Michel Piccoli (1925-2020), son dernier saut dans le vide

Posté par vincy, le 18 mai 2020

Michel Piccoli est mort le 12 mai a-t-on appris ce lundi 18 mai à l'âge de 94 ans. Né le 27 décembre 1925, l'un des plus grands comédiens français s'est éteint des suites d'un accident cérébral.

Prix d'interprétation à Cannes en 1980 pour Le Saut dans le vide, Ours d'argent du meilleur acteur à la Berlinale en 1982 pour Une étrange affaire, Léopard de la meilleure interprétation masculine à Locarno en 2007 pour Les Toits de Paris et prix David di Donatello du meilleur acteur en 2012 pour Habemus papam, il a derrière lui une carrière vertigineuse au cinéma comme au théâtre. Avec aucun César dans son escarcelle, scandale perpétuel.

Il a tourné avec les plus grands: Jean Renoir, René Clair, Luis Bunuel, Jean-Luc Godard, Agnès Varda, Jacques Demy, Costa-Gavras, Michel Deville, Heanri-Georges Clouzot, Alfred Hitchcock, Marco Ferreri, Claude Sautet, Claude Chabrol, Louis Malle, Marco Bellocchio, Ettore Scola, Leos Carax, Jacques Rivette, Youssef Chahine, Manoel de Oliveira, Bertrand Blier, Elia Suleiman, Raoul Ruiz, Claude Miller, Theo Angelopoulos, Nanni Moretti, Alain Resnais...

De 1945 à 2015, il a traversé tout le cinéma, avec des rôles variés, où sa justesse en faisait un artiste de la précision. Un parcours éclectique mû par la curiosité et l'amour de son art. Il était un géant du cinéma européen.

Lire notre portrait: Piccoli, Alors voilà.


C’est finalement Gilles Jacob qui en parle le mieux. L’ancien président du Festival de Cannes avait écrit un livre d’entretiens avec le comédien il y a cinq ans : «Michel, c'était l'art du comédien : la classe, l'élégance et la pudeur, la tendresse et l'extravagance, la fraîcheur de ceux qui ont gardé leur âme d'enfant. Il représentait aussi la cocasserie. L'envie de surprendre et de laisser germer ce grain de folie qui font les très très grands. C'est pour cela que les plus grands cinéastes comme Marco Ferreri, Claude Sautet et Jean-Luc Godard l'ont utilisé magnifiquement. On ne dirigeait pas Piccoli. On le filmait. C'était inutile de lui donner des explications. Le personnage qu'il interprétait le guidait, et l'imprégnation du personnage. Il accueillait l'évidence des... choses de la vie. La France est orpheline d'un fils. Il nous laisse son œuvre et notre chagrin.»


C'est entendu, Michel Piccoli est un monstre sacré. Qu’il admire le corps de Bardot, qu’il séduise Deneuve, qu’il tombe amoureux de Schneider, qu’il se gave avec Ferreol ou qu’il cabotine avec Miou-Miou, Piccoli a toujours su trouver le ton juste, précis, modulant parfaitement sa voix, maîtrisant à merveille son regard.

Le sortilège du destin

Michel Piccoli naît à Paris le 27 décembre 1925 dans une famille musicienne : une mère pianiste, issue d'une famille bourgeoise, et un père violoniste venant d'un milieu modeste. Son enfance se partage entre la capitale et la Corrèze. A 20 ans, il s'affranchit de la bourgeoisie familiale et fait ses débuts au cinéma avec une figuration dans le film de Christian Jaque, Sortilèges. Après quelques rôles de cinéma et quelques pièces de théâtre, il fait la rencontre de Luis Buñuel. "J'ai écrit, moi acteur obscur, à ce metteur en scène connu pour qu'il vienne me voir dans un spectacle. Il est venu. Nous sommes devenus amis. C'est un culot de jeune homme formidable, non ?". C'est le début d'une longue complicité : Michel Piccoli jouera dans six de ses films dont les fameux Journal d'une femme de chambre, Belle de jour et Le charme discret de la bourgeoisie.
Amoureux des livres, des idées, de cette effervescence intellectuelle de l’après guerre, Piccoli croise le tout Saint-Germain-des-Prés et connaît Boris Vian (il reprendra son Déserteur dans un disque hommage à Reggiani), Jean-Paul Sartre et Juliette Gréco qui sera sa compagne pendant onze ans.

