[We miss Cannes] 1968, la dernière fois que Cannes n’a pas eu lieu (ou presque)

Posté par vincy, le 13 mai 2020

Cannes a tout évité sauf la seconde guerre mondiale, l'après guerre et mai 68. 1968: Nixon est élu président des Etats-Unis, papa Trudeau est devenu Premier Ministre du Canada, le printemps est sanglant à Prague, Bobby Kennedy est assassiné, la France de De Gaulle gronde et cherche la plage sous les pavés. Les facs sont occupées. L'essence se raréfie.

Le Festival de Cannes va en faire les frais. Cette année-là, il débute le 10 mai. Après cinq jours de bronca estudiantine, de séances malmenées, de cinéastes accrochés aux rideaux, de réalisateurs devenus tribuns politiques dans des meetings improvisés, il s'interrompt le 19 mai. 8 films de la compétition - seulement - ont été projetés. En 68, on projetait Autant en emporte le vent (en 70mm stereo). Ce fut autant en emporte les films. Une vraie guerre de sécession.

Tous se révoltent contre la décision de Malraux, ministre de la culture, de démettre Henri Langlois de son poste de directeur de la Cinémathèque. En plein tournage de Baisers volés, François Truffaut débarque le 18 mai. Redoutable, Godard est déjà vent debout. Louis Malle, Monica Vitti et Roman Polanski démissionnent du jury, Resnais, Saura, Forman retirent leurs films. Pendant ce temps, le public local conspue le cirque de ces artistes d'ailleurs. On en vient aux mains. Enervement général. Fin de party. Cannes se vide cinq jours avant son palmarès.

Lire le récit de Cannes 1968, l’autre festival qui n’a pas eu lieu

Le 21e festival international du film était un champ de bataille où les films ont été les premières victimes. De là naitra la Quinzaine des réalisateurs, l'année suivante. On redécouvrira au fil des années, à Cannes Classics, certains des films en version restaurée dont Peppermint frappé de Carlos Saura et Un jour parmi tant d'autres de Peter Collinson.

De cette sélection, peu de films ont traversé les décennies. Comme s'ils avaient été oubliés. Il y avait une réalisation du comédien Albert Finney, Charlie Bubbles, un Fellini, Il ne faut jamais parier sa tête avec de Diable, un Resnais, Je t'aime je t'aime, un Malle, William Wilson... C'est finalement celui au titre prémonitoire, Au feu les pompiers, de Milos Forman, qui reste le plus connu encore aujourd'hui.

Mais sinon, les grands films de cette année là - 2001 L’odyssée de l’espace (Stanley Kubrick), Rosemary’s baby (Roman Polanski), Butch Cassidy et le kid (George Roy Hill), Il était une fois dans l’Ouest (Sergio Leone), The Party (Blake Edwards), La mariée était en noir (François Truffaut) - étaient absents de la sélection.

Une compétition dans l'air du temps

Cependant, Cannes était une belle vitrine du cinéma de l'époque. Parmi les cinéastes marquants étaient sélectionnés Valerio Zurlini, Lion d'or six ans plus tôt, Carlo Lizzani, à qui l'on doit Riz amer, Miklos Jancso, doublement sélectionné et prix de la mise en scène quatre ans plus tard, Jiri Menzel, oscarisé en 66 et futur Ours d'or en 1990, Menahem Golan, toujours réalisateur israélien à l'époque avant de devenir producteur de blockbusters hollywoodiens, Jack Cardiff, immense chef opérateur, Kaneto Shinto, scénariste de Kenji Mizoguchi entre autres.

Cannes avait aussi sélectionné des films populaires comme Anna Karenine d'Alexandre Zarkhi, Trois petits tours et puis s'en vont de Clive Donner, Petulia de Richard Lester, Grand prix cannois (pas encore nommé Palme d'or), trois ans auparavant.

Gilles Jacob expliquait sur cette édition si particulière : "La France s'arrêtait, c'était normal que le Festival s'arrête. J'étais jeune journaliste et sur le moment on voulait que le Festival se termine parce que ça faisait bizarre d'arrêter tout. Des films étaient projetés, d'autres pas, pas de palmarès... c'était une année boiteuse. Mais il s'était passé tellement de choses cette année-là, historiquement, que l'on pardonne."

Quatre mois plus tard, Venise frappait quand même très fort avec Faces de John Cassavetes, L'enfance nue de Maurice Pialat, Partner de Bernardo Bertolucci, Sept jours ailleurs de Marin Karmitz, Théorème de Pier Paolo Pasolini et un autre film de Carlos Saura, Stress es tres, tres.

