Annecy 2020 – le film du jour : Carne de Camila Kater

Posté par MpM, le 16 juin 2020

Puisque cette année, Annecy se déroule en ligne, Ecran Noir se fait votre guide parmi les différentes sections et vous aide à savoir ce qu'il ne faut surtout pas rater ! Pour les plus pressés, nous mettons en lumière chaque jour un film qui nous semble indispensable. Pour les autres, nous ajoutons quelques conseils supplémentaires à grapiller dans le même programme. Et enfin, pour les plus gourmands, on va plus loin avec des idées de films, hors festival, à regarder en ligne pour prolonger le plaisir...

On se penche aujourd'hui sur le programme 1 de la compétition officielle de courts métrages qui propose une sélection riche et dense de films marquants à ne surtout pas rater. Le plus saillant est sans doute Carne, premier court métrage de Camila Kater, sélectionné à Locarno en 2019, un documentaire qui donne la parole à cinq femmes d'âges et d'origines différentes, livrant chacune l'expérience intime et personnelle qu'elles ont de leur corps. La métaphore de la "viande", filée de bout en bout, renvoie sans cesse à la manière dont la société considère le corps des femmes : objets destinés au plaisir d'autrui, qu'il soit purement esthétique ou carrément sexuel, et à la reproduction.

On est donc enthousiasmé par la spontanéité avec laquelle chacune des cinq interlocutrices se livre sur des sujets généralement tabous ou juste totalement inexistants. Il y a une adolescente qui raconte la détestation de sa mère pour son corps qui ne correspond pas aux critères de beauté en vigueur. Une autre parle de ses premières règles, et du formidable sentiment d'appartenance qui l'a accompagnée. Une femme trans pointe l'hypersexualisation permanente de la femme noire, et l'intolérance brutale qui la suit partout. Une femme plus mûre aborde le passage de la ménopause et dénonce comment, parce qu'elle est lesbienne et sans enfants, on a voulu la priver de son utérus. Enfin, une comédienne désormais âgée de 79 ans donne une vision peu orthodoxe de la vieillesse, qui n'est pas nécessairement un naufrage.

L'animation change en fonction des chapitres, tantôt illustrative et presque naïve, tantôt complètement abstraite, jouant avec les représentations visuelles que l'on a généralement du corps. Si ce travail formel est souvent très expressif, synthétisant en quelques images les grandes idées sous-tendues par chaque récit, on peut malgré tout reprocher au film son rythme trépidant, presque frénétique. On aurait aimé qu'il ménage des moments de pause dans les témoignages aussi denses que passionnants, laisse l'image exister au-delà du texte et le spectateur respirer à l'intérieur de chaque partie, pour mieux accompagner chaque femme dans sa démarche. Mais qui sait, peut-être cet excellent concept pourra-t-il s'étoffer, ou se décliner à l'avenir sous une forme plus longue, car ce qui est certain, c'est que Carne est loin d'épuiser son sujet.

Au sein du même programme, 4 films ont retenu notre attention. D'abord, il y a Genius Loci d'Adrien Mérigeau, autre premier court métrage dont nous avons déjà eu l'occasion de vous parler lors de son passage à Clermont-Ferrand. Une errance narrative syncopée qui donne l'impression d'imiter les volutes du jazz, improvisant en toute liberté, ajoutant ici des images à peine esquissées qui se superposent au plan ; là, au contraire, dépouillant  le cadre de tout détail superflu. Une esthétique changeante qui est le reflet des émotions de son héroïne, et des sensations qu'elle traverse face à la vitalité invisible du monde.

Autres films pour le moins attendus, les nouveaux courts métrages de Kaspar Jancis, Kosmonaut, et Niki Lindroth von Bahr, Something to remember. Le premier oscille entre humour noir et mélancolie profonde dans son portrait d'un vieux cosmonaute qui continue de vivre comme s'il était dans l'espace. Il y a à la fois le personnage de la fille totalement indifférente (elle vérifie juste avec un miroir que son père respire encore, avant de s'éclipser sans un mot), du bébé casse-cou qui frôle de multiples accidents domestiques et du gendre scotché à son téléphone, et celui, magnifique, de ce vieil homme solitaire, enfermé dans son passé (on aura compris que son présent ne vaut pas tellement le déplacement) et qui, après avoir été un héros, est devenu un fardeau.

