Les beaux yeux de Michèle Morgan se ferment à jamais (1920-2016)

Posté par vincy, le 20 décembre 2016

C'était l'une des plus grandes stars du cinéma français: Michèle Morgan, née Simone Roussel, s'est éteinte le 20 décembre 2016 à l'âge de 96 ans. Née le 29 février 1920, avec un anniversaire tous les quatre ans donc, l'actrice a été la première à recevoir un Prix d'interprétation féminine à Cannes pour son rôle dans La Symphonie pastorale de Jean Delannoy. Un comble quand on y pense puisque le plus beau regard du 7e art y jouait une aveugle. Elle est aussi l'une des rares comédiennes françaises à avoir son étoile sur le Walk of Fame d'Hollywood. Morgan avait reçu un César d'honneur en 1992 et un Lion d'or pour l'ensemble de sa carrière à Venise en 1996.

Mariée à William Marshall puis à Henri Vidal et enfin à Gérard Oury, Michèle Morgan a traversé l'histoire du 7e art français, commençant sa carrière en 1935. C'est dans le Quai des Brumes de Marcel Carné, face à Jean Gabin, qu'elle se révéla au spectateurs, avec la fameuse réplique qui la définira définitivement : "T'as de beaux yeux, tu sais". Son regard magnétique, sa beauté presque triste, ont inspiré Marc Allégret (Gribouille, Orage), Julien Duvivier (Untel père et fils), Lewis Milestone (My Life with Caroline), Robert Stevenson (Jeanne de Paris), Michael Curtiz (Passage pour Marseille) ou encore Arthur Ripley (L'évadée) et Carol Reed (Première désillusion).

Elle revient au cinéma français après la guerre et tourne avec les grands cinéastes classiques de l'époque: René Clément (Le château de verre), Marc Allégret (Maria Chapdeleine), Claude Autant-Lara (Les Sept péchés capitaux, Marguerite de la nuit), Yves Allégret (Les orgueilleux, Oasis), René Clair (Les grandes manœuvres), Sacha Guitry (Napoléon, Si Paris m'était conté), Denys de la Patellière (Retour de Manivelle), Henri Verneuil (Maxime, les lions sont lâchés). C'est sans doute André Cayatte  qui lui offre un de ses plus beaux rôles avec Le miroir à deux faces en 1958.

Morgan a ainsi séduit à l'écran les plus grands: Bogart, Sinatra, Philipe, Raimu, Boyer ou Marais. Avec l'arrivée de la Nouvelle vague, sa carrière décline, même si on l'aperçoit chez Claude Chabrol (Landru), Robert Hossein, Michel Deville (Benjamin ou les mémoires d'un puceau), Claude Lelouch (Le chat et la souris). La télévision prolongera son activité dans le métier avec quelques téléfilms. Et au théâtre, elle tiendra l'affiche de comédies à succès.

Un fantôme venu de l'âge d'or du 7e art

Elégante et chic, même en vieillissant, sa beauté irradiait les films dans lesquels elle jouait. Ses personnages invoquaient le désirs (qui ne se souvient pas de cette séquence où elle s'affichait en soutien-gorge dans Les orgueilleux), révélaient une véritable sensualité, et affirmaient une belle liberté, annonciatrice de l'émancipation des femmes. Sa vie c'était le cinéma. Formée aux cours de René Simon, actrice précoce, on la voyait souvent comme une romantique en détresse, une femme fatale, une beauté spectrale. Morgan c'était en fait une insolence, une sexualité à fleur de peau, un magnétisme torride, le feu qui brûlait la pellicule. Mais c'est bien parce qu'elle ne masquait jamais sa mélancolie apparente qu'elle cachait aussi bien, dans ces prudes décennies, ce qui la rendait si précieuse : son tempérament complètement opposé aux préjugés qu'inspiraient ses traits.

Populaire et glamour, Michèle Morgan n'était pas qu'une affaire de regard: elle a ainsi hanté quelques grands films du 7e art, côtoyé Gabin et Bogart, subit des grands cinéastes tyranniques. Las, le cinéma l'a enfermée dans ces vieux classiques, rendant suranné son charme, embourgeoisant son image, la placardisant dans un art trop conformiste pour les années 1960 et 1970. Elle aurait pu tourner chez Visconti, a manqué Casablanca. Mais elle était captive de son image. Grâce à Deville et Lelouch, elle a brisé cette image, en vain. Elle se consacra à la peinture et aux livres. Toujours avide de (se/nous) raconter des histoires.

