Festival de la Rochelle, chapitre 3 : Sexuel Stroheim

Posté par Martin, le 8 juillet 2008

Le festival de La Rochelle semble être parfois un monde à part, un îlot de résistance contre un certain cinéma dominant. Ainsi, les séances les plus prisées étaient les ciné-concerts autour des œuvres muettes des deux maîtres viennois Erich Von Stroheim et Josef Von Sternberg. Penchons-nous sur l’œuvre du premier dont la modernité donnerait raison aux spectateurs assidus : cette représentation du monde ne vieillira jamais. 

Portrait des hommes par le bas

L’ouverture de tous les films de Stroheim présente les personnages en une scène, en un trait ; le réalisateur les définit tel un caricaturiste. Le regard du héros de son premier film, Maris aveugles (1919), s’aventure sur les jambes de la jeune femme qui voyage face à lui. Le vieux mari et la vieille épouse de La Symphonie nuptiale (1926) se réveillent dans des tenues de nuit, qui sont tout sauf des déguisements : cache-moustache qui rend monstrueux l’homme, rictus dégoûté de l’épouse qui déforme son visage dès qu'elle voit son mari. C’est une galerie de figures grotesques à laquelle nous convie le réalisateur qui ne manque jamais de souligner les rapprochements entre êtres humains et animaux. Il dépeint ainsi l’âme dans toute son ignominie, par les instincts les plus bas : la classique lutte entre Bien et Mal est ici troquée contre le combat de l’avarice contre la luxure. Dans son chef d’œuvre, le bien nommé Greed (« avarice » traduit par Les Rapaces en français, 1923), un homme immonde, forcément immonde, épouse une femme virginale, forcément virginale. Comme dans tous les films de Stroheim, le récit se noue autour d’une scène – à peine – métaphorique de viol : le désir de l’homme est si violent qu’il se jette sur la femme dont le refus attise davantage le feu.

Dans Maris aveugles, le Lieutenant fait passer une main dans la chambre de la femme mariée qu’il convoite, puis une grosse boîte ; la femme, pour prendre le colis, ouvre complètement sa porte, et le voilà à l’intérieur. Le symbole est transparent – et Stroheim pas viennois pour rien... Dans Les Rapaces, c’est donc l’homme qui ne peut s’empêcher d’embrasser, de serrer, d’envahir celle qu’il veut épouser. Mais la deuxième partie du récit inverse la proposition : le couple, enfin marié, sans enfants, n’est plus jamais défini par le désir, si ce n’est celui de meurtre (le mariage tue-t-il le désir de l’homme ?) ; c’est alors la femme qui domine son mari en l’obligeant à travailler pour remplir sa caisse secrète. Même dans le plus grand dénuement, la femme refuse d’entamer son bien… Luxure contre avarice ? Le récit déploie, de façon dialectique, un diabolique portrait de l’être humain possédé par ses pulsions. 
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