Quinzaine 50 : entretien avec Pierre-Henri Deleau – épisode 5, trouver les films

Posté par redaction, le 15 mai 2018

Héritière directe de ceux qui voulaient affranchir le cinéma de ses chaînes en 1968, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L'occasion d'une promenade à son image - en toute liberté, et forcément subjective - dans une histoire chargée de découvertes, d'audaces, d’enthousiasmes, de coups de maîtres et de films devenus incontournables.

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Maître d'oeuvre des trente premières éditions de la Quinzaine, Pierre-Henri Deleau est considéré comme «l'âme» de la Quinzaine, celui qui a su donner une identité à cette section marquée par son éclectisme et ses choix aventureux et un goût sur sur pour un cinéma audacieux, dénué du conservatisme qui plombait les premières années de la sélection officielle du Festival de Cannes.

Merci à lui pour le temps qu'il nous a accordé pour ce long entretien que nous dévoilons sous forme de feuilleton, sur plusieurs jours.

Pourriez-vous me donner des précisions sur vos accès aux films, notamment pour la première année ? Concernant les films de cinématographies balbutiantes notamment.

Pierre Kast était un grand voyageur. Il connaissait l'Amérique du sud par coeur, spécialement le Brésil et le Chili. Donc il me disait «il se passe des choses au Brésil». C'était l'explosion du Cinema Novo qu'on n'avait quasiment jamais vu en France. En tout cas, pas les grands, pas Saraceni, Gustavo Dahl, Joaquim Pedro de Andrade, Neville d'Almeida, Julio Bressane ou Ruy Guerra. Il y a avait des quotas et les salles devaient passer au moins 50 % de films brésiliens. Plus tard [dans les années 90] tout ça a été foutu en l'air par Fernando Affonso Collor de Mello quand il a été élu président. Depuis, 80 % des films à l'écran sont américains. Mais à l'époque, ils tournaient énormément ! Ça permettait à une industrie de vivre et soudain ce cinéma libre s'est développé sur le même principe grosso modo que les réalisateurs de la Nouvelle Vague. Ils ne pouvaient pas engager Jean Gabin ou Michèle Morgan et devaient travailler avec des gens qui n'étaient pas connus. D'abord ils n'osaient pas aller les voir, ensuite ils se disaient que ça allait coûter trop cher. Et donc ils ont tourné avec des acteurs devenus célèbres ensuite comme Belmondo, que personne ne connaissait, ou Emmanuelle Riva.

Quels étaient vos principaux obstacles avec certains pays ?

C'était compliqué avec les pays de l'est. À l'époque de la Roumanie de Ceaucescu, ils me montraient des films en espérant que je prenne ceci et moi je prenais cela. Un peu comme les soviétiques, ils laissaient sortir les films mais pas les réalisateurs. Lucian Pintilie dont j'ai pris le premier film n'a jamais pu venir mais le film, je l'ai eu. C'était La Reconstitution, formidable ! Lui a lu les critiques après mais en restant en Roumanie. Il ne sortira que longtemps après. En Hongrie, le cinéma était dirigé à l'époque par quelqu'un qui avait fait de la prison en tant qu'opposant politique. Curieusement, il adorait le cinéma et savait jusqu'où les metteurs en scène pouvaient aller trop loin. Alors il me faisait venir, me montrait des films et disait « si vous prenez celui-ci, va falloir que je ruse » mais il m'aidait. Il y a eu des couacs comme ça et j'en ai bénéficié. Système D, plus la chance.

La réussite de la Quinzaine est aussi due à ce facteur chance ?

Oui, d'un seul coup on a vu l'émergence de cinémas qui brisaient les cadenas d'un cinéma académique. Une émergence de quelque chose. La Quinzaine est née en même temps qu'un grand cinéma québécois. Pierre Perrault, Michel Brault, Gilles Carle, Claude Jutra, Jean-Pierre Lefevre… ils ont tous été à la quinzaine ! Je suis arrivé là bas comme le messie parce que les films canadiens ne sortaient pas en France. Les français disaient qu'on ne comprenait pas leur accent ! Souvent, je faisais sous-titrer 20 % en français quand ça sonnait trop québécois mais pas tout. Ce que j'ai fait pour Denys Arcand, ou pour Jean-Pierre Lefebvre. Au début, les québécois disaient «mais nous, on parle français, nom de dieu». Je leur répliquais : « bah tiens, moi je vais te parler ch'timi, tu vas voir si tu comprends ! ». Mais ça a aidé beaucoup, les sous-titres. Imaginez ce «petit pays» qu'est le Québec, cinq millions d'habitants à l'époque, qui produit la même année, ou en deux ans, cinq ou six grands metteurs en scène de classe internationale. Perrault, c'est un grand poète, Brault c'est du cinéma vérité extraordinaire, Gilles Carle c'est drôle comme tout. Et même les Suisses avaient du talent ! Vous vous rendez compte, j'ai ramené Francis Reusser, Alain Tanner, Michel Soutter avec leur premier ou deuxième film.

Le nouveau cinéma allemand est arrivé vite aussi ! Grâce à Volker Schlondorff qui avait été l'assistant de Louis Malle et fait des études en France juste après la guerre ! Quand la SRF s'est créée, entre fin mai et début septembre 1968, il est retourné en Allemagne et a regroupé autour de lui Alexander Kluge, Werner Herzog, Fassbinder ou Rudolf Thome. D'un seul coup, il y avait quelque chose qui commençait à Munich, pourtant la ville la plus réactionnaire d'Allemagne, dirigée par la CDU. Sans la Nouvelle Vague, ce n'est pas certain que le cinéma allemand aurait pu démarrer aussi vite. Ça leur a permis de s'organiser, de se regrouper et de faire comme nous.

J'avais senti qu'il y avait un frémissement en Afrique où je suis allé chercher les sénégalais Djibril Diop Membety (avec Touki Bouki) ou Ousmane Sembene. J'avais vu qu'il était romancier, j'avais lu des romans de lui d'ailleurs, et il fait des films que je ramène (Eccedo, Emitai…). Plus tard je suis remonté jusqu'au Burkina-Faso d'où j'ai ramené Idrissa Ouedraogo [Yaaba, 1989] et Gaston Kaboré [Buud-Yam, 1997]. L'Afrique était un continent qui n'avait quasiment jamais eu de film en compétition.

À partir de la deuxième année, j'ai ramené les chiliens, Raul Ruiz [Que faire ?,1972], Patricio Guzman [La Bataille du Chili, 1975 et 1976], Helvio Soto et compagnie. Personne ne les connaissait. Salpêtre sanglant de Soto [1970], ça se passe pendant la guerre qui opposait le Chili d'un côté à la Bolivie et au Pérou de l'autre. Le Chili a foutu une raclée aux deux pays, si bien que la Bolivie a perdu son débouché sur l'océan pacifique. C'est la guerre pour le salpêtre, le sel, provoqué par les anglais. C'est un film d'une beauté incroyable. Pierre Kast était allé au Chili et me l'avait conseillé. Ça se passait avant Allende, sous un gouvernement de centre droit. Le Chili était le seul pays d'Amérique latine où il n'y avait jamais eu de coup d'état avec le Costa Rica. Après l'avoir sélectionné, je reçois une lettre de Helvio Soto en français qui me dit qu'il viendra à Cannes. Puis, plus de nouvelles. On lui envoie des messages mais il ne répond plus. Mais on reçoit le film que je programme en deuxième partie de festival.

Deux jours avant la projection, je vois arriver un type avec un nœud papillon à la Malmaison. Il me dit : «c'est moi, Helvio Soto !». «Vous sortez d'où ?», je lui demande. Il me répond qu'il ne prend pas l'avion car il a peur, il est claustrophobe. Alors il a pris sa voiture, traversé la Cordillère des Andes, pris un bateau à Mar de Plata, est arrivé à Marseille et de là, il a pris le train ! On montre le film et immédiatement, un distributeur allemand va voir Soto et lui propose d'acheter le film pour 30 000 dollars pour l'exploiter en Allemagne. Soto vient me voir, pour me demander ce qu'il doit faire, car il craignait de se faire rouler. Je lui dis de signer tout de suite ! Il est payé rubis sur l'ongle et il s'achète une voiture d'occasion. Comme il n'était jamais venu en France, il décide de rentrer en prenant le chemin des écoliers et visite la France avec son épouse, en passant par Paris. J'étais très surpris qu'il parlât un français admirable, qu'il a appris au lycée. Il me raconte une anecdote formidable vécue à douze ans, lors de la signature de l'armistice par Pétain. Avec le décalage horaire, il était cinq heures du matin au Chili. Les cloches du collège ont sonné, tout le monde a été convoqué dans la cour. Le directeur leur a tenu un discours où il disait qu'un pan de la civilisation venait de s'écrouler avec la capitulation de la France. Coup de marteau. Toutes les cloches du Chili, du nord au sud, sur douze mille kilomètres, sonnaient le glas. Imaginez ce que ça veut dire de l'image de la France à l'étranger à l'époque ? Ça l'avait marqué. Lorsqu'Allende est élu président, il est nommé directeur de la télévision chilienne.

