Et si on regardait… La grande illusion

Posté par vincy, le 13 mai 2020

C'est au tour de France 3 de proposer du cinéma l'après-midi. La case sera réservée aux films de patrimoine. Ce mercredi 13 mai à 13h45, la chaîne proposera La grande illusion (1937), chef d'œuvre de Jean Renoir avec Jean Gabin, Pierre Fresnay et Erich von Stroheim.

Renoir a écrit le scénario avec Charles Spaak, l'un des plus grands scénaristes français, à qui l'on doit aussi La Kermesse héroïque, Thérèse Raquin et Cartouche. A deux ans de la seconde guerre mondiale, alors qu'Hitler commence à terroriser l'Europe, les deux auteurs livrent ici une œuvre profondément humaniste, un vibrant appel à la paix, à une possible amitié franco-allemande et à la fraternisation des peuples, transcendée par cette "Marseillaise" devenue hymne collectif à la libération des peuples.

Le film se déroule durant la première guerre mondiale, vingt ans plus tôt. L'avion du lieutenant Maréchal et du capitaine de Boëldieu est abattu par le commandant von Rauffenstein, un aristocrate connaissant par hasard la famille du capitaine de Boëldieu. Les deux officiers sont envoyés dans un camp en Allemagne. Les prisonniers de toutes nationalités et de toutes classes sociales cohabitent dans un quotidien peu optimiste. Les multiples tentatives d'évasion échouent. Les mois passent. Maréchal et Boëldieu sont transférés dans un camp en montagne, dirigé par von Rauffenstein, blessé et infirme depuis leur dernier rencontre. Une amitié ambivalente se noue entre les ennemis. Maréchal va tenter une ultime évasion vers la Suisse.

Aussi surprenant soit-il, ce film, considéré comme une référence par tous les grands cinéastes dans le monde (notamment Scorsese qui en a fait un de ses films de chevets), et cité parmi les meilleurs films du siècle, a pu être financé grâce au soutien de Jean Gabin, plus grande star française de l'époque. Imposé par la production, Erich von Stroheim, réalisateur réputé et acteur notoire, a contraint Renoir à étoffer son rôle.

Il faudra attendre 1958 pour voir La grande Illusion dans son intégralité. A sa sortie, on en avait coupé 18 minutes. Enorme succès au box office avec 6 millions d'entrées et autant lors de ses ressorties ultérieures. Mais pour Joseph Goebbels, le film était "l'ennemi cinématographique numéro un" et le dirigeant nazi a voulu en détruire toutes les copies. Le film fut d'ailleurs interdit durant toute l'Occupation de la France durant la seconde guerre mondiale. Il faut dire que les antisémites haïssaient la dernière partie du scénario où Maréchal se lie d'amitié avec un Juif, Rosenthal.

Cela rend le film d'autant plus intéressant, et légitime dans son propos. Mais c'est bien la mise en scène de Renoir, et ses magnifiques travellings, qui en fait un film majeur.

Film de guerre, film de prison, film d'hommes aussi. Film d'hiver et point de vue optimiste, film d'action captivant et aventure humaine (même captivée), La Grande illusion est surtout une galerie de portraits et une déclaration politique. Tout est clair, cadré, solide. Il y a une maîtrise du récit comme des enjeux qui en font une leçon de cinéma. Renoir ne laisse pas place à l'interprétation, jouant à la fois sur une théâtralité atemporelle et sur un réalisme universel. Le film n'a pas vieilli. Même son noir et blanc reste sublime et confère une forme de poésie visuelle.

Loin d'être classique, la mise en scène atteint un formalisme pur, où tout conduit de la guerre à l'amour, du conflit à la fraternité. Ce qui séduit le plus d'ailleurs est cette composition de visages, de tempéraments, de caractères formée par les prisonnier. C'est toute la beauté de cette Grande illusion: nous faire comprendre le message sans le souligner. Ici les murs sont multiples: culturels, patriotiques, sociaux. Cette "internationale" n'est plus liée à une fusion des nations mais bien à l'union des peuples. "C’est l’idée de frontière qu’il faut abolir pour détruire l’esprit de Babel et réconcilier les hommes que séparera toujours cependant leur naissance" écrivait François Truffaut.

Car on ne retient finalement que l'humanité qui se dégage de tout le récit.