Poitiers Film Festival 2016 : retour sur la compétition internationale

Posté par MpM, le 8 décembre 2016

whatever the weather

La 39e édition du Poitiers film festival s’est traditionnellement achevée par la proclamation du palmarès. Mais comme toujours en festival, la liste des quelques films récompensés ne suffit pas à rendre hommage au très bon niveau de la compétition. Retour sur douze autres courts métrages sélectionnés qui ont attiré notre attention (par ordre alphabétique).

Ayaldama de Dias Kulmakov (Kazakhstan)
On reconnaît d’emblée les qualités cinématographiques des films venus des ex-pays soviétiques, comme le Kazakhstan ou l’Ukraine : des plans larges savamment composés, des éclairages intérieurs de toute beauté, une mise en scène ample et épurée. Même s’il y a comme ici quelques maladresses et autres affectations (notamment des ralentis appuyés sur les personnages et la tentation d’aller vers une imagerie de carte postale), le film parvient à créer une ambiance plutôt riche et envoûtante.

Entre la tierra de Sofía Quirós Ubeda (Argentine)
Du pur cinéma de sensations qui nous embarque avec l’héroïne, une femme solitaire vivant en harmonie avec la nature. Lorsque surgit une jeune fille (fantôme ? double ? réminiscence du passé ?), quelque chose se joue qui la transformera à jamais. On est happé par la beauté des plans et l’épure de la narration au service d’une réflexion métaphysique sur l’existence.

Fais le mort de William Laboury (France)
Un sujet générationnel, filmé de manière quasi documentaire et construit comme un thriller, qui mêle habilement harcèlement, pouvoir des réseaux sociaux et réflexion technologique. Sa force d’évocation et l’intelligence de son dénouement lui ont valu le Prix canal + lors du dernier festival de Clermont Ferrand. A noter que le réalisateur William Laboury avait un autre film en compétition à Clermont, Hotaru, récompensé par le prix spécial du jury. Indéniablement un nom à retenir.

Hausarrest de Matthias Sahli (Suisse)
Une dystopie absurde et trash dans laquelle un homme assigné à résidence subit, impuissant, le comportement de plus en plus autoritaire de son bracelet électronique. L’utilisation de larges plans fixes accentuent l’importance du hors champ qui permet d’aller assez loin à la fois dans l’horreur et l’humour noir.

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Poitiers Film Festival 2016 : retour sur le palmarès

Posté par MpM, le 8 décembre 2016

anna

Pour sa 39e édition, le Poitiers Film Festival proposait un programme riche et varié mêlant avant-premières, focus sur le cinéma danois, rencontre avec la comédienne Lola Créton, leçon de cinéma de la réalisatrice d’animation Florence Miailhe ou encore masterclass "musique et cinéma" avec Dominique Cabrera et Béatrice Thiriet. Mais c’est bien entendu la compétition internationale de courts métrages réalisés par des étudiants en cinéma qui constituait une fois encore le cœur de la manifestation.

Cette année, la sélection se composait de 49 films (sur 1452 inscrits), issus de 36 écoles et représentant 24 pays. Au risque de se répéter, ce qui frappe d’emblée à Poitiers, c’est la qualité générale des œuvres proposées. Fictions ou documentaires, live ou animées, gros budgets ou productions fauchées, toutes avaient leur place dans une compétition de fait assez homogène et plutôt réjouissante qui proposait à la fois sujets forts, matière à discussion et beaux moments de cinéma. De quoi composer un palmarès équilibré qui fait à la fois la part belle à la narration et aux propositions formelles.

Le jury international (composé de Natalia Chernysheva, Claire Diao, Olivier Gorce, Julien Lilti et Marie Madinier) a ainsi assez logiquement accordé son grand prix à Anna de Or Sinai, qui avait déjà reçu le Grand Prix de la Cinéfondation lors du dernier festival de Cannes. Le film dresse le portrait touchant d’Anna, une femme d’une quarantaine d’années qui se met en quête, le temps d’une soirée, d’un homme qui pourrait partager sa solitude. Jamais mièvre ni cruelle, la jeune réalisatrice filme son héroïne avec une bienveillance lumineuse qui lui redonne peu à peu confiance. En une nuit, sans éclats ni rebondissements spectaculaires, Anna passe d’une mélancolie amère à une forme d’autodérision et d’humour qui tirent le récit vers une légèreté joyeuse et presque décalée.

