Oscars 2019: Green Book sera-t-il victime de ses polémiques?

Posté par vincy, le 23 février 2019

Green Book est l'un des favoris pour l'Oscar du meilleur film cette année. Il a toutes ses chances: un sujet politique et consensuel, une comédie dramatique, le prix du public au festival de Toronto, le Golden Globe dans la catégorie musical ou comédie, le film de l'année pour l'American Film Institue et pour le National Board of Review, le meilleur film selon la Producers Guild of America, et un joli succès public aux Etats-Unis (67M$ soit déjà plus que La forme de l'eau, Oscar l'an dernier).

Il peut perdre aussi. Roma est qualitativement supérieur, mais une partie des votants pourraient ne pas vouloir donner l'Oscar pour un film Netflix. A Star is Born, Black Panther et Bohemian Rhapsody sont largement plus populaires. Blackkklansman et Vice sont plus politiques. La Favorite pourrait être aussi un concurrent surprenant, correspondant aux choix habituels de l'Académie.

Green Book a cependant du affronter plusieurs polémiques au fil des mois. Ce qui risque de le desservir. Une partie des critiques et des professionnels lui reprochent, pour raccourcir, son point de vue "blanc", à travers le regard du personnage joué par Viggo Mortensen, Tony Vallelonga. Le film est produit par le fils de Tony, Nick, personnalité controversée (pro-Trump et islamophobe, même s'il s'est excusé pour certains tweets). Ce qui entraîne une deuxième polémique: le consentement de la famille de Don Shirley, incarné par Mahershala Ali, qui n'a pas été impliquée dans le développement du film. Les deux personnages réels sont morts à quelques mois d'écart en 2013.

Trop blanc pour beaucoup, le film est aussi accusé d'un racisme anti-blancs, selon comment on le perçoit (et ses opinions). Certains critiques, y compris dans la presse branchée, ont vu dans cette histoire une glorification d'un personnage noir et un grand mépris pour le personnage blanc. A cela s'ajoute que, selon la famille, Donald Shirley ne voulait pas d'un film sur cette histoire (comme on va vous l'expliquer).

N word et autres mensonges

Cela aurait pu rester une politique de réseaux sociaux si, en pleine tournée promotionnelle, Viggo Mortensen n'avait pas utilisé l'infamant mot en N, plutôt que le correct afro-américain ou noir. Paradoxalement, le mot est utilisé dans des films comme Si Beale Street pouvait parler ou dans la pièce actuellement à Broadway, Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur, sans que cela créé de polémiques. Mortensen a du s'excuser et Ali a fait savoir officiellement qu'il acceptait ces excuses.

Mais les vannes étaient ouvertes. En décembre, alors que le film commençait à récolter plusieurs citations ou prix, la famille de Donald Shirley s'émeut publiquement d'avoir été mise à l'écart et reproche le manque d'authenticité de certains faits décrits dans la fiction. Le frère de Donald Shirley évoque même "une symphonie de mensonges". Selon la famille, Shirley n'était pas aussi seul, ni coupé de la communauté afro-américaine. Pire, ils accusent Vallelonga de révisionnisme, puisque selon eux les deux hommes n'avaient pas d'autres relations que professionnelles. Nulle amitié réelle donc.

Pourtant, dans le documentaire Lost Bohemia de Josef Astor, Donald Shirley dit le contraire, confiant sa pleine confiance envers son chauffeur. "Tony n'était pas seulement mon chauffeur. Nous n'avons jamais eu de relation employeur-employé. Nous étions liés par une amitié mutuelle." S'il a refusé de donner son accord au projet, c'était, apparemment, davantage par peur qu'on révèle son homosexualité, alors qu'il n'a jamais fait son outing.

Peter Farrelly, le réalisateur, explique également qu'il a tenté de joindre la famille avant le tournage. Mahershala Ali a préféré continuer de s'excuser en se disant désolé si sa participation au film dans le rôle de Shirley les a offensés. Le neveu du pianiste reconnaît que l'interprétation de l'acteur est remarquable mais ne reconnaît pas son oncle tel qu'il est dépeint dans le film. "Ils ont fait un succès commercial, un film populaire, mais dans ce process, ils ont distordu et réduit la vit d'un des deux personnages principaux."

A l'inverse, son producteur, ami et légataire testamentaire Michael Kappeyne, par ailleurs consultant pour le film, explique que le comédien, favori pour l'Oscar du meilleur second-rôle masculin, a su capter la complexité du musicien, "sa colère intérieure, son sens de la solitude, sa dignité intègre et son intérêt à aider les gens."

On le voit bien: selon les souvenirs des entourages, le regard change sur le film. Après tout, il est vendu comme une fiction inspirée de faits réels et non comme une biographie. Ce n'est pas un documentaire. Ce qui compte c'est la narration et l'émotion qui s'en dégage, en plus du message généreux qu'il comporte. Ce que l'on reproche au film, finalement, c'est d'avoir écrit un récit autour du chauffeur blanc alors que c'est l'employeur noir qui est dominant (ce qui donnerait envie d'un documentaire ou d'une fiction centrée sur la vie de Shirley).

Au moins, le film est véridique sur d'autres aspects du film (l'appartement de Shirley, sa tournée dans le sud, ses concerts devant les blancs, la correspondance du couple Vallelonga, l'arrestation du chauffeur et de son employeur, etc...).

