Cannes 2013 : Où sont les femmes ? – Sarah préfère la course

Posté par MpM, le 23 mai 2013

sarah préfère la courseLe premier long métrage de Chloé Robichaud a pour héroïne une jeune fille atypique, Sarah, qui n'a d'intérêt que pour la course. Dans ce domaine, elle assure. Mais pour ce qui est de sa vie personnelle, c'est plus chaotique.

La jeune réalisatrice québecquoise réalise un portrait sensible et drôle qui capte avec justesse les contradictions de l'être humain. Sarah n'est ni caricaturale, ni fade, et avance dans la vie comme elle peut. Son manque de confiance en elle, son indécision face à ses propres sentiments, son amour de la course à pied composent un personnage complexe et ancré dans le monde. En effet, toutes les femmes ne sont pas des romantiques invétérées (ici, c'est son colocataire qui endosse ce rôle), et oui, une femme peut faire passer sa carrière (et sa passion, sportive par de-ssus le marché) avant toute autre chose, famille et vie sentimentale comprises.

C'est un vrai soulagement de voire une composition trancher autant avec les personnages post-ado tels que le cinéma a tendance à les représenter : fades, évaporés et stéréotypés. Avec Sarah, Chloé Robichaud prouve que l'on peut écrire des rôles féminins qui ne soient ni des femmes au foyer idéales, ni des bimbos décérébrées, ni des "petites amies" ou "femmes" de. Exemple à suivre.

Cannes 2013 : où sont les femmes ? – François Ozon et la prostitution féminine

Posté par MpM, le 22 mai 2013

jeune et jolieFrançois Ozon aurait mieux fait de se taire... Lors d'une interview accordée au magazine professionnel Hollywood reporter en début de semaine, le cinéaste avait déclaré : "Je pense que les femmes peuvent ressentir une connexion avec l'héroïne du film, car la prostitution est un fantasme commun à de nombreuses femmes. (...) Cela ne veut pas dire qu'elles le font, mais le fait d'être payé pour coucher est quelque chose qui est assez évident dans la sexualité féminine."

Propos qui ont à juste titre ému, notamment dans les réseaux sociaux, poussant le réalisateur à essayer maladroitement de se rattraper sur son compte Twitter : "Propos maladroits et mal compris. Évidemment je ne voulais pas parler des femmes en général, juste des personnages de mon film". Rétro-pédalage en règle...

Dans l'imaginaire collectif (et pas uniquement masculin), la prostituée est une figure archi-classique du cinéma. En une semaine de festival, on en a déjà croisé chez Jia Zhang-ke, Amit Kumar, James Franco, Paolo Sorrentino, Guillaume Canet, Mahamat-Saleh Haroun, Nicolas Winding Refn et bien sûr François Ozon. Mais pour la plupart des personnages, il ne s'agit guère de réaliser des fantasmes sexuels. Se prostituer est parfois l'un des rares moyens, pour une femme, de subvenir à ses besoins. Comme le dit l'héroïne de Grigris : "il faut bien qu'elle mange, Mimi."

Pour d'autres réalisateurs, la prostituée est avant tout une jolie femme sur laquelle chacun peut projeter ses fantasmes. Toujours sexy, toujours consentante, facilement interchangeable. Une récompense pour les héros (Monsoon shootout), une proie facile pour les pervers (Only God Forgives). Pas très éloignée de la poupée gonflable, au fond. Même François Ozon aura rectifié de lui-même : peu de femmes rêvent de connaître une telle réalité.

Cannes 2013 : Où sont les femmes – We are what we are

Posté par MpM, le 21 mai 2013

we are what we areWe are what we are de Jim Mickle se déroule au coeur d'une famille dysfonctionnelle. Sous le joug sévère et inquiétant du père de famille, deux jeunes filles (Iris et Rose) sont chargées à la mort de leur mère de gérer la maison et de surveiller leur petit frère Rory.

On est là face à une vision éminemment traditionnelle de la famille, soumise à l'autorité toute-puissante du patriarche incontesté qui s'arroge un droit de vie et de mort sur ses enfants, et se révèle absolument prêt à tout pour garder le contrôle sur leur existence.

Mais loin de Jim Mickle l'idée d'encenser ce type d'organisation familiale. Au contraire, tout son film peut être vu comme l'implosion du modèle à travers la lente et (au départ) timide rébellion des deux adolescentes.