Séducteur ou gouailleur, grossier ou élégant, mystérieux ou rêveur, Piccoli a traversé l’histoire du cinéma. Il tourne beaucoup, dès les années 1950. On le croise ainsi dans French cancan, Les grandes manœuvres, Marie-Antoinette… Des seconds-rôles qui aboutiront à celui qui déclenchera tout, dans Le doulos, avec Belmondo, de Jean-Pierre Melville en 1962. Le chapeau lui va bien. Il ne le quittera pas l’année suivante dans Le Mépris, de Godard, où il s’impose comme un grand de sa génération. Dès lors, il trouve sa place dans des univers variés. La jeune génération française avec Jacques Rozier, Paul Vecchiali, Agnès Varda, Alain Cavalier, Michel Deville, Alain Resnais, Nadine Trintignant, les cinéastes de l’exil, comme Bunuel et Costa-Gavras, les grands noms du 7e art français (René Clément, Henri-Georges Clouzot) ou le cinéma italien, puisqu’il parle couramment la langue.

De cette époque on retient alors Compartiments, La Guerre est finie, Les Demoiselles de Rochefort, Benjamin ou les mémoires d'un puceau, La chamade, et bien sur son passage chez Hitchcock dans L’étau. S’il n’a pas le statut de star d’un Belmondo ou d’un Delon, il est, à l’instar de Noiret, un de ces acteurs qui compte rapidement dans le cinéma européen.

Le grand saut

Fidèle avec ses cinéastes fétiches - Bunuel, Ferreri, Sautet -, c’est justement avec ce dernier que sa stature va évoluer. En 1970, il est à l’affiche des Choses de la vie (enchaînant ensuite un grand écart avec Philippe de Broca, les très belles Noces rouges de Claude Chabrol et Yves Boisset). Un drame intime et existentialiste bouleversant, qui amorce un tournant dans la carrière du réalisateur et relance celle de Romy Schneider. C’est aussi le plus grand succès au box office du comédien. Il a alors ce charme discret de la bourgeoisie, qu’il se délectera à transformer en décadence totale dans La grande bouffe de Marco Ferreri, grand pamphlet d’une civilisation sur-consommatrice et autodestructrice.

Car pour lui, le cinéma doit refléter le chaos et la folie du monde, quitte à se confiner et s’isoler dans Themroc de Claude Garaldo, 47 ans avant notre confinement actuel. Il peut jouer aussi bien un homme de loi qu’un escroc, un ministre qu’un médecin, un ami qu’un roi. Après Vincent, François, Paul et les autres, de Sautet, il doit cependant patienter jusqu’en 1979 pour retrouver un grand personnage, celui du juge Mauro dans Le saut dans le vide de Marco Bellocchio, sublime mélo noir, qui lui fait décrocher un prix d’interprétation à Cannes. Deux ans avant son prix d’interprétation à Berlin, dans Une étrange affaire, en patron prédateur.

Insatiable curiosité

Dès les années 1980, il oscille entre fidélité (Boisset, Ferreri, Demy, Bellocchio, Godard) et découvertes, entre quelques succès comme la Passante du Sans-Souci, toujours avec Schneider, ou Que les gros salaires lèvent le doigt ! de Denys Granier-Deferre. Il passe ainsi du Prix du danger à La nuit de Varennes, d’Ettore Scola, de La Diagonale du fou, en champion d’échecs, à des films de Jacques Doillon ou de Claude Lelouch.  Dans ces années-là, il croise Youssef Chahine (Adieu Bonaparte), Leos Carax (Mauvais sang), Maroun Bagdadi (L’homme voilé), autant de films audacieux et sélectionnés dans les festivals. Mais il tourne aussi Le paltoquet et Milou en mai, beau succès public de Louis Malle.

Piccoli est insaisissable. Il n’est jamais là où on l’attend. Il peut-être doux ou colérique, las ou vivifiant, dans des œuvres exigeantes ou des films plus consensuels. Surtout, il sait vieillir au cinéma. Et alors que Delon et Belmondo s’éclipsent progressivement, piégés par leur image de superstar, lui s’amuse à être peintre voyeur dans La belle noiseuse de Rivette ou emmerdeur homosexuel dans Le bal des Casse-pieds de Robert. Il ose tourner dans des courts métrages de débutants comme Guillaume Nicloux, s’’amuse à être monsieur cinéma chez Varda, à être en costume princier pour Molinaro, à jouer son propre personnage chez Bertrand Blier, à se lancer dans la réalisation (Alors voilà, en 1998). Il découvre aussi les univers d’Enki Bilal (dans un film SF) ou de Raoul Ruiz (dans une psychanalyse surréaliste). Et puis il rencontre Manoel de Oliveira, qui lui offre l’un de ses plus beaux personnages, dans Je rentre à la maison. Toute la sensibilité et la subtilité de Piccoli transpercent l’image.