L’Association Française des cinémas Art et Essai interpelle les réalisateurs pactisant avec le diable Netflix

Posté par redaction, le 22 février 2019

Dans une tribune parue dans Le Monde du samedi 23 février, François Aymé, Président de l’Association Française des cinémas Art et Essai, interpelle dans un long texte les frères Coen et Alfonso Cuaron, dont les récents films ont été diffusés sur Netflix, et absents des salles de cinéma, malgré leurs prix au Festival de Venise en septembre dernier.

Le conflit continue donc. Il souligne plusieurs craintes de la part des exploitants qui voient Netflix (et les plateformes de SVàD) et ses milliards d'euros d'investissements dans les contenus comme une menace à plusieurs visages. Celle de détourner les gens des salles au profit de leur salon. Celle de d'ôter aux salles de cinéma plusieurs films signés d'auteurs populaires. On pourrait rétorquer que Netflix & co ne sont pas les seuls concurrents au cinéma puisque le temps de loisirs, pas forcément extensible, et le pouvoir d'achat, pas plus croissant, contraignent de faire des choix, avec notamment la capacité du jeu vidéo (Fortnite en premier lieu cette année) à être chronophage et parfois coûteux. Qu'il n'y a pas forcément de salles de cinéma ou de diversité de films à proximité. Qu'une sortie au ciné coûte aussi très chère, ce qui amène souvent à une concentration du public sur quelques films qui "rassurent".

Toujours est-il que l'Afcae regrette "que cette longue relation de confiance et de mise en valeur de vos oeuvres sur grand écran, devant un public d’aficionados, s’arrête, comme ça, brutalement".

"Les temps changent, c’est tout, répondez-vous en substance dans de multiples entretiens. Oui mais la question est de savoir, dans quel sens et pourquoi ? Pour le bien des diffuseurs ? Des auteurs ? Du public ? Des oeuvres elles-mêmes ?" poursuit le texte.

L'Afcae souligne que les films, quand ils n'étaient pas exclusivement réservés à Netflix, avaient plusieurs vies - la salle, la VàD, le DVD, la télévision -, et plusieurs supports, du smartphone à Canal + en passant par l'ordi ou le grand écran. "Ce n’est pas vous qui vous adaptez au public mais l’inverse : le public doit s’adapter aux choix que vous avez faits : confier l’exclusivité durable de votre dernière œuvre à une plate-forme. Le choix que vous laissez à votre public, c’est : ou bien vous vous abonnez à Netflix et vous pouvez découvrir notre film sur un petit écran, ou bien vous ne le voyez pas. Ce n’est pas un choix, c’est une obligation, en tout cas pour vos fans" explique François Aymé, qui ajoute: "Cela s’appelle la privatisation d’une œuvre."

La tribune, sous forme de publicité dans Le Monde, souligne "que toutes les évolutions, adaptations, mutations du cinéma se sont faites dans le sens d’un progrès concret, technique, objectif : passage au parlant, à la couleur, au cinémascope, au Dolby, confort des salles… À chaque fois, il s’est agi d’améliorer la qualité du spectacle cinématographique et la valorisation des œuvres, quand bien même la diffusion décalée de cette œuvre se démultipliait au fil des ans sur d’autre supports."

Le constat est qu'il ne s'agit pas d'un "progrès" mais d'une "régression". "En faisant ce choix, vous assumez un double renoncement. Vous renoncez à la valorisation optimale et technique de votre œuvre sur un grand écran et via une chaine sonore qui restituent les subtilités, les nuances de votre travail. Et vous renoncez à la dimension collective de la découverte de votre œuvre. Vous renoncez au fait que votre film soit un spectacle public." Tout en ayant conscience que "le visionnement d’une œuvre cinématographique se fait très majoritairement sur un autre support que le grand écran, est-ce une raison valable pour s’en passer complètement ? Est-ce qu’un compositeur, un musicien, un chanteur renoncerait aux concerts sous prétexte que la plupart des gens écoutent ses oeuvres sur Youtube ou bien sur une plateforme dédiée ?" s'interroge François Aymé.

Mais le vrai problème est ailleurs. Si des auteurs aussi prestigieux que les Coen, Cuaron, Coixet, Bier, Michod, Scorsese vont chez Netflix (ou autres Apple, Amazon et cie), c'est parce qu'ils ne trouvent plus forcément le financement pour leurs films, à l'écart des blockbusters ou trop chers / audacieux pour la niche du cinéma art et essai. Cette crise du "cinéma du milieu" a déjà été constatée et expliquée en France. Aux Etats-Unis, le box office de ces films atteint rarement les 100M$ en salles (la moyenne étant plutôt autour de 40M$).

On ne sait rien (sauf en cas de record) du nombre de visionnages des films sur Netflix. La société californienne investit sur du prestige, comme un grand magasin a besoin de Louis Vuitton et Chanel pour séduire les clientèles haut-de-gamme. Ce n'est pas la France qui va résoudre ce problème. Mais, comme s'interroge le texte: "Est-ce que le fait d’avoir acheté un film mexicain en noir et blanc est le signe d’une stratégie volontariste de défense de la diversité qui ira au-delà des seules productions anglo-saxonnes ? Est-ce que Netflix (comme d’autres) envisage de respecter les règles de fiscalité des pays où il diffuse, contribuant ainsi à la vie commune d’un territoire dont il tire des profits ? Est-ce que Netflix est susceptible de produire ou d’acheter des films critiques envers l’Iran, la Chine, la Russie, le Brésil, l’Arabie saoudite, la Turquie ? Si Netflix montre un vrai empressement à financer les films de grands auteurs confirmés, aura-t-il la même motivation à suivre des nouveaux talents [c'est le cas, ndlr] ? Continuera-t-il même à financer ces grands talents s’il atteint ses objectifs d’abonnés ? Est-ce que vraiment la contribution de Netflix à la production et/ou à la diffusion était indispensable à votre film ou bien s’agit-il d’un choix délibéré et assumé de votre part ?"