Prix spécial du jury, Valentina de Maximilian Feldmann reçoit également le prix Amnesty International et le prix du public. Une unanimité qui s’explique plus par son sujet que par ses réelles qualités cinématographiques. Il s’agit en effet d’un documentaire en noir et blanc sur le quotidien d’une famille tzigane de Macédoine, raconté à sa manière par une petite fille de dix ans. A la fois ultra-stylisé et souvent maladroit, le film tient le spectateur à distance par un esthétisme inutile et des choix de mise en scène dénués de subtilité (gros plans fixes sur les visages des différents membres de la famille, plan en plongée sur la famille au milieu des ruines qui lui servent de logement…) qui cherchent plus à déclencher l’émotion qu’à faire le récit précis du destin des personnages.

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Rencontres Henri Langlois 2013 : voyage à l’Est du bassin méditerranéen, compétition internationale et leçon de cinéma sur la production

Posté par MpM, le 11 octobre 2013

rencontres henri langlois 2013A l'Est, que du nouveau ! Pour sa 36e édition, le festival international des écoles de cinéma explore les cinématographies du Liban, d’Israël et de Palestine, en présence notamment de Hiam Abbas (Les Citronniers, Héritage...), Raed Andoni (Fix me), Khalil Joreige (The Lebanese Rocket Society, Perfect Day) et Nadav Lapid (Le Policier).

Côté compétition, 45 films (sur les 1424 reçus) venus de 21 pays et 34 écoles ont séduit cette année les membres du comité de sélection. Qu'ils viennent d'Estonie ou du Brésil, de Norvège ou de Turquie, on leur souhaite une carrière à la hauteur de certains de leurs illustres prédécesseurs !

L'an passé, on avait ainsi été bluffé par la mise en scène au cordeau de l'envoûtant Pude ver un puma d'Eduardo Williams ou encore par le ton étonnamment libre et décalé de La Sole, entre l'eau et le sable d'Angèle Chiodo, vrai faux documentaire mêlant animation et prises de vue réelle. Or les deux cinéastes ont à nouveau fait parler d'eux en 2013, le premier avec Que je tombe tout le temps, présenté à la Quinzaine des Réalisateurs, et la seconde avec son nouveau court métrage, Les chiens.

Tous ces jeunes cinéastes sont sur la voie d'auteurs aujourd'hui reconnus comme Andreas Dresen (Septième ciel), Joachim Trier (Oslo, 31 août), Na Hong-Jin (The Murderer) ou encore Pascale Ferran (Lady Chatterley), qui sont eux-aussi passés par les Rencontres Henri Langlois.

Pour compléter ce programme déjà bien rempli, la traditionnelle Leçon de cinéma sera consacrée aux rouages de la production, avec la complicité de la productrice Anne-Dominique Toussaint (Alceste à bicyclette, Le Hérisson, Les Beaux gosses, Respiro...). Plusieurs séances spéciales (dont une consacrée à la Comédie musicale), des avant-premières (dont Jacky au royaume des filles de Ryad Sattouf) et une carte blanche à La Mouette à 3 Queues (collectif d'artistes multidisciplinaires) sont également prévues, sans oublier les incontournables rencontres entre le public et les réalisateurs.

Comme tous les ans depuis 2007, Ecran Noir est fier d'être partenaire de ces Rencontres qui portent si bien leur nom, et vous en fera vivre les principaux temps forts du 29 novembre au 8 décembre.

Rencontres Henri Langlois 2012 : cinéma des Balkans, effets spéciaux, et premiers pas des cinéastes de demain

Posté par MpM, le 8 octobre 2012

Les grandes lignes des 35e Rencontres Henri Langlois sont désormais connues. Pour son édition 2012, qui se tiendra du 30 novembre au 9 décembre, le festival international des Ecoles de cinéma a ainsi choisi de mettre en lumière le cinéma "des Balkans à la mer noire", autrement dit des œuvres venues de Bulgarie, Croatie, Roumanie et Serbie, le tout sous le parrainage du cinéaste croate Rajko GRLIC.

Par ailleurs, la compétition de courts métrages demeure le cœur de la manifestation. Après avoir visionné 1343 films, le comité de sélection en a retenu 41, venant de 22 pays et représentant 34 écoles des cinq continents. Les cinéastes qui viendront défendre leur premier film à Poitiers marchent sur les traces d'auteurs aujourd'hui reconnus comme Andreas Dresen (Septième ciel), Joachim Trier (Oslo, 31 août), Na Hong-Jin (The Murderer) ou encore Pascale Ferran (Lady Chatterley), tous sélectionnés aux Rencontres Henri Langlois par le passé. On a vu pire filiation...