Danièle Delorme (1926-2015) rejoint Yves Robert au Paradis

Posté par vincy, le 19 octobre 2015

Danièle Delorme est morte samedi 16 octobre à Paris à l'âge de 89 ans, a annoncé lundi la directrice de la galerie d'art "An Girard" que la comédienne avait créée. pour présenter les oeuvres de son père André Girard. Malade depuis plusieurs années, l'actrice, née le 9 octobre 1926, n'avait plus tourné depuis près de 15 ans.

Elle avait débuté sa carrière en 1942 en tournant La Belle aventure de Marc Allégret et Félicie Nanteuil du même réalisateur (le film est sorti en 1945). Après cela on l'a vue chez Robert Vernay (Le Capitan), Jean Delannoy (Les jeux sont faits), Maurice Tourneur (Impasse des Deux-Anges), Henri-Georges Clouzot (Miquette et sa mère). Mais en 1949 c'est en incarnant Gigi, pour Jacqueline Audry qu'elle devint populaire.

Très éclectique, on l'a vue devant la caméra de Daniel Gélin, son premier mari, (Les dents longues), Yves Allégret (La jeune folle), Sacha Guitry (Si Versailles m'était conté...), André Cayatte (Le dossier noir), Julien Duvivier (Voici le temps des assassins), Agnès Varda (Cléo de 5 à 7 et en voix narrative du court métrage Ô Saisons, ô châteaux), en Fantine pour Les Misérables de Jean-Paul Le Channois...

A partir des années 60, malgré l'ombre de Moreau, Darrieux, Girardot, Deneuve et Bardot, elle trouve sa place aussi bien chez son second époux Yves Robert (Un éléphant ça trompe énormément, Nous irons tous au paradis) que chez Georges Lautner (Le septième juré), Claude Lelouch (Le voyou), Elie Chouraqui (Qu'est-ce-qui fait courir David?)... Mais il lui aura manqué toujours le grand rôle qu'elle méritait, aussi bien dans la comédie où elle excellait que dans la drame où sa beauté atemporelle se confondait avec une émotion fragile et palpable. Mais une chose est certaine, elle est l'une des rares à avoir navigué entre le cinéma populaire et la Nouvelle vague, le cinéma d'auteur et les réalisateurs classiques de l'après guerre. Elle avait quelque chose d'indémodable.

Présidente du jury de la Caméra d'or à Cannes en 1988, Danièle Delorme a compensé ses manques de rôles avec la casquette de productrice aux côtés de Yves Robert. La Guéville a produit La guerre des boutons, Alexandre le bienheureux mais aussi des films d'Alain cavalier, Jacques Doillon, Elisabeth Rappeneau... Avec sa propore maison, Zazi Films, elle a connu deux jolis succès récemment: La cage dorée et Comme des frères, tous deux nommés au César du meilleur premier film.

Elle fut aussi une vedette du petit écran, tournant pour Jacques Demy (La naissance d'un jour), Bernard Stora (La grande dune) et surtout la série Madame le Proviseur dans les années 90. Sur les planches, durant quarante ans elle jouera Henrik Ibsen, Jean Anouilh, Luigi Pirandello, Paul Claudel, Paul Valéry, George Bernard Shaw, Albert Camus, Eugène Ionesco, Jean Cocteau...

Elle avait également publié ses Mémoires dans Demain tout commence!, paru en 2008.

Marius et Fanny : la passion de Pagnol selon Auteuil

Posté par cynthia, le 9 juillet 2013

Raphaël Personnaz Victoire Belezy mairus fanny

Sous le soleil du vieux port de Marseille, Marius est fou amoureux de Fanny et Fanny est folle amoureuse de Marius. Dit comme ça on pourrait penser que tout va bien dans le meilleur des mondes et pourtant... l'amour n'est pas si simple, surtout chez Pagnol

Deux ans après La fille du Puisatier, Daniel Auteuil récidive avec les deux premiers films de sa trilogie, dont César sera l'aboutissement, en 2014.

