Cannes 2014 – La lettre à… Philippe Lacôte

Posté par MpM, le 17 mai 2014

runCher Philippe Lacôte,

Avec votre film Run, c'est l'histoire récente de la Côte d'Ivoire qui s'invite sur la croisette. Une histoire complexe et douloureuse dont vous dépeignez avec justesse les grands traits. Car votre but n'est pas de faire un récit factuel de la situation du pays, mais plutôt une allégorie de ses nombreuses plaies.

Le personnage principal est un orphelin confronté dès son plus jeune âge à l'horreur de devoir tuer son maître chéri pour obéir aux croyances  traditionnelles de son peuple. Sa vie ne sera alors plus qu'une longue fuite pour échapper à un destin de plus en plus cruel, et surtout défendre sa liberté.

Avec humour et pudeur, vous évoquez les souffrances d'une population affamée (s'amusant de voir une femme manger jusqu'à la nausée), la corruption de mouvements politiques qui ne pensent qu'à leur propre conservation, l'absurdité d'un monde où l'argent peut tout acheter impunément.

Vous racontez aussi les espoirs déçus (notamment ceux de l'indépendance) et la dignité écrasée par la loi du plus fort. Vous montrez enfin comment s'enclenche le cercle infernal de la violence, qui n'entraîne rien d'autre qu'une violence décuplée.

Ce qui fait de votre film, en plus d'un témoignage allégorique sur la Côte d'Ivoire, une œuvre universelle qui trouve des échos bien au-delà de l'Afrique. En Hongrie, par exemple, où le nouveau film de Kornel Mundruczo (White god) dit sensiblement la même chose à travers une métaphore filée sur les chiens. Lorsqu'on maltraite trop un chien (ou un homme) dit en substance le film, il finit par se révolter, et par utiliser la violence dont il a été victime contre ses oppresseurs.

Chez Mundruczo, l'espoir vient de l'art (en l’occurrence la musique) qui calme les mœurs au sens propre et peut aider à faire évoluer les mentalités. Chez vous, on ne retrouve même pas un tel optimisme.