Cannes 2019 : Qui est Ladj Ly ?

Posté par MpM, le 15 mai 2019

Ce sera pour beaucoup l’une des révélations de ce 72e festival de Cannes. Ladj Ly, 41 ans, entre en compétition avec son premier long métrage, Les Misérables, qui réunit Damien Bonnard, Alexis Manenti et Djibril Zonga en membres de la Brigade Anti-Criminalité de Montfermeil (Seine Saint-Denis), et suscite une certaine forme de curiosité, quand ce n’est pas d’enthousiasme. Et c’est vrai qu’on se réjouit de découvrir, sur la Croisette qui plus est, le passage au long de celui qui est très loin d’être un inconnu.

Tout commence au milieu des années 90, avec la création du collectif Kourtrajmé dont le but est de tourner clips et courts métrages avec les moyens du bord, l’énergie de la jeunesse et la foi des autodidactes. Aux côtés de Kim Chapiron, Romain Gavras ou encore Toumani Sangaré, Ladj Ly est l’un des membres fondateurs du collectif qui pose notamment ses caméras à la cité des Bosquets à Montfermeil. Kourtrajmé, qui réunit peu à peu jusqu’à 134 membres, autoproduit de nombreux courts métrages et clips imprégnés de culture urbaine.

On retrouve Ladj Ly en 2005 à l’affiche de Sheitan de Kim Chapiron, puis derrière la caméra à nouveau pour le documentaire 365 jours à Clichy-Montfermeil, qui capte les émeutes de 2005. Peu après, il s’adonne à la pratique du "cop watch", c’est-à-dire le fait de suivre des policiers pendant leurs interventions. "Dès que j’arrivais, ça calmait tout le monde, autant les flics que les jeunes", se souvient-il. En 2008, la vidéo d’une bavure policière qu’il met en ligne aboutit même à une enquête suivie d’une condamnation. La force des images, encore. Pas difficile d’imaginer qu’il tire de ces faits réels l’inspiration pour ses films suivants.

Après un autre documentaire, 365 jours au Mali (son pays natal), 2017 est sa grande année, celle qui lui vaudra deux nominations aux César l’année suivante. D'un côté pour le documentaire A voix haute, la force de la parole, qu’il coréalise avec Stéphane de Freitas, et de l’autre pour son propre court métrage Les Misérables, qui constitue en quelque sorte la genèse du long métrage du même nom. Un film tendu, anxiogène, qui décortique les mécanismes d’une bavure policière dans la cité des Bosquets à Montfermeil, tout en captant l’ambiance de la cité.

Le film passe à côté du César, mais il avait reçu le prix Canal + l’année précédente à Clermont)Ferrand, ce qui a suffi pour alerter les professionnels : talent définitivement à suivre. Il n’aura pas fallu attendre longtemps. Immédiatement sous le feu des projecteurs, le réalisateur (qui a entre temps créé une école de cinéma gratuite et ouverte à tous en Seine Saint Denis), investit Cannes avec un long métrage au titre tout aussi hugolien que le précédent (l’écrivain était d’ailleurs nommément cité dans le préambule du court), tourné avec un calendrier et un budget serrés, sans l’aide du CNC. D'où l'impression que cette sélection a un goût de revanche autant que de victoire. Car pour le film, quel que soit le résultat de cette présentation sur la Croisette, le pari est déjà plus que gagné.

Des propositions pour promouvoir le cinéma en Afrique francophone

Posté par vincy, le 2 juillet 2014

Lundi 30 juin, Unifrance a publié un rapport passionnant, qu'on aimerait lire pour d'autres secteurs culturels comme la musique ou le livre. Pour l'instant, il s'agit de cinéma.

Le groupe de travail Francophonie, présidé par le producteur Eric Névé, constate, d'après les chiffres de l'Organisation Internationale de la Francophonie que 50% des 220 millions de francophones dans le monde résident sur le continent africain. Ce chiffre devrait grimper à 85% à l'horizon 2050 avec 750-800 millions d'habitants. La croissance économique suivra la croissance démographique avec un PIB multiplié par 15 entre 2020 et 2040 (selon la Banque mondiale).

Autant dire que les opportunités sont énormes pour l'industrie culturelle française, surtout avec le numérique qui permet d'abolir les frontières géographiques au profit de territoires linguistiques. Les Anglais ont toujours profité de leur langue pour s'exporter, certes, aidés par la puissance américaine, mais aussi en profitant du Commonwealth. Les Espagnols ne sont pas en reste en ayant vampirisé le continent latino-américain (à l'exception du Brésil). Face à la concurrence américaine, turque, indienne et chinoise, le cinéma français doit s'engager auprès de la filière naissante d'un cinéma en Afrique francophone pour bénéficier d'un relais de croissance à fort potentiel.