Habemus Maestro

Piccoli est insaisissable, atemporel et sans étiquette. Il n’est jamais là où on l’attend. Il peut-être doux ou colérique, las ou vivifiant, dans des œuvres exigeantes ou des films plus consensuels. Surtout, il sait vieillir au cinéma. Et alors que Delon et Belmondo s’éclipsent progressivement, piégés par leur image de superstar, lui s’amuse à être peintre voyeur dans La belle noiseuse de Rivette ou emmerdeur homosexuel dans Le bal des Casse-pieds de Robert. Il ose tourner dans des courts métrages de débutants comme Guillaume Nicloux, s’’amuse à être monsieur cinéma chez Varda, à être en costume princier pour Molinaro, à jouer son propre personnage chez Bertrand Blier, à se lancer dans la réalisation (Alors voilà, en 1998). Il découvre aussi les univers d’Enki Bilal (dans un film SF) ou de Raoul Ruiz (dans une psychanalyse surréaliste). Et puis il rencontre Manoel de Oliveira, qui lui offre l’un de ses plus beaux personnages, dans Je rentre à la maison. Toute la sensibilité et la subtilité de son jeu transpercent l’image. « L’acteur n’existe que dans le regard des autres » selon lui. Là on redécouvrait aussi bien Piccoli qu’on s’émerveillait de la jeunesse d’Oliveira.

« Je ne veux pas être élitiste, mais je sais que je serais incapable de réaliser quelque chose qui plairait au plus grand nombre » explique-t-il alors qu’il vient « d'entrer sur le marché du travail dans les rôles de grands-pères. Les carottes sont cuites ». Sans agent, sans César, narrateur permanent de documentaires, fictions (Intervention divine d’Elia Suleiman) ou films d’animation (La prophétie des grenouilles de Jacques-Rémy Girerd), il poursuit ses rêves sans trop d’efforts. Que ce soit au théâtre jusqu’à la fin des années 2000 avec un rôle-sacre, le Roi Lear, ou au cinéma. Il continue à tourner pour les cinéastes d’avant mais s’aventure aussi chez Bertrand Bonello, Theo Angelopoulos, ou même Bertrand Mandico. C’est évidemment en pape dans Habemus Papam de Nanni Moretti en 2011 qu’il semble signer sa performance crépusculaire, loin de toute noirceur, et proche  d’un hédonisme lumineux. « Le bonheur est toujours une quête à renouveler » disait-il. Durant 70 ans de métier, il a su appliquer cet idéal.

[We miss Cannes] 13 Palmes d’honneur

Posté par vincy, le 14 mai 2020

Depuis la Palme des palmes en 1997 pour Ingmar Bergman, le Festival de Cannes a couronné 12 autres artistes par une Palme d'honneur, dont 6 Français. Passage en revue avec un extrait de leur premier film présenté à Cannes (le deuxième pour Belmondo puisque son premier film cannois fut le même que celui de Jeanne Moreau). Certains sont très connus, d'autres beaucoup moins.

1997: Ingmar Bergman

2002: Woody Allen

2003 : Jeanne Moreau

2005 : Catherine Deneuve

2007 : Jane Fonda

2008 : Manoel de Oliveira

2009 : Clint Eastwood

2011 : Jean-Paul Belmondo

2011 : Bernardo Bertolucci

2015 : Agnès Varda

2016 : Jean-Pierre Léaud

2017 : Jeffrey Katzenberg

2019 : Alain Delon

Edito: L’avenir, quand on a 17 ans

Posté par redaction, le 7 avril 2016

Quand on a 17 ans, on a l'avenir devant soi. Mais il semble que ce soit plus compliqué à imaginer quand on vieillit, que la mort rode. Etrangement, cette semaine, les fantômes hantent les salles de cinéma. Le deuil est ainsi diversement vécu. Jake Gyllenhaal est prêt à tout démolir, avec une certaine jubilation. Tom Hiddleston cherche vainement un anonymat au milieu de gens qu'il ne connaît pas. Kate Dickie et Paul Higgins se sont isolés dans une forêt, se coupant de tout contact avec le reste du monde. Dakota Johnson fuit le paradis factice d'une villa italienne pour retourner chez sa mère. Le peuple argentin refuse qu'on lui retire le corps de son idole défunte, Evita, prête à être embaumée. Et le spectre de Manoel de Oliveira plane dans un film posthume.