Cannes 2018 : la révolution trotskyste avec « Mourir à 30 ans » de Roman Goupil

Posté par MpM, le 13 mai 2018

Puisqu'on célèbre cette année les 50 ans de mai 68, et l'anniversaire de ce festival qui n'eut pas lieu, c'est l'occasion d'explorer les rapports de Cannes avec la Révolution. Sur la croisette, où les spectateurs défilent en smoking et robes de soirées, où un simple selfie est jugé "irrespectueux", et où toute la société festivalière est organisée en castes strictes, les mouvements de révolte et de contestation eurent souvent les honneurs d'une sélection. C'est là tout le paradoxe d'une manifestation très attachée à ses traditions, et qui n'a pourtant cessé de montrer, défendre et encourager ces moments de l'Histoire où des hommes et des femmes ont pris leur destin en mains.

En 1982, un vent de militantisme souffle sur la Croisette : la Semaine de la Critique a sélectionné un premier film choc, mêlant témoignages et images d'archives, qui évoque les années de lutte de la jeunesse communiste à travers le destin du militant d'extrême gauche Michel Recanati. C'est Romain Goupil, lui-même ancien militant, qui réalise ce documentaire habité conçu comme un hommage à son ami Recanati qui s'est suicidé en 1978, à trente ans.

Flashback : en 1965, Romain Goupil (14 ans) rencontre Michel Recanati (17 ans). Ils deviennent amis et vivent ensemble leur première prise de conscience politique avec la guerre qui fait rage au Vietnam. Recanati fonde les Comités d'Action lycéen puis s'inscrit sur les listes de la Jeunesse communiste révolutionnaire, dirigée par Alain Krivine. Goupil devient l'un des leaders du Comité d'action lycéen. Une profonde amitié les unit, qui traversera les grands événements de la période : mai 68 et ses barricades, juin 1973 et son action violente.

A travers Mourir à trente ans, Romain Goupil revisite non seulement les années passées à côté de ce camarade de lutte, mais aussi leurs espoirs, leurs idéaux, leurs réussites, leurs déceptions, leurs échecs... On revit mai 68 à travers les images d’assemblées générales et de manifestations tournées à l'époque tandis que des documents plus intimes et les témoignages d’anciens camarades dessinent en creux le portrait d’une génération.

En juin 1982, Hervé Guibert livre dans Le Monde un sentiment à chaud sur ce film "inoubliable" qui l'a bouleversé : "[Mourir à 30 ans] s’adresse à toute cette génération qui a « raté » l’événement (un peu comme on a raté à jamais, un tour de chant d’Edith Piaf), et nous met, très concrètement, au pied du mur de ce que fut mai 1968, nous fait toucher du doigt, fraternellement, en grand frère, cette plaie toujours vive, non pas pour nous mettre du sang sur les doigts, mais pour qu’on examine la dimension de la plaie, sa figuration, et la nature exacte du coutelas qui l’a ouverte. Enquête sur un espoir manipulé, enquête sur la mort d’un ami. Le sanglot reste intérieur, mais le film de Romain Goupil donne une terrible envie de pleurer. Pas seulement parce qu’il en va de la mort d’un jeune homme, mais parce qu’il en va de la mort de l’espoir de cet homme, et de toute une génération. Voyez ces têtes sur l’écran, ces visages interrogés devant le fond neutre d’un studio aménagé en appartement, comme ils sont marqués. On a un frisson de rescapé en pensant qu’on a seulement frôlé l’espoir, qu’une date de naissance a empêché qu’il nous atteigne, et on écope maintenant son contrecoup, comme un courant d’air glacial qui nous rase le dos, comme une zone sinistrée qui s’étend derrière nous dès qu’on tourne la tête."

Il résume ainsi brillamment l'effet que le film a sur ceux qui le découvrent, et sa nature de document incandescent sur Mai 68 d'abord, sur toutes les années de lutte ensuite (la séquence sur la manifestation anti-fasciste du 21 juin 1973, qui marqua la fin des activités de Michel Recanati, notamment, se regarde comme en apnée) et enfin sur le désenchantement qui suivit. Romain Goupil reçoit la Caméra d'or et le César du meilleur premier film. Il confirme alors sa place de chantre de Mai 68 et des luttes contestataires du XXe siècle.

Avant que le temps ne le rattrape, et lui fasse emprunter des chemins plus conservateurs. En 2017, il soutient Emmanuel Macron lors de l'élection présidentielle, et cette année, il est de retour à Cannes, en séance spéciale, pour présenter le documentaire La traversée co-réalisé avec Daniel Cohn-Bendit, et dont l'ambition est d'être "une "mosaïque" de la France, sans "vouloir rien prouver", une observation du quotidien des Français, 50 ans après mai 1968". Un film dans lequel Emmanuel Macron lui-même a une place de choix. La boucle est bouclée, bien sûr. Mais on ne peut s'empêcher de se demander ce qu'en aurait pensé Michel Recanati.