Dans le second, Niki Lindroth von Bahr poursuit sa veine de comédie musicale nihiliste avec des animaux coincés dans les mêmes situations désespérantes que les humains : un petit pigeon visite un zoo vide en chantant une étrange comptine sur la diable, un escargot médusé vérifie sa tension chez le médecin, des insectes travaillant au CERN supplient Dieu de leur donner "quelque chose dont se souvenir". C'est à la fois désespéré et ironiquement drôle, exactement comme l'existence.

Enfin, on avait également envie de souligner Time O' the signs de Reinhold Bidner qui dresse un portrait si brutal de nos vies numériques, vaines et abrutissantes, qu'il nous donne envie de déconnecter pour se consacrer à des choses importantes (comme voir plus de courts métrages sur la plate-forme d'Annecy). La critique est relativement facile et pas forcément d'une grande subtilité, mais le geste esthétique est réussi, avec de très beaux plans, et une manière plutôt efficace de capter l'air du temps.

Pour terminer, nous vous invitons à découvrir Kosmonaut et Something to remember directement sur le site d'Arte pour ceux qui ne sont pas accrédités pour Annecy Online, mais aussi à revoir d'autres films de Kaspar Jancis sur sa page Vimeo ainsi que Bath House de Niki Lindroth von Bahr également disponible en ligne. Adrien Merigeau a lui aussi une page Vimeo, sur laquelle on trouve notamment Old Fangs, réalisé à la fin des années 2000 avec Alan Holly, et que nous vous offrons ci-dessous.

[We miss Cannes] Côté Courts #4 : Le sens de la vie

Posté par MpM, le 24 mai 2020

On achève ce petit tour d'horizon des courts métrages passés par la Croisette avec une thématique existentielle et introspective. Si le cinéma s'intéresse toujours plus ou moins au monde, à l'existence et au reste, certains films sont plus précisément des interrogations concrètes et métaphysiques sur le sens de la vie.

C'est le cas de l'insolent et cynique Decorado d'Alberto Vazquez (Quinzaine des Réalisateurs 2016), qui dévoile un univers peuplé de créatures animales tout en rondeur, en apparence mignonnes et inoffensives, mais en réalité dépressives et névrosées, aux prises avec une existence malsaine et dysfonctionnelle. Le personnage principal, dès le départ, dévoile sa plus grande crainte : et si son monde n'était qu'un décor ? Les scènes sombres, décalées et non dénuées d'absurdité se succèdent ensuite à un rythme lancinant et malaisant. Le spectateur hésite entre un rire cathartique et l'angoisse de ne que trop se reconnaitre dans ce portrait au vitriol d'une société d'artifices et de faux semblants.

Sur une note plus positive, Garri Bardine propose dans Listening to Beethoven (Quinzaine des Réalisateurs 2016 également) une parabole sur la nécessité d'être libre pour se sentir vivant. Dans une société dystopique et déshumanisée, des robots coupent et détruisent sans relâche toute manifestation d'une vie sauvage : le moindre brin d'herbe, la plus petite pousse, le plus timide bourgeon sont ainsi condamnés à une mort immédiate. Malgré tout, la nature ne cesse de lutter pour ses droits, et finit par triompher de la plus belle des manières.

Dans Limbo de Konstantina Kotzamani, une bande d'enfants est confrontée à la fois à une baleine échouée et à un jeune garçon albinos. Dans les deux cas, ils s'interrogent afin de savoir si ces deux êtres sont vivants ou morts. Et le film de nous emporter dans un récit sensoriel et hypnotique, à la beauté sidérante, qui flirte avec les grandes peurs millénaires et les interrogations qui taraudent l'être humain depuis la nuit des temps.