Quand on a 17 ans, que son père meurt, on peut toujours lutter: on ne pense qu'à l'amour, aux sentiments, aux sensations, à ce désir prégnant qui nous donne l'impression d'être invincible, capable de toutes les audaces, d'être comme des lions, de passer des nuits debout, de croire que Demain sera toujours meilleur. Il suffit de faire confiance à la vie. Le cinéma, quand il nous renvoie cette envie folle de vivre par procuration des moments que l'on a pu vivre ou, mieux, que l'on aurait aimé vivre, est alors doté d'une force ensorcelante qui réveille en nous le plaisir pervers qui nous conduit dans une zone floue où réalité et rêve se confondent.

Quand on 17 ans, on peut aimer croire aux fantômes ; et on ne sait pas encore qu'ils existent vraiment quand nos proches sont passés de l'autre côté du Styx. On dérive alors sur son Y. En espérant atteindre l'instant X. Le 7e art joue alors de catalyseur et même, parfois, d'embarcation vers ces limbes virtuelles où les personnages fictifs deviennent comme nos amis. On se prend d'empathie ou de compassion pour ces gens qui souffrent de la perte de leur épouse, soeur, fils, père, icône.

"Et si la mélancolie nous gagne infailliblement lorsque nous sommes au bord des eaux, une autre loi de notre nature impressible fait que, sur les montagnes, nos sentiments s'épurent". Quand on a 17 ans, on devrait lire Honoré de Balzac.

Manoel de Oliveira: hommages d’Arte, Gilles Jacob, Serge Toubiana…

Posté par redaction, le 3 avril 2015

Suite au décès du doyen du cinéma, Manoel de Oliveira, seul cinéaste de notre époque à avoir travaillé quand le 7e art était encore muet, les réactions n'ont par tardé.

La chaîne Arte rendra hommage au réalisateur le jeudi 9 avril en diffusant son dernier court métrage, Le Vieillard du Restelo, projeté en décembre dernier à Lisbonne et l'un de ses derniers films, Singularités d'une jeune fille blonde, adaptation de la nouvelle Une singulière jeune fille blonde du grand auteur portugais Eça de Queiroz.

Gilles Jacob (Festival de Cannes)
Premier à réagir sur Twitter, l'ancien Président du Festival de Cannes, Gilles Jacob qui a lancé une salve de tweets:
"Tristesse.Mon cher Manoel est mort. Manoel de Oliveira avait 106 ans et moi je suis orphelin comme tt le cinéma mondial.C'était un seigneur."
"Passés cent ans, on s'était habitué à l'idée que Manoel ne disparaîtrait jamais. Bien sûr, il y avait l'œuvre mais lui aussi c'était établi."
"Quand un artiste de renommée mondiale incarne à lui seul dans sa discipline l'âme d'un pays, cela donne Pessoa ou Oliveira, et l'on est fier."
"Comme Dreyer ou Bunuel, l'art d'Oliveira tient de l'ascète baroque ce qui chez eux n'était pas contradictoire. En plus, il était malicieux."
"Non ou la vaine gloire de commander" est l'un des films majeurs de Manoel et quel beau titre! Quelle leçon!"

Serge Toubiana (Cinémathèque française)
"Il ne faudrait vraiment pas que l’on se contente de garder en mémoire, à propos de Manoel de Oliveira, qu’il fut le cinéaste en activité le plus âgé de toute l’histoire du cinéma mondial. Ce serait faire un sort injuste à sa mémoire. Car il fut bien plus que cela, un très grand cinéaste, né en 1908 à Porto, sa ville, qu’il a filmée et qu’il aimait, auteur d’une soixantaine de films, courts ou longs, voire très longs – son adaptation du Soulier de satin, d’après Claudel, œuvre magnifique, autant lyrique que plastique, durait 6 heures cinquante.

Manoel de Oliveira, qui vient de nous quitter à l’âge de 106 ans, était, de tous les cinéastes en activité, le seul qui avait connu le temps du muet. Douro, faina fluvial, son premier film, un documentaire lyrique sur Porto, date de 1929. Cette trace du muet, ce souvenir intime de l’époque où le cinéma n’était qu’images, est demeuré vivace et traverse son œuvre, aiguisant son regard, accentuant son acuité formelle et narrative. Manoel de Oliveira était un infatigable conteur d’histoires, qui croyait ferme au cinéma des temps primitifs, à ce temps où la croyance du spectateur se fondait sur un regard candide, seul à même de pouvoir entrer dans l’écran, comprendre les personnages, vivre leurs sentiments, pénétrer dans la profondeur de leur âme. Lorsqu’il parlait de ses films, ou de ceux des cinéastes qu’il admirait, il y avait chez Manoel de Oliveira, cette même candeur, ce goût dans la croyance des sentiments profonds et exacerbés, quelque chose de l’enfance qu’il exprimait, tel un homme sage et malicieux.

