Cabourg 2019 : la comédies romantiques, un genre stéréotypé pas si « genderfluid »

Posté par kristofy, le 20 juin 2019

On en a tous vu des dizaines de comédies romantiques et on adore ça. Courir à l'aéroport pour rattraper l’autre avant de partir loin ou se précipiter à une église où se prépare un mariage pour intervenir avant le ‘oui je le veux’ à quelqu'un d'autre; on connaît ces clichés de fin de films avec un personnage qui doit faire se battre contre un délai fatal et faire une grande tirade aussi sentimentale que désespérée, avec l’espoir que ça ne soit pas tout a fait trop tard... Beaucoup de ce genre de clichés se retrouvent dans les comédies romantiques. Certains sont d’ailleurs presque attendus : par exemple se déclarer sous la pluie (Orgueil et préjugés de Joe Wright, N'oublie jamais de Nick Cassavetes). La ‘RomCom’ est un genre de film très codifié. Souvent deux personnages différents que tout oppose  vont se séduire malgré des obstacles - un quiproquos ou une trahison qui va tout casser entre-eux - avant une ultime grande déclaration d’amour et un baiser passionné en guise de happy-end. Le summum étant évidemment Quand Harry rencontre Sally.

Et si en fait tout les comédies romantiques les plus populaires racontent aussi en creux une toute autre histoire ? C'est justement le sujet du documentaire Romantic Comedy de Elizabeth Sankey, présenté lors du Festival de Cabourg, qui interroge le message de ces films. Sa première observation est que "tout le monde est blanc, hétéro, et veut se marier"...

Romantic Comedy analyse avec une multitudes d’extraits des films les plus connus (principalement américains et britanniques) ce qui caractérise leurs personnages et leurs cheminements. Il en ressort que ces comédies romantiques ne sont pas seulement des histoires mièvres à regarder en pleurant avec  un pot de glace (un autre cliché, comme le début de Bridget Jones), ces histoires sont aussi un reflet de notre société et en particulier d’une certaine évolution du regard porté sur les femmes. Ainsi dans les années 50, la femme est un personnage fort, pleine de qualités et consciente de son pouvoir de séduction (comme Katharine Hepburn, Audrey Hepburn ou Marilyn Monroe) et face à elle l’homme est parfois stupide et maladroit (comme Cary Grant ou Tom Ewell).

Il y a eu un glissement inverse jusqu’aux années 90 : l’homme est supérieur et plein d’assurance, à l’aise avec sa fortune et son travail (Richard Gere, Colin Firth) alors que la femme est elle désormais faible, maladroite, avec des complexes ou un manque de confiance (Drew Barrymore, Sandra Bullock). C’est la femme qui doit évoluer pour séduire l’homme (Jennifer Lopez, Katherine Heigl). Seul Pretty Woman est l'exception, puisque les deux protagonistes sont obligés de faire des efforts pour conquérir l'autre (tout comme Notting Hill et Quatre mariages et un enterrement qui poursuivent la tradition des années 40-50). D'ailleurs cette inversion des rôles est condensée avec Bridget Jones, sorte de Orgueil et préjugés à l'envers : le féminisme d'antan a disparu dans les récentes comédies romantiques...

L'homme est l'avenir de la femme

Avec un montage d'une multitude d'extraits de films, Elizabeth Sankey remarque que la femme est rarement sur un pied d'égalité avec l'homme. Parfois le but de l’ héroïne est de séduire l'homme pour le rendre heureux, moins pour être heureuse elle (hystérique, indécise, insatisfaite, complexée: elle est toujours responsable de son malheur et victime de son statut).

L’homme est parfois manipulateur voir presque agressif dans sa séduction (Mary à tout prix, American pie). Quand la femme travaille, elle est vue comme incompétente, ingérable ou malheureuse (encore Bridget Jones, Anne Hathaway dans Le nouveau stagiaire, Sandra Bullock dans la Proposition). Le plus souvent la femme est idéalisée comme une muse qui permettrait l’accomplissement de l’homme : Zooey Deschanel dans 500 jours ensemble, Natalie Portman dans Garden state, Drew Barrymore dans Le come-back... Cette représentativité de la femme au service de l’homme avait d’ailleurs été dénoncée par Zoé Kazan dans Elle s'appelle Ruby. Dans une immense majorité de comédies romantiques on y voit un univers de personnage blanc, hétérosexuel, riche : ce n’est que ces dernières années qu’un peu plus  de diversité arrive. Quand il y a un personnage gay c’est souvent un meilleur ami dont l’utilité est de donner plus d’épaisseur au personnage principal hétéro ou de faire rire. Un couple interracial est rare, il y a eu récemment Kumail Nanjiani dans The Big Sick (un pakistanais avec une américaine) ou Yesterday de Danny Boyle. Même la différence d'âge continue d'être le plus souvent un homme âgé avec une femme plus jeune.

Cendrillon et le Prince Charmant

Dans son documentaire Elizabeth Sankey observe justement que ce sont les comédies romantiques les plus populaires qui ont un fort impact dans la mémoire collective, mais aussi, justement, que ces dernières années il y a de plus en plus de comédies romantiques avec de la diversité qui sont produites. Cependant, ces films sont plutôt catégorisés en 'film dramatique' comme Le club des coeurs brisés ou La tentation de Jessica. Et c'est surtout en Europe qu'on voit ce type de film : Seule la terre de Francis Lee, Week-end de Andrew Haigh, Kyss Mig, une histoire suédoise de Alexandra-Therese Keining, Imagine me and you de Ol Parker... Aucun n'a vraiment eu le succès des gros hits romantiques où régnaient Roberts, Diaz, Lopez, Anniston, Zelwegger et Bullock.

Le documentaire Romantic Comedy relève les différents stéréotypes de ces films, remix du mythe de Cendrillon, qui a rejeté l'émancipation des femmes (et le combat féministe) pour propger l'idée qu'elle ne seront heureuses qu'avec un grand amour (et des enfants), tout en laissant tomber leur job s'il le faut. Loin de nous empêcher de prendre du plaisir à regarder ces histoires, on peut quand même remarquer l'égocentrisme de ces déclarations d’amour où c'est la femme qui doit accepter l'homme tel qu'il est. Que de régressions depuis 30 ans et l'orgasme simulé de Meg Ryan au restaurant.

Le Festival de Cabourg avait d'ailleurs judicieusement sélectionné cette année des comédies romantiques riches de diversité : Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma, Matthias et Maxime de Xavier Dolan, Benjamin avec un cinéaste et un chanteur, Pour vivre heureux avec une étudiante belge d'origine algérienne et un jeune homme d'une famille pakistanaise, Aurora de Mila Tervo (Prix de la Jeunesse) avec un immigré iranien et une finlandaise, et aussi Yesterday de Danny Boyle (Prix du Public) avec Himesh Patel et Lily James.

En attendant la première grande comédie romantique où ce sera la femme qui paiera un jeune escort sur Hollywood Boulevard, où ça finira en polyamour bienheureux, où l'homme décidera de rester à la maison pour s'occuper des enfants. Bref une rom-com dans l'air du temps, avec des récits qui se fichent des étiquettes et qui affirment un retour à l'égalité des sexes.