Poitiers : quand la musique révèle l’image

Posté par MpM, le 11 décembre 2008

FadosComment filmer la musique ? C’est à la fois une question rencontrée par bien des cinéastes et le nom d’un atelier de création documentaire initié par les Rencontres Henri Langlois en association avec la SACEM et en coproduction avec Ars Nova ensemble instrumental. Le principe est simple : sélectionner par le biais d’un appel à projet de jeunes réalisateurs diplômés d’un cursus de réalisation documentaire et les faire travailler sur une création contemporaine du compositeur Martin Matalon (Traces I) pour violoncelle et ordinateur. A l’arrivée, cela donne quatre courts métrages de treize minutes, à la fois indépendants et complémentaires, qui tentent de restituer la vision particulière de leur auteur sur la manière de donner corps à la musique.

Dommage, les œuvres ainsi obtenues peinent à dépasser l’exercice de style. Peut-être les jeunes réalisateurs sont-ils trop restés dans le premier degré en illustrant uniquement le processus de création musicale par des images de répétitions entre Martin Matalon et sa violoncelliste Isabelle Veyrier, au lieu de lui offrir une résonnance plus multiple dans d’autres scènes ou d’autres lieux. Toujours est-il qu’on étouffe un peu dans cet huis clos d’un auditorium vide où se joue le tête à tête entre les artistes… De plus, filmés au même endroit au même moment, les quatre films deviennent redondants. Le seul qui soit réellement convaincant est celui qui, justement, s’extrait de ce contexte étriqué pour montrer l’envers du décor, cet ensemble gigantesque d’immeubles qui semblent assaillir la salle de répétition. Il ne s’agit plus de labeur et de minutie mais de sentiments bruts démontrant le pouvoir émotionnel de la musique.

Toutefois, si le résultat peut apparaître mitigé, la démarche n’en est pas moins passionnante, d'autant qu'elle trouve écho sur grand écran, et notamment devant la caméra de réalisateurs confirmés comme Pere Portabella (Le silence avant Bach) ou Carlos Saura (Fados, prévu le 14 janvier). Les deux cinéastes espagnols se sont en effet penchés l’un sur la musique de Bach, et plus généralement la discipline absolue de la création musicale, l’autre sur l’art du fado, ce chant portugais mélancolique et profond. Chacun dans son genre, les deux films expérimentent cette tentative impossible de retranscrire par l’image le pouvoir de la musique : Portabella en tentant de décortiquer ce pouvoir, s’adressant plus à l’esprit de son spectateur qu’à son cœur ou ses sens, Saura en proposant au contraire tout un panel d’émotions et de sensations par le biais d’interprétations variées et complexes seulement appuyées par la puissance affective de la danse. Comme les jeunes réalisateurs de l’atelier de création, ils n’échappent pas à une certaine forme d’exercice de style, mais prouvent ainsi que la question de "comment filmer la musique" garde tout son sens.

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Dans les traces de Camille Fougère
Les sens des traces de Benoit Perraud
Continuum d'Etienne Duval
Traces I : l'esprit, le corps, la machine de Oona Bijasson

Le silence avant Bach : mystérieux ou soporifique ?

Posté par MpM, le 18 novembre 2008

blog_silencebach.jpg L’histoire : Johan Sebastian Bach était un homme modeste. Cantor dans la prestigieuse école de Santo Tomas à Leipzig, il s’est inlassablement tué à la tâche sans en tirer la moindre gloire. Il fallut même attendre les siècles suivants pour que sa musique et son talent soient enfin reconnus. Au travers de reconstitutions, de performances et de reportages, Pere Portabella transforme cette anecdote en réflexion sur la création musicale et l’importance de la musique dans nos sociétés.

Ce qu’on en pense : Deux réactions semblent possibles face à ce film extrêmement aride et ambitieux : soit on adhère inconditionnellement à sa manière éparse et ténue de mettre en perspective le destin de Bach et le mystère de la musique, soit on s’ennuie ferme devant cette succession de saynètes tantôt reconstituées, tantôt réelles, qui ne nous touchent pas vraiment. Sur le principe pourtant, la démarche de Portabella interpelle. On est intéressé comme lui par la discipline absolue nécessaire à l’exercice d’un instrument ou le plaisir presque physique que peut provoquer une mélodie. On s’interroge avec ses personnages (au cours d’une conversation hélas trop brève) sur le pouvoir que peut avoir la musique sur l’esprit et le corps et les proportions que cela a pu prendre par le passé, notamment dans les camps de concentration nazis.

Mais l’absence d’intrigue, ou au moins de ligne directrice, couplée à quelques séquences purement formelles (musique de chambre dans le métro, clavecin solitaire dans un appartement désert…), perd tous ces concepts en route. Le réalisateur a beau faire la démonstration de l’inébranlable supériorité des notes sur la maladresse chronique du langage parlé, il n’en imagine pas moins un film purement intellectuel pour évoquer ce qui est avant tout sensuel et éminemment intime. Au lieu d’une rêverie généreuse autour de l’œuvre du grand musicien, Le silence avant Bach est comme une mystique fermée à laquelle il ne serait pas donné à tout le monde de participer.