Loin du stéréotype classique des jeunes filles effacées et dociles, Iris et Rose ont en elle une part de violence qui finit par s'exprimer à travers le meurtre,  le sexe,  et la brutalité la plus sauvage à l'égard de leur père.  C'est à ce prix que ces deux héroïnes atypiques et ambiguës gagnent leur indépendance et reprennent le contrôle de leur existence.

La séquence finale, qui mêle cannibalisme et amour filial, peut même être interprétée symboliquement comme la seule contre-attaque possible de la part  d'individus dont on a vampirisé l'existence. Il y a quelque chose de très fort dans la vision de ces deux belles adolescentes blondes aux visages angéliques qui se transforment brutalement en êtres assoiffées de sang. Comme le désir de prendre le contre-pied des clichés en vigueur en transformant des personnages de victimes-type en amazones vengeresses. Après We are what we are, vous ne regarderez plus jamais Barbie de la même façon.

Cannes 2013 : Où sont les femmes ? – Blood Ties

Posté par vincy, le 20 mai 2013

zoe saldana blood tiesGuillaume Canet ne peut pas être accusé d'être macho, ni son cosécnariste James Gray. Pourtant leur film Blood Ties, hors compétition à Cannes (et c'est déjà un trop grand honneur) électrisé mollement par l'abus de testostérone, offre un portrait affligeant de la femme. Pour ne pas dire révoltant. Certes, le film est la transposition d'un livre ancré dans une époque, mais pourquoi dépeindre ainsi, aujourd'hui, les femmes?

Au choix, elles sont putes, "infirmières" pour les bobos des mâles, même ceux à l'âme, ou dociles épouses. Marion Cotillard hérite du rôle de la prostituée, forcément camée, un peu grossière, et traître par la même occasion. Zoe Saldana est une gentille mère, qui n'hésite pas à lâcher le père de sa fille pour vivre "paisiblement" son rôle de femme au foyer chez un flic. Mila Kunis, qui avait au moins l'avantage de bosser, se marie avec un truand et abandonne toute activité professionnelle, devenant la patiente et passive épouse qui n'a plus rien à faire à part tomber enceinte. Ajoutons Lili Taylor, soeur des frères rivaux, qui ne sert qu'à cuisiner la dinde pour Thanksgiving et soigner leur père, bien traditionnaliste (comprendre : il préfère l'aîné, plus viril).

Une vision aussi "corrézienne" de la femme ("Pour moi, la femme idéale, c'est la femme corrézienne, celle de l'ancien temps, dure à la peine, qui sert les hommes à table, ne s'assied jamais avec eux et ne parle pas" dixit Jacques Chirac) stupéfait à notre époque. D'autant que les deux compères n'y vont pas avec le dos de la cuillère. On connaît l'adage "toutes des putes sauf ma mère" : dans Blood Ties, la mère des deux "héros" (et de la bonniche de soeur) est décrite comme "pute", "violente", "alcoolo", "vicieuse" et on en passe. Bref, elle a été chassée pour le bien commun de la famille. Sympathique vision qui est répétée, et donc appuyée, lorsque le meilleur pote du frère voyou se souvient : le pire souvenir de sa vie est la mort de son père et sa mère "n'était jamais à la maison" car "elle en n'avait rien à foutre". Décidément les mamans s'en prennent plein la gueule.

On peut toujours essayer de coller à un réalisme, souligner un manque de repères, décrire une société qui se désagrège, mais pourquoi en vouloir autant aux femmes? En 2013, cette vision du sexe opposé par deux scénaristes consacrées est tout simplement infecte : ils auraient pu montrer que la femme, même dans les années 70, avait un autre destin que celui de finir en prison, sur le trottoir ou derrière les fourneaux. Manque d'imagination ou, comme le film, reprise nauséeuse de clichés cinématographiques d'un autre temps? Imagine-t-on aujourd'hui un western où un cowboy affirme qu'un bon indien est un indien mort ?

On peut écrire et réaliser un "thriller" reprenant les codes d'un genre sans pour autant reproduire les poncifs idiots et désuets d'il y a 40 ans...

Cannes 2013 : où sont les femmes ? – Monsoon shoutout

Posté par MpM, le 19 mai 2013

moonsoon shootoutDans Monsoon shootout d'Amit Kumar, en séances spéciales à Cannes pour célébrer le centenaire du cinéma indien, un jeune policier est confronté à un dangereux tueur lors de sa première enquête sur le terrain. Durant ses investigations, il croise cinq personnages féminins qui se définissent tous par leur fonction plus que par leur personnalité. Il y a la mère du héros, sa petite amie, la responsable de sa division, l'épouse du tueur ainsi que sa maîtresse, qui est par ailleurs une prostituée. Très classiquement, la femme n'existe que dans sa relation à un homme.