Véritable Roméo et Juliette provençal, les nouvelles générations découvriront sans doute l'histoire de Marius qui met du temps à prendre conscience de ses sentiments pour son amie d'enfance. Crise de jalousie, regard caché, le jeune homme ne sait même plus ce qu'il ressent pour la belle marseillaise. Du côté de cette dernière, c'est l'amour fou pour le jeune homme. Un amour qu'elle n'arrive pas à exprimer mais qui hante ses pensées toute la journée. Pudiquement. Lorsque Marius finit enfin par admettre ses sentiments pour Fanny, leur amour éclate et se fracasse contre le mur de la dure réalité. Sa dulcinée rêve d'appartement, de mariage et de bébé (ce qui semble un peu désuet) alors qu'il ne rêve que de bateau, de découverte et de mer lointaine. S'ajoute à cela le vieux Panisse, «Monsieur Panisse», qui est prêt à tout pour se marier avec la jeune et jolie Fanny et voilà que l'on nage en plein amour impossible.

En salles simultanément le même jour, Marius et Fanny se suivent à la scène près, permettant au spectateur de vivre en continue cette aventure portée par des acteurs beaux et talentueux (Victoire Belezy et Raphaël Personnaz), avé l'assent. Evidemment il manque Raimu. Et aussi doué soit-il Auteuil n'est pas le monstre sacré. Pêché d'orgueil?

Loin de pouvoir et même vouloir comparer le Marius d'Alexandre Korda (1931) ou le Fanny de Marc Allégret (1932), il est évident qu'Auteuil ne cherchait pas à rivaliser avec eux. Peu importe : des spectateurs qui iront le voir, combien ont en tête les films originels? Les dialogues cultes, l'époque, authentique, et pas reconstituée, sont un sommet du cinéma de l'entre deux-guerres.

Mais voilà : il faut rafraîchir, rajeunir, reprendre le patrimoine, ce qui donne des remakes en pagaille depuis la nuit des temps. Une oeuvre doit se transmettre quitte à la reproduire, ici en couleurs et avec la nostalgie d'un monde disparu. mais toujours avec les phrases, immortelles.

Auteuil se laisse donc guider par quelques fulgurances : un désir refoulé dans le regard, une danse langoureuse mais timide dans une salle, un éclat de rire dans un bar. L'amour se ressent partout dans le film. Dans chaque scène, chaque réplique, nos héros le respirent pour que notre cœur batte la chamade. Comme dans les séries TV contemporaines, Marius et Fanny sont en quelque sorte l'illustration de cette jeunesse apeurée par l'amour. On préfère se chamailler plutôt que de s'aimer. On s'enivre d'amour même si une dague plane au dessus de notre tête.

On est donc déchiré par cette passion. Elle est identique ou presque à celle d'il y a 80 ans. Car Auteuil n'a pas cherché à faire un autre film, à porter un autre regard. Marseille est un décor (de carton), la partition musicale s'accorde aux thèmes du moment, et finalement, Auteuil ne filme pas plus mal qu'Allégret, ce qui rend service à la postérité de Korda, seul cinéaste à avoir su capter l'essence même de Pagnol. Même l'immense Claude Berri s'était heurté au mythe en écrasant les paysages par des personnages envahissants.

Le pari sera réussi si les jeunes redécouvrent Pagnol grâce à Auteuil. Mais on ne peut s'empêcher de songer à un cinéma français qui ne sait plus raconter des histoires d'amour aussi tragiques et belles que celles-ci. En "feuilletonnant" la trilogie César, les spectateurs auront peut-être l'impression de voir un de ces feuilletons romanesques à gros budgets diffusés à la télévision. C'est ultraclassique, c'est mélo. Mais au moins, Auteuil, après l'écueil de son premier film, parvient à être un formidable directeur d'acteurs. Sa sincérité vaut au moins qu'on s'attarde, sans cynisme, à son projet, aussi conservateur soit-il. Et puis il y a le texte, jamais trahi. Et ça, c'est beau, peuchère, et ça continue de nous fendre le coeur.