Il était un grand ami de la Cinémathèque française, ayant connu Henri Langlois, qui fut le premier à reconnaître son talent et à montrer ses films. L’an dernier, à l’occasion du centenaire du fondateur de la Cinémathèque, Manoel de Oliveira nous avait adressé un message émouvant et clairvoyant, rendant hommage à ce montreur d’ombres qu’était Langlois.
Nous avions accueilli Manoel de Oliveira à plusieurs reprises à la Cinémathèque, en 2008 pour un formidable dialogue avec Antonio Tabucchi, puis en février 2011 pour l’avant-première de L’Etrange affaire Angelica, et organisé la rétrospective de son œuvre en 2012.

La même année, nous avions découvert Gebo et l’ombre, un de ses derniers films, œuvre qui trouvait son inspiration dans les origines mêmes du cinéma et où l’éclairage des personnages et des décors semblait provenir de lanternes magiques, d’un théâtre optique ou de machines à rêves. Image vacillante et tremblante d’un art balbutiant, qui ne sait pas encore qu’il va devenir l’Art du XXe siècle. Manoel de Oliveira était un paradoxe vivant, à la fois cinéaste des origines, des émotions premières, et cinéaste cultivé, raffiné, inspiré par la grande littérature (Claudel, Flaubert, Dostoïevski, Madame de La Fayette, Agustina Bessa-Luis…), auteur de grands films romanesques, comme Le Passé et le Présent (1972) Amour de perdition (1979), Francisca (1981), Non, ou la vaine gloire de commander (1990), La Divine comédie (1991), Val Abraham (1993), La Lettre, son adaptation de La Princesse de Clèves en 1999. Sans oublier le génial Je rentre à la maison, avec Michel Piccoli, ou Belle toujours, avec Bulle Ogier et Michel Piccoli, suite imaginaire de Belle de Jour de Luis Buñuel.

En France, nous avions découvert ses films vers le milieu des années 70 par l’intermédiaire de Paolo Branco, alors exploitant d’une salle de cinéma à Paris, du côté de République. Ensuite, Paolo Branco devint le producteur attitré de Manoel de Oliveira, l’accompagnant durant deux décennies dans son parcours de cinéaste."

Frédérique Bredin (CNC)
"Frédérique Bredin, présidente du CNC, a appris la disparition de Manoel de Oliveira avec une immense tristesse. Elle rend hommage à la mémoire d’un cinéaste dont l’exigence artistique s’était toujours maintenue au plus haut niveau. Il avait souvent travaillé avec des acteurs et actrices français, et tourné en langue française. L’avance sur recettes l’avait accompagné à plusieurs reprises, saluant la beauté de ses scénarios, emprunts de poésie et de nostalgie. Le cinéma mondial perd l’un de ses grands explorateurs."

Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la Communication
"Manoel de Oliveira nous a quittés le 2 avril, à Lisbonne.

Il avait joué dans La chanson de Lisbonne, le premier film parlant tourné au Portugal. Mais c’est bien sûr comme réalisateur que Manoel de Oliveira s’était fait reconnaître dans le monde entier comme l’un des très grands noms du septième art.

Si son œuvre est profondément marquée par la littérature et le théâtre de son pays, Manoel de Oliveira nous a offert aussi une magnifique adaptation, véritable tour de force, du chef-d’œuvre de Claudel, Le Soulier de satin.

C’est encore une adaptation d’un autre grand texte français, Madame Bovary, qui lui vaudra de s’imposer au-delà de son Portugal natal et avec La Lettre inspirée de La princesse de Clèves qu’il décroche le Prix du jury au Festival de Cannes en 1999.

Manoel de Oliveira avait fêté ses 106 ans ; il y a quelques mois. C’était le doyen des cinéastes en activité, un créateur d’une fascinante énergie que le temps semblait impuissant à lasser. Le grand âge fut pour lui celui de la moisson, continuant à récolter les fruits de toute une vie de méditation et de contemplation, une vie vécue en poète."

Manoel de Oliveira (1908-2015) éteint la lumière

Posté par vincy, le 2 avril 2015

manoel de oliveira

Il était le doyen du cinéma mondial et sans aucun doute le plus grand cinéaste portugais. Manoel de Oliveira, né en 1908 à Porto, est décédé, selon le producteur Luis Urbano, citant des sources familiales. Il avait 106 ans.

Le réalisateur a reçu tous les honneurs au cours de sa vie: une Berlinale Camera en 2009, une Palme d'or d'honneur à Cannes en 2008, un prix honorifique aux European Film Awards en 2007, un Lion d'or d'honneur à Venise en 2004 et un Léopard d'or d'honneur à Locarno en 1994.