Pour compléter ce programme déjà très alléchant, la traditionnelle Leçon de cinéma (consacrée cette année aux effets spéciaux), plusieurs séances spéciales, des avant-premières, un fil rouge sur la musique de films et la célébration de l'anniversaire de l'INSAS (Institut national supérieur des Arts du spectacle et des techniques de diffusion) sont d'ores et déjà prévus, sans oublier les rencontres entre public et réalisateurs qui ont fait le succès de la manifestation.

Comme chaque année depuis 2007, Ecran Noir est partenaire du festival et vous fera vivre ses principaux temps forts dès le 30 novembre.

L’instant court : La 40e marche, réalisé par Nicolas Saada

Posté par Benjamin, le 8 juillet 2011

Comme à Ecran Noir on aime vous faire partager nos découvertes, alors après Little big love réalisé par Tomas Mankovsky, voici l’instant Court n° 40.

Au dernier festival de Poitiers, en décembre 2010, Nicolas Saada avait donné une leçon de cinéma sur le thème de la mise en scène. Et il s’était mis en tête de relever un défi de taille : reprendre une séquence du film d’Hitchcock Les 39 marches, et la tourner en une soirée, en présence du public poitevin (voir notre actualité du 7 décembre).

Aujourd’hui, après plusieurs mois de montage, le résultat est enfin visible sur le site internet du festival. Les internautes peuvent visionner librement ce court métrage d’environ 6 minutes, intitulé La 40ème marche… tout le monde voit la référence ?

Pour le spectateur lambda, il est possible que ce court métrage paraisse des plus classiques : le personnage principal, joué ici par le jeune et talentueux Grégoire Leprince-Ringuet, est en fuite et se réfugie dans une salle de spectacle où se déroule un débat politique. Pris pour un orateur, on le pousse sur scène pour y faire un discours élogieux à propos du candidat présent. Dans la salle, une jeune femme, qui le reconnaît, se lève pour aller prévenir la police… Tout cela en noir et blanc bien sûr.

Mais ce court métrage a une saveur particulière pour tous les spectateurs qui étaient présents dans la salle ce soir là. Tout ceux qui ont assisté et participé au tournage de ce film et qui, aujourd’hui, peuvent en apprécier le résultat.

C’est donc une leçon de cinéma qui trouve sa réponse finale avec le visionnage de ce petit film, car c’est seulement maintenant qu’il est possible de voir quels sont les passages qui ont été coupés, ainsi que les raccords effectués, etc. Toute la mécanique du cinéma apparaît ici pleinement. Car d’ordinaire, le spectateur n’assiste qu’à la projection du film, il ne sait pas combien de prises ont été nécessaires, quels furent les problèmes rencontrés, ni pourquoi tels cadrages et tels emplacements de caméra ont été choisi plutôt que d’autres. Ici, ceux qui ont assisté à l’évènement peuvent se remémorer les commentaires de Nicolas Saada qui expliquait ses choix mais aussi ses contraintes : le temps imparti (trois heures), la foule à gérer et aussi l’espace de la salle de théâtre à maîtriser. Autant d’éléments qu’il était possible d’appréhender ce soir-là.

Il y a donc beaucoup de plaisir et de nostalgie en regardant La 40ème marche. On se reconnaît dans le public. On ressent un sentiment d’appartenance vis-à-vis du film. Nous y avons participé et nous nous remémorons quelle belle expérience ce fut.

Enfin, j’ajouterai que, si Grégoire Leprince-Ringet a déclamé son texte une trentaine de fois, c’est vraiment en visionnant le film que l’on perçoit la finesse et la force de son jeu d’acteur. Le cadrage le sublime, le cinéma met en lumière son talent.

Ne passez pas à côté de cette jolie expérience, d’autant que vous retrouverez également sur le site du festival les coulisses de la soirée en bonus !

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A lire également :
- le récit de cette soirée de tournage
- l'interview de Nicolas Saada

RIHL 2011 : Poitiers met le (jeune) cinéma à la fête

Posté par MpM, le 1 juillet 2011

RIHLDu 2 au 11 décembre prochain se tiendront les 34e Rencontres Henri Langlois, le Festival international des écoles de cinéma qui a pour ambition de découvrir et faire partager chaque année les meilleurs films de la jeune création cinématographique mondiale. Un objectif parfaitement atteint puisqu'on ne compte plus les réalisateurs aujourd'hui confirmés qui sont passés par Poitiers : Pascale Ferran, Noémie Lvovsky, Arnaud Desplechin...

