, il a fallu inventer un système de distribution. L'agence Onyx s'est improvisée distributeur : elle a facturée des séances en extérieur (parfois jointes à d'autres événements comme un défilé de mode à Kinshasa) à des sociétés, institutions, etc... qui redistribuaient les tickets à leurs clients, partenaires ou sous forme de jeux concours. 21 273 spectateurs à Abidjan, 8200 dans le reste de la Cote d'Ivoire, 3898 à Dakar, 3350 à Kinshasa, 900 à Ouagadougou. Et le film va encore voyager : Libreville, N'djamena, Douala et Yaoundé.

La production très dépendante de la France

Les choses bougent mais lentement. On le voit chaque année dans les grands festivals, l'Afrique francophone propose deux à trois films par an quand il y a un bon cru. Le Maroc a cependant  augmenté sa production de 70% entre 2004 et 2012. Le Sénegal a annoncé une dotation de 1,5M€ pour le fonds de promotion de l'industrie cinématographique. Idem pour le Mali. Le Gabon vient de mettre en place un fonds d'aide à la production audiovisuelle. Et le Tchad a mis en place une taxe sur la téléphonie mobile pour financer le cinéma.

Mais plus généralement, ce sont les aides européennes et surtout françaises qui, par l'intermédiaire de coproductions, contribue à la surive d'un cinéma africain francophone, qu'il soit magrhébin ou sub-saharien. Les Emirats (Qatar, Emirats Arabes Unis) montent également en puissance avec l'objectif de favoriser un cinéma arabophone et surtout diffusable dans le monde musulman.

Pour l'instant, les grands succès africains de ces dernières années - Les chevaux de dieu, La pirogue, Timbuktu, Grigris - restent dépendants des fonds d'aides français. Au final, c'est loins d'une dizaine de films qui sont produits chaque année.

Deux propositions pour faire bouger le cinéma en Afrique francophone

Le rapport d'Unifrance affirme qu'il ne fait pas se contenter d'être un cinéma simplement exportateur, et de ne pas se contenter des films français. Il faut aussi inclure le cinéma belge, suisse et québécois dans la réflexion. d'etre français

Première proposition : un festival du film francophone itinérant (Dakar, Bamako, N'djamena, Abidjan) avec 2 films majoritairement français, 2 films africains, 2-3 films francophones, un film d'animation et un film de patrimoine. Un festival annuel et transnational destiné au public.

Seconde proposition : les rencontres du cinéma francophone, qui auraient lieu à Dakar en novembre prochain, afin de travailler "à la structuration d'un écosystème favorable à la cinématographie francophone". "Le Sénégal par exemple a fait un travail de titan en un an. Ils ont créé un fonds de production, lancé des rénovations de salles, ils sont en train de créer un centre national sénégalais (sur le modèle du CNC) et une cité du cinéma dans les nouvelles zones industrielles de Dakar!" explique Eric Névé. Dakar accueille un sommet de la Francophonie tous les ans : idéal pour des rencontres professionnelles. Dakar se veut le carrefour du cinéma francophone en Afrique de l'Ouest, comme le Nigéria a su bâtir un Nollywood.

L'objectif est évidemment de créer une Soft Power francophone à l'instar de la Chine, du Japon, de la Corée du sud. La culture est un parfait vecteur pour soutenir l'économie et étendre sa zone d'influence politique et diplomatique. Lire le reste de cet article »

Le cinéma dakarois en vedette à Paris

Posté par vincy, le 7 octobre 2013

Des étoiles de Dyana GayeA partir du 15 octobre, dans le cadre du Tandem Dakar-Paris, le cinéma de la capitale du Sénégal sera à l'honneur dans la Ville Lumière. Le Tandem est une programmation de plus de 50 événements culturels (du cirque au numérique, de la danse à la photographie, de la mode à la musique) organisé par l'Institut français cet automne.