"Si l'on me demande pourquoi je fais du cinéma, je pense aussitôt : pourquoi ne pas me demander si je respire ?" avouait Manoel de Oliveira dans Libération en 1987.

Il a réalisé plus de cinquante longs métrages et documentaires, commençant sa carrière en 1931, alors que le cinéma ne parlait pas. Dans sa jeunesse, il aimait Charlie Chaplin et Max Linder. Athlète, il d'abord brillé en course automobile avant de devenir acteur, notamment dans A Canção de Lisboa, le premier film parlant portugais, en 1933. Son premier film Douro, faina fluvial, un court métrage documentaire muet, est tourné entre 1927 à 1929, et sort en 1931.

Loin des stérotypes

De là naîtra son style, naturaliste, réaliste et poétique, imprégné de ses références littéraires, soumis à un romantisme exacerbé. La mise en scène s'épurera au fil des ans, jusqu'à devenir presque théâtrale parfois. Oliveira aimait se concentrer sur les comédiens et les mots dans un cadre parfois complètement immobile, comme pour souligner avec intensité le moindre geste, le moindre mouvement.

Il appréciait les amours frustrés, maniait davantage l'humour en personne que dans ses films, et si le désespoir emplissait souvent ses personnages, sa caméra l'étreignait avec une certaine sensualité, souvent un peu distante, toujours élégante, jouant sur les clairs obscurs. Loin des images formatées, il voulait offrir une vision décalée, parfois nostalgique, du monde.

Il y avait aussi dans ses films une forme de mysticisme. Mais surtout ses créations étaient souvent basées sur des oppositions, des contrastes et un anachronisme assumé pour servir une critique sociale de la société.

Evincé par la dictature

Cette dénonciation intellectuelle lui a valu quelques ennuis. En 1963, avec son court-métrage La Chasse, il réalise une oeuvre avec « des intentions cachées touchant la dictature ». La dictature ne s'y est pas trompée et l'empêche de filmer jusqu'en 1971.

Ainsi, le contexte politique et le manque d'infrastructures dans le Portugal de Salazar le tiennent éloigné des caméras.

En quatre décennies, il n'aura tourné que cinq longs métrages, entre Aniki Bóbó en 1942 et Amour de perdition en 1979. A partir des années 80, dans un pays désormais démocratique et européen, sa filmographie va s'étoffer rapidement, et dans les années 90 il tournera un film tous les ans, avec, souvent, des têtes d'affiches internationales comme Catherine Deneuve ou John Malkovich.

Le cinéma c'est la vie

Parmi ses films les plus marquants, il y a Les Cannibales (1988), Non, ou la vaine gloire de commander (1990), La Divine Comédie (1991), Val Abraham (1993), Le Couvent (1995), La Lettre (1999), Je rentre à la maison (2001, son plus grand succès en France), Le Principe de l'incertitude (2002) et L'Étrange Affaire Angélica (2010). Il sort sont dernier livre en 2012, Gebo et l'Ombre. Et il continuait de préparer
L'Eglise du diable.

Son dernier court-métrage est sorti en décembre 2014 à Lisbonne. Le Vieux du Restelo avait été tourné à Porto puis présenté à la Mostra de Venise. Décrit par son auteur comme « une réflexion sur l'humanité », ce court-métrage s'inspire notamment d'un personnage du poème épique "Les Lusiades", de Luis de Camoes à l'époque des grandes découvertes maritimes des navigateurs portugais.

Infatigable explorateur, il n'a jamais cessé de chercher des histoires, souvent dans les livres ou dans son voisinage direct. Il ne voulait pas s'arrêter: « Cesser de travailler, c'est mourir. Si on m'enlève le cinéma, je meurs ». Le cinéma, art immatériel et aussi vivant que l'humain, n'est pas mort parce que Manoel de Oliveira n'est plus, mais il perd l'un de ses grands maîtres.

James Franco fera partager ses rêves à Rome

Posté par vincy, le 31 octobre 2012

La section CinemaXXI du Festival de Rome (9-17 novembre) accueillera le nouveau court métrage de James Franco, Dreams. Le film ne dure qu'une minute. La star hollywoodienne sera également présente pour la projection du long métrage Tar. Ce film collectif rassemble James Franco, Mila Kunis, Jessica Chastain, Zach Braff, Henry Hopper et Bruce Campbell. Il s'agit d'un biopic du poète C.K. Williams, qui est interprété par Franco (et Henry Hopper quand il est plus jeune). Le film a été réalisé par des étudiants de la New York University et supervisé par l'acteur.