Envie d'écrire votre nom à la suite ? Vous avez jusqu'au 15 juillet pour faire parvenir votre film au festival. La compétition est ouverte  à toutes les œuvres réalisées après le 1er janvier 2010 dans le cadre d'une école (université ou institut) de cinéma et/ou d'audiovisuel, sans critère de genre ni de durée. Rendez-vous sur le site de la manifestation pour remplir le formulaire d'inscription et découvrir la marche à suivre.

Les  films retenus par le comité de sélection composé de professionnels et cinéphiles s'intégreront à un programme riche en événements, parmi lesquels l'une de ces "leçons de cinéma" dont Poitiers a le secret (en 2010, il s'agissait tout simplement du tournage d'un court métrage dirigé par Nicolas Saada), un panorama du cinéma d'Amérique latine et de nombreuses séances de projection exceptionnelles. Sans oublier les rencontres entre cinéastes et spectateurs, qui permettent à chacun de prolonger le plaisir du cinéma. Car Poitiers est avant tout un lieu où tous les points de vue artistiques ont leur place et où le (jeune) cinéma est immanquablement à la fête !

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34e Rencontres Henri Langlois
Du 2 au 11 décembre
Informations sur le site de la manifestation

RIHL 2010 : des films animés dont l’imaginaire n’a rien de figé

Posté par Benjamin, le 13 décembre 2010

L’animation est un genre devenu majeur dans le cinéma actuel avec le succès des films Pixar ou de franchises telles que Shrek ou L’âge de glace mais aussi grâce à l’essor de la 3D. Les Rencontres internationales Henri Langlois l’ont bien compris et ont sélectionné pour cette 33ème édition des courts métrages animés absolument somptueux !

Il faut le dire et ne pas être avare en superlatifs tant la qualité de ces films dépasse celle de simples travaux d’écoles. Nous sommes face à des professionnels qui tiennent une idée, une véritable trouvaille, qui créent un monde qui leur est propre et développent leur propre style. Pas un film d’animation ne ressemble à un autre. Les formes sont aussi variées qu’inspirées. Le sud-coréen Wan-Jin Kim a joué sur la poésie de ses images qui ressemblent parfois à des tableaux pour retracer à la fois l’horreur de la guerre mais aussi la beauté du paysage qui assiste au massacre. C’est l’absurdité de la guerre face à la mort passive de la forêt. Seulement, il est dommage qu’il n’ait pas développé un vrai fil conducteur pour son film et qu’il se laisse emporter par sa créativité picturale.

Cependant, que ce soit les réalisateurs français du Gardien de phare ou l’allemande Verena Fels pour Mobile, c’est l’absence de parole et une durée courte (moins de 10 minutes) qui les caractérise. Le premier se rapproche plus du style de Sylvain Chomet tandis que le second donne vie à un mobile d’enfant pour une histoire à la fois drôle et irrésistible.

Mais deux films d’animation se démarquent nettement des autres dans la compétition. Le premier par son choix artistique brillant et novateur, le second pour son histoire et l’aboutissement de son projet.

Tout d'abord, l’œuvre de Pierre-Emmanuel Lyet qui a eu l’incroyable idée de réduire ses personnages à de simples yeux. Avec Parade, il traduit notre déshumanisation moderne en ne laissant apparaître de notre identité qu’un œil qui sort de l’obscurité. Le reste du corps, noir lui aussi, se fond donc dans le décor. Mais un œil, un corps se détache de ce monde si triste grâce à des « amis » (imaginaires ou non), des êtres de couleur de toutes les formes qui le suivent partout et perturbent ce monde si réglé. L’invention est splendide et par un jeu avec la musique, il nous fait rire sur ce monde hiérarchisé où chacun se cache. Parade est un film qui possède une identité très forte qui lui permet de sortir très largement du lot.