Mais l'Afrique francophone souffre de multiples carences que n'ont pas l'Amérique latine ou les puissances émergentes asiatiques. En Afrique francophone, il n'y a pas de distribution et peu de production de films, des salles de cinéma très rares et finalement un public à "former". Il faudrait donc investir dans un réseau complet, des films à l'exploitation en passant par la promotion.

Le rapport d'Unifrance montre cependant que tout évolue très vite.

L'insuffisance des salles de cinéma

Les pays se ressaisissent : il faut bien divertir les nouvelles classes moyennes. Au Maroc, la fréquentation n'a jamais retrouvé ses scores des années 80 (45 millions de spectateurs, 241 salles dans le pays. Alors on reconstruit. En 2012, il n'y avait que 61 salles dans le pays et deux millions de spectateurs. Mais Megarama et ses deux nouveaux multiplexes (Casablanca et Marrakech) a contribué à la construction de 23 de ces 61 écrans et capte la moitié des entrées du pays. En Tuinisie, le CinéVog vient d'être inauguré près de Kram et d'autres salles comme le CinéMadart à Carthage ont récemment émergé.  A Kigali (Rwanda), un multiplexe de 8 salles s'est également ouvert.

Dakar, Abidjan, N'Djamena, Bamako... autant de villes où des salles équipées en numérique ont éclos. A Dakar, le Sea Néma (3 salles) s'est installé dans le centre commercial le plus moderne de la capitale sénégalaise. A Abidjan, on a restauré l'antique salle Ivoire qui est ainsi passée à l'ère numérique. A Bamako (Mali), les deux salles du Ciné Magic sont flambant neuves. L'Institut français numérise aussi ses écrans d'Abidjan, Libreville (Gabon) et Yaoundé (Cameroun). Le Cameroun justement va réouvrir et contruire des salles dans les principales villes du pays. Le Burkina Faso veut réhabiliter 50 salles.

Le petit écran peut-être une solution

La Vidéo à la Demande reste balbutiante mais elle peut aider à la diffusion de films francophones dans un si vaste territoire. Un hit en VàD c'est 1400 téléchargements. Le rapport constate qu'Orange Sénégal a 7,5 millions de clients, mais seulement 1000 en IPTV et 100000 en ADSL. Africafilm.tv est passé à une formule d'abonnement avec un objecif de 10000 abonnés cette année. Une chaîne très populaire comme TV5 Monde est un relais inestimable. Et Canal + Afrique peut aussi servir de tremplin à la promotion et la diffusion de films francophones.

Reste le plus gros problème du continent : la nocivité du piratage. Comme en Asie, les DVD piratés se vendent au grand jour. Cela condamne un segment déjà très fragile de la chaîne du cinéma : la vidéo physique.

La distribution condamnée à être innovante

Pas facile de diffuser des films quand le marché de la distribution est inexistant. Tandis que le belge Cinéart et le suisse Xenix tentent l'expérience, aucun gros distributeur français ne s'aventure sur ce terrain. Certes, la rentabilité est faible. Mais on peut aussi remarquer le manque d'entrain des distributeurs français à aller vers les marchés étrangers, même européens.

Le box office incite à la prudence. La pirogue, pourtant acclamé dans les Festivals, n'a séduit que 932 spectateurs au Sénégal et 949 au Burkina Faso. C'est grâce au cinéma itinérant, le système MobiCiné, qu'il a pu être vu par 8128 spectateurs au Sénégal.

Pour la sortie d'Aya de Yopougon, il a fallu inventer un système de distribution. L'agence Onyx s'est improvisée distributeur : elle a facturée des séances en extérieur (parfois jointes à d'autres événements comme un défilé de mode à Kinshasa) à des sociétés, institutions, etc... qui redistribuaient les tickets à leurs clients, partenaires ou sous forme de jeux concours. 21 273 spectateurs à Abidjan, 8200 dans le reste de la Cote d'Ivoire, 3898 à Dakar, 3350 à Kinshasa, 900 à Ouagadougou. Et le film va encore voyager : Libreville, N'djamena, Douala et Yaoundé.

La production très dépendante de la France

Les choses bougent mais lentement. On le voit chaque année dans les grands festivals, l'Afrique francophone propose deux à trois films par an quand il y a un bon cru. Le Maroc a cependant  augmenté sa production de 70% entre 2004 et 2012. Le Sénegal a annoncé une dotation de 1,5M€ pour le fonds de promotion de l'industrie cinématographique. Idem pour le Mali. Le Gabon vient de mettre en place un fonds d'aide à la production audiovisuelle. Et le Tchad a mis en place une taxe sur la téléphonie mobile pour financer le cinéma.

Mais plus généralement, ce sont les aides européennes et surtout françaises qui, par l'intermédiaire de coproductions, contribue à la surive d'un cinéma africain francophone, qu'il soit magrhébin ou sub-saharien. Les Emirats (Qatar, Emirats Arabes Unis) montent également en puissance avec l'objectif de favoriser un cinéma arabophone et surtout diffusable dans le monde musulman.

