Burt Reynolds, populaire et séducteur, nous quitte (1936-2018)

Posté par vincy, le 6 septembre 2018

C’est un des acteurs les plus populaires du cinéma américain qui vient de s’éteindre. Burt Reynolds est décédé à Jupiter (ça ne s’invente pas) en Floride ce 6 septembre à l’âge de 82 ans. Il était né le 11 février 1936.

Alors qu’il a été le champion du box office américain dans les années 1970, il n’a été nommé qu’une seule fois aux Oscars, en 1998, pour son rôle secondaire de réalisateur et producteur de film X dans Boogie Nights de Paul Thomas Anderson. Les Golden Globes l’avait sacré en second rôle pour ce même film, après l’avoir nommé deux autres fois pour The Longest Yard en 1974 et pour Starting Over en 1979 (à chaque fois en meilleur acteur de comédie).

Merci Brando

C’est peu dire qu’il fut respecté pour les recettes qu’il accumulait et beaucoup moins pour son talent. Le public ne s’en souciait pas. Il fut cinq fois récompensé par les People’s Choice Award comme acteur favori de l’année. Il a aligné d’énormes cartons en salles : Delivrance, The Longest Yard, Silent Movie, Hooper, The Cannonball run, The Best Little Whorehouse in Texas, avant de voir le public se désintéresser de lui dès 1983.

Une décennie flamboyante pour ce sportif qui rêvait de devenir footballeur professionnel, destin contrarié par une blessure. Il s’oriente vers la police quand, à l’Université, Watson B.Duncan III, professeur de théâtre, croit en son talent et lui offre un rôle dans une pièce.

Parallèlement à une riche décennie en séries télévisées, notamment en incarnant un amérindien dans Gunsmoke, ses premières armes au cinéma sont des films modestes, westerns spaghettis et autres séries B. C’est John Boorman qui l’expose en pleine lumière et fait de lui une star en lui offrant l’un des rôles principaux de Delivrance, aux côtés de Jon Voight. Boorman avait proposé le personnage de Reynolds à Marlon Brando, qui se trouvait trop vieux pour le rôle. Le film étant assez fauché, les comédiens durent faire leurs propres cascades. Et Reynolds y prendra goût pour ses films suivants. Film culte, la brutalité et la sauvagerie de ce « survival » en ont fait l’in des grands classiques du cinéma américain.

L'acteur le plus populaire des seventies

On est en 1972. Sa belle gueule, son corps athlétique (dont il savait s'amuser) font vite des étincelles. Par contraste. Les cinéastes émergents – Scorsese, Coppola, Spielberg… - ont peu d’affinités avec les bourreaux des cœurs. Redford et Newman choisissent essentiellement des grands drames populaires de qualité. Burt Reynolds a cet avantage d’occuper un créneau assez disponible : la comédie et l’aventure. Il tourne pourtant des films très variés, avec quelques grands noms du cinéma. The Longest Yard de Robert Aldrich n’est pas loin d’un film avec Pierre Richard. Aldrich le redirige dans La cité des dangers (Hustle), film noir et sensuel avec Catherine Deneuve. On le voit ensuite chez Peter Bogdanovich (At Long Last Love), Stanley Donen (Lucky Lady), Mel Brooks (Silent Movie), ou encore Alan J. Pakula (Starting Over). De la pure comédie ou de la comédie de mœurs, tout lui va. Il réalise même deux films (Gator, 1976, et la comédie noire The End, 1978).

Son plus gros hit reste Smokey and the Bandit (Cours après moi shérif !) qui eut le droit à deux suites médiocres, sorte d’équipée sauvage et burlesque, un peu crétine, où les « contrebandiers » sont les héros et les shérifs de sombres abrutis. Le film fut la 2e plus grosse recette aux Etats-Unis en 1977, derrière La Guerre des étoiles. Il recruta une fois de plus sa compagne de l’époque, l’actrice oscarisée Sally Field (avec qui il tourna trois autres films).

Le long déclin

Sa réputation de tombeur est accentuée par le choix de ses partenaires féminines, parmi les actrices les plus courtisées d’Hollywood, de Jill Clayburgh à Julie Andrews. Mais il manque tous les grands cinéastes et passe à côté de la mutation d’Hollywood et l’arrivée de l’ère des blockbusters. Le comédien n’a pas encore dit son dernier mot avec les années Reagan. Don Siegel s’essaie à la comédie policière (Rough Cut). En tête d’un casting quatre étoiles, de Roger Moore à Jackie Chan en passant par Farrah Fawcett, il devient pilote de course dans la distrayante Équipée du Cannonball (et sa suite, moins intéressante). Avec Dolly Parton, en mère maquerelle, il joue les shérifs au grand cœur dans La Cage aux poules (The Best Little Whorehouse…), où la chanteuse country inaugure I Will Always Love You. Blake Edwards en fait son Homme à femmes. Et puis de polars en comédies mal écrites (sauf peut-être Scoop, un peu au dessus du lot), sa carrière décline jusqu’à toucher le fond en 1996, avec Demi Moore, dans Striptease qui leurs valent une razzia de Razzie Awards. Il valait un million de dollars par film dans les 70s et 20 ans plus tard on pouvait l’avoir pour 100000$.