"Ainsi, confier votre film à Netflix, c’est non seulement renoncer à la possibilité offerte de voir vos titres en salles de manière collective, mais aussi apporter votre nom et, de ce fait, cautionner un opérateur puissant qui sait profiter d’un système et ne pas s’y conformer quand cela est contraire à ses intérêts. Comment jouer avec quelqu’un qui change les règles du jeu à son seul profit ? En tentant de lui faire respecter les règles ou bien en rejoignant son camp ? À chacun sa réponse."

Et bien malin celui qui a des certitudes aujourd'hui. Une chose est sûre: cette mutation des comportements et des technologies (qui bousculent le marché comme Uber a transformé le transport local véhiculé) n'a pas finit d'opposer défenseurs de l'art cinématographique partagé en salles et ceux qui plaident pour une démocratisation culturelle coûte que coûte. Ce glissement s'accompagne d'ailleurs du déclin de la cinéphilie et de la réduction de la place laissée à la critique. Le film devient un produit de consommation, qu'on consomme chez soi, plutôt qu'une aventure collective choisie qu'on partage avec les autres. Il ne s'agit pas forcément de les opposer. mais pour l'instant personne n'a la solution pour les faire coexister en paix.

« Grâce à Dieu » pourra sortir le 20 février dans les salles

Posté par vincy, le 18 février 2019

Grâce à Dieu de François Ozon, Grand prix du jury à Berlin samedi, a été autorisé par la justice à sortir en salles mercredi 20 février, selon les avocats de la défense.

Le réalisateur avait été assigné en référé par l’un des avocats du père Preynat, homme d'église suspecté d’avoir abusé d’enfants dans le diocèse de Lyon, pour obtenir un report de la sortie du film. Le prêtre est suspecté d’avoir abusé de dizaines de jeunes scouts dans les années 1980 et 1990 mais il n’a pas encore été jugé pour les faits qui lui sont reprochés (et filmés comme avérés dans Grâce à Dieu). La date du procès n'est pas encore connue et la présence de messages au début et à la fin du film rappelant l'absence de jugement "suffit à garantir" les droits des présumé innocents.

Selon le juge, "la demande de report n’était « pas proportionnée » à l’atteinte à la présomption d’innocence du père Preynat que pouvait représenter le film."

Quand François Ozon a commencé le tournage du film l'an dernier, tout le monde pouvait penser que le verdict tomberait avant sa sortie. Le litige est dans l'usage des vrais noms de trois présumés innocents. En effet, cette fiction basée sur des faits réels n'a pas modifié le nom de trois "accusés" le cardinal Barbarin, dont le jugement pour « non-dénonciation d’atteintes sexuelles » sera rendu le 7 mars par le tribunal correctionnel de Lyon, le père Preynat et Régine Maire, ex-membre du diocèse de Lyon. Tous les autres noms ont été changés.

L'accusation avait demandé que le film sorte après le procès du père Preynat, ce qui retardait de plusieurs mois la sortie du film.

Celui-ci met en valeur le rôle de l’association La Parole libérée. C'est la construction des liens entre les victimes, de la constitution de cette communauté d'hommes abusés sexuellement qui est au cœur de Grâce à Dieu.

Le film devrait sortir dans plus 300 salles, distribué par Mars films.

Berlinale 2019: polémiques à cause de la présence de Netflix dans la sélection officielle

Posté par vincy, le 14 février 2019


Désormais, avec une petite musique, c'est un grand N qui s'affiche et non plus la marque au complet, Netflix. La plateforme a récemment fait son entrée parmi les studios en adhérant à la MPAA (Motion Picture Association of America), le puissant comité de censure américain, jusque là club réservé aux six grands studios américains : Paramount Pictures, Sony Pictures Entertainment, Twentieth Century Fox, Universal City Studios, Walt Disney Studios Motion Pictures et Warner Bros. Entertainment.

La MPAA régule la classification des œuvres (G, PG, PG-13, R-Rated, NC-17) et combat le piratage.

Netflix, un studio comme les autres? A Berlin, comme à Cannes et à Venise, la polémique a continué. Si on remarque que les journalistes font moins "bouh" à l'arrivée du logo (il y a même désormais des applaudissements), les exploitants allemands ont critiqué le Festival d'avoir sélectionné des films de la compagnie alors qu'elle se réserve toujours le droit de ne pas les montrer dans les salles de cinéma.

160 exploitants allemands ont adressé une lettre ouverte adressée à la direction de la Berlinale et à la ministre de la Culture, Monika Grütters, pour réclamer le retrait de la compétition du nouveau film d'Isabel Coixet, Elisa y Marcela. Mais personne ne s'est offusqué de la présence hors-compétition, dans le cadre des soirées "Galas" de celle d'un autre film Netflix: The Boy Who Harnessed the Wind (Le garçon qui dompta le vent), premier long métrage du comédien Chiwetel Ejiofor (déjà présenté à Sundance).