D'ailleurs, aucune de ces femmes n'a de rôle véritablement important dans l'intrigue en elle-même. La figure maternelle est uniquement là pour mettre en garde le personnage principal contre ce qui l'attend. La petite amie est décorative (et sert selon les variantes de l'histoire de récompense pour avoir bien agi, ou de punition dans le cas contraire). L'épouse du tueur est une victime-type : son mari la bat, le Roi du taudis et les policiers veulent la violer. La maîtresse du tueur est ce qui se rapproche le plus de la femme fatale traditionnelle, mais sans grande venimosité. Elle aussi est purement décorative, soumise au désir commun de tous les hommes qu'elle rencontre.

La chef est quant à elle brossée à grands traits mais s'avère la plus ambiguë de toutes. Elle est la preuve que l'ambition et la corruptibilité ne sont pas l'apanage des hommes. De même, la petite amie se retrouve incidemment être médecin et avoir étudié à Londres. Des éléments contextuels relativement maigres, mais qui constituent une tentative louable de contrebalancer la caricature induite par le triptyque mère/épouse/maîtresse.

Curieusement, alors que la plus grande réussite du film est de dresser un portrait saisissant du contexte sociale et politique indien, il peine pourtant à s'extraire plus que ça des clichés dès lors qu'il s'agit des personnages et des relations qui les unissent. Cela dit, à la décharge du réalisateur, les protagonistes masculins ne sont pas franchement mieux traités, qui sont eux aussi de véritables stéréotypes ambulants dépourvus de toute subtilité.

Cannes 2013 : Où sont les femmes ? – Grand central

Posté par MpM, le 18 mai 2013

grand centralElle est blonde, vêtue d'un short en jean riquiqui et d'un body blanc décolleté jusqu'au nombril. La moue boudeuse et la posture à la frontière de la vulgarité. Elle s'appelle Karole (qui rime bien avec cagole), mais on ne l'apprendra par hasard qu'à la moitié du film. Quel besoin de connaître son prénom puisqu'elle représente le fantasme masculin absolu : une poupée sexy, sans personnalité et toujours consentante. "Chaude", même, comme le souligne un ami de son fiancé. Dans sa bouche, cela sonne comme un compliment.

Mais qu'allait faire Léa Seydoux dans Grand central (sélectionné à Une Certain regard au festival de Cannes), où elle n'a rien d'autre à jouer que ce cliché ambulant d'hyper féminité presque agressive mais dénuée de tout caractère ou de toute psychologie. Qui est Karole ? Que veut -elle ? Que pense-t-elle ? On n'en saura rien, puisque c'est à peine si l'actrice a dix lignes de dialogue. Au lieu de séduire son amant par deux ou trois traits spirituels, ou au moins par une conversation gentiment séductrice, elle se déshabille et s'offre en pleine nature.

Difficile après cela d'expliquer aux adolescents que, dans la réalité, les femmes ne se comportent pas exactement de cette manière, en tout cas pas systématiquement. Qu'elles se définissent autrement que par leur corps et leur attraction sexuelle. Qu'elles sont les égales des hommes, tout simplement.

Le pire, c'est que le film est signé par une jeune réalisatrice, Rebecca Zlotowski, et coécrit avec une autre femme, Gaëlle Macé. Si les femmes cinéastes véhiculent les mêmes images stéréotypées que les hommes, le débat sur l'absence de femmes dans la compétition cannoise perd tout à coup encore un peu plus de sens.

Cannes 2013 : où sont les femmes ? – A Touch of Sin

Posté par MpM, le 17 mai 2013

a touch of sinLa femme, dans le cinéma asiatique, est souvent cantonnée à des rôles très définis, on aura l'occasion d'y revenir d'ici la fin du festival de Cannes.

Premier exemple criant, A Touch of sin de Jia Zhang-ke, une fresque romanesque sur les difficultés économiques d'une partie de la population chinoise. On y croise  des individus confrontés à toutes formes de violence symbolique et sociale, qui finissent eux aussi par passer à l'acte.

