[Passions américaines] La chatte sur un toit brûlant (1958) avec Elizabeth Taylor et Paul Newman

Posté par vincy, le 11 août 2019

Immense succès de l’époque, La chatte sur un toit brûlant (Cat on a hot tin roof) est un drame quasi passionnel datant de 1958. Réalisé par Richard Brooks, à qui l’on doit le scénario de Key Largo, il s’agit de l’adaptation d’une célèbre pièce de théâtre écrite par le géant Tennessee Williams. Et Johnny Hallyday avait raison quand il chantait « on a tous en nous quelque chose de Tennessee… » Quoi de plus proche qu’un de ces conflits familiaux, qui révèlent le pire et le meilleur de chacun d’entre nous ? Avec Un tramway nommé désir et La ménagerie de verre, La chatte sur un toit brûlant est l’une des trois plus grandes adaptations cinématographiques de son répertoire, sans doute la plus cinglante.

Le film raconte l’histoire d’un couple qui bat de l’aile, dans un contexte familial où la mort du patriarche menace. Avec ses plans très construits, Richard Brooks accentue la symétrie des séquences qui se font écho. Au final, de révélations en réconciliations, les six personnages, trois couples formés de trois personnages principaux et trois secondaires, se confronteront à cette vérité qu’ils renient.

Le couple principal est incarné par deux des beautés les plus incandescentes des années 50 et 60, Elizabeth Taylor et Paul Newman. Un couple en déliquescence. Elle est une garce manipulatrice, dure, cruelle, orgueilleuse, souffrant surtout de ne plus être aimée de lui. Il est une ancienne gloire sportive, aujourd’hui imbibée d’alcool et surtout insensible aux charmes de sa femme. Pour ne pas dire impuissant. Mais cet amour défunt n’a rien d’éteint. Même si Maggie avoue désespérément que « Vivre avec celui qui m’aime est la pire solitude quand l’autre ne vous aime pas», elle veut encore espérer. Après tout ils sont encore insolemment beaux et pas encore fanés. Pas comme ses beaux-parents…

Leur première grande scène n’est autre qu’une partie de ping-pong acerbe où chacun se masquent derrière une forme de méchanceté. D’ailleurs le mensonge s’effondre vite. Après avoir rejeté les avances de Taylor, il succombe en cachette au désir de sentir sa nuisette. Mais la plus cruelle est la belle-sœur, Mae, une vraie peste qu’on n’aurait pas aimé avoir en copine de classe. Un vrai moulin à méchanceté.

La violence des dialogues permet au film, sans trop de mouvements, de créer un climat pesant. Ce film est comme un orage qui couve en permanence. Et on attend qu’il éclate. Et quand la pluie se déverse, c’est pour laver les péchés. Big Daddy transforme des aveux en tribunal familial où les trois personnages principaux, Newman, Taylor et lui, l’excellent Burl Ives, décident que la vérité aura raison de tout. Leur combat contre la dissimulation, leur volonté d’aller « au fond des choses » vont dissiper les malentendus et permettre au couple de renaître doucement.

Il y a deux scènes cruciales pour bien comprendre l’amertume qui déchire Taylor et Newman.

L’une se compose en plusieurs tableaux. C’est le premier vrai dialogue entre Brick et son père. Le père décide de partager un verre de whisky avec son fils, pour faciliter l’échange. De plans en plans, seuls ou à deux, on assiste à une chorégraphie où chacun s’approche et s’éloigne de l’autre jusqu’au moment où l’un boit en regardant le passé, et l’autre en regardant l’avenir. Parfait Janus…

L’autre scène montre le jeune couple sur le balcon, mal à l’aise de surprendre Big Daddy et Big Mamma avouer l’illusion de leur union. Clairement Taylor et Newman se voient finir comme eux, frustrés et distants, et le refusent inconsciemment. Car aucun couple n’est épargné par l’hypocrisie, l’aveuglement et les mensonges qui les rongent. Ils s’expriment à travers la cupidité, l’alcool, un Cancer. Mais seuls s’en sortiront ceux qui ne se mentiront pas.
« La dissimulation mène nos vies » et même si le cinéma est l’art de la dissimulation, ici La chatte sur un toit brûlant essaie de coller au plus près des tourments psychologiques qui brouillent les sentiments des uns pour les autres. Y compris entre adultes et enfants.

Enfin il faut parler de la filiation, a priori morale essentielle et fondamentale à Hollywood. Les enfants de Cooper et Mae sont des monstres sans cou, des singes, des surdosés en sucre détestables. Big Daddy ou Big Mamma ignorent sciemment Cooper ; quant à Brick, il accuse son père de ne jamais l’avoir aimé. Ce manque affectif remonte ainsi les générations jusqu’au père de Big Daddy, un clochard, ou à la pauvreté des parents de Maggie, ce qui les rapproche dès leur première scène. Quand il parle de son père, Big Daddy est ému en avouant qu’il avait été aimé. Mais travers les yeux de son fils, on découvre à quel point il n’avait pas aimé. Le scénario impose alors sa morale. L’argent ne fait pas le bonheur. A cette époque on croyait encore à de bien plus grandes valeurs.