Un an plus tard, il coproduit un film de Costa Gavras, État de siège, situé en Uruguay, où il parle des Tupamaros [les rebelles d'extrême gauche du Mouvement de libération nationale]. Les militaires étaient encore au pouvoir et il n'était évidemment pas question de tourner là-bas. Soto lui dit : «qu'à cela ne tienne, moi je te file l'armée chilienne pour faire l'armée uruguayenne dans ton film». Donc Costa les dirigeait en disant des choses comme « mon général, le char, 20 mètres à gauche » et le général en question, c'était Pinochet ! Et c'était peu avant le coup d'état. Au moment du coup d'état, Helvio était en France pour présenter un nouveau film, Vote plus fusil, je crois. Allende est renversé. Heureusement qu'il était là, il aurait été mis à mort là-bas. Il n'est pas rentré. Son fils, capitaine dans l'armée chilienne, a déserté à ce moment là et il est venu en France. Les réalisateurs chiliens se sont tous barrés de leur pays.

Comment faisiez-vous la sélection des courts-métrages ? En détaillant l'histoire de la Quinzaine, on constate que certaines années, il y en a beaucoup mais que, petit à petit, ça a diminué.

Ça a diminué parce qu'à Cannes, le court-métrage, ça ne marche pas. C'est un alibi, pour montrer des cartes de visites de futurs réalisateurs. Cannes n'est pas le lieu pour ça. Les gens ne viennent pas pour ça. À mon avis, la place du court-métrage est à Clermont-Ferrand. Le reste c'est de la poésie, même si ça m'est arrivé d'avoir des coups de coeur lorsque j'en prenais. Critiques et acheteurs viennent pour les longs-métrages, Cannes, ce n'est pas le lieu pour ça, honnêtement.

Propos recueillis par Pascal Le Duff de Critique-Film

Quinzaine 50 : entretien avec Pierre-Henri Deleau – épisode 4, amitiés et coups de coeur

Posté par redaction, le 14 mai 2018

Héritière directe de ceux qui voulaient affranchir le cinéma de ses chaînes en 1968, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L'occasion d'une promenade à son image - en toute liberté, et forcément subjective - dans une histoire chargée de découvertes, d'audaces, d’enthousiasmes, de coups de maîtres et de films devenus incontournables.

En partenariat avec Critique-Film. Retrouvez tout le dossier ici.

Maître d'oeuvre des trente premières éditions de la Quinzaine, Pierre-Henri Deleau est considéré comme «l'âme» de la Quinzaine, celui qui a su donner une identité à cette section marquée par son éclectisme et ses choix aventureux et un goût sur sur pour un cinéma audacieux, dénué du conservatisme qui plombait les premières années de la sélection officielle du Festival de Cannes.

Merci à lui pour le temps qu'il nous a accordé pour ce long entretien que nous dévoilons sous forme de feuilleton, sur plusieurs jours.

Vous avez noué des liens particuliers avec certains cinéastes ?

Oui, avec Nagisa Oshima, Werner Herzog, les frères Taviani, Nelson Pereira Dos Santos, Jacques Godbout ou Jean-Pierre Lefebvre que je revois encore car je vais beaucoup à Montréal. Et Jean-Claude Lauzon jusqu'à ce qu'il se tue en avion. J'avais pris son film Un Zoo, la nuit pour l'ouverture de la Quinzaine [en 1987]. Deux ou trois ans après, je suis à Montréal. Il vient me chercher à mon hôtel en Harley-Davidson et on se rend près d'un petit lac. On prend son avion qu'il pilotait lui-même et il m'emmène dans sa «cabane au Canada», à 800 kilomètres de Montréal. Dans la cabane, il y a un tapis à clous au sol, comme pour un fakir sur un marché persan ! Il m'explique avoir trouvé un jour un ours dans sa cuisine, en train de chercher des confitures ! Cette nuit-là, il me raconte Leolo. Deux versions, l'une dure, l'autre moins. Il me disait «j'aime bien qu'on m'aime bien, alors si je fais cette scène comme ça, les gens vont pas aimer car ce que je montre, c'est trop dur !». Ça a duré toute la nuit, et j'ai écouté ses deux versions. Le lendemain, il me dépose à l'hôtel et je lui demande « Le truc, là, que vous m'avez raconté, vous l'avez écrit ?». «Non, tout est là dans ma tête». Je lui demande combien de temps il faut pour l'écrire, il me répond une semaine. Je luis dis : «Envoyez moi la version hard comme vous dites, parce que si vous m'envoyez la version soft, je ne vous parlerai plus». Il me l'envoie, je trouve ça formidable. Il me rappelle deux, trois mois après pour me dire qu'il ne trouve pas l'argent. Un producteur à Toronto veut finalement le faire, mais en anglais. Je lui dis qu'il ne peut pas faire ça. «Un Zoo, la nuit, c'était un hommage à votre père ? Et là, Leolo, c'est quasiment un hommage à votre mère ? C'est une amérindienne, oui ? Elle parle anglais, votre mère ? Il me dit « salaud » ! ». J'ai su alors qu'il ne le ferait plus en anglais !

Je suis allé voir Jean-François Lepetit et lui ai donné le scénario en lui disant « tiens, produis ça, tu auras l'avance sur recettes, le marché européen et tu seras en compétition à Cannes». Et effectivement, c'est ce qui s'est passé ! Mais il n'a rien eu, c'est scandaleux ! Lauzon était déçu, il espérait quelque chose mais n'a pas été rappelé pour la cérémonie de clôture. Il y croyait car Gérard Depardieu, président cette année là, était en pleurs à la sortie, lui disant, sortant de sa réserve, que c'est un chef d'oeuvre. Lauzon est s'enferme au Carlton et nous on fêtait la fin de la Quinzaine. Mes assistants avaient engagé une fanfare pour se foutre de moi, alors j'ai utilisé cette fanfare pour une aubade sous ses fenêtres. Ensuite, je l'ai ramené à la plage pour un banquet, tel des gaulois sous la tente, et je lui ai décerné une fausse palme d'or confectionnée à toute blinde. Il aurait du avoir un prix car quand on revoit ce film aujourd'hui, c'est d'une beauté impérissable. D'une violence, et d'une tendresse aussi. C'est un superbe film ! Deux ans après, Jean-Claude se tuait en avion, avec la plus grande star de la télévision québécoise, Marie Soleil, jolie comme tout, qui faisait des émissions de variétés populaires. Et voilà, il n'aura tourné que deux longs-métrages et deux courts.

Quels ont été vos grands coups de coeur côté metteurs en scène ou films ?

Allonsenfan des Taviani, Mémoires de prison de Nelson Pereira Dos Santos, Un Zoo la nuit de Jean-Claude Lauzon, Aguirre… Ce sont des films qui m'ont marqué. Le voyage des comédiens aussi. J'ai une anecdote avec Théo Angeloupos. J'avais déjà montré Jours de 36, son premier film de fin d'études [en 1973] et puis je l'invite à nouveau pour Le Voyage des comédiens [en 1975]. Ça durait trois plombes et demi. On s'est dit, ça ne va pas bien se passer, ça va être long, long, long. Pas du tout ! Le film se termine, quelques personnes sortent, un dizaine, pas plus, dans une salle qui faisait 500 places. Les gens se mettent à applaudir. On voit soudain s'approcher quelqu'un qui marchait comme un militaire et fonce droit sur Angelopoulos qui recule mais se retrouve coincé contre le mur, incapable de reculer. Là le type se met à genoux et lui embrasse les godasses, sans dire un mot puis ressort. Angelopoulos me demande, mais c'est qui ce fou ? Je lui réponds, «ce n'est pas un fou, c'est un génie, c'est Werner Herzog !» Le lendemain, Werner me dit, «écoute, j'étais tellement stupéfait par le film, que je ne savais pas quoi dire, je ne pouvais que lui rendre cet hommage !» C'est resté gravé dans la mémoire d'Angelopoulos ! On ne lui a jamais fait ce coup là ! Et ça a été un triomphe, pas prévu d'ailleurs !

La Quinzaine vous a permis de voyager aussi ?