Côté cinéma, la programmation cinéma fera le grand écart entre les grands classiques sénégalais et la nouvelle garde du cinéma dakarois.

Ainsi, le cinéma les Cinq Caumartin près de Saint-Lazare diffusera tous les mardis du 15 octobre au 5 novembre des films consacrés à la ville de Dakar, des rencontres avec des réalisateurs et deux ciné-concerts. On pourra y voir Ramata de Léandre-Alain Baker, Madame Brouette de Moussa Sene Absa, Mossane de Safi Faye, Un transport en commun de Dyana Gaye, La noire de... et Moolaade d'Ousmane Sembène et enfin en avant-première, L'absence de Mama Keïta.

En novembre, un hommage à Djibril Diop Mambety (1945-1998) sera rendu au nouveau cinéma le Louxor (Barbès). 3 films seront projetés : Touki Bouki, le voyage de la hyène (1973) le 12 novembre, La petite vendeuse de Soleil (1998, son dernier film) le 17 novembre et Hyènes (1991) le 24 novembre.

L’association Clap Noir proposera le temps d’un week-end, les 22 et 23 novembre, un panorama du cinéma dakarois au Nouveau Latina (dans le Marais), avec des films anciens et récents signés Augustin N'Dong, Djibril Diop Mambétu, Samba Félix Ndiaye, Ismaël Thiam, Angèle Diabang, Alice Diop (en sa présence), Oismane Sembène et Serine Mbodj.

Enfin l’Institut des Cultures d’islam (Goutte d'or) proposera le 19 décembre une avant-première du film Des étoiles (photo) en présence de sa réalisatrice Dyana Gaye.

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Tandem Dakar-Paris toutes les informations sur le site officiel

Le Festival du film Francophone d’Angoulême aux couleurs du Sénégal

Posté par vincy, le 3 août 2012

Le 5e Festival du film Francophone d'Angoulême s'ouvrira avec Stars 80 de Frédéric Forestier le 24 août. J'enrage de son absence de Sandrine Bonnaire, présenté à la Semaine de la Critique à Cannes en mai dernier, est produit par Dominique Besnehard, créateur du festival. Le film fera la clôture de la manifestation le 28 août.

Le jury est composé cette année de Denis Podalydès, président, entouré de Marthe Keller, Marie-Josée Croze, Audrey Dana, Natacha Regnier, Désirée Nosbusch, Raja Amari, Florence Ben Sadoun et Sonia Rolland. Ils auront à départager 10 films de la compétition :

  • Augustine– Alice Winocour (France)
  • Catimini – Nathalie Saint-Pierre (Canada)
  • Mariage à Mendoza – Edouard Deluc (France)
  • Mauvaise fille – Patrick Mille (France)
  • Mobile home – François Pirot (Belgique)
  • Opération libertad – Nicolas Wadimoff (Suisse)
  • La pirogue – Moussa Touré (Sénégal)
  • Le repenti – Merzak Allouache (Algérie)
  • Rengaine – Rachid Djaïdani (France)
  • Sous le figuier – Anne-Marie Etienne (Luxembourg)
  • Par ailleurs, le FFA se mettra aux couleurs du cinéma sénégalais avec une sélection des films des réalisateurs les plus connus. L'hommage au Sénégal débutera avec la projection du film sénégalais de la compétition La pirogue (sélectionné également à au Fesyival du film francophone de Namur). Cette projection se tiendra en présence de Youssou N’Dour, ministre de la culture du Sénégal et de Moussa Touré, réalisateur du film.

  • Lettre paysanne de Safi Faye
  • Hyènes de Djibril Diop Mambéty
  • La petite vendeuse de soleil de Djibril Diop Mambéty
  • Deweneti de Dyana Gaye
  • Un transport en commun de Dyana Gaye
  • Aujourd’hui d'Alain Gomis
  • Moolaade d'Ousmane Sembène
  • Le focus sera consacré à la cinéaste Anne Fontaine, qui présentera Augustin (1995), Nettoyage à sec (1997), Comment j’ai tué mon père (2001), Entre ses mains (2004 )et Mon pire cauchemar (2011).