CinemaXXI est une nouvelle sélection dédiée à un cinéma expérimental. On y trouvera cette année un moyen métrage de Paul Verhoeven (Steekspel/Tricked).  Un film collectif d'Aki Kaurismäki, Pedro Costa, Victor Erice et Manoel de Oliveira (Centro Histórico) ouvrira le programme et un autre signé Atom Egoyan, Lai's Bodanzky, Jerzy Stuhr, De Oliveira, Marco Bechis, Wim Wenders et Theo Angelopoulos (Mundo Invisivel/ Invisible Word) devrait faire l'événement.

On retrouvera aussi deux cinéastes a priori attendus dans des sections plus "classiques" : Peter Greenaway avec Goltzius and the Pelican Company (avec F. Murray Abraham) et Mike Figgis avec Suspension of Disbelief (avec Sebastian Koch). Côté français, notons la présence de Photo, du portugais Carlos Saboga, avec Anna Mouglalis et Marisa Paredes.

Un jury, présidé par l'artiste Douglas Gordon et composé d'Hans Hurch, Ed Lachman, Andrea Lissoni et Emily Jacir, décernera trois prix le prix CinemaXXI et le prix spécial du jury (longs métrages) et un prix CinemaXXI Cortometraggi e Mediometraggi (courts et moyens métrages).

5 raisons d’aller à la Cinémathèque française d’ici la fin de l’année…

Posté par vincy, le 10 septembre 2012

La Cinémathèque française a lancé sa saison 2012/2013, proposant un programme aussi chargé que varié. Voici 5 bonnes raisons d'y aller régulièrement d'ici la fin de l'année. En 2013, la saison battra son plein avec le centenaire de Universal, les rétrospectives des Frères Coen, de Bertolucci et de René Clément, le cinquantenaire des Films du Losange, et surtout, bien entendu, la grande exposition dédiée à Jacques Demy.

1. Les enfants du Paradis.

Grande exposition de l'automne. Le film légendaire de Marcel Carné (tourné durant la libération de Paris et sorti en salles quelques semaines avant la fin de la guerre, en mars 1945), sur un scénario de Jacques Prévert, re-sortira en version restaurée dans les salles. Revoir ainsi sur le boulevard du Crime, Arletty, Jean-Louis Barrault, Pierre Brasseur et Maria Casarès. La Cinémathèque organise pour l'occasion une rétrospective Marcel Carné, une autre sur le cinéma de Jacques Pierre Prévert. L'exposition promet des documents rares sur ce film, élu meilleur film de tous les temps par les critiques à l'occasion du centenaire du cinéma. 24 octobre-27 janvier 2013.

2. Otto Preminger.

Deux semaines après sa grande rétrospective au Festival de Locarno, la Cinémathèque lui rend hommage. Gene Tierney dans Laura, Marilyn dans La Rivière sans retour, James Stewart dans Autopsie d'un meurtre, Paul Newman dans Exodus ou encore Frank Sinatra dans L'homme au bras d'or : il a donné aux légendes hollywoodiennes quelques uns de leurs plus grands rôles, entre drame intense et tragédie noire. Prince du classicisme, il a réalisé quelques unes des plus belles oeuvres du cinéma américain, avec un génie de la direction d'acteur et un certain talent pour provoquer la censure. 30 août-8 octobre.

3. Manoel de Oliveira.

Le doyen du 7e art tourne toujours. Avec une carrière en deux temps, qui commence en 1929 mais ne reprend qu'avec la disparition de la dictature au Portugal, ce maître qui sait si habilement mêlé littérature, théâtre et cinéma, a construit une oeuvre aussi singulière que radicale, ironique qu'élégante,, parfois joyeuse, et gourmande en grands comédiens de toutes nationalités. Au-delà de son style a priori statique, cette rétrospective permet  également de deviner les grands thèmes qu'il a voulu aborder en 80 ans de cinéma. 6 septembre-21 octobre.

4. Jean-Louis Trintignant.

L'un des plus grands comédiens français. Devenu rare, pour ne pas dire absent, depuis la tragédie personnelle qui l'a anéanti (la mort de sa fille Marie), il revient en géant dans Amour de Michael Haneke, Palme d'or de l'année (en avant-première le 15 octobre). 4 fois nommé aux Césars, sa nomination en 2013, qui ne fait aucun doute, devrait être la bonne. Un César pour un sacre. Il aura tourné avec les plus grands : Chabrol, Chéreau, Cavalier, Costa-Gavras, Bertolucci, Clément, Deville, Vadim (avec Bardot), Risi, Comencini, Rohmer, Audiard, Scola, Kieslowski, Deray, Lelouch (chabadabada), Truffaut... Une rencontre avec l'acteur se déroulera le 14 octobre. Sans doute l'une des dernières du comédien, qui veut arrêter de faire du cinéma. 26 septembre-12 novembre.