Parmi les quatre protagonistes principaux, on ne trouve qu'une seule femme. Elle est la maîtresse de longue date d'un homme marié et travaille comme réceptionniste dans un "sauna" qui sert de maison close. Aux yeux des hommes qui fréquentent l'établissement, elle est donc une prostituée potentielle. Et lorsqu'elle s'en défend face à un client trop entreprenant, il laisse entendre qu'elle n'a qu'à se laisser faire, puisqu'il est riche.

La femme comme objet de plaisir au service des hommes puissants, vision classique (et toujours aussi révoltante) des sociétés patriarcales. Heureusement, Jia Zhang-ke venge l'affront en transformant l'héroïne en amazone vengeresse. Voilà au moins un homme qui n'achètera plus jamais rien ni personne avec sa fortune.

Dans les autres volets, une autre jeune femme est confrontée à la prostitution, mais elle n'a pas le loisir de s'y soustraire. Elle doit subvenir aux besoins de sa petite fille, et n'a d'autre horizon que le club très privé où elle est travaille. Les autres personnages féminins se définissent tous en fonction d'un homme : femme de, sœur de, mère de. Des stéréotypes sans aucune épaisseur psychologique, qui attendent sans cesse le bon vouloir d'un homme, qu'il s'agisse d'argent ou de chaleur humaine.

Il faut reconnaître que les personnages masculins ne sont guère mieux lotis en termes de statut social : exploités, niés, humiliés, maltraités... Ils bénéficient toutefois d'une autonomie plus importante, et demeurent au centre du récit. Comme si leur destin avait quelque chose de plus tragique que celui des personnages féminins, au fond assez traditionnel.

Pour la femme chinoise dans la société décrite par Jia Zhang-ke, il n'y a donc que deux options : femme convenable sous le joug d'un seul homme ou prostituée soumise au bon plaisir de tous.

Cannes 2013 / Où sont les femmes ? : The Bling Ring

Posté par MpM, le 16 mai 2013

bling ringEt si le sexisme au cinéma ne se mesurait pas tant au nombre de réalisatrices sélectionnées dans les festivals qu'au traitement réservé aux personnages féminins en général ?

Toutes ces "femmes de", "mères de", qui n'ont rien d'autre à jouer que la ménagère appliquée ou l'épouse attentive. La plupart du temps en arrière-plan, et avec une épaisseur psychologique proche du néant.

Quelle image des femmes ce genre de stéréotype véhicule-t-il ? Petite démonstration au cours de la Quinzaine cannoise.

Avec, pour commencer en beauté, le casting féminin de The bling ring (Sofia Coppola), qui fait l'ouverture d'Un Certain regard à Cannes ce soir, quasiment dans sa globalité. Les héroïnes sont jeunes et jolies, issues de milieu favorisé, et complétement obsédées par la mode et les célébrités. Par désœuvrement, par jeu, ou tout simplement parce que c'est possible, elles "visitent" les maisons de leurs stars favorites et emportent des trophées de plus en plus important.

L'histoire étant tirée de faits réels, difficile d'attaquer le film sur le fond. La manière dont sont imaginés les personnages laisse toutefois pantois : interchangeables, dénuées d'intelligence ou de sens moral, futiles et surtout d'une fadeur vertigineuse. Ce qui les distingue les unes des autres, c'est une coup de cheveux ou un goût prononcé pour le léopard. Pas de personnalité, aucun trait de caractère saillant, et pas une once d'imagination.

Même en s'appuyant sur la réalité, Sofia Coppola aurait pu choisir d'affiner ses personnages ou de leur donner un peu de relief. Mais elle a au contraire choisi de les styliser au maximum, pour les réduire à des corps affublés de vêtements de marque et à la personnalité indéfinie. Renvoyant ainsi malgré elle l'image d'êtres décérébrés juste avides de toucher du doigt l'existence de leurs idoles.

Des rêves, des désirs, des fêlures et des frustrations se cachaient forcément derrière les actes des apprenties cambrioleuses. Mais on n'en connaîtra rien. Pourtant, le seul personnage masculin du lot, lui, bénéficie de ce petit supplément d'âme qui permet  de passer de stéréotype désincarné à être humain. On apprend à le connaître, et des bribes du récit donnent des clefs sur sa nature profonde (mal dans sa peau, complexé, solitaire...). Au final, il est le seul à exister individuellement au milieu de poupées à peine esquissées, et c'est logiquement à lui que s'identifie le spectateur.