    Enfin, la section "bijoux de famille" honorera cette année le distributeur Pyramide, qui proposera cinq de ses films les plus emblématiques : Milou en mai de Louis Malle (1989), Y aura t-il de la neige à Noël ? de Sandrine Veysset (1996), Venus beauté de Toni Marshall (1999), Les Invasions Barbares de Denys Arcand (2002) et Le Havre d'Aki Kaurismaki (2010).

    Poitiers : des nouvelles d’Afrique

    Posté par MpM, le 12 décembre 2008

    Où sont-ilsDepuis quelques années déjà, l’Afrique semble le continent oublié (négligé ?) des grandes compétitions internationales. Alors que l’Asie et l’Amérique latine sont tour à tour les chouchous des comités de sélection, l’Afrique, elle, passe systématiquement son tour. Kini et Adams d'Idrissa Ouedraogo, le dernier film africain à avoir été présenté en compétition à Cannes, remonte déjà à 1997 ! Une des excuses souvent avancée pour justifier cette absence est le fait que le continent tourne peu. Or, rien qu’à Nollywood, l’équivalent nigérian d’Hollywood, il se produit chaque année quelque 1200 films. Et les écoles fleurissent sur le continent, du Maroc à la Tunisie, du Ghana au Burkina Faso, du Bénin à l’Afrique du Sud.

    D’où ce focus sur l’Ecole africaine organisé par les Rencontres Henri Langlois, avec preuve par l’image que le cinéma africain existe et mérite d’être montré. En 6 longs métrages et 14 courts, les festivaliers ont ainsi la possibilité de se faire une idée plus précise du dynamisme et de la créativité de ses cinéastes, ainsi que de ce qui les préoccupe. Sur l’échantillon des films d’école présentés à Poitiers, on compte notamment une large part de documentaires et de fictions réalistes, inspirées de faits réels, qui confirment le pouvoir de témoignage, voire de dénonciation, conféré au cinéma par les jeunes générations. Au Maroc, Alaa Eddine Aljem critique les rituels ancestraux liés au mariage. Au Sénégal, Fabacary Assymby Coly et Angèle Diabang Brener interrogent la "douleur de l’exil" en rencontrant deux opposants politiques haïtiens exilés depuis quarante ans. Au Ghana, Afeafa Nfojoh dénonce l’esclavage moderne de la pratique Trokosi qui consiste à donner ses filles au prêtre du village pour expier les pêchés de la famille.

    Les jeunes cinéastes compensent le manque de moyens techniques et d’expérience par une vitalité d’esprit et une audace qui forcent le respect. D’accord, les jeunes actrices d’Ezanetor, le court métrage d’Afeafa Nfojoh, ont un jeu outré, mais en dépit de ses innombrables maladresses, le film sensibilise le public au problème du Trokosi et n’hésite pas à dénoncer la complicité passive de la société. Entre les mains de tels cinéastes, le cinéma redevient mode d’expression, vecteur de prise de conscience et moteur d’action collective.

    Son pouvoir de divertissement n’en est d’ailleurs pas pour autant nié, comme le prouve le très réussi Où sont-ils de Kossa Lelly Anité, ou la quête impossible de Lelly, jeune cinéaste du Burkina Faso, désireuse de rencontrer le "Belge typique". A la fois réflexion sur l’identité (construite, innée, revendiquée, héritée, acquise…) et déambulation pleine d’humour dans le Bruxelles contemporain, ce documentaire réconcilie un cinéma africain qui serait irrémédiablement lié aux traumatismes du passé avec un cinéma occidental forcément détenteur de la modernité et du savoir-faire. Logique, puisque le film est le résultat d’une collaboration entre Belgique et Burkina Faso, donnant un aperçu très prometteur de ce que pourrait être une telle collaboration à grande échelle.