Cette réalisation très sobre, un huis-clos théâtral où seul le cadrage met en scène, sans effet particulier, a énormément déplu à Tennessee Williams qui trouvait le film ringard comparé à la mise en scène d’Elia Kazan à Broadway. Pourtant, pour la première fois, afin de magnifier le regard violet de Taylor et celui très bleu de Newman, une adaptation de Williams fut filmée en couleurs. Peut-être que le dramaturge voyait trop les artifices du studio, comme lorsque Taylor, chat trempé sous la pluie, est, la scène suivante, complètement sèche et bien coiffée. Ou alors, il reprochait que le script ait gommé les références à l’homosexualité, présentes dans la pièce. Ironiquement, il était arrivé la même chose à l’adaptation du roman de Richard Brooks, The Brick Foxholes, quelques années auparavant, où la discrimination homosexuelle avait été remplacée par l’antisémitisme. Hollywood était moins courageux que Broadway. On devine juste que l’amitié de Brick avec Skipper était « vraie » et « profonde ».

« La vérité c’est renoncé à ses rêves et mourir inconnu ». Tout le contraire du cinéma.

Jean Simmons (1929-2010), si désirée…

Posté par vincy, le 23 janvier 2010

jean_simmons_gallery_17.jpgElle avait un physique qui nous rappelait Vivien Leigh, quelque chose d'Audrey Hepburn avant l'heure.  Une beauté de tragédienne. C'est d'ailleurs dans Hamlet, de Laurence Olivier, en 1948, en sublime Ophélie qu'elle fut révélée au grand public. Jean Simmons est décédée à presque 81 ans, près de Los Angeles, des suites d'un cancer du poumon.

Sans aucun court dramatique cette londonienne née en janvier 1929 a tout appris sur le tas. Elle commence à 15 ans avec Give us the Moon et enchaîne les petits rôles. Pour elle, c'est un métier, qui lui fait gagner de l'argent. Dans César et Cléopatre (avec Leigh, Stewart Granger et Claude Rains, elle est une harpiste). David Lean lui offre son premier personnage important, celui d'Estella, jeune, dans Les grandes espérances. Grâce à Lean, elle commence à prendre plaisir au jeu. Les rôles s'étoffent et le grand Laurence Olivier la transforme à jamais en Ophélie. Elle y reçoit sa première nomination à l'Oscar (du meilleur second rôle féminin) et un prix d'interprétation à Venise (où le film est aussi Lion d'or).

Ironiquement ce sera son prix le plus prestigieux, hormis un Golden Globe récompensant sa "carrière très variée" en 1958. En tournant un deuxième film avec Stewart Granger, elle se marie avec lui et s'exile à Hollywood. Beauté un peu diaphane, silhouette gracieuse, elle devient vite l'ange diabolique idéal, un peu pervers.  "J'ai toujours aimé avoir des rôles de méchante, ce qui n'est pas vraiment ma nature", avouait-elle. Simmons devient tête d'affiche de thrillers et de polars. Après la Rank en Grande Bretagne, elle est liée à la 20th Century Fox aux Etats-Unis.

En 1952, Otto Preminger l'engage pour être Un si doux visage, avec Robert Mitchum. Le tournage fut "viril" avec des conflits permanents entre Preminger et Mitchum, et le producteur Howard Hugues qui refusait d'arbitrer les différents.Elle débute aussi sa carrière dans les péplums. On notera L'Egyptien, de Michael Curtiz, en 1954, avec Gene Tierney et Victor Mature, avec qui elle a souvent joué ; Spartacus de Stanley Kubrick en 1960, où elle retrouve Laurence Oliver, mais aussi Tony Curtis et Kirk Douglas. Comme Ingrid Bergman, Jeanne Moreau et Elsa Martinelli, elle avait refusé le personnage de Varinia, qui échoua à Sabine Bethman avant que Kubrick ne la vire et le repropose à Simmons. Mais le péplum le plus marquant c'est La tunique en 1953. Enorme succès populaire (le film aurait rapporté 485 millions de $ s'il était sorti en 2010), il a aussi fait les unes de la presse people quand  Stewart Granger menaça avec une arme l'acteur principal du film, Richard Burton, qui a eu une liaison avec Simmons. Ils divorceront en 1960, après dix ans de mariage.