Comme je commençais à voyager pour trouver des films, j'en profitais pour faire du tourisme. Je vais vous donner un exemple très précis. Valery Larbaud, l'auteur de Fermina Márquez [1911], parlait du temple de Borobudur. Je suis allé là-bas pour aller voir ce temple et après, comme j'étais sur place, j'ai demandé «vous ne faites pas des films par hasard ?». Et ça a été la même chose pour la Thaïlande que je voulais découvrir et j'ai demandé au conseiller culturel de l'Ambassade de France de me recommander des films thaïlandais. Il fallait bien que je justifie mes écarts de voyage… Il me dit que c'est le cinéma le plus nul d'Asie. Et là je me suis rappelé que la Thaïlande c'est le Siam, qu'il y avait eu des relations entre Louis XIV et le royaume de Siam. Je me suis dit, je ne vais pas me faire chier et je vais appeler la cour. On m'a passé le chef du protocole. Il me dit qu'il a fait ses études à Grenoble et que je suis bien le premier français à venir voir des films thaïlandais ! Il m'en a montré une quarantaine, j'ai cru que j'allais mourir mais j'en ai ramené un, formidable.

Il y a des cinéastes qui vous enthousiasmé et déçu ensuite ?

Oui, ça arrive. Les derniers films de Godard, c'est pas les dix premiers. Faut dire la vérité. Celui qui aime son King Lear, il est spécial !

Propos recueillis par Pascal Le Duff de Critique-Film

Quinzaine 50 : entretien avec Pierre-Henri Deleau – épisode 3, la sélection officielle

Posté par redaction, le 11 mai 2018

Héritière directe de ceux qui voulaient affranchir le cinéma de ses chaînes en 1968, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L'occasion d'une promenade à son image - en toute liberté, et forcément subjective - dans une histoire chargée de découvertes, d'audaces, d’enthousiasmes, de coups de maîtres et de films devenus incontournables.

En partenariat avec Critique-Film. Retrouvez tout le dossier ici.

Maître d'oeuvre des trente premières éditions de la Quinzaine, Pierre-Henri Deleau est considéré comme «l'âme» de la Quinzaine, celui qui a su donner une identité à cette section marquée par son éclectisme et ses choix aventureux et un goût sur sur pour un cinéma audacieux, dénué du conservatisme qui plombait les premières années de la sélection officielle du Festival de Cannes.

Merci à lui pour le temps qu'il nous a accordé pour ce long entretien que nous dévoilons sous forme de feuilleton, sur plusieurs jours.

L'arrivée de la quinzaine a permis de faire rapidement évoluer la programmation de la sélection officielle ?

Non, ça a bien pris trois ou quatre ans pour voir les premiers effets. J'ai montré quatre films de Werner Herzog avant le triomphe de Aguirre. On savait alors que le prochain serait en compétition s'il y en avait un ! J'ai montré cinq films de Nagisa Oshima jusqu'à ce que L'Empire des sens soit un tel succès que l'année d'après, il s'est retrouvé en compétition avec L'empire de la passion.

Avec le temps, ça a évolué et d'un seul coup le festival a pris conscience qu'il aurait dû accepter les réformes qu'on demandait ! Car aujourd'hui, il les a acceptées ! On leur disait de ne pas se laisser imposer les films par les pays ! Forcément il y a toujours des vétos des gouvernements ! On avait bien vu qu'il avait fallu retirer Viridiana sur protestation de l'Espagne. Choisissez vous-même, prenez votre liberté ! Et puis assumez ! À l'époque on disait l'URSS présente… Aujourd'hui, c'est c'est «le festival présente». C'est toute la différence, elle est énorme. Parce qu'on PEUT refuser. Et puis le festival était affolé parce que quand ils ne prenaient pas un film brésilien pendant deux ou trois ans par exemple, ils se disaient que les brésiliens n'achèteraient plus de films français. Les producteurs français leur disaient «débrouillez-vous mais prenez-en un» ! Les sections parallèles ont été créées aussi pour changer ça.

Maurice Bessy a été nommé par Robert Favre Le Bret qui, de délégué est devenu président parce qu'il était fatigué et que sa santé n'était plus très bonne. Bessy avait dirigé la revue Cinémonde et s'est dit, ce n'est pas possible, il y a trop de papiers sur la quinzaine, genre c'est lui qui invitait les journalistes et moi qui les détournais pour couvrir la quinzaine. Ça les foutait dans des rages absolument épouvantables ! La Quinzaine, c'est un coucou qui a fait ses nids dans les branches d'un arbre qui existait avant. Bessy a eu l'idée non pas de créer une section mais trois sections pour couler la quinzaine. Il a créé Les Yeux Fertiles (consacré à des œuvres dites théâtrales), Le Passé Composé (des œuvres d'histoire) et Un Certain Regard, mais moi je n'ai jamais compris les distinctions. Le résultat des courses c'est qu'il a absorbé trente ou quarante films sur les trois sections, tout ça pour m'assécher. Puis, il a été viré, Gilles Jacob est arrivé et il a tout regroupé en une seule section, Un Certain Regard que j'appelais au début, en me marrant, «Incertain Regard»,  c'est facile ! Ça ne lui faisait pas vraiment plaisir, je crois ! Et puis il a eu l'idée de rajouter la mention sélection officielle, c'est l'antichambre de la compétition, soi-disant. En vérité, ça servait de capsule de décompression diplomatique. Quand Bessy ne prenait pas en compétition un film soviétique, il en mettait un dans une des trois sections, en leur disant qu'ils étaient quand même à Cannes. Quand Gilles Jacob est arrivé, les choses ont changé. Lui avait du goût quand même. Je savais que dès qu'un premier film aurait du succès, le deuxième du même réalisateur serait en compétition. C'est ce qui est arrivé avec Spike Lee ou Jim Jarmusch, par exemple.

J'ai toujours dit premier servi, la compétition. Je vois en Allemagne Au fil du temps de Wim Wenders, je suis tellement bouleversé que je lui envoie une belle lettre pour lui dire que je le prends à la Quinzaine. Trois semaines après, il me dit qu'il est pris en compétition. Je trouve ça bien. Tant mieux, le film a marché. Mais par contre, dès que c'était pour Un Certain Regard ou une autre section parallèle, là, pour moi, chacun est à égalité. Évidemment ça ne plaisait pas à Jacob donc il faisait des pressions. Moi je considérais que c'était des sections marginales, même UCR. Qu'on l'ait baptisée officielle ne veut rien dire pour moi. Et donc là c'était coup pour coup, au plus malin. Des fois je prenais l'avion, je passais deux heures à convaincre de me donner le film que je visais. Des fois ça marchait, des fois ça ne marchait pas. Très vite aussi, les producteurs et les distributeurs faisaient du chantage. Paulo Branco qui faisait trois, quatre films par an, avait un Manoel de Oliveira et disait si tu prends un deuxième film (Monteiro par exemple) à la Quinzaine, je ne mettrai pas le Oliveira en compétition. Le Val Abraham a fait un triomphe chez nous et ensuite Oliveira était pris automatiquement à l'officielle.

J'ai montré deux films des frères Taviani : Saint Michel avait un coq et Allonsanfan. Je vais les voir pour un troisième, j'étais devenu très ami avec eux, et ils me montrent leur nouveau film mais me disent «écoute on te le montre, mais on ne te le donnera pas». Je leur demande pourquoi et me disent qu'il sera en compétition à Cannes. Le festival ne l'a pas vu encore, je suis le premier à le voir (c'est eux qui me l'ont dit). Ils me disent «oui, mais on est sur qu'il le prendra». Maurice Bessy  a donc pris Padre, Padrone. Il aurait pu être ridicule s'il ne l'avait pas pris ! Il faut comprendre quelque chose. Au fur et à mesure que la critique a commencé à suivre la Quinzaine, d'un seul coup elle disait « ah j'ai vu un truc formidable à la Quinzaine, pourquoi il n'était pas en compétition, alors qu'hier j'ai vu en compétition un truc qui n'était pas bien». C'était insupportable pour le festival, du poil à gratter et ils pouvaient avoir l'air ridicules.

Imaginons un film refusé par la compétition puis par moi, par exemple. Il se retrouve ensuite à Venise. Personne ne saura qu'il a été refusé à Cannes, ils ne vont pas le dire. Moi, on n'a jamais su quand j'étais ridicule. Je savais ce qu'ils avaient loupé mais eux n'ont jamais su ce que j'ai loupé. Moi je le sais par contre ce que j'ai loupé ! Quand on a voulu me faire un hommage pour les trente ans de la quinzaine, j'ai dit « oui, d'accord, mais je prends tous les films que j'ai voulu avoir et que je n'ai pas pu avoir, et puis ceux que j'ai ratés. Comme ça, je complète mes trente ans. Ils n'ont pas voulu. Ce qu'ils voulaient c'était montrer les succès de la Quinzaine. Du coup, je ne l'ai pas fait, l'hommage je n'en ai rien à foutre. Ce qui m'intéresse, c'est de combler et de comprendre pourquoi j'ai raté tel film à ce moment là alors que je l'avais vu mais pas pris. Je ne parle pas de ceux que j'ai pris et que je n'aurais pas du prendre. Ça, il faut les assumer une fois que vous les avez pris. Mais j'aurais trouvé rigolo de compléter, quoi.