Cinespana 08 : le jury couronne Todos estamos invitados de Manuel Gutierrez Aragon

Posté par MpM, le 13 octobre 2008

Todos estamos invitadosDans une compétition mêlant réalisateurs confirmés (Mario Camus, Ventura Pons, Pere Portabella…) et nouveaux venus (Jaime Marquès, Xavi Puebla), mais aussi thématiques sociales universelles (mondialisation, paupérisation, nationalisme…) et sujets plus intimes (la solitude, l’inconstance, la survie…), c’est assez logiquement le long métrage le plus brûlant, abordant la lutte armée de l’ETA dans le pays basque espagnol, qui a remporté la Violette d’or, récompense suprême de Cinespana. Todos estamos invitados du cinéaste internationalement reconnu Manuel Gutierrez Aragon (Demonios en el jardin, Maravillas…) réalise même le doublé en recevant par ailleurs le prix d’interprétation masculine pour le jeune Oscar Jaenada. Le reste du palmarès distingue Oviedo Express de Gonzalo Suarez (meilleur musique et meilleure photo), Siete mesas de billar frances de Gracia Querejeta (prix d’interprétation féminine pour Blanca Portillo) et le dernier opus de Ventura Pons, Barcelona (un mapa), prix du scénario assez mérité, tandis que le prix du public va à Bajo las estrellas de Felix Vizcarret, présenté en section Panorama.

Un cran au-dessus de la concurrence (seul Mario Camus et son El prado de las estrellas avaient réellement de quoi rivaliser avec le savoir-faire de Gutierrez), Todos estamos invitatos suit le destin de Xabier, professeur d’université qui a le tort de se prononcer publiquement contre l’organisation nationaliste Euskadi ta Askatasuna. D’abord menacé par celui qu’il considérait comme un ami, il fait alors l’expérience de la peur diffuse et continue qui s’insinue dans chaque morceau de l’être, jusqu’à ne plus lui laisser le moindre repos. Un peu à l'image de Gomorra de Matteo Garrone, Todos estamos invitados évite au maximum les ressorts du thriller traditionnel (suspense, action, grand spectacle) et se concentre sur les méthodes utilisées par l’ETA pour neutraliser par la terreur tous ceux qui voudraient s’opposer à elle mais également sur l’impuissance des forces de l’ordre à faire face à une telle situation. Sur le fond, on respecte sa démarche et son point de vue, quitte à passer sur l’absence de contrepoint ou même d’explication politique. Par contre, sur la forme, impossible de nier que cette succession de scènes extrêmement courtes et parfois peu signifiantes peine à passionner le spectateur, qui a par moments l’impression d’assister à une démonstration parcellaire. Pour Cinespana, toutefois, c'est l'occasion de distinguer une oeuvre engagée et courageuse parfaitement en prise avec la réalité contemporaine et de saluer la capacité de certains cinéastes espagnols à s'interroger frontalement sur ce qui ne va pas dans leur pays.

Cinespana 08 : premier aperçu de la compétition

Posté par MpM, le 8 octobre 2008

lesilencedebach.jpgPour cette première prise de pouls de la production espagnole des dix-huit derniers mois, la curiosité est au rendez-vous. Que devient le cinéma de l’autre côté des Pyrénées ? A en juger par les trois films en compétition du jour, il n’a rien perdu de sa diversité ni de son désir d’expérimentation. Par contre, s’il est toujours ancré dans l’Histoire du pays, principalement au travers de références à la guerre civile, il semble également résolument tourné vers l’universel, avec des intrigues facilement transposables n’importe où.

Le plus évident, c’est Ladrones (Voleurs), premier long métrage du scénariste Jaime Marqués, qui suit la déchéance d’un jeune pickpocket à la recherche de sa mère. Le réalisateur lui-même l’avoue : le film n’a rien de spécifiquement espagnol, et ce cadre urbain plein de recoins, de parkings et de stations de métro pourrait se situer dans pas mal de grandes villes occidentales. Quant à son personnage, un adolescent paumé et désespérément à la recherche de quelqu’un qui l’aime, il est plus représentatif de son époque que d’une quelconque identité nationale. Côté réalisation, Marqués lorgne tantôt vers le teen movie à l’américaine (avec love story et séance shopping), tantôt vers la pure tragédie méditerranéenne, à mi-chemin entre classicisme et maniérisme (le prologue et l’épilogue du film, en teintes bleutées et avec effets de ralentis…)

Dans un genre totalement différent, le très attendu Silence avant Bach (photo) de Pere Portabella se moque forcément des frontières et des références nationales puisqu’à partir de l’exemple de Bach, il propose une réflexion sur l’importance de la musique dans nos sociétés. On y perçoit la discipline absolue nécessaire à l’exercice d’un instrument, mais également (quoique fugacement, hélas) le pouvoir que peuvent avoir chants et mélodies sur l’esprit et le corps. Le film, d’un abord peu facile, mêle reconstitutions historiques, performances musicales et bribes de vérités historiques sans réellement suivre d’intrigue ou de ligne directrice. Comme une rêverie autour de l’œuvre de Bach à laquelle il ne serait pas donné à tout le monde de participer.

Enfin, il y a de quoi rester perplexe devant le dernier film de Ventura Pons, Barcelona (un mapa), qui s’ancre indéniablement dans la capitale catalane (au travers notamment d’images d’archives rappelant l’hispanisation forcée de la région) mais se déroule presqu’exclusivement dans le huis clos d’un appartement impersonnel. Cet essai mi-dramatique, mi-cynique sur la solitude urbaine et l’abjection humaine a quelque chose d’une mauvaise pièce de boulevard artificiellement entrecoupée de flashbacks sous acide. La thématique, là encore, est tristement universelle… et confirme la variété du cinéma espagnol, extrêmement ouvert sur le monde, avide de renouvellement et peu enclin à se laisser topographier a priori.