Et si on binge-watchait… Unorthodox sur Netflix

Posté par vincy, le 16 avril 2020

En attendant le 11 mai, Ecran Noir vous propose de (re)découvrir certaines séries passées ou encore sur vos écrans. Et parce que cette période de confinement, on a le sentiment d’être enfermés et la volonté de profiter de sa liberté, on vous recommande vivement la mini-série (4 épisodes et un making-of) Unorthodox.

Un portrait de femme passionnant et une actrice épatante. Adapté de l’autobiographie de Deborah Feldman, Unorthodox : The Scandalous Rejection of My Hasidic Roots, l’histoire prend quelques libertés avec la vie de cette jeune femme prisonnière de sa communauté à Williamsburg (Brooklyn, New York). Dans la réalité, Deborah enfreint les règles strictes des Juifs orthodoxes en fréquentant la bibliothèque et en étudiant la littérature, avec l’accord de son mari. Elle devient écrivain par la suite, à Berlin. Dans la fiction réalisée par l’actrice et cinéaste allemande Maria Schrader, Deborah devient Esther, surnommée Esty, et apprend clandestinement la musique. Elle s’enfuit aussi à Berlin et, par un concours de circonstance, va tenter un concours d’entrée dans une école prestigieuse de la capitale.

Entre son passé étouffant à New York et un présent rempli de découvertes à Berlin, on suit l’évolution de Esther, de son enfance à son émancipation, en passant par un mariage arrangé avec Yanky, sa relation fusionnelle avec sa grand-mère rescapée des camps, son apprentissage du corps et de la sexualité, son évasion clandestine, ses rencontres et la traque de son mari et d’un cousin.  L’actrice Shira Haas est en soi un motif incontournable pour voir cette série. La comédienne israélienne, âgée de 24 ans, est bouleversante, toujours juste, capable de basculer du yiddish à l’allemand et l’anglais, de chanter mezzo soprano ou de pleurer à chaudes larmes sur commande. Avec un personnage oscillant entre émotions intériorisées et frustrations douloureuses, désir de vivre librement et conscience de ses différences, à la fois fragile et déterminée, elle déploie soutes les palettes d’un jeu riche en variations en moins de 4 heures.

Révélée par la série israélienne Shtisel, on l’avait aperçue dans Foxtrot de Samuel Moaz, Grand prix du jury à Venise, La femme du gardien de Zoo de Niki Caro, Marie-Madeleine de Garth Davis. Elle a remporté un « Oscar » israélien pour son second-rôle dans Noble Savage de Marco Carmel. On pourra la voir dans Esau de Pavel Lounguine, avec Harvey Keitel, et Asia de de Ruthy Pribar, qui était prévu à Tribeca avant que le festival ne soit annulé.

Une série qui peut déranger au-delà de l’enjeu dramatique. Netflix continue sa globalisation : une série allemande, parlée la moitié du temps en yiddish (une première pour la plateforme). Outre la communauté hassidique, les personnages secondaires remplissent toutes les cases du cahier de charge de Netflix : une mère lesbienne, un couple mixte homosexuel, dont un réfugié, une amie yéménite, une israélienne athée…

Car l’histoire que raconte Unorthodox est bien celle d’une jeune femme pieuse qui se sent de moins en moins bien au sein de son cocon communautaire. La force de la série n’est pas seulement de nous montrer sa réaction au monde réel extérieur (persuadée que le jambon allait la rendre malade, elle se précipite pour aller vomir, en vain). Non, le récit est aussi un tableau ethnologique sur ce mouvement religieux extrême. Refusant de se mélanger au reste de la population, obéissant aveuglément au Tamuld, critiquant le sionisme, se complaisant dans la souffrance du peuple élu, distinguant les deux sexes, rejetant tout dévoiement au monde moderne, se méfiant des technologies comme des idéologies, on regarde, stupéfaits, certains rites d’un autre temps perdurer, des costumes aux cérémonies. Ainsi, on reste évidemment choquer de la manière dont les mariages s’arrangent, dont on prépare la mariée à vivre une vie sexuelle allongée sur le dos, habillée, sans aucun baiser ni caresse, dont on contraint les femmes à se soumettre à la loi des Hommes. Jusqu’à enlever leur enfant si elles quittent la communauté.

C’est psychologiquement fascinant et dramatiquement plus brutal que ça n’en a l’air. La place de la femme interroge (il faut voir Esty découvrir qu’elle a un vagin ou souffrir lors d’une pénétration), tout comme la manière dont elle est poursuivie sur ordre du rabbin new yorkais. L’absence d’amour, d’affection, la tyrannie des mensonges et des hypocrisies sont peu flatteuses pour cette communauté, qui, malgré tout aime célébrer, danser, être solidaire. On comprend l’aspiration d’Esther à fuir ce monde en cage où on  est jugé au nombre d’enfants procréés et où on tond les femmes dès le mariage pour leur enlever toute identité et toute force. Son exil et sa rupture sont alors aussi violents pour elle que compréhensibles pour nous.