Le second, A lost and found box of human sensation (photo) conforte l’idée que les films d’animation ne sont pas forcément pour les enfants, et il aborde un thème grave, la dépression, le vide qui suit la perte d’un être cher. L’expérience de la maladie et de la mort, la perte des repères. L’incapacité d’avancer après une telle épreuve et puis, doucement, la renaissance, le nouveau départ et les cicatrices qui se forment et que l’on garde sur soi. Les deux allemands Martin Wallner et Stefan Leuchtenberg créent un univers riche, loufoque et varié. Leur film a une forme assez classique mais ils tiennent une histoire solide, leur film a un but (d’autres n’en ont pas et ne sont qu’une succession de plans vident de sens), quelque chose à dire au spectateur. Et puis, tout de même, les deux gaillards ont la chance de s’être offert les services de deux immenses comédiens pour assurer les voix-off. La voix du personnage principal est assurée par Joseph Fiennes et celle du narrateur par Sir Ian McKellen, excusez du peu !

Les films d’animation font preuve d’une véritable présence artistique à Poitiers. Certains optent pour le rire et la tendresse, tandis que d’autres s’orientent sur des sujets plus graves. La vitalité et la diversité en font un cinéma plein de promesses.

RIHL 2010 : le cinéma continue de refléter un monde perturbé

Posté par Benjamin, le 12 décembre 2010

Aux Rencontres internationales Henri Langlois cette année, les réalisateurs font preuve d’un grand engagement politique voire social. Ils abordent des sujets d’actualité difficiles tels que le terrorisme (London Transfer, photo, suédois), l’exclusion des immigrés clandestins (Mort par suffocation, allemand), le retour de la guerre en Irak (Cigarette Candy, américain) mais aussi d’autres sujets comme le viol (Solstice, anglais) ou l’infanticide (Narben im beton, allemand).

A priori, que ces jeunes cinéastes se frottent à des sujets sensibles, cela n’a rien d’exceptionnel mais ils le font bien, en choisissant de très bons acteurs, en donnant à voir soit une grande émotion soit un absurde des plus total.

Le réalisateur de London Transfer, Roozbeh Behtaji, choisit une situation simple, un homme en transit entre deux aéroports cherche des toilettes à tout prix dans Londres. Avec sa valise à la poignée cassée et sa tête de « terroriste », il est difficile pour lui de trouver de l’aide. On le rejette, on se méfie de lui, on le surveille bien qu’il soit suédois. La peur de l’autre, la peur d’une menace qui a été instaurée depuis des années dans beaucoup de pays occidentaux parasitent tout simplement la relation entre les individus. Ainsi, une situation aussi simple que celle de vouloir aller aux toilettes révèle des tensions et des problèmes disproportionnés.

Narben im beton (de Juliane Engelmann) et Solstice (de David Stoddart) choisissent le camp des femmes. Femmes comme être vulnérables et abandonnées qui sont reléguées aux rôles de mère et de réceptacle des pulsions sexuelles de l’homme. Femme au foyer et femme objet. Mais, elles essayent par tous les moyens d’échapper à cette emprise, cela finit souvent tragiquement : suicide, infanticide. Mais il y aura peut-être un jour nouveau qui viendra pour elle, que ce soit dans l’austérité d’une banlieue allemande ou dans les somptueux paysages embrumés d’Ecosse.

Mort par suffocation est l’un des meilleurs films de la compétition parce qu’il a un début et une fin (croyez moi c’est déjà très bien car beaucoup de réalisateurs trouvent une idée de départ mais n’ont aucune idée pour la conclusion !) et un véritable enjeu. Visar Morena, le réalisateur, utilise un sujet déjà bien traité au cinéma, celui de l’immigration (il suffit de voir Welcome de Philippe Lioret en France) mais il parvient à installer une véritable tension - un couple d’immigrés erre dans la rue, la femme enceinte, perd beaucoup de sang, son mari part chercher de l’aide mais se fait arrêter par la police qui ne veut rien entendre - et il réussit à pointer du doigt l’immense fossé entre les autorités et les immigrés. Un homme qui crie, qui résiste, qui fait du grabuge est forcément coupable, une menace qu’il faut vite éradiquée. Mais ce peut être aussi un homme soucieux pour sa femme qui se vide de son sang, seule dans une rue.

Mort par suffocation se finit de la plus tragique des façons. Par son rythme, par ses images, par le jeu des acteurs, par son découpage, le film est une véritable claque. La mondialisation c’est la peur de l’autre et le renfermement sur soi.

Beaucoup des films en compétition à Poitiers cette année ont montré des personnages isolés, abandonnés, délaissés par la société. Un état du monde pas très brillant et une vision quelque peu désespérée du XXIème siècle.