Qu'avez-vous raté par exemple ?

Le film de Wim Wenders, Alice dans les villes, je l'ai vu mais je ne l'ai pas pris. Et je m'en suis beaucoup voulu. Après coup. Mais trop tard. Ce n'est pas une science, vous savez, donc il faut un réseau de correspondants et essayer d'avoir un peu de goût. Le goût, ce n'est pas un truc qui se mesure, il n'y a pas de règles. Vous l'avez ou vous ne l'avez pas. Moi j'étais un fou de cinéma et dès que j'aimais quelque chose, je le prenais. Je disais toujours aux réalisateurs – je ne m'adressais qu'à eux, pas aux producteurs ou à peine – donnez-moi votre film, puisque je veux en parler, le faire partager à mes amis. Je n'ai jamais pris des films que je n'aimais pas.

Jamais vous ne vous êtes dit «je n'aime pas vraiment ce film, mais je lui trouve de l'intérêt et donc je le programme ?»

Non, jamais. Je ne suis pas critique. Quand je refusais un film, je ne faisais aucun retour critique, ni négatif ni positif. Je disais «je n'aime pas assez, donc je ne prends pas. Il y a d'autres festivals, essayez avec eux». Mais quand j'aimais beaucoup, je téléphonais dix fois s'il fallait. Les réalisateurs étaient sensibles au fait que je leur parle de leurs films. Des producteurs de la race des Pierre Braunberger ou Anatole Dauman produisaient des films pas uniquement en espérant ne pas perdre d'argent mais aussi par amour du cinéma. Ils me faisaient une confiance absolue car je défendais leurs films.

Avec le temps, le processus de sélection a évolué ? Vous restiez sur l'idée de ne prendre que des films que vous aimiez ou vous faisiez attention à l'équilibre des origines géographiques ?

On ne décide pas d'une ligne éditoriale. Elle s'impose à vous. Les films, les sujets, c'est l'air du temps. Le dosage, du genre il faut que j'ai tant d'asiatiques ou d'africains, ça ne m'intéressait pas. Je n'ai jamais fait attention à ça. Je n'ai toujours pris que des films que j'aimais et que je pouvais défendre. De ce point de vue là, je n'ai jamais été diplomate. J'allais dans un pays, je me tapais vingt, trente films, je les regroupais à Munich, à Vienne, à Rome et je ne prenais que ce que j'aimais. À partir du moment où vous essayez d'être prudent, ce n'est pas bien. Ce n'est pas comme ça que ça doit se faire.

Propos recueillis par Pascal Le Duff de Critique-Film

Quinzaine 50 : entretien avec Pierre-Henri Deleau – épisode 2, la première année

Posté par redaction, le 10 mai 2018

Héritière directe de ceux qui voulaient affranchir le cinéma de ses chaînes en 1968, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L'occasion d'une promenade à son image - en toute liberté, et forcément subjective - dans une histoire chargée de découvertes, d'audaces, d’enthousiasmes, de coups de maîtres et de films devenus incontournables.

En partenariat avec Critique-Film. Retrouvez tout le dossier ici.

Maître d'oeuvre des trente premières éditions de la Quinzaine, Pierre-Henri Deleau est considéré comme «l'âme» de la Quinzaine, celui qui a su donner une identité à cette section marquée par son éclectisme et ses choix aventureux et un goût sur sur pour un cinéma audacieux, dénué du conservatisme qui plombait les premières années de la sélection officielle du Festival de Cannes.

Merci à lui pour le temps qu'il nous a accordé pour ce long entretien que nous dévoilons sous forme de feuilleton, sur plusieurs jours.

Vous souvenez-vous de tous les films de la première année ?

Oui, et il y a à boire et à manger. Il y a deux ou trois trucs que j'ai pris parce que c'était dans l'air du temps. Dans mon souvenir, Acéphale a très mal vieilli, c'était déjà maladroit à l'époque mais plutôt sympa quand même. C'est un film du groupe Zanzibar [dont faisait également partie Philippe Garrel ou Pierre Clémenti]. D'autres ont été des vrais chocs et ça a été ça, l'impact de la Quinzaine. Les choix étaient si conventionnels en sélection officielle ! Il n'y avait que la Semaine de la Critique comme section originale avec sept premiers ou deuxièmes sur quinze jours. À côté, il n'y avait que la compétition et rien d'autre. À l'époque, les pays désignaient les films qui allaient en compétition. Il y avait des rapports de force diplomatiques ou politiques. Pas question de ne pas prendre tous les ans ou tous les deux ans un film soviétique et à défaut, au moins un film issu du bloc de l'Est. Et ils nous envoyaient Sergueï Bondartchouk [NDLR : son Guerre et Paix est d'ailleurs programmé à Cannes classics cette année] ou Sergueï Guerassimov. Et pas Otar Iosseliani alors qu'il avait déjà commencé à tourner et que la Géorgie faisait partie du bloc soviétique. Non, pas l'avant-garde, pas ce qui était vivant, mais des films académiques. Pour les films français, c'était un comité soi-disant, mais en réalité c'était Edmond Tenoudji, un producteur qui avait créé la Fédération Internationale des producteurs de films qui envoyait Les Feux de la Chandeleur qu'il avait produit pour représenter la France en compétition. On facilitait les copains !

Malgré le nombre de films présentés la première année, avez-vous quand même effectué un travail de défrichage ?

J'avais remarqué une chose, d'une certaine manière c'est Henri Langlois qui m'avait appris ça, il vaut mieux qu'un film soit recommandé par un créateur que par la critique. Je m'explique : lorsqu'on demandait à Picasso ce qu'il pensait de beaucoup de peintres, souvent il ne disait rien. «Mais Matisse alors là… même moi je n'arriverais pas à le faire !» C'est le plus beau compliment qu'il puisse lui faire. Quand un artiste est quasiment jaloux de l'autre. Donc j'ai commencé à téléphoner à tous les réalisateurs connus et on avait un carnet d'adresses formidable grâce à l'affaire Henri Langlois. Les metteurs en scène s'étaient mobilisés pour le défendre quand il a été viré. J'avais gardé leurs numéros et j'appelais en demandant ce qui se passe d'intéressant, s'ils avaient des trucs à recommander. Et quand on me signalait quelque chose, j'essayais de les faire venir et voilà ! La qualité d'un festival dépend de son réseau d'espionnage en amont, si j'ose dire, ou de correspondants. Ensuite, vous faites vos voyages en fonction de ce qu'ils vous disent. Ça vaut la peine d'y aller et d'en voir beaucoup. La deuxième année, je suis allé en Allemagne avec Alain Cavalier à Munich. Et j'ai ramené Werner Schroeter, Werner Herzog, Fassbinder…

Fassbinder n'avait jamais été montré en France ?

Jamais. La première quinzaine, j'ai montré deux films d'Oshima. Personne ne le connaissait non plus. Personne. Tout le monde connaissait Akira Kurosawa, mais il avait 20 ans de plus. On ne s'était pas aperçu qu'il y avait un nouveau cinéma japonais qui commençait avec quand même un très grand. J'ai ramené Susan Sontag parce que mes copains m'ont dit que son premier film est formidable. J'avais rencontré un producteur québécois, copain et coproducteur d'Oshima au Japon. Il m'a parlé de lui mais aussi de Carmelo Bene, un copain à lui dont j'ai pris deux films, Notre-Dame-Des-Turcs et Capricci. C'était l'enfant terrible du théâtre, un metteur en scène provocateur, qui s'emparait de Shakespeare et le mettait en scène de façon moderne. Il scandalisait tout le monde ! Quand j'ai vu les deux films, c'était quelque chose de nouveau, ni du théâtre ni du cinéma, mais quelque chose entre les deux qui se voulait une sorte d'art total.

Comme j'avais été une fois déjà à New-York, Langlois avait dit « vous savez, je vous conseille d'aller voir Jonas Mekas ». Je suis allé le voir, il tenait une sorte de cinémathèque à New-York et j'ai découvert grâce à lui le cinéma underground et expérimental. J'ai ramené Stan Brakhage, Gregory Markopoulos et d'autres encore.

Werner Herzog me dit un jour : «Pierre-Henri, je viens de voir 40 minutes d'un film sur la table de montage, je pense que ça va être très bien, essayez de le voir et prenez le !». Je vois le film, aux Etats-Unis, et Werner avait raison. C'est formidable et je le prends. Mais le distributeur américain, la Warner, s'y oppose car c'était un film de science-fiction, et la science-fiction ça marchait pas. Alors j'ai appelé le producteur, et c'était Francis Ford Coppola. C'était THX 1138 de George Lucas ! Il m'a dit je vous le donne, et il était fier !