Une construction qui passe de l'étonnement à l’émotion. Avec une parfaite maîtrise de l’espace et du temps, des flash-backs à différentes périodes et du présent en cours, le scénario nous happe rapidement dans cette histoire a priori banale. On a parlé de la saisissante interprétation de l’actrice principale, du sujet coup-de-poing, mais le grand mérite de cette courte série est d’avoir condenser en quelques heures l’histoire d’une vie. Bien sûr, la traque par le cousin et le mari offre un vecteur aventureux et incertain à ce drame.

Evidemment, quelques plans sur-signifient leur symbolique (le rouge à lèvre de marque Epiphany, la mort d’un personnage au moment de la renaissance d’un autre, le deuxième baptême dans un lac). Mais on est tout autant hypnotisés par la longue séquence du mariage, quasi documentaire et par ce dénouement presque irréaliste tout en chant, en bienveillance et en sourire. Car si Unorthodox est une histoire de divorce (avec le mari et avec la communauté), c’est finalement la réconciliation (avec la mère, avec la vie) et la force de la rencontre (les musiciens) qui prennent le dessus, rendant l’œuvre lumineuse et positive.

Tout est fait pour nous faire aimer Esther, mais aussi tous les autres : du sale cousin qui cherche une rédemption malgré ses addictions, à la tante qui essaie de sauver la destinée malheureuse de sa nièce, de la mère qui dévoile la cruelle vérité sur son abandon indigne dans le dernier épisode au jeune mari, qui fait tout pour retrouver sa femme, jusqu’à enfreindre quelques règles ancestrales, prêt à accepter la différence de son épouse. Cette séquence de séparation résume parfaitement l’intention du film : pas de dispute trop dramatique, juste un fossé entre deux mondes impossible à combler. Même avec leur premier baiser, après un an de mariage.

C’est là que tout nous emporte : dans cette voix venue du fin fond des âges qui se lamente du passé tragique de sa communauté et dans ce sourire esquissé qui embrasse un nouvel avenir plein de promesses. C’est l’histoire d’une esclave qui s’affranchit, se libère de ses chaînes et s’ouvre au monde tel qu’il est.

Unorthodox disponible sur Netflix ici.

Saint-Jean-de-Luz 2014 : la rançon du passé, la respiration du présent

Posté par vincy, le 11 octobre 2014

Deuxième partie et dernière ligne droite pour le nouveau Festival international du film de Saint-Jean-de-Luz (lire notre article sur le jury et la programmation de cette année). Le cinéma Le Sélect ne souffre pas trop des travaux du nouveau complexe résidentiel en construction, Les Erables (au passage le cinéma va gagner une salle, passant de quatre à cinq).

Jour 4, 17h30: Lena est une femme allemande qui, un soir de fête, perd soudainement la mémoire biographique : sa vie, ses amis, ses écrits, elle a tout oublié jusqu'à son visage. Elle ne se reconnaît pas. Elle n'existe plus. Comme on appuie sur un bouton reset pour redémarrer une machine. Pour retrouver la mémoire, aidée par son mari, elle cherche des éléments de la femme qu'elle était. Mais au lieu de se les approprier, elle ne fait que les imiter. Au point de faire coexister une Lena qui n'existe plus avec une nouvelle personnalité, qui n'a aucun repère.

Jan Schomburg a donné le rôle principal à sa compagne, Maria Schrader (Aimée & Jaguar), étonnante: parfois vieillie, parfois enfantine, tantôt enlaidie, tantôt embellie, elle livre une performance assez saisissante, sur le bord du précipice où elle peut basculer dans la folie. Ce drame allemand (intitulé Oublie mon moi en VO) très maîtrisé ne laisse aucune porte de sortie au spectateur : enfermée dans sa logique de (dé)fragmentation du "conscient" et de l'individu, la mise en scène s'appuie en permanence, avec intelligence, sur des effets de reflets troublés ou d'images floutées. Sortie en France en 2015.