Le Festival a répliqué que Elisa y Marcela sortirait en salle en Espagne, ce qui ne contrevient pas au règlement du festival.

Le directeur artistique de la Berlinale, Dieter Kosslick, qui fait sa dernière année de mandat, a déclaré que les festivals internationaux devraient emprunter à l'avenir une position commune afin de savoir comment gérer les films de cinéma destinés aux plateformes. Venise a décerné son Lion d'or à un film Netflix (Roma, un des favoris pour l'Oscar du meilleur film). Cannes a du abandonner la sélection de films de la plateforme, puisque son règlement ne permet plus leur place dans la Compétition.

Il y a urgence à faire un choix. Non pas que les films de Netflix soient meilleurs que les autres. Mais la plateforme, qui revendique désormais rien qu'en France 5 millions d'abonnés, a signé quelques uns des prochains projets d'auteurs réputés et primés, à commencer par Martin Scorsese, David Michôd et Noah Baumbach. Netflix, acteur désormais incontournable, s'invite aussi sur les marchés en prenant les droits internationaux de films étrangers (dernier en date: Le chant du loup). Il va être difficile d'ignorer ces films en festivals, surtout quand ces festivals (à l'instar de Berlin) s'offre une sélection dédiée aux séries ... télévisées.

On a souvent regretté qu'en France la chronologie des médias (qui n'est clairement pas en faveur de Netflix, Amazon et Apple) empêche la distribution dans quelques salles d'un film comme Roma, qui méritait amplement une diffusion sur grand écran. Roma, comme d'autres films Netflix, ont pourtant pu être montré en salles durant une courte durée. A défaut de changer les règles, les festivals permettent au moins de profiter pleinement d'une projection grand écran.

La Berlinale a fait ce choix. Festival public plus que critique, il a projeté le nouveau film d'Isabel Coixet et celui de Chiwetel Ejiofor, tous deux inspirés d'une histoire vraie, dans de grandes salles.

Elisa y Marcela est le récit de deux femmes qui s'aiment dans l'Espagne conservatrice et catholique du début du XXe siècle. En noir et blanc, il raconte l'hostilité et l'homophobie qu'elles subissent, jusqu'à ce que l'une d'elles décide de se travestir en homme et de se marier avec sa compagne à l'église. Et ce plus d'un siècle avant la légalisation du mariage pour tous. Isabel Coixet rate complètement son sujet, en le dévitalisant et en frôlant le grotesque à certains moments. Ses bonnes intentions sont bousillées par un scénario répétitif et une mise en scène vaniteuse. Il n'empêche, on aura appris quelque chose : ce mariage lesbien n'a jamais été annulé par l'Eglise, ce qui en fait le premier mariage entre personnes du même sexe de l'histoire.

Netflix ou pas Netflix, ce film n'aurait jamais du être dans une compétition comme celle de Berlin, affaiblissant un peu plus la Berlinale cette année.

En revanche, Le garçon qui dompta le vent a fait forte impression aux spectateurs qui ont applaudit à la fin du film. A juste titre. S'il est très classique dans sa narration et ne révolutionne en rien la réalisation, le film s'avère très efficace et touchant. Entièrement tourné au Malawi, avec le réalisateur Chiwetel Ejiofor et Aïssa Maïga comme seules vedettes, cette histoire s'inspire d'un jeune garçon d'un village africain (aujourd'hui très diplômé y compris aux USA) qui va entreprendre la construction d'une éolienne pour apporter l'électricité à une pompe à eau permettant d'irriguer les champs infertiles pour cause de sècheresse. De l'écologie aux bons sentiments, en passant par les drames familiaux et les personnages réellement attachants, tout y est. Et c'est typiquement le film qui peut trouver son public en salles.

On pourra le voir chez soi, sur Netflix, à compter du 1er mars.

Berlinale 2019 : Grâce à Dieu de François Ozon, reconstitution sensible rattrapée par l’actualité

Posté par MpM, le 8 février 2019

Première entrée française de cette 69e Berlinale, Grâce à Dieu, le nouveau film de François Ozon aborde la question de la pédophilie dans l'Eglise en relatant l'histoire des victimes du prêtre Bernard Preynat accusé d'attouchements sexuels sur de jeunes scouts dans la région de Lyon. Le film, qui s'est fait en secret, arrive au moment-même où le cardinal Barbarin et Régine Maire, psychologue au service du diocèse, attendent le verdict du procès dans lequel ils sont accusés d'avoir couvert les agissements du prêtre, et avant même que le principal accusé n'ait été jugé. Un recours a d'ailleurs été déposé pour reporter la sortie du film, prévue le 20 février, afin qu'il ne soit pas sur les écrans avant la fin de la procédure judiciaire.

Et le film, dans tout ça ? On comprend que les accusés (qui bénéficient jusqu'au verdict de la présomption d'innocence) ne soient pas particulièrement ravis d'y apparaître sous leur véritable nom, sans le voile pudique de la fiction pure (d'autant que les victimes, elles, n'apparaissent pas sous leur véritable identité). La narration est en effet un mélange de reconstitution quasi documentaire et d'enquête minutieuse racontant comment le premier plaignant a porté plainte contre le prêtre Preynat après avoir tenté une conciliation avortée avec l'Eglise, puis comment d'autres victimes se sont jointes à son combat en montant l'association "la parole libérée".