Pour l'instant, les grands succès africains de ces dernières années - Les chevaux de dieu, La pirogue, Timbuktu, Grigris - restent dépendants des fonds d'aides français. Au final, c'est loins d'une dizaine de films qui sont produits chaque année.

Deux propositions pour faire bouger le cinéma en Afrique francophone

Le rapport d'Unifrance affirme qu'il ne fait pas se contenter d'être un cinéma simplement exportateur, et de ne pas se contenter des films français. Il faut aussi inclure le cinéma belge, suisse et québécois dans la réflexion. d'etre français

Première proposition : un festival du film francophone itinérant (Dakar, Bamako, N'djamena, Abidjan) avec 2 films majoritairement français, 2 films africains, 2-3 films francophones, un film d'animation et un film de patrimoine. Un festival annuel et transnational destiné au public.

Seconde proposition : les rencontres du cinéma francophone, qui auraient lieu à Dakar en novembre prochain, afin de travailler "à la structuration d'un écosystème favorable à la cinématographie francophone". "Le Sénégal par exemple a fait un travail de titan en un an. Ils ont créé un fonds de production, lancé des rénovations de salles, ils sont en train de créer un centre national sénégalais (sur le modèle du CNC) et une cité du cinéma dans les nouvelles zones industrielles de Dakar!" explique Eric Névé. Dakar accueille un sommet de la Francophonie tous les ans : idéal pour des rencontres professionnelles. Dakar se veut le carrefour du cinéma francophone en Afrique de l'Ouest, comme le Nigéria a su bâtir un Nollywood.

L'objectif est évidemment de créer une Soft Power francophone à l'instar de la Chine, du Japon, de la Corée du sud. La culture est un parfait vecteur pour soutenir l'économie et étendre sa zone d'influence politique et diplomatique. Lire le reste de cet article »

Faro la reine des eaux : le poids des traditions

Posté par geoffroy, le 27 octobre 2008

faro.jpgSynopsis: Zan, enfant adultérin, retourne dans son village, plusieurs années après en avoir été chassé, afin de découvrir qui est son père. Son arrivée coïncide avec les brusques mouvements de Faro, l'esprit du fleuve, manifestations interprétées comme un signe de colère liée à l'arrivée du bâtard.

Notre avis: Le premier long métrage du malien Salif Traoré a les qualités de ses défauts. Film contemplatif qui prend le temps de filmer une nature imposant sa loi, cette plongée dans un village où rien ne semble changer demeure néanmoins sincère dans son approche. Coécrit avec Olivier Lorelle (scénariste d’Indigènes 2006), le scénario vise à confronter dans la constance des traditions un autre africain, venu de la ville, représentant la modernité et le monde extérieur. Malgré la rudesse des hommes du village, Zan, fils illégitime chassé jadis pour ce qu’il représente ne revient pas pour bouleverser une hiérarchie ancestrale mais plutôt pour amener une prise de conscience. Il veut influencer par son pragmatisme un village réfractaire à tout changement. Le réalisme du premier se verra opposer la dimension spirituelle d’une communauté phallocratique arc-boutée sur des rapports sociaux archaïques. Si deux Afrique se rencontrent, elles ne feront que s’observer. L’électrochoc d’une telle confrontation tombe à l’eau, le réalisateur n’arrivant pas suffisamment à bousculer une narration pourtant très thématique.

L’entrelacement entre modernité et tradition se fait dans la langueur d’un fleuve aux remous bien trop imaginaires. Filmé avec sobriété et sens du cadrage – les plans visages sont remarquables d’intensité – nous nous laissons embarquer dans un rythme peu prégnant dont le classicisme d’école n’arrive jamais à se départir d’un décor pesant, étouffant, réducteur. Rudes et serrés les silences s’accordent à la nature et se laissent guider par des lois divines qu’il ne faut pas contredire. Parfois proche du documentaire, la fiction imaginée par Traoré tarde à prendre son envol. Classique, son cinéma en deviendrait presque obsolète à trop vouloir se laisser bercer par la rive d’un fleuve capricieux. Si par moment le cinéaste esquisse une révolte (les femmes prennent un temps le pouvoir), élabore une critique sur les méfaits d’une société trop rigide instigatrice d’exclusion et de frustration, l’aspect fabuliste du réalisateur ruine les velléités politiques symbolisées par le fils Zan. Cette dichotomie entre Zan et le village dans sa constituante masculine affaiblit un film volontaire aux images parfois évocatrices.

Au final, saluons la démarche d’un metteur en scène conscient du rôle politique et social du cinéma qui, malgré son souci de vérité dans la confrontation, manque un peu d’âme et d’engagement de mise en scène.