L'homme qui a refusé Star Wars et James Bond

Malgré Boogie Nights, qui prouva s’il le fallait, qu’il était un bon comédien, avec une certaine audace, il ne retrouva aucun rôle majeur par la suite, même s’il n’a cessé de travailler (avec Renny Harlin et Mike Figgis, en apparaissant dans des caméos, ou pour le petit écran). On ne voyait en lui qu’une espèce disparue d’un cinéma un peu honteux. On le cantonnait inconsciemment dans le registre des vedettes has-been, avec ou sans moustache (et sur le tard avec barbe). Il a aussi refusé des rôles qui auraient pu donner un tout autre visage à sa carrière comme Tendres passions, qui valu finalement un Oscar à Jack Nicholson. Mais il a aussi refusé Han Solo et James Bond.

Tarantino, épilogue manqué

Burt Reynolds vieillissait pourtant bien. Il avait ouvert un théâtre dans sa ville de Jupiter. Certes, il jouait dans des films qui passent rapidement en salles comme Shadow Fighter, dans le milieu de la boxe, sorti en mars aux USA. Il continuait de tourner. Il a terminé la comédie de Stephen Wallis, Defining Moment, prévue pour Noël. Mais ironiquement, il avait enfin trouvé un grand cinéaste avec Quentin Tarantino qui devait lui offrir un rôle dans Once Upon a Time in Hollywood, aux côtés de DiCaprio et Pitt. Malheureusement, les scènes n'avaient pas été tournées.

Le dernier film où il était à l’affiche était celui d’Adam Rifkin (en salles le 30 mars derniers aux USA). Il incarnait une ancienne star de cinéma qui devait faire face à sa réalité : une gloire déclinante et le temps qui passe. Presque autobiographique ? Ironiquement, ce film s’intitule The Last Movie Star. Personne ne l’a vu. Mais on sent que Burt Reynolds n’a pas fait les choses au hasard pour clore sa longue filmographie. Hormis cet acte manqué avec Tarantino qui aurait couronné une longue carrière à Hollywood.

Les ressorties de l’été 2016 (10) : En quatrième vitesse de Robert Aldrich

Posté par MpM, le 31 août 2016

En 4e vitesse

Pour le dernier épisode des ressorties de l'été 2016, penchons-nous sur un chef d'oeuvre du film noir qui revient sur les grands écrans en version restaurée grâce à Ciné Sorbonne : En quatrième vitesse (Kiss me deadly) de Robert Aldrich, une enquête sombre et poisseuse menée par le détective privé Mike Hammer originellement créé par l'écrivain Mickey Spillane.

Ce personnage de privé peu recommandable, égoïste et prétentieux, prend plaisir à asséner coups de poing et coups bas, voire torturer ses ennemis, et ne recule à peu près devant rien pour parvenir à ses fins. Dans cette aventure d'une noirceur exacerbée, il est confronté à un ennemi tout-puissant qui sème cadavres et terreur autour de lui. L'enjeu du film, on ne le saura qu'à mi-parcours, est de retrouver un objet mystérieux qui intéresse aussi bien la pègre que la police...

On l'aura compris, Robert Aldrich signe un archétype de film noir, où les frontières entre mal et bien sont on ne peut plus confuses, et où le cheminement de l'intrigue compte plus que l'intrigue en elle-même. Dès la séquence d'ouverture, splendide et anxiogène, on sait que l'on a affaire à un grand film : une femme court, de nuit, sur une route déserte. Elle est visiblement nue sous son imperméable, sans chaussures, et passablement terrifiée. Pour arrêter la voiture qui pourrait peut-être l'emmener loin de là, elle n'hésite pas à faire mine de se jeter sous ses roues. Le conducteur (Mike Hammer, évidemment) lui propose alors de monter, et tandis qu'elle s'exécute, le générique commence avec, du début à la fin, la respiration saccadée et rauque de la jeune femme qui tente de reprendre son souffle.

La suite du film ne déçoit pas qui, entre violence brute, sous-entendus sexuels et parfum de corruption, ne fait guère de concession au politiquement correct. L'enquête nous mène d'un specimen à un autre de cette étrange Amérique dévoyée : les femmes sont lascives et dangereuses, les hommes sont veules et brutaux. Tous semblent guidés par leurs plus bas instincts plutôt que par leur intelligence. Quant au dénouement, il propose une allégorie parfaite du climat pré-apocalyptique de l'époque. Suprême intelligence de Robert Aldrich et de son scénariste A.I. Bezzerides (qui avait totalement repensé le roman original) qui privilégient jusqu'à la fin l'abstraction au concret, le poétique au réaliste.

D'autant qu'En quatrième vitesse est également d'une audace stylistique effarante : générique défilant à l'envers, perspectives renversées, ellipses gonflées... On est effaré par l'inventivité d'Aldrich, mais aussi par son indéniable modernité. Pas étonnant que François Truffaut, qui avait écrit "pour apprécier Kiss me deadly, il faut aimer passionnément le cinéma", n'avait pas peur d'y "saluer une idée par plan" (Les Films de ma vie - François Truffaut).

Soixante ans plus tard, le plaisir ne se dément pas.

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En quatrième vitesse de Robert Aldrich
Sortie le 31 août en version numérique 4k
Distribué par Ciné Sorbonne