La première partie du film consiste ainsi notamment en un échange épistolaire (lu en voix-off) entre Alexandre Guérin (Melvil Poupaud) et Régine Maire d'une part, et le cardinal Barbarin d'autre part. Les enjeux y sont clairement posés, entre le besoin qu'éprouve la victime de voir le responsable sanctionné et la volonté de la hiérarchie religieuse d'amener l'affaire sur le terrain du pardon et de la repentance. Ces allers et retours entre les deux "camps", par le biais des lettres et des rencontres, se font sans temps mort, dans une forme de sécheresse narrative qui laisse très peu de place pour la fiction. Du personnage principal, on ne saura que ce qui a rapport à l'affaire, toute digression étant bannie, ou laissée hors champ.

François Ozon dresse ainsi en creux le portrait de l'accusé (pas vraiment à son avantage) mais aussi de Barbarin et de son équipe, présentés comme les gardiens d'une énorme machine rigide et froide qui ne pense qu'à sa propre sauvegarde. Le film décortique alors la stratégie d'évitement du cardinal, ainsi que l'incompréhension agacée, dénuée du moindre tact, de ceux qui l'entourent : "Pourquoi toujours remuer ces vieilles histoires ?" s'exclame l'un des responsables du diocèse.

On suit ensuite successivement deux autres personnages (interprétés par Denis Ménochet et Swann Arlaud) ayant été abusés par le prêtre, qui poursuivent le travail commencé par Alexandre Gérin. Le premier se met en quête d'autres victimes, en créant l'association "la parole libérée", et le second s'engage dans le mouvement, y trouvant un moyen de reconstruire sa vie. Le film bascule plus clairement dans le format de l'enquête, sans céder pour autant aux sirènes du sensationnalisme. L'aspect très clinique de la première partie laisse place à une fiction plus classique, avec quelques scènes qui permettent d'en savoir plus sur les personnages, et notamment d'appréhender les traces laissées, dans leur vie d'adulte, par les abus subis dans leur enfance.

François Ozon propose ainsi un récit sensible et pudique (malgré des flashbacks répétitifs qui n'apportent pas grand chose au récit) sur une tragédie humaine qui est celle des victimes de Lyon, mais qui pourrait être plus largement celle de toutes les victimes d'abus sexuels. Toutefois, difficile de nier que le film se fait plus précisément à charge contre l'Eglise en tant qu'institution toute-puissante qui n'a pas été capable de prendre la mesure de ce qui se passait dans ses rangs, et contre tous ceux qui ont été, volontairement ou non, les complices des agissements du prélat.

Quitte, parfois, à flirter avec un certain didactisme dans son propos. D'autant que les témoignages proposés par le film, ainsi que le récit qui est fait des agissements du cardinal Barbarin ou de ses proches, n'amènent pas vraiment le spectateur à douter de leur culpabilité, ce qui pose un vrai problème éthique. Car si on ne peut reprocher au réalisateur d'avoir voulu raconter "sa" vérité, qui est celle des victimes, on ne peut s'empêcher de s'interroger sur la pertinence de laisser le verdict de fiction s'exprimer avant celui de la justice.

Chronologie des médias et Netflix: la France et l’Italie divergent sur la stratégie

Posté par vincy, le 15 novembre 2018

Le Festival de Venise n'en finit pas de déclencher des répercussions sur la chronologie des médias. Les différents prix, dont le Lion d'or, obtenus par les productions Netflix, ont contraint la plateforme de streaming à revoir sa stratégie de distribution afin de pouvoir concourir aux Oscars.

Un décret italien souple

Mais cette fois-ci c'est un pays qui change ses règles. Le ministre de la Culture italien Alberto Bonisoli vient de signer un décret pour les œuvres cinématographiques de nationalité italienne bouleversant la chronologie des médias. Le délai de la fenêtre d'exclusivité de la salle est actée à 105 jours. Après ces trois mois et demi, un film peut-être diffusé sur n'importe quel autre support. Il y aura une exception: 60 jours pour la diffusion sur un autre support pour les films distribués sur moins de 80 copies ou ceux ayant récolté moins de 50000 entrées en 21 jours. Si un film tient l'affiche seulement rois jours, il pourra être diffusé ailleurs dix jours plus tard: une clause visiblement faite pour Netflix qui souhaite distribuer en salles certains de ses films seulement pour pouvoir concourir aux prix nationaux comme les Oscars. Cette fois-ci, l'ANICA, le syndicat des distributeurs, s'est félicité de cet accord.

Rappelons que la crise a été provoquée lors du Festival de Venise avec la projection dans la section Orizzonti de Sulla mia pelle (Sur ma peau) d'Alession Cremonini, film directement concerné par ces nouvelles règles. Le film a été distribué simultanément dans les salles par Lucky Red et sur Netflix. Les exploitants se sont alors insurgés de la concurrence déloyale de Netflix d'un côté et de la vitrine offerte à Netflix par le Festival de l'autre. Le président de Lucky Red avait d'ailleurs démissionné de l'ANICA. Lucky red a aussi distribué un autre film Netflix, 22 July de Paul Greengrass, durant quelques jours. Et Netflix annonce une sortie en décembre dans quelques cinémas de Roma, d'Alfonso Cuaron, Lion d'or à Venise.