20h30: L'oranais de Lyes Salem, déjà primé à Angoulême, est une fresque historico-romanesque sur l'Algérie, depuis la guerre contre la France jusqu'aux années 80. A travers un groupe de quatre amis, aux destins et opinions qui vont diverger avec le temps, on suit les espoirs, tragédies et trahisons (idéalistes comme humaines) des uns et des autres. Le film est ambitieux par son propos et son ampleur. Ce qui ne signifie pas qu'il parvient à convaincre complètement. Ce feuilleton aux accents de Arcady époque Grand Sirocco accuse parfois quelques redondances et certaines langueurs. A trop vouloir dire et dénoncer, le scénario passe à côté d'une intimité plus profonde entre ces "héros" qui ont libéré l'Algérie. Lyes Salem montre pourtant une voie intéressante pour le cinéma algérien, mélange de critique et d'amour pour son pays. Avec de beaux moyens, et un film grand public, il donne de la voix à un pays toujours méconnu, si loin, si proche. Sortie en France le 19 novembre 2015.

Jour 5, 12h: Déjà présenté à la Semaine de la Critique, Respire est le deuxième long métrage de Mélanie Laurent. Elle avait lu le roman d'Anne-Sophie Brasme à l'âge de 17 ans. Cette histoire ne l'a pas quittée depuis. Par rapport aux Adoptés, la cinéaste a changé tous ses codes cinématographiques pour filmer la vie de Charlie (formidable Joséphine Japy) l'année de son Bac, de ses 18 ans. En cours d'année scolaire, surgit Sarah, fille magnétique, fascinante (Lou de Lâage, idoine pour le rôle). Amitié fusionnelle pour deux êtres qui ont besoin d'être aimées. Mais Sarah est une perverse narcissique et va attirer la lumineuse Charlie dans son enfer.

Il n'y a pas beaucoup d'issue à ce type de situations. Mélanie Laurent a filmé caméra à l'épaule, au plus près des personnages, pour ressentir l'oppression qui piège ces proies, aussi intelligentes et entourées soient-elles. Respire est avant tout un cri silencieux. Celui de Charlie qui ne dit rien alors qu'elle souffre. Celui que vivent des milliers de jeunes gens victimes d'humiliations, de manipulations et même de révélations publiques. Sortie en France le 12 novembre.

17h30: Inutile de vous le cacher très longtemps: Bébé tigre n'est pas seulement un véritable coup de coeur durant ce festival, c'est sans doute l'un des meilleurs premiers films français de ces dernières années. Cyprien Val, accompagné de Céline Sciamma (Tomboy) et Marie Amachoukeli (Party Girl) pour le scénario, nous offre une oeuvre généreuse autour d'un personnage, Many, jeune indien arrivé en France clandestinement à l'âge de 15 ans, "mineur étranger isolé". Deux ans plus tard, en famille d'accueil et au lycée, entre la volonté de s'intégrer et la nécessité d'envoyer de l'argent à ses parents, Many est pigé à force de tout vouloir concilier, au risque d'être renvoyé dans son pays à sa majorité.

Entre Bande de filles (en plus abouti, plus tendu) et La cour de Babel (côté fiction), Bébé Tigre pourrait avoir comme slogan "le film que Eric Zemmour ne peut pas voir". Avec un regard véritable sur la jeunesse immigrée qui ne demande qu'à s'intégrer, à travailler et à étudier, sans naïveté et avec réalisme, Cyprien Val construit son film comme un suspense social, où l'émotion est loin d'être absente. Il a trouvé en Harmandeep Palminder, jeune garçon fascinant, un acteur idéal pour incarner l'ambivalence des situations, subies ou choisies. Il photographie une France métissée et travailleuse, autant que rigide et précaire. En 87 minutes tout est dit, montré. Et la bande son est un bijou pour les oreilles, donnant des accents contemporains punchy à un récit moderne et universel. Sortie en France le 28 janvier 2015.

Jour 6, 12h15: Film de clôture, Les souvenirs est l'adaptation du best-seller de David Foenkinos, coscénarisé par l'écrivain et le réalisateur, Jean-Peul Rouve. Une grand-mère qui doit aller vivre en maison de retraite, l'un de ses trois fils qui est mis à la retraite, son épouse qui aimerait que tout cela bouge un peu, leur fils, 23 ans, avide de croquer la vie, à sa façon, et une multitude personnages qui gravitent autour de cette famille pas vraiment prête à passer à la prochaine étape de leur vie.

Feel-good movie par excellence, Les souvenirs ne manque pas d'humour, d'émotion et de situations cocasses. Les dialogues sont de la dentelle pour des comédiens aussi différents qu'Annie Cordy, Michel Blanc, Chantal Lauby et Mathieu Spinosi (violoniste avant d'être acteur), auxquels on peut ajouter Audrey Lamy et Jea-Paul Rouve. Tous ont le souci du travail bien fait, l'envie de donner le change au public. Peut-être aussi parce que tous ces comédiens ont un ADN commun: l'opérette, le Splendid, les Nuls, les Robins des bois, Scènes de ménages : chaque génération de la comédie est représentée, ce qui forme un orchestre cohérent pour une partition efficace et touchante. Sortie en France le 14 janvier 2015.