Enfin, petit bonus de ce dernier programme en hommage à Cannes, et en attendant de vous parler des courts métrages qui auraient dû faire leur première sur la croisette cette année, impossible de ne pas penser à Min Borda (The Burden) de Niki Lindroth von Bahr (Quinzaine des Réalisateurs 2017), comédie musicale animalière en stop motion dans laquelle des poissons solitaires, des singes travaillant dans un centre d'appel et des souris employées de fast-food chantent leur mal de vivre. Entre dérision hilarante et constat terrifiant, il nous renvoie le terrible miroir d'une société où plus rien ne tourne rond. Disponible uniquement en VoD, mais on vous promet que l'expérience vaut le détour !

Pour découvrir notre mini-programme en ligne :

Decorado d'Alberto Vasquez 2016 QR
Listening to Beethoven de Garri Bardine
Limbo de Konstantina Kotzamani
Min Borda de Niki Lindroth von Bahr

Et pour retrouver nos trois premiers programmes, c'est par ici, par là et encore par là !

Cannes 2018 : la croisette côté courts

Posté par MpM, le 12 mai 2018

Puisque l’on vient (aussi) à Cannes pour y faire des découvertes, impossible de négliger l’offre de courts métrages présents sur la Croisette cette année, et qui réserve à la fois des retrouvailles avec des réalisateurs confirmés et des rencontres déterminantes.

Il y a cinq lieux pour voir des courts métrages sur la Croisette : à la Semaine de la Critique (10 films en compétition et 3 en séance spéciale), à la Quinzaine des Réalisateurs (10 films en compétition dont un moyen métrage de 44 minutes), en compétition officielle (8 Films), à la Cinéfondation, la compétition des films d’école (17 films) et au short film corner, où sont disponibles en visionnage à la demande tous les courts métrages qui y ont été soumis.

Parmi les réalisateurs déjà identifiés, il y a bien entendu Marco Bellocchio, de retour à la Quinzaine avec La lotta. On notera aussi la belle séance spéciale de la Semaine de la Critique qui réunit Bertrand Mandico (dont on vient de découvrir le premier long métrage, Les Garçons sauvages) avec Ultra pulpe, le cinéaste grec Yorgos Zois (Casus Belli, Interruption) avec Third kind et Boris Labbé (Orogenesis) avec La chute dont nous vous parlions dans notre Focus sur l’animation.

En vrac, on retrouvera également les nouveaux films de Jacqueline Lentzou (Hector Malot - The Last Day Of The Year - son précédent Hiwa était à Berlin) à la Semaine de la Critique, Raymund Ribay Gutierrez en compétition officielle (Judgment - après Imago, déjà présenté à Cannes), Celine Held et Logan George également en section officielle (Caroline - on les avait repérés au festival du film fantastique de Strasbourg avec Mouse), Carolina Markowicz (O Orfao - après le film d'animation Tatuapé Mahal Tower, qui a fait le tour du monde) ou encore Juanita Onzaga (Our song to war - après The Jungle Knows You Better Than You Do, prix du jury international à Berlin) toutes deux à la Quinzaine.

Parmi les découvertes, il faudra suivre de près le film chilien El verano del leon electrico de Diego Cespedes à la Cinéfondation, le (très) jeune réalisateur portugais Duarte Coimbra à la Semaine de la Critique avec Amor, Avenidas Novas, le moyen métrage qui s'annonce assez déjanté La Chanson à la Quinzaine (l'adaptation par Tiphaine Raffier de son spectacle du même nom) ou encore la comédie Pauline asservie de Charline Bourgeois-Tacquet avec Anais Demoustier à la Semaine. Sans oublier tous les films d’animation que nous avions détaillés lors du Focus.

L’année dernière, trois courts métrages présentés à Cannes ont ensuite connu une carrière exceptionnelle : The burden de Niki Lindroth von Bahr (qui a remporté des prix partout où il est passé, y compris le prix du court métrage de l'année), Los Desheredados de Laura Ferres (primé à Cannes puis nommé aux European Awards) et Pépé le morse de Lucrèce Andreae (César du meilleur court métrage d'animation). Ne ratez pas ceux qui leur succéderont cette année.