C'est la première fois que l'Italie légifère sur la chronologie des médias.

Canal + plutôt que Netflix

A l'inverse, en France, le récent accord, il y a une semaine, entre Canal + et les organismes du cinéma (Blic, Bloc et L'ARP) ont modifié la chronologie des médias, sans résoudre le problème Netflix. Ce nouveau texte, qui rend pérenne le financement du cinéma français par Canal +, modifie à la marge les fenêtres d'exclusivité.

Toutes les fenêtres de diffusion sont avancées: 6 à 8 mois pour Canal + (ou OCS) au lieu de 10 par exemple. Une chaîne gratuite pourra diffuser les films à partir de 19 ou 22 mois au lieu de 30. Un service de streaming comme Amazon ou Netflix devront attendre 28 ou 30 mois après la diffusion en salles, au lieu de 36 actuellement. Un comble si le film est produit par une plateforme de SVàD. Pour la vidéo et la vidéo à la demande, le délai est de 4 mois sauf pour les films ayant réalisé moins de 10000 entrées (3 mois après la sortie en salles). Il y a aussi quelques dérogations et exceptions, notamment pour les documentaires et les fictions au budget inférieur à 1,5M€.

Des subventions sous conditions pour le cinéma israélien?

Posté par redaction, le 22 octobre 2018

Ce dimanche, le gouvernement israélien a adopté un projet de loi qui fait polémique. Cette loi permettrait de retirer des subventions aux films et aux spectacles qui ne seraient pas "loyaux" envers l'Etat. Ce projet est évidemment dénoncé par les milieux culturels, qui y voient une manière d'interférer dans la liberté d'expression et la liberté de création.

La ministre israélienne de la Culture et des Sports Miri Regev commence un long parcours parlementaire avant que sa loi n'entre en vigueur. Selon l'AFP, les ministères des Finances et de la Culture auraient "le pouvoir de supprimer les subventions à toute institution présentant des œuvres artistiques niant le droit à l'existence de l'Etat d'Israël, s'attaquant au drapeau national, présentant le jour de l'indépendance du pays comme un jour de deuil, ou incitant au racisme et au terrorisme."

"Oui à la liberté de la culture, non aux provocations!", a proclamé la ministre sur Facebook, qui s'en prend souvent aux artistes, jugés élitistes et considérés à gauche. Cette loi découle en fait d'une indignation publique de la ministre très à droite quand, l'an dernier, Foxtrot, a reçu le Grand Prix du Jury à la Mostra de Venise et le prix du meilleur film étranger au National Board of Review. La ministre affirmait "avoir honte" que l'académie israélienne ait choisi le film pour représenter le pays aux Oscars, considérant qu'il "salit l’image de l’armée" du pays.

Défiance mutuelle

Miri Regev a publiquement exprimé sa révulsion à l'égard d'une scène du film montrant des soldats israéliens qui tuaient accidentellement des civils palestiniens  innocents à un check-point, avant de dissimuler leur bavure avec un bulldozer. "Quand un film israélien remporte un prix international, le cœur s’emplit de fierté, et d’instinct, je veux renforcer et encourage la réussite israélienne. Mais il y a une exception à cette règle, quand le monde s’enflamme autour de l’auto-flagellation et la coopération avec le discours anti-israélien" avait-elle écrit lors du sacre vénitien du film.

De là est née sa loi: la ministre a menacé de couper les vivres aux films jugés « anti-israéliens ». Dès le mois de mars, elle a demandé des informations détaillées sur le processus d’approbation des films afin d'encadrer le financement en fonction de certains critères. Cela s'apparente à une forme de censure. Si le cinéma israélien dépend beaucoup des aides de l'Etat, la plupart des cinéastes ont recours à des coproductions internationales.

Il ne fait jamais bon de mélanger politique et création, et, conséquence de cette polémique l'an dernier, elle n'avait pas été invitée à la cérémonie de remise des prix Ophir (les César du cinéma israélien). Foxtrot a remporté 8 trophées dont ceux du meilleur film et du meilleur réalisateur.

Miri Regev n'aime pas grand chose de toute façon: la nudité, les œuvres qui critiquent le pays ou la politique de son chef de gouvernement, les poèmes palestiniens, ... Elle se fâche régulièrement avec les artistes.

Dina Aldor, directrice de la prestigieuse et populaire Batsheva Dance Company, l'une des compagnie de danse majeure dans le monde, a rappelé cet été à Montpellier: "L’argent des subventions, c’est celui de nos impôts à tous, c’est celui du peuple. Le gouvernement a l’obligation de le distribuer à la culture comme à la santé ou à l’éducation selon des critères objectifs précis : nombre de représentations, de danseurs, de créations. Quand la nouvelle ministre Miri Regev a émis l’idée de soumettre ces subventions à la reconnaissance de la politique du gouvernement dans les Territoires occupés, cela a déclenché une panique, une prise de position dure d’Ohad Naharin et des artistes. Ensuite, nous avons vérifié avec des avocats : la loi nous protège, elle n’a pas le droit de changer les critères (objectifs) d’attributions des subventions. Alors aujourd’hui, on la laisse parler, et nous on travaille. Les gouvernements passent, les artistes restent."