Avoir beaucoup de films la première année a été une chance pour montrer un large éventail de cinéastes sans vous sentir limité ?

Ça a fait un choc et ce qui s'est passé. Je n'avais jamais été à Cannes, je ne connaissais pas le festival, je ne savais même pas qu'il y avait des dossiers de presse. Les deux premiers films que j'ai annoncés étaient bloqués en douane. Je ne savais pas qu'il fallait souscrire des D18, pour une admission temporaire. Même si Cannes bénéficiait d'un statut d'extra territorialité en termes de censure, il fallait quand même que les films puissent rentrer. Les deux premiers que j'ai annoncés n'étaient pas là. La veille au soir, Fausto Canell, dont j'avais pris un court-métrage (Hemingway) est arrivé avec deux copies de films, recommandés par le conseiller à l'Ambassade de Cuba. J'ai remplacé les deux films bloqués par deux chefs d'oeuvre. [voir le texte sur la première année].

C'est arrivé souvent ce genre de hasard, des films que vous pensez avoir et que finalement vous n'avez pas eu et des choses qui sont arrivées un peu à la dernière minute ?

Beaucoup de choses sont arrivées à la dernière minute. Une fois même le festival avait déjà commencé. Hugo Santiago est arrivé avec la copie de son film, Invasion. Il connaissait la France, avait fait des études de musique au conservatoire de Rome et était francophile à mort. Son film, un chef d'oeuvre absolu, était écrit par Jorge Luis Borges, Adolfo Bioy Casares, rien de moins. On loue une salle de cinéma et il nous le montre à minuit. On lui a dit aussitôt qu'on l'intégrait ! Un cadeau du ciel !

Vous faisiez comment pour visionner les films ?

Je les voyais au cinéma Le Ranelagh le matin ou dans des salles de projection au Club 70 rue Lauriston ou plus tard au 33 des Champs Elysées dans la même salle de projection qu'utilisait l'officielle ! Ce qui me permettait de surveiller tout le monde et de voir tous les films qu'ils voyaient !

Avec le temps le processus de sélection a évolué ? Vous restiez sur l'idée de prendre que des films que vous aimiez ? Vous faisiez attention à l'équilibre des origines ?

On ne décide pas d'une ligné éditoriale. Elle s'impose à vous. Les films, les sujets, c'est l'air du temps. Le dosage, il faut que j'ai tant d'asiatiques ou d'africains, ça ne m'intéressait pas. Je n'ai jamais fait attention à ça. Je découvrais après, bon ben voilà. Je n'ai toujours pris que des films que j'aimais parce que je pouvais les défendre. De ce point de vue là, je n'ai jamais été diplomate. J'allais dans un pays, je me tapais vingt, trente films, je les regroupais à Munich, à Vienne, à Rome mais je ne prenais que ce que j'aimais. À partir du moment où vous essayez d'être prudent, c'est pas bien. Ce n'est pas comme ça que ça doit se faire.

Propos recueillis par Pascal Le Duff de Critique-Film

Quinzaine 50 : entretien avec Edouard Waintrop, délégué général

Posté par redaction, le 9 mai 2018

Héritière directe de ceux qui voulaient affranchir le cinéma de ses chaînes en 1968, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L'occasion d'une promenade à son image - en toute liberté, et forcément subjective - dans une histoire chargée de découvertes, d'audaces, d’enthousiasmes, de coups de maîtres et de films devenus incontournables.

En partenariat avec Critique-Film. Retrouvez tout le dossier ici.

À l'occasion de l'anniversaire de la Quinzaine des Réalisateurs, rencontre avec son délégué général, Edouard Waintrop, qui quittera ses fonctions après sa septième édition en tant que sélectionneur. Merci à lui pour cet entretien.

Quelle image aviez-vous de la Quinzaine avant d'en devenir le sélectionneur ?

Avant tout celle des premières années. Je me suis intéressé au cinéma à l'adolescence alors que la Quinzaine naissait. Du coup j'ai découvert La Première charge à la machette de Manuel Octavio Gomez, le film d'ouverture de cette première édition, sorti à Paris quelques semaines après son passage à Cannes. Les cinq premières années, celles dont parle le livre de Bruno Icher [La Quinzaine des réalisateurs - Les jeunes années 1967-1975], je les ai vécues pleinement comme cinéphile. J'avais un attachement sentimental très fort à la Quinzaine. C'était ma maison. En tout cas, c'est là où j'ai été formé.

À l'époque c'était simple, il y avait plein de nouveaux noms qui apparaissaient. J'ai été élevé à Ford, Hawks et consorts. Et tout d'un coup, on découvrait Glauber Rocha, Paulo Cezar Saraceni, Nelson Pereira dos Santos, Marco Bellochio avec Les Mains dans les poches, Alain Tanner avec Charles mort ou vif [Semaine de la Critique en 1969] puis avec La Salamandre, Ken Loach très vite aussi avec Kes et Family Life, Werner Herzog, Werner Schroeter, c'était impressionnant, Zanussi chez les polonais encore… On découvrait des nouveaux cinéastes tout le temps, tout le temps ! On voyait bien que les choses bougeaient. Le mouvement était général. Il y avait une effervescence dans le cinéma, mais aussi dans la politique et dans le monde en général. La quinzaine a chevauché ces deux effervescences.

Bruno Icher évoque dans son livre la façon dont les choses se sont mises en place, des fois n'importe comment. À la fin quand même le résultat fut positif. Ça a réussi à se faire alors que ça n'aurait pas du marcher, grâce à un élan incroyable qui n'existe plus aujourd'hui. Et ce n'est pas de notre faute seulement. C'est la réalité de la société qui a encore beaucoup plus séparé les gens. Le cinéma n'a plus l'importance en 2018 qu'il avait en 1969. À l'époque je me souviens, quand on allait au cinéma, c'était un acte presque militant. Quand on allait voir un film de Glauber Rocha, c'était aussi pour changer le monde.

D'autres films de cette période vous ont marqué ?

Lucia de Humberto Solas, Wanda de Barbara Loden, THX 11 38 de George Lucas, Mean Streets de Martin Scorsese, Aguirre la colère de Dieu de Werner Herzog, La Pendaison de Nagisa Oshima… C'est ce cinéma-là qui m'a complètement formé entre 69 et 75. Je suis allé pour la première fois en 1976 au Festival de Cannes. J'ai suivi la Quinzaine mais aussi des films de la compétition que j'aime beaucoup dont Au fil du temps de Wim Wenders avec Rudiger Vogler et Hanns Zischler. Le film m'avait d'autant plus impressionné qu'à l'époque j'étais encore un peu germanophone. J'avais fait allemand en première langue. La problématique de la séparation de l'Allemagne en deux était pour moi très forte, donc cette histoire de «camion cinéma» qui suit la ligne de frontière entre les deux Allemagne, j'ai trouvé ça très beau, très triste. J'aimais vraiment beaucoup ce film. Mais celui qui m'a le plus estomaqué, c'est quand même Taxi Driver qui a eu la Palme. Mais le fond pour moi, c'était la Quinzaine.

Vous pouvez évoquer le moment où vous avez candidaté au poste de délégué général ? Quelle vision vouliez-vous donner de la Quinzaine et est-ce que cela a évolué ?

Mon idée à l'époque était de faire de la Quinzaine le rendez-vous de tous les cinéastes et de retrouver l'âme des premières quinzaines. Ça s'est révélé totalement impossible ! À ce niveau là, j'ai abdiqué. Sur le reste, je fais béatement confiance à mon goût et à mon équipe. Je n'ai pris que des gens qui n'avaient ni la même éducation ni les mêmes goûts que moi - pour ce que j'en savais - et n'étaient pas de la même génération. Je pensais que de ce frottement de silex contraires naîtrait une étincelle et qu'on ferait des bonnes sélections. Je ne connaissais absolument pas les trois quarts d'entre eux et ça s'est très bien passé pendant sept ans. Je suis quand même assez sûr de moi, même de mes erreurs - car ça fait partie de la vie - pour des fois n'en faire qu'à ma tête. Mais toujours en les écoutant. La seule chose qui m'intéresse, c'est d'entendre l'avis des autres, surtout ceux avec lesquels je ne suis pas d'accord. Moi je suis plutôt de gauche et anarchisant, mais j'adore lire Le Figaro. Ça ne m'intéresse pas de lire des gens qui ont les mêmes avis que moi, les expriment mal et ensuite ne m'apportent rien parce qu'on est d'accord. Je lis un journal pour me faire réfléchir donc il vaut mieux que ce soit des avis que je ne partage pas.

Avec vos équipes, même si vous disiez assumer vos choix et vos erreurs, ils vous ont aussi poussé à accepter certains films ?

Oui, bien sur, sans ça, il n'y a pas de jeu. Ils m'ont convaincu, des fois sur des films importants. Et sur lesquels j'avais des réserves et qui se sont révélés être de gros succès.