RIHL 2010: Nicolas Saada et le livre de cuisine hitchcockien

Posté par Benjamin, le 12 décembre 2010

Nicolas Saada est l’invité d’honneur des 33ème Rencontres Henri Langlois et c’est à lui qu’incombe la tâche de livrer la leçon de cinéma axée sur la direction d’acteur (voire La 40eme marche ne se loupe pas). Mais Nicolas Saada est avant tout un passionné. Un cinéaste qui met en avant l’importance de l’école, et de la transmission du savoir, choses qui se perdent cruellement de nos jours. Il parle avec ferveur des classiques d’Hitchcock et de la culture cinématographique, car savoir d’où l’on vient c’est un peu savoir où l’on va.

Sans vouloir faire son professeur, sans vouloir venir prêcher la bonne parole, Nicolas Saada a tout simplement envie de transmettre sa passion du cinéma, d’échanger et de partager avec les autres. Poitiers lui semble donc un carrefour essentiel.

Écran Noir : Pensez-vous qu’il y a une grande valeur pédagogique dans le cinéma d’Hitchcock ?

Nicolas Saada : Et bien oui. C’est ce que je disais : ce ne sont que des prototypes. Il y a un moment quand un ébéniste ou un musicien doit apprendre des choses de base à quelqu’un, il passe par des choses qui sont basiques. Quelqu’un qui veut apprendre le contre-point, l’harmonie, la mélodie à des étudiants de musique, il ne va pas prendre Lady Gaga ! Il va prendre des espèces d’objets absolument pérennes dans l’histoire de la musique. Hitchcock c’est pérenne ! Avec Hitchcock, je pense qu’on peut apprendre plein de choses. On peut piquer des trucs et je vois le nombre de cinéastes qui finalement prennent à Hitchcock non pas une matière qu’ils veulent copier, à laquelle ils veulent rendre hommage, mais un effet qui leur sert à raconter quelque chose. Hitchcock moi-même m’a servi à me dépatouiller de certaines situations, que ce soit dans mon film Les parallèles ou dans Espion(s), Hitchcock m’a toujours servi, soit à faire vivre une scène qui peut être absurde, soit à faire vivre une situation qui peut paraître forcée. C’est un livre de cuisine permanent. Le cinéma selon Hitchcock c’est un livre que tous les étudiants en cinéma devraient lire et relire. C’est le livre de cuisine du cinéma ! Donc moi je me dis, c’est un livre de cuisine, autant appliquer une recette et la faire partager au public de Poitiers.

EN : Demain soir, en même temps que la leçon de cinéma sera diffusé au festival The Ghost-writer de Roman Polanski…

NS : Alors c’est très marrant parce que beaucoup de gens m’ont parlé d’Espion(s) quand ils ont vu The Ghost-writer. Quand j’ai vu le film, je n’ai pas tout de suite compris, mais maintenant en y repensant je crois qu’il y a comme ça des espèces de chevauchements, de croisements entre les deux films.

EN : En tout cas, c’est un film très classique qui a quelque chose d’hitchcockien…

NS : Moi je suis pour le classicisme. Je suis pour tout ce qui est inactuel.

EN : On l’a beaucoup comparé par exemple à Shutter Island de Martin Scorsese et ce qu’on a mis en avant chez Polanski c’est qu’il n’avait utilisé aucuns effets spéciaux.

NS : Moi j’aime beaucoup Shutter Island. J’aime autant les deux. Polanski c’est un metteur en scène dont j’ai beaucoup regardé les films. Par exemple pour mon court métrage Les parallèles, une des références c’était Frantic : c'est un film que j’adore et c’était aussi un film de référence pour Espion(s).

EN : Est-ce que vous pensez que le patrimoine cinématographique se perd aujourd’hui ?