2017 dans le rétro : 12 courts métrages plébiscités en festival

Posté par MpM, le 21 décembre 2017

A l'heure où la presse toute entière (et même vous, là, devant vos écrans, si, si, on vous a vus) se livre à l'exercice délicat et jubilatoire du top des films (livres / albums / séries...) de l'année, nous avons eu envie de nous pencher sur l'année 2017 du point de vue du court métrage.

Il est parfois ardu d'avoir une perspective complète et exhaustive de l'état de la création courte à un moment donné, puisqu'il est par définition impossible de se baser sur une date de sortie et que la carrière d'un court métrage en festival se fait sur un laps de temps assez long qui ne s'embarrasse guère des années calendaires. Tel film découvert en 2017 est donc peut-être un film datant de 2016, et tel film de 2017 connaîtra peut-être son apogée en 2018. Est-ce si grave, dans la mesure où l'on cherche à dessiner un paysage cinématographique plutôt qu'un index exhaustif ?

Un bon prisme, toutefois, pour lancer cette mini-série autour du court métrage, était de regarder du côté des films récompensés dans les grands festivals 2017. Retour sur douze lauréats qui dessinent de 2017 un portrait complexe entre introspection intime et recherche formelle, parfois (mais pas systématiquement) teintées d'un regard sur l'état du monde.

A gentle night de Qiu Yang (Chine)
Palmarès sélectif : Palme d'or à Cannes

Le titre est évidemment trompeur : A gentle night raconte le calvaire d’une femme dont la fille adolescente a disparu. Sa quête désespérée, son angoisse grandissante rythment une nuit filmée principalement dans ses moments de creux, son attente, ses doutes, son impuissance. Les plans sont fixes, merveilleusement cadrés. Tout est fait pour (sur)symbolisé l'isolement du personnage, qui apparaît presque systématiquement dans un environnement entièrement flou. Les autres sont des silhouettes, des voix. Des individus qui existent par leur fonction plus que par leur personnalité : le mari, le policier, l'instituteur... On est face à une oeuvre étonnamment classique et atemporelle, dans laquelle rien ne dépasse, même pas un peu d'émotion désordonnée. On est frappé par l'élégance calculée des plans, la justesse du montage, l'efficacité de la construction. Et pourtant il manque un peu de chair, de personnalité, d'audace peut-être, à ce qui reste un récit un peu trop propre.

And so we put goldfish in the pool de Makoto Nagahisa (Japon)
Palmarès sélectif : Grand prix du jury à Sundance et mention spéciale du jury à Clermont Ferrand

Voilà un film détonnant qui ne fait pas dans la demi-mesure. Quatre adolescentes s’ennuient à mourir à Saitama, petit ville du Japon où il semble ne jamais rien se passer. Désabusées et dénuées du moindre espoir d'un avenir meilleur, elles traînent leur mal de vivre avec une certaine forme de délectation. En commençant très fort, avec un montage survitaminé et des choix de narration qui se jouent des conventions, le film accroche le spectateur et attire immédiatement son attention. De provocations en ruptures de ton, d'outrances formelles en audaces scénaristiques, il dresse le portrait cynique et faussement décadent d'une jeunesse sans rêves ni envies. Au delà de la fougue parfois mal canalisée, on détecte dans cette oeuvre singulièrement hors normes un sens du montage et de l'écriture qui donne très envie de miser sur le prochain film du réalisateur.

Cidade Pequena de Diogo Costa Amarante (Portugal)
Palmarès sélectif : Ours d'or à Berlin

C'est une oeuvre à la beauté lancinante, documentaire énigmatique sur la sœur et le neveu du réalisateur : doit-on toujours dire la vérité aux enfants ? Et surtout, doit-on leur parler de la mort ?  Diogo Costa Amarante construit patiemment ses plans, et incite le spectateur à scruter l'image pour en décoder tous les secrets. Ainsi ces très beaux cadres gigognes qui se répondent d'un plan à l'autre : rétroviseur reflétant l'enfant endormi pendant que les adultes dansent, scène champêtre que l'on aperçoit par la fenêtre, puis moutons qui paissent dans le même encadrement... C'est un poème d'amour, fait d'images plus que de mots, de sensations plus que de sens. Peut-être prend-il le risque de nous perdre en cours de route, et pourtant il nous conquiert, malgré nous.