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Quinzaine 50 : entretien avec Pierre-Henri Deleau – épisode 1, les débuts

Posté par MpM, le 9 mai 2018

Héritière directe de ceux qui voulaient affranchir le cinéma de ses chaînes en 1968, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L'occasion d'une promenade à son image - en toute liberté, et forcément subjective - dans une histoire chargée de découvertes, d'audaces, d’enthousiasmes, de coups de maîtres et de films devenus incontournables.

En partenariat avec Critique-Film. Retrouvez tout le dossier ici.


Maître d'oeuvre des trente premières éditions de la Quinzaine, Pierre-Henri Deleau est considéré comme «l'âme» de la Quinzaine, celui qui a su donner une identité à cette section marquée par son éclectisme et ses choix aventureux et un goût sûr pour un cinéma audacieux, dénué du conservatisme qui plombait les premières années de la sélection officielle du Festival de Cannes.

Merci à lui pour le temps qu'il nous a accordé pour ce long entretien que nous dévoilerons sous forme de feuilleton, sur plusieurs jours.

Comment êtes-vous devenu délégué général de la Quinzaine ?

Je dirigeais un ciné-club universitaire à Lille. Ça marchait très bien, j'avais une belle salle en gradins, au CRDP (Centre Régional de Documentation Pédagogique) qui dépendait de l'université. J'avais fait venir des metteurs en scène, des membres de la fédération française des ciné-clubs. Mon ciné-club commençait à huit heures et demi et pouvait finir à cinq heures du matin. J'obtenais des copies de la Cinémathèque de Bruxelles grâce à son directeur Jacques Ledoux, Henri Langlois m'en prêtait également. Et j'ai fait venir Jacques Doniol Valcroze, Pierre Kast ou Jean-Daniel Pollet [certains des futurs fondateurs de la SRF], ainsi que Claude Miller avec son premier court-métrage. Quelques metteurs en scène étrangers aussi.

Dès que j'avais un peu de temps, je venais trois ou quatre jours à Paris par semaine. Je passais plus de temps à Paris que sur les bancs de l'université ! Je bouffais du film ! De dix heures du matin jusqu'à 18h, les films de l'actualité au Champo - je m'en tapais quatre-cinq, en bouffant juste un sandwich - et ensuite à 18h30 j'étais à la Cinémathèque et j'enchaînais ensuite deux autres séances. Trois films par soir donc, à Chaillot ou rue d'Ulm. Et là j'apercevais Langlois. Je suis arrivé à Paris, je ne connaissais personne, je ne savais pas comment faire. Je l'aborde et je lui demande de m'aider, car je voulais faire du cinéma. Je lui ai dit «C'est à cause de vous ! J'ai pris le virus chez vous, donc vous êtes responsable, il faut m'aider !» Il me dit «très bien, vous êtes mon chauffeur !». Je suis donc devenu son chauffeur, avec ma deux chevaux, et tous les soirs je voyais des films, tous les soirs, je mangeais avec des metteurs en scène qu'il recevait.

J'ai ensuite téléphoné à Pierre Kast en lui disant que je cherchais du travail, comme assistant. Je n'avais jamais vu une caméra de ma vie ! Il me dit d'appeler Doniol qui s'apprête à tourner et m'engage sans me demander si j'avais fait fait des films. Le tournage du film, La Maison des Bories, est retardé. Après l'affaire Langlois puis la fermeture de Cannes, la SRF s'est créée. En novembre, Doniol me propose le poste. L'idée de me confier la Quinzaine venait de Jean-Gabriel Albococco, c'est clair, net et précis. J'ai dit oui, bien sûr ! Je leur ai raconté que je connaissais Cannes par coeur. Ce n'était pas vrai et je ne suis pas certain que Valcroze m'ait cru, car il était trop malin. J'ai eu carte blanche pour sélectionner les films, qui devaient rendre compte de l'air du temps.

Pierre Kast, Louis Malle et Jean-Gabriel Albicocco en mai 68

C'était un désordre indescriptible, cette préparation ! Il a fallu tout improviser mais c'était rigolo. J'étais aidé d'une petite équipe : Jean-Jacques Schakmundès, un ami qui travaillait avec moi à la télévision scolaire ; Chantal Nicole, alors secrétaire de Jean-Gabriel Albicocco et un jeune garçon de 18 ans, raide fou, mais génial. C'était Richard Dembo qui plus tard aura l'oscar du meilleur film étranger avec La Diagonale du fou. On a beaucoup improvisé. Mais la Quinzaine s'est rapidement structurée entre les deux premières éditions. J'ai vite compris comment ça fonctionnait, Cannes. La première année, nous n'avions qu'une affiche-programme, l'année d'après, j'ai fait un petit catalogue ronéotypé que j'ai distribué moi-même dans les casiers de presse.

Quel a été l'accueil critique de cette première édition ?

Il n'y a quasiment pas eu de critique, presque aucun papier, spécialement dans la presse française. Je me souviens que ce n'est qu'au milieu du festival que j'ai vu arriver un critique français. C'était Jean-Louis Bory. Il vient me dire «je fais un effort, je viens dans ton festival». Il était bronzé comme tout ! Je lui dis « tu vois deux films par jour, et tu as bronzé dans les salles de projection ? Ce n'est que maintenant que tu viens voir mes films ? Tu plaisantes ? ». Ils nous boudaient, ne nous prenaient pas au sérieux. Ou alors ils s'en fichaient, ça les embêtait, je ne sais pas. Jean de Baroncelli, le critique du Monde, a écrit «À la Quinzaine, il paraît qu'il y a eu ça d'intéressant, je ne l'ai pas vu, mais on ne peut pas tout voir». Faut pas déconner ! Ce sont les étrangers qui sont venus les premiers.

Propos recueillis par Pascal Le Duff de Critique-Film

Albi 2017 : rencontre avec Antony Cordier pour Gaspard va au mariage

Posté par MpM, le 24 novembre 2017

En compétition au Festival d'Albi, Gaspard va au mariage d'Antony Cordier est un mélange de comédie romantique et de film de famille qui réunit à l'écran Félix Moati, Christa Théret, Laetitia Dosch, Guillaume Gouix, Marina  Foïs et Johan Heldenbergh. A l'occasion du remariage de son père, Gaspard retourne dans sa famille qu'il n'a pas vue depuis longtemps, et qui gère un zoo. En chemin, il croise Laura, une jeune femme un peu paumée à qui il propose de jouer le rôle de sa petite amie.

Si les motifs ne sont pas très neufs, Antony Cordier les transcende pour proposer une comédie sans cesse surprenante qui évite la caricature pour aller vers une fantaisie pleine de saveur. Les situations sont cocasses, les répliques décalées et le scénario soigné, tandis que la structure en chapitres fait que l'on s'intéresse également à tous les personnages. Il se joue finalement dans ce mélange de conte et de règlements de comptes quelque chose à rapprocher de la fin de l'enfance et de la nécessité d'avancer avec sa vie, quitte à s'éloigner de sa famille. Une conclusion douce amère qui tranche avec l'énorme énergie du récit et de la mise en scène.

En attendant de découvrir le film en salles le 31 janvier prochain, nous avons rencontré Antony Cordier après la projection du film à un public albigeois particulièrement réceptif.

Ecran Noir : Comment est né le film ?

Antony Cordier : La genèse du projet est un peu compliquée. C'est vraiment une constellation de choses. Mais ça s'est fixé à partir du moment où on a eu l'idée, avec ma coscénariste, que cette histoire pourrait se passer dans un zoo. Ca m'a reconnecté avec un livre que je lisais quand j'étais enfant, qui racontait la vie du créateur du zoo de la Palmyre qui s'appelait Claude Caillé. C'était un homme très drôle, totalement autodidacte, pas du tout un intello, qui allait chasser des animaux en Afrique pour les ramener en France et les montrer dans des écoles.

Du coup, ce personnage que j'avais rencontré quand j'ai visité le zoo, parce qu'il était là pour accueillir les visiteurs, a servi d'inspiration pour le personnage de Max qui est joué par Johan Heldenbergh. Et de là est découlé toute la fratrie parce que dans le livre il y avait des photos de ses enfants, on les voyait vivre au milieu des fauves, des loutres, des serpents... On s'est très vite dit qu'il y avait là un univers qui n'avait pas été si souvent traité au cinéma et qui nous permettait d'aborder la famille, la folie de la famille, sous un angle un peu différent. Et du fait du contexte, cette folie allait être mieux acceptée. Comme on est dans un zoo, on peut dire : "on dirait qu'une fille se prend pour un ours", et comme c'est son environnement naturel, on se dit que ça pourrait arriver.

EN : Le "décor" du zoo vous a libéré, en quelque sorte...