NS : Oui le patrimoine cinématographique se perd parce qu’on a une peur panique de ce qui est vieux. C’est Godard qui disait : « On dit toujours : je vais voir un vieux Fritz Lang. On ne dira jamais, je vais lire un vieux Stendhal. » Mais c’est vrai et c’est dommage qu’on ait une perte de ça, parce que c’est très important pour décoder des trucs. L’histoire que je raconte toujours, c’est qu’il n’y aurait pas Batman sans Victor Hugo. Donc j’adore cette idée qu’il n’y aurait pas Batman sans Victor Hugo parce que, en fait, le Joker dans Batman est inspiré de L’homme qui rit qui est un roman de Victor Hugo qui raconte l’histoire d’un enfant qui est capturé par des faiseurs de montres qui vendent des enfants défigurés dans les cirques. Et lui, on le défigure à un très jeune âge, on lui ouvre la bouche d’une oreille à l’autre. Et il devient l’homme qui rit. Ça devient une espèce de monstre de foire. Et il grandit comme ça accompagné de toute une troupe de gens avec qui il fait du cirque et il a ce visage défiguré, ce sourire permanent. Et après il apprend qu’il est de descendance royale donc on le kidnappe et on le remet au pouvoir, il se retrouve face à des responsabilités qui sont trop grandes pour lui. Enfin, ça se termine tragiquement. L’homme qui rit a inspiré un film dans les années 20 de Paul Leni. Un film de 1924 ou 25 (film de 1928 en réalité, ndlr) avec un acteur allemand qui s’appelait Conrad Veidt. Et ce film en 1925 est devenu un film culte aux États-Unis. C’est un film américain. Tout jeune, l’auteur de Batman (Bob Kane) a vu le film et il était tellement impressionné par le visage de Conrad Veidt qui reproduisait  les gravures qui accompagnaient le roman de Victor Hugo qu’il l’a noté dans un coin de sa tête. Et c’est à cause de ce film qu’il a eu l’idée du Joker. Donc on se dit, voilà, sans Victor Hugo, il n’y a pas Batman ou en tout cas le Joker. Et moi je trouve ça très intéressant. Je trouve plus intéressant de dire à un gamin que Victor Hugo c’est aussi bien que Batman plutôt que de lui dire que Katy Perry c’est aussi bien que Billie Holiday, parce que ce n’est pas vrai. Aujourd’hui, on a une tendance à négliger le passé en disant que finalement tout est cool dans la culture d’aujourd’hui, que tout se vaut, que tout est bien, que Lady Gaga c’est comme Barbara. Et du coup on expose tellement toute les références qui sont, je dirais, des références patrimoniales, dans un désir d’aller contre une espèce d’ordre établi qui serait une espèce d’ordre moral des choses.

RIHL 2010: La 40ème marche ne se loupe pas

Posté par Benjamin, le 11 décembre 2010

Écran Noir vous en a longuement parlé, mardi soir s’est tenu la Leçon de cinéma de Nicolas Saada (voir actualité du 7 décembre) au festival de Poitiers avec, en tant qu’acteur principal, Grégoire Leprince-Ringuet.

Inutile de dire que le TAP Cinéma affichait complet et que le festival et Nicolas Saada avaient parfaitement vendu leur affaire. L’alléchante idée de la reconstitution d’un tournage sur la scène du TAP, mais un tournage interactif où le public aura son rôle, a conquis son monde. Des caméras, un preneur de son, un chef op’, une maquilleuse, un réalisateur, deux acteurs, des figurants. Tout était là !

Alors la question est, Nicolas Saada a-t-il réussi son pari de réaliser 31 plans en 3 heures, sans ennuyer le public, en respectant les conditions réelles d’un tournage et en donnant une véritable leçon de cinéma ? La réponse est ou. Le spectacle fut au rendez-vous et Saada qui semblait comme un enfant, ainsi que toute son équipe très professionnelle, ont été très généreux avec le public. Leurs actions, leurs façons de faire étaient commentées, permettant aux spectateurs de comprendre l’enjeu de filmer la scène de tel ou tel point de vue.

Bien entendu, ce court métrage, intitulé pour l’occasion La 40ème marche, a été tourné de la façon la plus efficace qui soit. Le réalisateur a préféré l’efficacité à une certaine personnalisation de la scène. Difficile de faire autrement dans ce laps de temps et avec un décor aussi immuable que le théâtre de Poitiers.

Ce fut intéressant d’assister en tant que spectateur aux coulisses de ce tournage, d’observer les variations dans le jeu de Grégoire Leprince-Ringuet (très ludique!) et le rôle de chacun sur le plateau. mais surtout nous étions tous les acteurs d’un soir, participant au film, car le public fut bien entendu filmé.

Au final, l’expérience fut des plus vivantes. Certes, Nicolas Saada a dévié de la traditionnelle Leçon de cinéma, car plus qu’une leçon, c’était davantage un échange avec le public. Mais le public poitevin retiendra surement longtemps cette soirée à la fois bon enfant et enrichissante.