Cinéma et prison (4) : Trois questions à Nicolas Silhol, animateur d’ateliers d’écriture

Posté par MpM, le 14 janvier 2009

A Poitiers, les Rencontres Henri Langlois proposent différentes passerelles entre le festival et le milieu carcéral, parmi lesquelles des ateliers d’écriture de scénario de courts métrages pour les détenus de la Maison d’arrêt. Nicolas Silhol, scénariste et réalisateur, a accompagné ces ateliers en 2007 et 2008.

Nicolas SilholComment se déroulent concrètement ces ateliers d’écriture ?
Ces ateliers se font sous forme de 5 à 6 séances proposées librement aux détenus des quartiers hommes, femmes et mineurs. Ils ont deux objectifs : initier les participants à un type d’écriture spécifique et aiguiser leur sens critique en discutant librement de films sous l’angle du scénario. Lors de la première séance, je leur montre des courts métrages. Ensuite, on a peu de temps et je dois leur fournir un cadre d’écriture défini : d’abord ils font un synopsis, puis un séquencé et enfin ils passent à l’écriture proprement dite. Là encore, je les contrains à un cadre dramatique très précis.

Qu’est-ce qui vous a le plus étonné ?
Je ne les oriente à aucun moment vers un scénario qui serait autobiographique et pourtant la plupart choisissent ce vecteur pour raconter une histoire personnelle et souvent en lien avec la prison. Je relie ça au peu d’occasions qu’ils ont de se raconter. Je ne suis pas là pour les confesser ou faire de la thérapeutique et je n’ai pas accès à leur dossier. L’enjeu est donc de parvenir à accompagner ce désir spontané de parler de soi tout en le mettant à distance. Très tôt, j’essaye d’insuffler cette distance en leur faisant comprendre que même s’ils racontent leur propre histoire, elle doit intéresser tout le monde et qu’il ne s’agit plus d’eux mais d’un personnage. Autre chose très importante, ce qu’ils écrivent ne doit pas seulement être vrai ou réel, mais être vraisemblable, pour que l’histoire tienne la route. Et surtout écrite à la troisième personne. Cela peut paraître étonnant, mais certains ont mis deux ou trois séances pour réussir à passer de la première à la troisième personne !

A votre avis, qu’apporte ce type d’activité en milieu carcéral ?
C’est primordial. Il faut non seulement continuer, mais le développer. Pour les détenus participants, c’est extrêmement valorisant d’avoir l’impression de se raconter et que cela ressemble à quelque chose. Que leur texte puisse être lu par d’autres personnes. Cela met à distance leur vécu, je pense. Et puis, en milieu carcéral, il y a peu d’activités proposées, ils sont très demandeurs. Ceux qui viennent en profitent pleinement. Maintenant, on se bat pour que leurs scénarios soient mis en ondes afin d’obtenir une meilleure valorisation de leur travail. Pour que cela ne reste pas seulement un bout de papier. C’est un objectif important, mais c’est très compliqué…

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A lire : les scénarios écrits lors des ateliers 2007 et 2008.

Cinéma et Prison (1) : les Rencontres Henri Langlois s’engagent

Posté par MpM, le 10 janvier 2009

Cela fait plus de dix ans que les Rencontres Henri Langlois ont à cœur d’inclure le milieu carcéral dans leur politique d’action culturelle. Chaque année, à l’occasion du Festival des films d’école, des séances de projection et de débat sont ainsi organisées à l’intérieur de la Maison d’arrêt de Poitiers. D’abord, les détenus regardent tous ensemble le film, puis ils peuvent échanger avec le ou la réalisatrice présent(e). Un temps fort qui marque souvent autant les spectateurs que les intervenants.

Aussi les Rencontres et la Scène nationale de Poitiers qui en a la gestion ont-elles immédiatement répondu présentes lorsque le Service Pénitentiaire d'Insertion et de Probation de la Vienne (le SPIP, qui s’occupe notamment des activités culturelles en milieu pénitentiaire) leur a proposé de prolonger leur action. Nicolas Silhol, scénariste et réalisateur, avait déjà animé des ateliers d’écriture de scénario, notamment en hôpital psychiatrique. Il souhaitait le faire en prison, ce que le Festival a ainsi pu proposer au SPIP. Il ne faut pas se leurrer, ce genre d’activité est "compliqué à mettre en ouvre", explique-t-il. Mais indispensable.

Quatre scénarii aux histoires bouleversantes 

A l’été 2007, grâce au soutien du SPIP et au financement de la DRAC Poitou Charentes, le premier atelier d’écriture se tient dans les quartiers hommes et mineurs de la Maison d’arrêt. Au bout de quatre séances en groupe réduit, il en ressort trois scénarios côté hommes et un côté mineur. Les histoires, sans être nécessairement autobiographiques, ne sont jamais bien loin du vécu de leur auteur. La prison, notamment, y occupe souvent une place centrale. Qu’il s’agisse d’un père qui découvre en cellule ce fils qu’il n’a jamais connu ou d’un détenu retrouvant l’amour de sa jeunesse, les histoires sont bouleversantes. Mais attention, pas question de faire de l’initiation au rabais : chaque scénario est écrit selon les règles du genre et correspond à une véritable recherche dramaturgique.

Logiquement, le projet est reconduit pour 2008, avec une séance supplémentaire et un rythme plus soutenu. Cette fois, trois détenues travaillent sur un scénario collectif et deux sur des textes individuels tandis que dans le quartier homme, trois scénarios sont finalisés. A nouveau, qualité et émotion sont au rendez-vous. A condition de lire entre les lignes, on est frappé de plein fouet par les regrets et les remords qui habitent les apprentis scénaristes. Mais aussi par l’amitié et la solidarité qui unit certains d’entre eux, comme dans le très beau texte écrit à six mains où trois détenues se serrent les coudes face à la tristesse et au désespoir.

La prochaine étape ? Un tournage, malheureusement, n’est pas envisageable. Mais peut-être les scénarios pourront-ils devenir des récits audio susceptibles d’être diffusés sur radio Accords, dans l’émission consacrée aux détenus et à leur famille. Et d’ici quelques mois, une nouvelle "promotion" de détenus pourra bénéficier des ateliers 2009… En attendant, qui sait, de nouvelles actions imaginées conjointement par le SPIP et la Scène nationale ?!

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A lire : les scénarios écrits lors des ateliers 2007 et 2008