Vesoul : « Ce public qui ne suit pas », difficultés de production au Proche-Orient

Posté par MpM, le 16 février 2009

Jocelyne Saab et Milka Assaf"C'est très dur de produire un film en Orient, c'est un peu de la flagellation... et c'est de pire en pire." C'est par ce constat peu optimiste que Jocelyne Saab (voir aussi nottre entretien en 2008) a ouvert la table ronde consacrée à la production, réalisation et distribution en Orient, au Festival des cinémas d'Asie de Vesoul. La réalisatrice libanaise sait de quoi elle parle, elle qui a subi les pires pressions et désagréments au moment du tournage et de la sortie de son film Dunia. Première contrainte : le financement. Milka Assaf, réalisatrice franco-libanaise (La mémoire volée, Les naufragés du tsunami), a ainsi dans ses tiroirs un projet de long métrage de fiction nommé L'ombre du cèdre qui a remporté de nombreux prix du scénario. "Je le traîne depuis 1993", soupire-t-elle. "Tout le monde le trouve formidable mais pas un seul producteur n'a voulu le financer. Ils me disent : "mais comment je vais trouver l'argent ?" ou alors "revenez avec une comédie"."

"Ne pas avoir de chaîne de télé est handicapant", renchérit Joanna Hadjithomas (Je veux voir). Mais pour avoir les télés, les contraintes sont interminables : le sujet choisi ("vendeur" ou non, le genre (il vaut mieux oublier les tragédies), la langue (en France, un film produit dans une langue étrangère reçoit bien moins d'aides que les projets en français), les acteurs ("bankable" ou non)... Réponse la plus souvent entendue par les réalisateurs en recherche de production ? "C'est bien mais le public ne suivra pas". Globalement, on n'est pas très loin des difficultés rencontrées par les cinéastes européens.
dunia affiche

Sauf qu'il y a pire. Pour Jocelyne Saab, il existe en Orient une "vraie volonté de ne pas laisser exister le cinéma d'auteur, mais aussi une peur de l'expression libre et l'obsession de tout contrôler."Cela peut se traduire par des pressions directes (menaces téléphoniques quotidiennes pendant le tournage de Dunia), mais aussi un harcèlement administratif ou procédurier qui ne dit pas son nom. Abbas Fahdel (L'aube du monde) qui a lui aussi tourné en Egypte ne s'est pas encore remis de toutes les difficultés rencontrées. "Il faut être vraiment très inconscient pour vouloir faire un film en général, mais encore plus dans notre situation", déclare-t-il. "C'est un miracle que le film existe. Mais parfois je me demande : est-ce que ça vaut le coup ?" Chez Jocelyne Saab, le découragement est moins perceptible, mais la lassitude est là : "Dunia m'a pris sept ans de ma vie et je le paie encore aujourd'hui. Ce n'est pas possible, c'est trop lourd. Ce qui manque, ce sont deux ou trois distributeurs qui portent le film et le montrent partout. Même pour les cinéastes français ou européens, ça se rétrécit. Alors pour nous..."

Malgré tout, pas question de céder à la facilité. "Il faut être très ambitieux, même sur les films très pointus", affirme Joanna Hadjithomas. Il faut voir grand. Nous avons besoin de distributeurs qui acceptent de prendre des risques.  Mais on voit bien l'appauvrissement, le formatage : ils veulent des scénarios qui soient "pitchables", c'est-à-dire qu'on puisse résumer en une phrase. Mais ce n'est le cas d'aucun de mes films !"

Heureusement, les festivals représentent de plus en plus un marché pour ce genre de films. Certains, comme celui de Dubai, donnent même des bourses de réalisation. Les films présentés à Vesoul trouveront peut-être un distributeur en France, ou susciteront une attente à l'égard du réalisateur (et donc des aides potentielles), lors de la production du projet suivant. Un peu d'optimisme dans un monde qui en a bien besoin. "C'est une ère difficile. On est en plein clash des civilisations et je crois que c'est le cinéma qui peut nous sortir de là", conclut Jocelyne Saab.

 Crédit photo : Jocelyne Saab, en photo à gauche, aux côtés de Milka Assaf ; Marie-Pauline Mollaret