Le film de l’été d'Emmanuel Marre (France)
Palmarès sélectif :  Prix Jean Vigo et Grand Prix de la compétition nationale à Clermont Ferrand

Emmanuel Marre emprunte la forme assez classique du road movie pour raconter, en creux, une rencontre fugace entre un homme qui a perdu le pied dans sa vie, et un enfant qui ne le juge pas. Si le sujet est plutôt classique, le travail du cinéaste sur l'image (faussement documentaire) ainsi que ses choix de mise en scène (notamment de très beaux mouvements de caméra sur la route) offrent au film un ton plus singulier. En s'interessant surtout aux intervalles, au moment où il ne se passe rien, ou si peu, il capte des instantanés de vie ténus, mais qui sonnent juste.

Gros chagrin de Céline Devaux (France)
Palmarès sélectif : Lion d'or à Venise

C'est le récit d'une rupture amoureuse qui oscille entre humour façon comédie sentimentale et amertume déchirante inspirée des plus grands drames amoureux. Réalisé à la fois en prise de vues réelles et en animation, il dit ces petites choses qui président à la séparation, ces signes annonciateurs que l'on refuse de voir, ces maladresses qui nous échappent, ce mécanisme irréversible qui se met en route, et la lâcheté, la fausse indifférence, les défis bravaches. Avant le vide au goût d'éternité, les regrets et les souvenirs qui reviennent précisément quand on voudrait tout oublier. Céline Devaux reste visuellement dans le style qui était le sien à l'époque du Déjeuner dominical, et sans doute est-ce le plus gros reproche qu'on peut lui faire : la technique rare de l'écran d'épingles (inventé par Alexandre Alexeïeff et Claire Parker dans les années 30 afin de se rapprocher au plus près de l'esthétique de la gravure en aquatinte) dont elle se sert ne prend jamais vraiment l'ampleur que l'on pourrait attendre, comme si elle l'utilisait a minima, pour reproduire ce qu'elle savait déjà faire, et non pour ses propriétés délicates et particulières.

Les îles de Yann Gonzales (France)
Palmarès sélectif : Queer Palm à Cannes (Semaine de la Critique)

C'est un rêve éveillé dans lequel les fils conducteurs sont l'amour et le désir. Les protagonistes y déambulent, s'y croisent et s'y frôlent, sans préjugés, sans barrières. Même lorsqu'un monstre tout droit sorti du cinéma fantastique des années 70 surgit, il est accueilli avec bienveillance et douceur, et pourquoi pas, avec tendresse et sensualité. Parenthèse follement romantique où les corps se cherchent et se trouvent, où le sexe est cru et ardent, où le plaisir des uns ravive le désir des autres. Explosion d'une forme de liberté insaisissable qui rend soudainement tout possible.

Los deshederados de Laura Ferres (Espagne)
Palmarès sélectif : Grand Prix de la Semaine de la critique à Cannes

Los deshederados est une oeuvre hybride, entre documentaire et fiction, qui dresse le portrait juste et sensible d'un homme confronté à la perte de son entreprise familiale. Avec humour et bienveillance, Laura Ferres juxtapose de beaux plans minutieusement composés qui forment autant de saynètes tour à tour joyeuses et mélancoliques, amusantes ou profondes, donnant à voir en creux la réalité d'un homme autant que d'un pays face à la crise. Ce qui est peut-être le plus beau, c'est que le film ne se cache jamais d'être avant tout le regard d’une fille sur son père, avec ce que cela induit de sous-texte particulier et de tendresse à peine voilée.

Min Borda de Niki Lindroth Von Bahr (Suède)
Palmarès sélectif : Cristal du court métrage à Annecy et Emile Award du meilleur court métrage d'animation européen

Comédie musicale animalière en stop motion dans laquelle des poissons solitaires, des singes travaillant dans un centre d'appel et des souris employées de fast-food chantent leur mal de vivre, Min borda est probablement le film le plus déjanté et le plus désespéré de l'année. Entre dérision hilarante et constat terrifiant, il nous renvoie le terrible miroir d'une société où plus rien ne tourne rond. Et ce faisant, il rafle également le prix de la meilleure chanson originale toutes catégories confondues.