AC : On cherche toujours à faire des scènes qui soient un peu marrantes pour le spectateur, et tous les contextes ne le permettent pas forcément. Parfois, on est amené à situer les histoires dans un contexte plus naturaliste. Et là en fait, le zoo, c'est drôle. Les animaux sont drôles. Prenez le tapir, on n'a pas l'impression qu'il existe en tant que tel, c'est comme un collage. C'est surréaliste. Donc le film doit profiter de ça. Par exemple, avec mon chef op', je le poussais à éclairer les scènes comme il l'avait jamais fait. De dire : "tiens, quand on descend dans le vivarium, et si le couloir était violet ? Si y'avait des néons et quand on arrive, la lumière est violette ? Et quand on remonte c'est orange ?" Ce qu'on ne fait pas habituellement, pour rester dans un cadre réaliste acceptable, et là, le fait d'être dans un zoo permet à tout le monde de monter un peu le curseur de l'expressivité.

EN : Et comment on se confronte au thème assez classique du "film de famille" ?

AC : J'aime beaucoup les films de famille, les familles dysfonctionnelles. Ca n'a pas toujours bonne presse d'ailleurs. Il y a beaucoup de films que j'adore : Margot va au mariage (auquel le titre Gaspard va au mariage rend un peu hommage), Elisabethtown de Cameron Crowe. Il y a tout un corpus qu'on a utisé à l'écriture et qui me parlait. Le fait de se confronter, c'était un plaisir. On se disait : ah ! Enfin on va faire un film sur nos familles, sur toutes les conversations qu'on a pu avoir elle et moi depuis dix ans, du genre "ma famille est insupportable, ils pensent que je suis comme ça, ils m'assignent une place et en fait je suis un peu ailleurs..." Tout ça, on pouvait le réinvestir dans le film. Pour nous, le film, c'est ça aussi. Nourri de choses personnelles. Chaque personnage essaye de se débattre avec la place qu'on lui assigne. On dit de Coline que c'est la dingue de la famille : il y a toujours un dingue dans les familles, là, c'est elle. Virgile, c'est le gestionnaire, alors qu'il ne l'est probablement pas. Il a autant de poésie que les autres sauf qu'elle est un peu mise sous l'éteignoir, et lui se débat aussi avec ça. On voit qu'il bout un peu.

EN : Le film fait pas mal de références au conte de fées, et notamment à Peau d'âne...

AC : C'est une des sources d'inspiration pour le personnage de Coline. On peut ne pas y penser quand on la voit. La blondeur de Deneuve, la côté sylphide, et la peau de bête. En plus ce personnage a la logique de Peau d'âne qui essaye d'échapper à son père en se transformant en souillon et en âne. C'est la même chose pour Colline qui essaye échapper au désir pour son frère en devenant un ours qui pue. Elle essaye de devenir le moins désirable possible.

EN : L'autre référence du film, finalement, c'est aussi la comédie romantique !

AC : Oui, complètement. C'est ce plaisir-là que l'on donne au spectateur face à la comédie romantique, de dire "on ne s'aime pas, donc on peut dormir ensemble", et le spectateur se marre parce qu'il voit bien où on va, il a tous les codes. Il y a une forme de jubilation qui est assez plaisante.

Albi 2017 : Les oeillades prennent le large avec Gaël Morel

Posté par MpM, le 22 novembre 2017

Pour sa première soirée, le festival Les oeillades d'Albi avait invité le réalisateur Gaël Morel pour Prendre le large, sorti sur les écrans le 8 novembre dernier. Le film raconte l'histoire d'Edith, une ouvrière textile dont l'usine s'apprête à délocaliser et qui, au lieu de prendre ses indemnités de licenciement, accepte d'être reclassée dans un atelier marocain. Commence alors pour elle une nouvelle vie partagée entre la dureté des conditions de travail et la douceur de belles rencontres.

C'est un très joli portrait de femme que brosse Gaël Morel, qui ne cache pas ce que le film doit à son actrice Sandrine Bonnaire. "Nous n'avons pas écrit le film pour elle, mais grâce à elle" a-t-il expliqué lors du débat suivant la projection. Son envie de travailler avec la comédienne est d'ailleurs l'un des moteurs du film, au même titre que son désir de rendre hommage à la classe ouvrière dont il est issu. Il souhaitait également collaborer avec l'écrivain Rachid O. qui co-scénarise le film.

Ce faisceau d'envies et de désirs de cinéma donne une oeuvre forte et puissante qui, suivant une trame classique, enchevêtre habilement le destin personnel de son héroïne aux réalités sociales d'un monde en souffrance. En plongeant son personnage dans un atelier marocain, le réalisateur joue sur l'inversion des situations (c'est elle l'étrangère, celle qui est mal vue et doit s'adapter à des règles qu'elle ne connaît pas) et parle ainsi à la fois de notre rapport aux autres et des méfaits d'une mondialisation déshumanisée.

"Le scénario c'est le croquis"

Pour autant, Gaël Morel ne voulait tomber dans aucun extrême en filmant le Maroc, pays où il a passé une partie de sa vie : ni la facilité de l'exotisme, ni la paresse du misérabilisme. Mais comment y arriver concrètement, lui a-t-on demandé lors d'un bref entretien. "Par exemple, c'était vraiment en évitant de filmer le Tanger orientaliste, la Medina, tous les lieux qui sont attachés à l'orientalisme tangérois", explique-t-il. "Comme je connaissais ce Tanger, j'ai voulu filmer en dehors de ça, et surtout je voulais filmer une ville verticale. On oublie que Tanger est construite sur des montagnes. Et donc on change de format. Quand on arrive au Maroc, d'un seul coup, le son s'ouvre, l'image s'agrandit, on est dans la verticalité. Ca m'intéressait de jouer l'idée de la verticalité tangéroise contre l'horizontalité en France."

Concernant la réalité sociale marocaine, minutieusement décrite dans ce mélange d'autoritarisme et d'esclavage moderne, certaines choses se sont décidées au moment du repérage. "Une fois que je repère le lieu et que je me dis : ça va se passer là, j'enquête sur le lieu où je vais tourner. Et donc là j'ai des réponses. Ca oxygène le scénario. A la base, il y a des choses que j'ai envie de filmer, donc je regarde si elles existent ou pas. Si elles existent, après, je vais aller dans les détails, pour que ça élève le scénario à un niveau de réalité. Vous voyez, c'est comme un croquis : vous faites un croquis et après vous trouvez le matériel pour construire. Ben disons que le scénario c'est le croquis, et après, quand vous trouvez un lieu, vous amenez des choses. Comme la scène de fouille ! Cette fouille, elle était là. C'était pas un truc de décor. "

Même chose pour la terrible séquence dans les champs de fraises "hors sol" qui a été filmée dans une véritable exploitation, avec les vraies ouvrières qui y travaillent dans des conditions souvent terribles, logeant le soir dans un petit dortoir où elles sont enfermées.

Le réalisateur n'a pas hésité à confronter sa comédienne à ces réalités-là, en faisant suivre à son personnage une trajectoire évidemment initiatique non seulement d'un point de vue intérieur, mais également physique. "On a beaucoup travaillé sur son apparence, ses vêtements, alors c'est presque invisible, mais ça apporte quelque chose. Et Sandrine a un truc avec son visage : quand il est fermé, il dégage une gravité et une sévérité rares. Et dès qu'elle sourit, c'est un autre personnage. Donc il y avait ça. Après, il y a une chose qui s'appelle la confiance. Elle m'a fait confiance et de mon côté, la confiance était déjà là dès l'écriture du scénario. C'était vraiment une confiance réciproque, un abandon de l'un à l'autre, qui fait qu'on s'est trouvé. On s'est vraiment trouvé."

Mon premier festival 2017 – Anaïs Demoustier : « la passion se partage ! »

Posté par MpM, le 26 octobre 2017

Rendez-vous incontournable des vacances de la Toussaint pour les jeunes Parisiens et Franciliens, Mon Premier festival s'est ouvert mercredi 25 octobre avec le film La mélodie de Rachid Hami qui réunit notamment Kad Merad et Samir Guesmi. La marraine de cette 13e édition, la comédienne Anaïs Demoustier, était également présente pour souhaiter la bienvenue aux jeunes cinéphiles.

Prenant son rôle très à cœur, la jeune femme présentera deux de ses films pendant le festival (Les malheurs de Sophie de Christophe Honoré et La jeune fille sans mains de Sébastien Laudenbach) et a également proposé deux coups de coeur : U de Grégoire Solotareff et Serge Elissalde et Lou et l'île aux sirènes de Masaaki Yuasa. Rencontre.

Ecran Noir : Qu'est-ce que cela représente pour vous d'être la marraine de Mon premier festival ?

