Annecy 2020 – le film du jour : Physique de la tristesse de Theodore Ushev

Posté par MpM, le 15 juin 2020

Puisque cette année, Annecy se déroule en ligne, Ecran Noir se fait votre guide parmi les différentes sections et vous aide à savoir ce qu'il ne faut surtout pas rater ! Pour les plus pressés, nous mettons en lumière chaque jour un film qui nous semble indispensable. Pour les autres, nous ajoutons quelques conseils supplémentaires à grapiller dans le même programme. Et enfin, pour les plus gourmands, on va plus loin avec des idées de films, hors festival, à regarder en ligne pour prolonger le plaisir...

En ce premier jour, une évidence, un film dont on vous disait déjà tout le bien que l'on pensait en novembre dernier : Physique de la tristesse de Theodore Ushev, disponible dans la compétition de courts métrages dite "L'officielle" n°4.

Il s'agit incontestablement de l'un des courts métrages incontournables de l'année passée, dont la carrière a brillamment commencé à Toronto (prix du meilleur court métrage). Un film-somme intime et introspectif, qui frôle les 30 minutes de plaisir cinématographique pur.

Adapté du roman Physique de la mélancolie de l'écrivain bulgare Gueorgui Gospodinov, il s'agit d'un récit à la première personne qui fait écho avec acuité à la propre vie du réalisateur, et plus généralement de quiconque a connu l'exil, le désenchantement et la nostalgie de l'enfance. "J’avais l’impression d’y trouver, non seulement ma propre vie, mais celle de toute une génération également", explique Theodore Ushev, qui a lui-même quitté la Bulgarie pour le Québec à la fin des années 90.

Il est réalisé dans une technique d'animation unique que le cinéaste est le premier à mettre au point, celle de la peinture à l'encaustique. Jouant sur la perpétuelle métamorphose de l'image et sur la dualité lumière-obscurité, ce récit poignant nous entraîne dans les souvenirs d'un narrateur qui se remémore son enfance et sa jeunesse, tout en évoquant le déracinement et la mélancolie prégnante de ceux qui ne se sentent chez eux nulle part.

A voir dans le même programme, et c'est là aussi un incontournable, 10 000 ugly Inkblots, le nouveau film du réalisateur russe Dmitry Geller (primé à Annecy en 2001 avec Hello from Kislovodsk) : qui raconte les retrouvailles entre deux artistes ne s'étant pas vus depuis longtemps. Le titre fait référence à un tableau du peintre chinois paysagiste du XVIIe siècle, Shitao, réalisé à l'encre de Chine et au lavis, qui représente un paysage dans une forme presque abstraite, annonçant plusieurs siècles à l'avance le pointillisme comme le travail de Pollock.

Le récit s'attache principalement au trajet des deux hommes, et à leur attente à un passage à niveau, racontés par un mélange de plans relativement traditionnels sur les deux personnages et sur ce qui les entoure, et de passages beaucoup plus graphiques qui jouent sur l'esquisse des lignes et des fameuses tâches d'encre du titre. On est comme happé par ce travail de recherche sur le trait, la texture et les nuances de noir de ces éléments basiques qui reviennent aux origines du dessin, et se succèdent au rythme entêtant d'une musique jazzy presque stridente.

Autre film très attendu, Homeless home d'Alberto Vazquez signe le retour du réalisateur culte de Decorado et Psiconautas. Il nous entraîne dans un univers d'heroic fantasy parodique et désespéré, dans lequel nos propres maux (reproduction sociale, quête de soi-même, violence endémique) apparaissent comme dans un miroir grossissant. Comme toujours avec le cinéaste espagnol, le résultat est à la fois d'une noirceur extrême et d'une drôlerie grinçante et irrésistible.

Enfin, on vous conseille également Rivages, premier court produit de Sophie Racine, film sensoriel et immersif qui prend le temps d'observer la nature en action : des oiseaux dans le ciel, des herbes agitées par le vent, la mer qui se précipite sur des rochers... Le trait est extrêmement délicat, précis et sensible, et propose une oeuvre à la fois graphique et contemplative qui prend le contrepied d'un cinéma parfois excessivement narratif.

Et pour prolonger la (re)découverte de ces films et de leurs auteurs, nous vous encourageons à revoir Decorado et Sangre de Unicorno d'Alberto Vazquez et à vous pencher sur la travail de Theodore Ushev proposé sur le site de l'ONF ainsi que sur celui de Dmitry Geller, disponible sur sa page Vimeo. Nous vous invitons également à aller sur la page de Sophie Racine, où l'on trouve notamment son très beau premier court métrage, réalisé lors de ses études à la Cambre : L'échappée, à voir ci-dessous.