5. Toute la mémoire du monde.

Du 28 novembre au 2 décembre, la Cinémathèque organise son premier Festival international du film restauré. Une manière d'explorer, découvrir, partager le travail de restauration, la sauvegarde d'un patrimoine fragile, les films rescapés, autour de débats et d'ateliers.

Venise 2012 : un programme chargé (et varié) hors-compétition

Posté par vincy, le 27 juillet 2012

Mira Nair en ouverture. Jean-Pierre Améris en clôture. Venise 2012 saura satisfaire également les paparazzis, les cinéphiles et les journalistes avec des stars, des oscarisés et des grands noms du cinéma mondial. Et un film de 270 minutes (4h30 donc) de Kiyoshi Kurosawa dans le menu! (* 3 films ont été ajoutés le 7 août)

L'homme qui rit de Jean-Pierre Ameris. Avec Gérard Depardieu, Marc-André Grondin, Christa Theret, Emmanuelle Seigner. Clôture.

Love is All You Need de Susanne Bier. Avec Pierce Brosnan, Trine Dyrholm, Sebastian Jessen, Molly Blixt Egelind.

Cherchez Hortense de Pascal Bonitzer. Avec Jean-Pierre Bacri, Isabelle Carré, Kristin Scott Thomas.

Sur un fil de Simon Brook. Avec Peter Brook, Yoshi Oida, Shantala Shivalingappa, Marcello Magni

Enzo Avitabile Music Life (docu) de Jonathan Demme.

Tai Chi de Stephen Fung. Avec Yuan Xiaochao, Angelababy, Eddie Peng, Tony Leung Ka-fai, William Feng, Shu Qi.

Lullaby to My Father de Amos Gitai. Avec Yael Abecassis, Jeanne Moreau, Hanna Schygulla, Keren Gitai, Ben Gitai.

Shokuzai (Penance) de Kiyoshi Kurosawa. Avec Kyoko Koizumi, Yu Aoi, Eiko Koike, Sakura Ando, Chizuru Ikewaki.

Bad 25 (documentaire) de Spike Lee.

The Reluctant Fundamentalist de Mira Nair. Avec Riz Ahmed, Kate Hudson, Kiefer Sutherland, Liev Schreiber, Martin Donovan. Ouverture.

O Gebo e A Sombra de Manoel de Oliveira. Avec Michael Lonsdale, Claudia Cardinale, Jeanne Moreau, Leonor Silveira, Ricardo Trêpa, Luís Miguel Cintra.

The Company You Keep de Robert Redford. Avec Robert Redford, Shia LaBeouf, Julie Christie, Richard Jenkins, Susan Sarandon, Stanley Tucci, Nick Nolte.

Shark (Bait 3D) de Kimble Randall. Avec Xavier Samuel, Sharni Vinson, Julian McMahon, Adrian Pang.

Disconnect de Henry-Alex Rubin. Avec Alexander Skarsgård, Michael Nyqvist, Jason Bateman, Andrea Riseborough.

Du hast es versprochen (Forgotten) d'Alex Schmidt.

The Iceman de Ariel Vromen. Avec Michael Shannon, Winona Ryder, Chris Evans, Ray Liotta, James Franco.

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Séances spéciales :

Anton's Right Here (docu) de Lyubov Arkus.

It was better tomorrow (docu) de Hinde Boujemaa.

Clarisse (docu) de Liliana Cavani.

Sfiorando Il Muro (docu) de Silvia Giralucci et Luca Ricciardi.

Carmel (2009) de Amos Gitai.

El Impenetrable (docu) de Daniele Incalcaterra et Fausta Quattrini.

Witness : Libya (docu) de Michael Mann.

Medici con l'Africa (docu) de Carlo Mazzacurati.

Come voglio che sia il mio futuro ? de Ermanno Olmi.

Convitto Falcone de Pasquale Scimeca.

La nave dolce (docu) de Daniele Vicari.

Eastwood de toutes les parties

Posté par vincy, le 12 mai 2008

Clint Eastwood montera les marches avec le casting de Changeling (L’échange) le 20 mai. Mais il a déjà fait deux requêtes. La première est d’assister à l’hommage célébrant le centenaire du réalisateur portugais Manoel de Oliveira, le 19 mai, à l’occasion de la journée de l’Europe. La seconde est plus classique : il fera le détour par la soirée qui accueillera l’hommage à la Warner Bros, son studio, qui fête ses 85 ans. Enfin, en plus de son film en compétition officielle, il viendra présenter L’inspecteur Harry dans le cadre de Cannes Classics, le 22 mai. Et le 25 mai,il reçoit une Palme d’or ?