Cannes 2018: Hommage à Marin Karmitz

Posté par vincy, le 5 mai 2018

"A l’occasion du dîner des professionnels de l’industrie cinématographique mondiale organisé par le Festival de Cannes le vendredi 11 mai, un hommage sera rendu à Marin Karmitz pour l’ensemble de son œuvre en faveur du cinéma d’auteur et alors que son film Coup pour coup (1972) sera projeté dans le cadre de Cannes Classics le même jour" annonce le Festival dans un communiqué à trois jours de l'ouverture de la manifestation.
Marin Karmitz sera présent salle Buñuel le vendredi 11 mai à 14h30 et rencontrera le public à l’issue de la projection de son film.

Auteur, réalisateur, producteur, distributeur, exploitant (et militant), "Marin Karmitz a produit plus d’une centaine de films, en a distribué près de 400, a réuni un catalogue de droits de plus de 600 films, créant également et développant un réseau de cinéma de 12 salles et 68 écrans à Paris et désormais de 10 salles et 128 écrans en Espagne" rappelle le Festival à propos du fondateur de MK2.

C'est aussi une manière de faire un lien avec les commémorations de Mai 68. Après avoir crée mk2 productions en 1967, il devient membre du mouvement maoïste la Gauche prolétarienne (et réalisera trois films engagés: Sept jours ailleurs (1969), Camarades (1970) et Coup pour coup (1972)), revendiquant un "cinéma de lutte".

Coup pour Coup, une chronique d'une usine textile en grève jouée par des ouvrières, avait été alors refusé par les distributeurs, poussant Marin Karmitz à fonder son propre réseau: "Je revendique plus que jamais Mai 68, et j'ai d'ailleurs construit mon entreprise comme un militant".

Pierre Lescure, Président du Festival de Cannes précise: "En cette année-anniversaire de Mai 68 dont il est l’un des héritiers, c’est Marin Karmitz que nous souhaitons honorer et dont nous voulons saluer l’œuvre, l’engagement et l’inlassable défense du cinéma d’auteur."

Karmitz préfère se définir ainsi: "Je ne suis pas un producteur de cinéma, mais un éditeur et un marchand de films."

L'homme de cinéma s'est tourné vers la création contemporaine et la photographie. Il a toujours été transdisciplinaire, dès ses débuts avec Nuit Noire Calcutta (1964), d’après un scénario de Marguerite Duras, et Comédie (1966), adapté d’une pièce de Samuel Becket

Marin Karmitz a travaillé avec quelques-uns des plus grands metteurs en scène de l’histoire du cinéma contemporain : Jean-Luc Godard, Alain Resnais, Claude Chabrol, Louis Malle, Krzysztof Kieslowski, Paolo et Vittorio Taviani, Pavel Lounguine, Theo Angelopoulos, Gus Van Sant, Jacques Doillon, Hong Sang-soo, Michael Haneke, Olivier Assayas, Xavier Dolan et Abbas Kiarostami qu’il a accompagné jusqu’au bout.

Au Festival de Cannes, Marin Karmitz a obtenu une quarantaine de prix dont trois Palmes d’or, il a également obtenu trois Lions d’or à Venise, un Ours d’or à Berlin, trois nominations aux Oscars et vingt-cinq César.

Le cinéma lusophone à l’honneur de Visions Sociales 2018

Posté par vincy, le 14 avril 2018

Ce n'est pas forcément la sélection la plus connue du festival, mais elle existe depuis déjà 16 ans. Visions Sociales aura lieu du 12 au 19 mai à Mandelieu - La Napoule.

Cette année, le parrain est Nicolas Philibert (Être et avoir), qui présentera deux de ses films : La Maison de la Radio et Retour en Normandie.

Visions sociales a décidé de mettre en lumière le cinéma lusophone (de langue portugaise).

  • Menina de Cristina Pinheiro
  • Saint Georges de Marco Martins
  • L’Usine de Rien de Pedro Pinho
  • Arábia de João Dumans
  • Comboio del sal e azuçar de Licínio Azevedo
  • Pela janela de Caroline Leone
  • Lettres de la guerre d'Ivo M. Ferreira
  • Tous les rêves du monde de Laurence Ferreira-Barbosa

Les partenaires de Visions Sociales, l’Acid, la Semaine de la Critique, la Quinzaine des Réalisateurs et Un Certain Regard complètent la programmation en présentant un film inédit de leur sélection. Le festival proposera également de découvrir des films soutenus par les Activités sociales comme Ausência de Chico Teixeira, Ultimo dias en La habana de Fernando Perez, Il filglio de Dario Albertini, Wajib d’Annemarie Jacir ou encore Winter Brothers d’Hlynur Pálmason.

A cela s'ajoutent des rencontres et des débats, notamment celle avec Tangui Perron, auteur de L'écran rouge, syndicalisme et cinéma de Gabin à Belmondo, que L(Atelier publiera le 17 mai, et une autre consacrée à "Mai et Juin 1968: une rébellion ouvrière".

Le programme