Anaïs Demoustier : C'était vraiment une surprise parce je ne connaissais pas ce festival. Je l'ai découvert quand on m'a proposé d'être marraine, et j'ai accepté tout de suite. J'étais très contente de soutenir un festival comme celui-là qui est vraiment joyeux, vraiment ludique, tourné vers les enfants. J'ai fait beaucoup de festivals comme actrice en tant que jurée, en tant que spectatrice, pour aller présenter des films, et j'avais jamais été marraine. Je trouve ça super que tout soit organisé comme pour les adultes, avec un vrai jury, des avant-premières... et aussi qu'il y ait des rencontres avec un chef déco, une monteuse. Qu'il puisse y avoir un dialogue avec des gens qui travaillent dans le cinéma. Je trouve ça très complet et vraiment enthousiasmant. Par ailleurs, je me disais que l'idée de la salle, c'est quelque chose d'important pour moi. Je vois bien que les enfants regardent des films un peu partout, sur des téléphones ou des tablettes, et que le plaisir et la magie de partager un film, c'est quand même précieux. Le festival, c'est l'occasion de ça.

EN : Et vous, êtes-vous plutôt cinéphile ?

AD : J'aime beaucoup le cinéma. Il y a eu un moment où j'y allais beaucoup et c'est vrai que comme je travaille beaucoup, j'ai moins le temps. Mais si j'avais le temps, j'irais beaucoup plus que ça. Et j'ai une cinéphilie un peu bizarre, pas du tout bloquée dans un genre. Justement, on parle d'un festival pour enfants, je trouve que c'est aussi la question de la transmission, ce qu'on transmet aux enfants, comment on les éduque au cinéma, et moi j'ai pas du tout eu ça. Ca s'est fait un peu n'importe comment. Mes parents n'étaient pas très cinéphiles. J'avais un frère qui aimait bien le cinéma et qui m'a montré des choses, et après ça s'est fait au gré des découvertes. J'ai une cinéphilie très large. J'aime bien le cinéma français. Souvent c'est les acteurs qui me font aller voir les films. Parfois un réalisateur, bien sûr. Par contre, je ne suis pas du tout une "mangeuse" de films sur DVD ou VOD. C'est malheureux, mais si je ne vais pas au cinéma, je ne vois pas de films. Il faut que j'aille au cinéma.

EN : Quel souvenir avez-vous du premier contact avec le cinéma ?

AD : En salles, j'ai peu de souvenirs. J'ai plutôt des souvenirs de cassettes vidéo. Là, je me souviens avoir beaucoup regardé Sissi. Avec ma sœur, on regardait tout le temps Sissi, Peau d'âne, Fantomas, l'As des As... Après, dans une salle de cinéma, je me souviens d'avoir vu Astérix, mais le Astérix d'Alain Chabat [NDLR : en 2002], donc j'étais pas si jeune que ça. Et Titanic aussi. Je me souviens l'avoir vu dans une salle de cinéma au sport d'hiver, et l'endroit était hyper chaleureux. Je me souviens de l'ambiance de cette salle.

EN : Et est-ce justement en voyant des films que vous avez eu envie de passer de l'autre côté ?

AD : Oui, il y a eu un moment où ça s'est un peu déclenché, c'est quand j'ai vu des films avec une actrice qui avait à peu près mon âge. C'était L'effrontée et La Petite voleuse, les deux films de Claude Miller avec Charlotte Gainsbourg, et je me souviens que ça avait fait un petit déclic en moi. Je m'étais dit : "tiens, ça pourrait être moi". J'avais envie de rentrer dans la télé et de jouer avec elle. Je me disais : "ça a l'air agréable, elle a l'air de s'amuser". Je sentais que c'était un espace de liberté, d'expression.

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Dinard 2017 : Bill Nighy, guest-star triomphante qui, un jour, a dormi sous l’Arc-de-Triomphe

Posté par kristofy, le 29 septembre 2017

© ecran noirOn dit souvent que les meilleurs acteurs du monde sont britanniques, et l'un des meilleurs d'entre eux est justement venu présenter au Festival du film britannique de Dinard deux grands films en avant-première. Bill Nighy a une carrière déjà longue d'une quarantaine d'années entre télévision et cinéma. Il est devenu un visage familier dans des films cultes ou chéris du public : on le retrouve plusieurs fois chez Richard Curtis (dans Love actually évidemment en chanteur sur le retour qui fait un hit inattendu, dans Good morning England et Il était temps) tout comme chez Edgar Wright (dans Shaun of the dead, Hot fuzz, Le dernier pub avant la fin du monde), et aussi dans des sagas spectaculaires comme les Harry Potter, Underworld, Pirates des Caraïbes...

Quand on rencontre Bill Nighy, on est immédiatement charmé par son élégance, son charme et son humour: ce je-ne-sais-quoi très britannique...

La France de Bill
"J’ai lu dans mon adolescence tous les grands auteurs comme James Joyce, Ernest Hemingway, F. Scott Fitzgerald, et très jeune je suis allé à Paris pour y écrire le prochain grand roman anglais... et je n’ai rien écrit du tout. J’étais parti à Paris au lieu de passer mes examens, alors, à mon retour en Angleterre, sans diplôme, j'ai voulu devenir acteur. A Paris, pour ma première nuit, je n’avais aucun endroit où aller et j’ai dormi sous l’Arc de Triomphe, aucun policier ne m’a trouvé, et j’ai été réveillé par le trafic des voitures. C'était ma première nuit en France. J’ai toujours aimé venir en France, particulièrement à Paris mais aussi dans le sud, il n’y a pas longtemps j’étais à Arles. Je connaissais déjà Dinard de réputation, le festival avait déjà voulu m’y inviter mais ça n’a pu se faire parce que je travaillais sur un film, je suis heureux d'y être maintenant."

A Dinard il est venu accompagner le nouveau film de Lone Scherfig Une belle rencontre (avec Gemma Aterton, Sam Claflin et Eddie Marsan). Durant la guerre une femme devient scénariste dans une société de production de films, dominée par les hommes. Il faut produire un film à propos d'une opération de sauvetage de soldats à Dunkerque (le même fait historique que le Dunkirk de Christopher Nolan). C'est elle qui doit s'imposer en tant que femme contre les autres hommes pour sauver la réussite du film... Bill Nighy y joue un grand comédien vaniteux, qui va s'adoucir à son contact, avec beaucoup d'humour.

Dans un tout autre genre, le comédien accompagnait The Limehouse Golem de Juan Carlos Medina (avec Olivia Cooke, Douglas Booth, et encore Eddie Marsan...), déjà sélectionné dans différents festivals de films fantastiques (Bruxelles, Neufchâtel, Sitges..) : dans le Londres victorien de 1880 un tueur en série signe ses crimes du surnom de 'Golem' et un des suspects est un comédien de music-hall qui aurait été lui tué par sa femme. Qui a vraiment tué qui et pourquoi, les assassinats vont-ils continuer, plusieurs suspects aux motivations troubles sont la cible de l'enquête de l'inspecteur Kildare, alias Bill Nighy...

L'époque victorienne
"Cette époque victorienne est visuellement très intéressante comme cadre pour un film. Le scénario était étonnant avec un mix de personnages de fictions et de personnages réels. J’ai adoré l’idée que Karl Marx puisse être un suspect tout comme George Gissing qui est un grand écrivain , et Dan Leno qui était un comédien célèbre de l’époque. Le scénario est très intelligent, il se rapproche d’une sorte de film de genre en étant peut-être un sub-genre (ndlr : le whodunit), j’aime beaucoup les films de détectives. A cette époque l’Est de Londres c’était un peu une sorte de Far-West dangereux, ce qu’on appellerai presque aujourd’hui une no-go zone, personne n’y allait si on n'avait aucune nécessité à y aller. Il y avait des vols et des meurtres...  J’ai aimé le fait que ce policier ait été un peu mis à l’écart, peut-être à cause d’une rumeur d’homosexualité, sans que le film ne précise vraiment ce qui s’est passé ou pas. En tout cas ce genre de chose à Londres en 1880 était presque synonyme de bannissement si on était un représentant de l’ordre. Bref, Ce que j’admire c’est la subtilité du scénario qui laisse deviner que ce détective est probablement gay tout en étant aussi séduit d’une manière romantique par cette femme jouée par Olivia Cooke, puisqu'il ressent une certaine attraction envers elle pour différentes raisons. Cet homme est mis de côté par sa hiérarchie, il y a de la corruption parmi ses supérieurs. Son sens de l’injustice est aiguisé et il est donc sensible à sa situation d’avoir été mise en prison, alors il est sans doute un peu protecteur pour elle. On lui a confié l’enquête avec la supposition qu’il échouerai, car la résolutions des meurtres semble insolubles donc c’est lui qui serait discrédité et pas d’autres. On lui a confié une affaire vraiment empoisonnée..."

Le film sera à découvrir dans quelques mois (en vod), et on vous le recommande...