Paul est là de Valentina Maurel (Belgique)
Palmarès sélectif : Grand prix de la Cinéfondation à Cannes

Pour son court métrage de fin d'étude à l’atelier de réalisation de l’INSAS, prestigieuse école d’art bruxelloise, Valentina Maurel signe un film cérébral, très maîtrisé et très cadré, qui raconte la relation ambivalente entre une jeune femme mal dans sa peau et un homme qui réapparaît brutalement dans sa vie. Préférant la suggestion à l'explication, l'ellipse à la démonstration, la réalisatrice privilégie la subtilité du non-dit, mais prend aussi le risque de laisser le spectateur un peu à la porte. On comprend le malaise de personnages complexés qui ne sont pas vraiment à la place qu'on voudrait leur assigner, mais tout est trop retenu, trop stylisé pour nous toucher.

Retour à Genoa city de Benoît Grimalt (France)
Palmarès sélectif : Prix Illy du meilleur court métrage à la Quinzaine des Réalisateurs

Interroger son histoire familiale à travers celle d'une série télévisée, c'est l'étonnante idée du réalisateur Benoît Grimalt. Il se penche donc sur les relations que sa grand-mère et  son grand-oncle, "Mémé "et "Tonton Thomas", entretiennent avec la championne de longévité de la télévision, la série Les feux de l'amour. S'il décortique habilement les chimères d’une saga qui ne raconte rien, et reflète même une certaine vacuité faite d'émotions perpétuellement renouvelées et filmées en gros plans, il crée surtout l'émotion en dressant en creux le portrait de sa propre famille, originaire d'Italie, et qui a vécu en Algérie avant de s'installer à Nice. Les parallèles entre les protagonistes de la série et "Mémé" et "Tonton Thomas" ont une saveur particulière, à la fois humoristique et mélancolique, et renvoient le spectateur à son propre récit familial, construit lui-aussi d'éléments concrets et des vapeurs venues de Genoa city ou d'ailleurs.

Rewind forward de Justin Stoneham (Suisse)
Palmarès sélectif : Léopard d'or du meilleur court métrage suisse à Locarno

Documentaire touchant et introspectif, Rewind forward raconte avec beaucoup de sincérité l'histoire d’un fils qui part symboliquement à la recherche de sa mère gravement handicapée. Il dresse son portrait à travers les films amateur inlassablement réalisés par son père mais aussi à partir de ses souvenirs douloureux de fils honteux et fuyant. Sans pathos ni émotions surjouées, il retrace ainsi le parcours familial jusqu'au moment de la rupture, lorsque la maladie de sa mère lui a fait emprunter une voie définitivement différente. Car ce que le film montre en filigrane, ce n’est pas la difficulté du handicap ou l’émotion facile des retrouvailles, mais bien la vérité crue d’une relation irrémédiablement brisée.

Rubber Coated Steel de Lawrence Abu Hamdan (Liban)
Palmarès sélectif : Tiger award à Rotterdam

Rubber coated steel fait le récit haletant d'un procès dans lequel deux soldats israéliens étaient accusés d'avoir tués deux enfants palestiniens. Le réalisateur expose une analyse audio des bruits entendus sur les lieux du crime, qui permet de comprendre ce qui s'est véritablement passé, mais sans jamais faire entendre au spectateur le moindre son, et sans montrer non plus la moindre image du tribunal. La caméra est posée dans une pièce nue évoquant un peu un stand de tir où des photos reproduites en grand format sont les cibles mouvantes qui s'approchent puis s'éloignent au fil des explications défilant à l'écran sous forme de sous-titres. Un dispositif radical qui permet de se concentrer uniquement sur les faits et le déroulé du raisonnement, et donne également à entendre le silence assourdissant de ceux que les autorités cherchent à faire taire. Par extension, le film interpelle sur la notion de cinéma et interroge les choix formels du réalisateur. On est notamment frappé par le contraste entre le minimalisme de l'image et du son et la force des émotions qu'il suscite.  A ce titre, c'est probablement l'un des films les plus saisissants de l'année.