Jean Simmons  continue les productions à costume comme La Reine Vierge où elle incarne la Reine Elisabeth I, mais elle varie les styles aussi. Aux côtés de Spencer Tracy elle joue The Actress, comédie de George Cukor, où un certain Anthony Perkins débute ; face à Marlon Brando en Napoléon Bonaparte, elle est Désirée. Elle le retrouve, en adepte de l'armée du salut, dans Blanches colombes et vilains messieurs (Guys and Dolls) du grand Joseph L. Mankiewicz, avec Franck Sinatra. Elle tourne quelques films de Robert Wise, mélo ou comédie. Un western de William Wyler, avec Gregory Peck. Ce sont souvent de jolis succès en salles. Simmons est populaire, sans être une star de premier plan.

En 1960 elle croise le chemin de Richard Brooks, son époux de 1960 à 1977. Il la dirige dans Elmer Gantry, le charlatan, avec Burt Lancaster. Stanley Donen la fait jouer avec Cary Grant (et Deborah Kerr et Robert Mitchum, fidèles partenaires de l'actrice) dans Ailleurs l'herbe est plus verte. Et à partir de 1961, sa carrière décline, après 10 ans de starisation. Elle tourne moins et commence à se tourner vers le petit écran. Son mari lui offre un rôle en 1969, dans The Happy Ending. Un drame qui lui vaut sa deuxième nomination à l'Oscar (de la meilleure actrice).

Sur le grand écran, elle ne fera plus rien de vraiment marquant. Sa carrière se prolonge à la télévision, dans des téléfilms et des feuileltons prestigieux, ou en guest star (dans Star Trek!). Elle ne s'est jamais arrêtée, faisant des voix de dessin animé. Elle sera ainsi aux Etats-Unis, la grand mère Sophie du château ambulant de Miyazaki. Son dernier film, après 14 ans d'absence au cinéma, Shadows in the Sun (site officiel), est sorti en juin dernier.

Elle a eu deux enfants. Tracy Granger et Kate Brooks, un de chacun de ses mariages. les prénoms rendent honneur au couple mythique du 7e art, et amis de Simmons, Spencer Tracy et Katharine Heburn.

Judith Anderson, gouvernante perpétuelle de « Rebecca »

Posté par benoit, le 4 novembre 2008

judithanderson.jpgDans le domaine de Manderley, une silhouette sombre aux traits et aux cheveux tirés semble flotter et apparaît sans bruit comme une figure de cartoon macabre. Si Mme Danvers, la gouvernante des lieux, s’ingénie à torturer la nouvelle Lady de Winter (la sublime Joan Fontaine, à gauche sur la photo), c’est par amour pour Rebecca, sa maîtresse disparue. Gardienne de sa mémoire, elle règne sur la chambre de la défunte. Morbide jusqu’au fétichisme, elle remet en place une brosse à cheveux telle une relique. Caresse sur sa joue une fourrure des plus douces. Plonge ses doigts dans une lingerie si fine que la peau s’y dévoile. Dévorée par le souvenir, Mme Danvers finit par incendier Manderley pour que personne ne prenne la place de Rebecca.

À mi-chemin entre le drame romantique et le film noir et gothique, Rebecca est la première réalisation de Hitchcock à Hollywood. Adapté d’un roman de Daphné du Maurier, le personnage central de l’intrigue - bien que secondaire - est celui de Mme Danvers interprété à la perfection par Judith Anderson. Ce rôle tragique est complexe. Il traduit non seulement le désarroi d’une domestique frustrée par la mort de sa maîtresse, mais symbolise aussi le rejet de la société tout entière envers les amours homosexuelles. D’où son statut de gouvernante qui la condamne à rester dans l’ombre et à périr dans les flammes comme une sorcière.

Judith Anderson (à droite sur la photo), de son vrai nom Frances Margaret Anderson-Anderson, voit le jour le 10 février 1897 à Adelaide, en Australie. Elle débute au théâtre à Sydney, puis émigre aux Etats-Unis en 1918. Son incarnation de Lady Macbeth sur les planches new-yorkaises dans les années 1930 la fait entrer dans la légende. En 1940, Alfred Hitchcock l’engage pour incarner Mme Danvers dans Rebecca. Elle est nommée à l’Oscar du meilleur second rôle féminin qu'elle ne remporte pas. Judith Anderson se spécialise alors dans les personnages de femme sévère, de matrone vicieuse au physique revêche. Elle campe la rivale de Gene Tierney dans Laura (1944) d'Otto Preminger, la mère torturée de La Vallée de La Peur (1947) de Raoul Walsh avec Robert Mitchum. Elle interprète toutefois un personnage bienveillant, celui de Big Mama dans La chatte sur un toit brûlant (1958) de Richard Brooks aux côtés de Paul Newman et d’Elizabeth Taylor. Judith Anderson meurt le 3 janvier 1992.