En Pologne, le film « Kler » bat des records au box office et se transforme en polémique politique

Posté par vincy, le 5 octobre 2018

935000 spectateurs le week-end dernier pour Kler (Clergé en français) au box office polonais. Le film de sorti le 28 septembre réalisé par Wojciech Smarzowski a battu tous les records locaux depuis 30 ans, surclassant Cinquante nuances de Grey, Star Wars et n'importe quel film polonais. Cold War, primé à Cannes et représentant du pays pour les Oscars, n'a ainsi attiré "que" 755000 spectateurs au cours de sa carrière. Un phénomène d'autant plus marquant que ce drame aborde un sujet brûlant : les prêtres et la pédophilie, dans un pays encore très catholique.

Il reste encore de la marge pour battre le record de recettes historique dans le pays (Avatar, seul film à avoir dépassé les 20M$ aux box office). Mais ce devrait être le plus gros succès polonais dans le pays, record détenu par Lejdis, comédie sortie en 2008.

Le film dénonce pourtant les méthodes et les affaires d'une église omniprésente dans le champ politique polonais et à laquelle le peuple reste très attaché 40% des Polonais croient encore aux lois de l'Eglise et un peu plus vont régulièrement à la messe). Dans les débats, l'Eglise encaisse et compte sur ses relais.

Le chef du parti ultraconservateur et nationaliste (au pouvoir), Jaroslaw Kaczynski, a même parlé d'un "coup porté contre la Pologne", le chef du bureau de sécurité nationale Pawel Soloch hurle au "film de propagande odieux". Le film attise les passions dans un pays où la religion catholique est encore enseignée à l'école et où l'Eglise intervient intensément dans la politique (l'avortement est toujours interdit, le blasphème est un délit pénal).

"Tous ceux qui portent la Patrie dans leur coeur, qui aiment Dieu et la Pologne, doivent dire clairement aujourd'hui "non" à la destruction de nos valeurs nationales", a affirmé une association de journalistes catholiques, appelant au retrait d'un film profondément "anticlérical, anticatholique et antipolonais" qui "fausse" l'image de l'Eglise, rapporte l'AFP.

La vérité sur une Eglise intouchable

En s'attaquant aux crimes pédophiles des prêtres, Kler tombe à pic. Des scandales de ce genre, il y en a chaque semaine qui sont révélés du Chili aux Etats-Unis, d'Irlande à l'Allemagne, du Canada à la France. Il y a déjà eu des films sur le sujet (Sleepers, Spotlight) et le prochain Ozon, Grâce à Dieu, sera sur ce thème.

En montrant les coulisses de l'institution cléricale, le réalisateur Wojciech Smarzowski, qui a du tourner une partie de son film en République tchèque, met en lumière ce que pensent les Polonais sur la sacro-sainte Eglise. Nombreux sont ceux qui avouent que le pays a besoin de voir son Eglise en face, de comprendre cette vérité.

Le film raconte l'histoire de trois prêtres. L'un d'eux est accusé (à tort) d'actes pédophiles tandis qu'un autre utilise tout son pouvoir pour masquer ses propres "écarts". Victimes ou témoins de tels crimes dès leur enfance, c'est en fait un combat pour que le mensonge gagne sur la vérité. C'est aussi un film qui expose la corruption, l'hypocrisie, l'abus de bien social, l'alcoolisme et l'homosexualité des élites religieuses. Le cinéaste a fait relire son scénario à des membres du clergé, qui ont authentifié chacune des déviances racontées.

"Aucun réalisateur n'a jamais osé présenter une vision aussi critique de l'Eglise catholique en Pologne. Kler s'attaque ouvertement à l'Eglise et dénonce tous ses péchés cardinaux allant de cas de pédophilie, au versement d'argent par les fidèles pour accéder aux sacrements, aux appels d'offres truqués et à la démoralisation généralisée de la hiérarchie", explique Janusz Wroblewski, critique de cinéma.

Controversé, dérangeant, le film a remporté six prix au Polish Film festival dont celui du public.

Fan Bingbing doit 129M$ au fisc chinois

Posté par redaction, le 3 octobre 2018

Une semaine après les inquiétudes parues dans la presse internationale sur l'étrange disparition de l'a star chinoise Fan Bingbing, celle-ci est réapparue. Ce mercredi 3 octobre l'actrice a présenté ses excuses à ses fans comme au Parti communiste. On sait très bien comme ce genre d'acte de contrition est piloté par les autorités politiques. Un mélange de confessions sous contraintes et de propagande téléguidée, diffusé sur le réseau Weibo, implorant ses fans de lui pardonner ses erreur: "Sans les bonnes politiques du Parti et du pays, sans l'attention pleine d'amour des masses, il n'y aurait pas de Fan Bingbing". A côté les excuses publiques de Hugh Grant ou George Michael quand ils ont été surpris dans des relations sexuelles clandestines paraissent bien mièvres.

On apprend ainsi que le fisc chinois lui réclame 112 millions d'euros d'impôts, amendes et pénalités. Cette somme serait liée à la politique du double contrat (un officiel pas trop imposé et un officieux où elle est rémunérée de manière bien plus importante). Elle peut éviter les poursuites si elle règle la note dans le délai imparti. Ce qui n'empêchera pas certaines arrestations.

En révélant le litige réel entre le pouvoir chinois et l'actrice, le fisc dissipe le mystère autour de la disparition de la star, alors que les rumeurs s'emballaient. L'agence officielle Chine nouvelle a servi de relais et a confirmé qu'une personne a déjà été arrêtée dans le cadre de cette enquête pour dissimulation et destruction de documents comptables.

Depuis l'enquête sur Fan Bingbing, le fisc a décidé de procéder à une grande investigation dans les industries du spectacle.  Rappelons que l'actrice n'a jamais été citée nommément: ce sont les entreprises qu'elle possède qui étaient dans le viseur. Les intermédiaires (comptables, avocats, ...) seraient tous inquiétés actuellement.

Mise à jour le 4 octobre: L'actrice Fan Bingbing a été libérée aujourd'hui selon le South China Morning Post de Hong Kong. Ce qui prouve bien qu'elle était en détention, a priori dans une résidence de luxe près de Wuxi.

Venise 2018: Jacques Audiard plaide pour l’égalité des sexes

Posté par vincy, le 2 septembre 2018

Lors de sa conférence de presse pour Les Frères Sisters à Venise, le réalisateur Jacques Audiard a critiqué l’absence de femmes à la tête des festivals de cinéma. "Ne nous posons pas la question du sexe des films, posons-nous la question de savoir si les festivals ont un sexe, si les dirigeants des festivals ont un sexe. Ça, c’est une question simple et la réponse est oui. Je pense qu’il y a un problème là, et un autre problème, c’est que depuis vingt-cinq ans, j’ai souvent vu les mêmes têtes, les mêmes hommes à des postes différents, mais toujours là. " Par ailleurs, il a regretté sa solitude sur ce sujet: "J’ai envoyé des courriers à mes confrères de la sélection et j’ai senti qu’il n’y avait pas un écho formidable."

Pourquoi ce n'est plus tout à fait vrai? ça change déjà puisque Berlin, après 18 ans de règne de Dieter Kosslick, va être codirigé paritairement par Carlo Chatrian et Mariette Rissenbeek. Locarno sera dirigé par une femme, Lili Hinstin, pour remplacer Chatrian. A Toronto, après 23 ans à la tête du festival, Piers Handling va passer la main au plus jeune Cameron Bailey, d'origine barbadienne (Antilles britanniques).

Vieux débat, plutôt cannois jusqu'à présent, il a aussi noté la sous-représentation féminine en compétition (une réalisatrice, Jennifer Kent, pour vingt réalisateurs). Audiard s'est lancé dans un vif plaidoyer pour l'égalité. Jacques Audiard, qui est membre du mouvement féministe "50/50 pour 2020", en appelle donc à changer les choses en féminisant les comités de sélection et les sélectionneurs des festivals."L’égalité, ça se compte, la justice, ça s’applique, c’est très simple. Après on commencera à être un peu sérieux et on évitera ces aberrations comme ce vingt contre un." Il fait partie des signataires des appels à l'égalité des sexes, signés à Cannes, Locarno et Venise.

Pourquoi le problème est ailleurs? on ne le dira jamais assez, la faute n'est pas forcément celle des festivals. Rappelons qu'Alberto Barbera, le directeur artistique de la Mostra, avait déclaré en août qu’il préférerait "changer de métier plutôt que d’être obligé de sélectionner un film parce qu’il a été réalisé par une femme et non parce qu’il est réussi." La discrimination positive (hormis l'obligation de sélectionner des films nationaux, une sélection doit rester libre, comme une ligne éditoriale d'un journal) n'est pas applicable. Si on veut plus de femmes dans les sélections, il faut plus de femmes dans les écoles de cinéma et surtout que les producteurs/productrices fassent davantage confiance aux réalisatrices. C'est là un retard qui perdure dans le monde entier. Par ailleurs, il y a de nombreuses femmes dans les comités de sélection y compris dans ceux de Cannes, même si la proportion reste majoritairement masculine.

Longuement applaudi pour ce "manifeste", il a lancé à la presse: "Non, on applaudit pas. On agit".

Pourquoi Jacques Audiard n'est pas le mieux placé pour parler égalité? Regardons sa carrière. Réalisateur de vidéo-clips? Pas une seule chanteuse. Scénariste? Pour trois réalisatrices contre 11 réalisateurs. Producteur? Deux réalisateurs (dont Campillo pour 120 BPM). Ses co-scénaristes? Que des hommes depuis son premier film, et côté adaptations, que des romans écrits pas des mecs. Ses directeurs de la photographie? Sur ses 8 films, une seule fois, Audiard a engagé une directrice de la photo. Son compositeur de musique? Alexandre Desplat. Ses acteurs? Hormis Sur mes lèvres et De rouille et d'os, aucune femme dans un rôle principal. Dans Les Frères Sisters, tous les personnages sont masculins, hormis une chef de village (très masculine) et ses prostituées (petits rôles) et la mère (5 minutes à l'écran). Le générique compte neuf producteurs masculins pour trois productrices, et sinon une monteuse, trois femmes au casting, une décoratrice et une costumière. John C. Reilly, acteur et co-producteur du film, a beau se défendre en assurant que la moitié de l'équipe de Les Frères Sisters était féminine, ce n'était pas forcément aux postes les plus prestigieux d'un tournage. On remarque d'ailleurs sur cette photo de tournage, qu'il n'y a que quatre femmes sur le plateau, aux côtés de onze hommes. On agit?