Edito: Pourquoi lui?

Posté par redaction, le 26 janvier 2017

Patrick Dewaere aurait eu 70 ans aujourd'hui. Pourquoi lui? Parce qu'il a été l'un des acteurs français les plus marquants du cinéma post-Nouvelle Vague. 35 ans après son suicide, le comédien des Valseuses, de F... comme Fairbanks, du Juge Fayard dit le Shérif, de Coup de tête, de Série noire et d'Hôtel des Amériques reste une référence, avec son mélange de virilité et de vulnérabilité, explorant toutes les ombres de sa personnalité tourmentée. Certains acteurs nommés au César cette année en sont les héritiers directs comme Pierre Deladonchamps, Nicolas Duvauchelle, Pierre Niney, Gaspard Ulliel, Melvil Poupaud, Vincent Cassel... Il a imposé au cinéma l'image d'un homme beau, sincère et fragile.

La La Land a séduit 108000 spectateurs en France pour son premier jour d'exploitation. Pourquoi lui? Sans doute les 7 Golden Globes et ses 14 nominations aux Oscars ont contribué au buzz phénoménal autour de cette comédie romantique, romantique et musicale. 114000 français se sont précipités pour voir Emma Stone et Ryan Gosling danser dans les étoiles. Mais ce n'est pas la seule raison. Ressusciter Jacques Demy est une chose. Enthousiasmer la critique en est une autre. En ces temps anxiogènes, où les nouvelles du monde participent à un pessimisme inquiétant, cela fait du bien de voir un film mélancolique et joyeux (ce n'est pas incompatible), en technicolor. On réhabilite Hollywood et on réenchante les spectateurs. Idéal pour se réchauffer en plein hiver et s'évader le temps d'une séance.

Thierry Frémaux est partout. Pourquoi lui? L'homme le plus influent du cinéma français (trois de ses films cannois sont en lice pour le César du meilleur film, 6 films sur les 7 de la catégorie meilleur film étranger étaient en compétition) sort un livre et un documentaire. Sélection officielle (Grasset) dévoile les coulisses d'un Festival de Cannes sur une année. Mais c'est son documentaire passionnant sur les premiers films du cinéma, ceux des frères Lumière, qui retiennent notre attention, tant il s'agit d'une véritable découverte cinématographique et d'une belle leçon de cinéma. Dommage qu'il ne soit pas mieux distribué, en attendant une diffusion télé qui le rendra accessible au plus grand nombre. En tout cas, Thierry Frémaux révèle un talent de pédagogue et de conteur qui sied bien à son rôle de passeur.

George Clooney sera l'invité d'honneur des César. Pourquoi lui? On peut toujours continuer de critiquer le bazar des César, le tropisme hollywoodien (pour l'audience, vraiment?) des récents César d'honneur (en fonction de l'agenda des stars). On n'en rajoutera pas. Au pire, on se dit que l'Académie n'aime pas les grands cinéastes, même ceux sélectionnés à Cannes, au mieux on se console cette année avec la présence du quinquagénaire le plus sexy d'Hollywood. What else après tout? Clooney, producteur oscarisé, réalisateur comblé, acteur idéalisé, est aussi un citoyen engagé, le parfait modèle de la personnalité anti-Trump, se souciant du Darfour et des réfugiés, de l'environnement et de la précarité. C'est une star, à presque à l'ancienne. Clooney sera récompensé pour avoir rempli les salles françaises et pour avoir fait rêver des spectateurs et spectatrices dans les magazines people.

Isabelle Huppert est au top. Pourquoi elle? Tout a été dit: son audace, son perfectionnisme, sa facilité à passer de la comédie décalée à la pire tragédie, du théâtre au cinéma. L'actrice réputée cérébrale, adepte de rôles sadomasochistes, a tourné aux Etats-Unis, en Europe, en Asie, avec les plus grands cinéastes ou les plus aventureux. Elle, L'avenir ou Souvenir ont davantage séduit la critique que le public, comme souvent avec la Reine Isabelle. Contrairement à Clooney, elle est plus "réputée" que "populaire". Contrairement à Deneuve, elle n'a pas été tête d'affiche de nombreux films millionnaires (8 en 40 ans) et son plus gros succès récent, elle le partage avec 7 autres femmes, où elle chantait sa mélancolie dans un film assez joyeux. Huppert est hype. Elle sera aux Oscars grâce à Elle, sélectionné par Frémaux à Cannes. Elle sera aussi aux César, pas loin de Clooney. Elle pourra aussi se souvenir de Dewaere, son partenaire dans Les Valseuses, il y a 43 ans.

Pourquoi eux? Parce que chacun à leur manière, ils prolongent cette magie indéfinissable du cinéma, par de là la mort. Frémaux évoquent les Lumière comme des "sorciers de l'image". Le cinéma est en effet une sorcellerie irrésistible.

« Lumière ! L’aventure commence »: les premiers pas passionnants du cinéma

Posté par vincy, le 25 janvier 2017

Ce n'est pas seulement un documentaire que Thierry Frémaux nous propose avec Lumière ! L'aventure commence. C'est bien plus que ça. Le délégué général du Festival de Cannes nous invite à un voyage passionnant qui couvre les dix premières années du 7e art, de 1895 à 1905. A travers 108 petits films (restaurés) qui s'enchaînent, accompagnés d'un texte aux intentions pédagogiques et de la musique de Camille Saint-Saëns, l'aventure nous fait découvrir les premiers films, ceux des frères Lumière. Ce n'est même pas un dixième de leur œuvre, et ça suffit déjà à nous enthousiasmer.

Tout commence avec une sortie d'usine. On croit la connaître. Mais, facétieux, Frémaux nous montre que "le premier geste du cinéma" a eu plusieurs versions. L'invention du remake. La troisième version est mise en scène avec une foule en beaux habits. Car finalement, le premier personnage du 7e art, "c'est la foule, c'est le peuple."

La voix posée de Thierry Frémaux se lance alors une belle leçon de cinéma. Car les Lumière n'ont pas seulement inventé le moyen technique de filmer, ils ont créé la mise en scène. Tout n'est que mise en scène d'ailleurs. Leurs films, des séquences de famille aux reportages au bout du monde, sont écrits, donc scénarisés. La caméra est plantée à un endroit fixe qui offre le bon angle ou qui créé le bon mouvement. Cela donne la première comédie, L'arroseur arrosé, ou le premier film spectaculaire, le premier chef d'œuvre?, L'arrivée du train en gare de La Ciotat. Deux blockbusters noir et blanc, muets et courts. Le temps d'une pellicule de 50 secondes.

Lumière! est fascinant. Pas seulement parce qu'il exhume les premiers films, comme on admire les fresques rupestres de la Grotte Chauvet. La compilation révèle comment les deux frères ont posé les base d'un art nouveau, s'inspirant des tableaux de Cézanne, Degas ou Renoir ou innovant avec le film à l'envers. Ces "sorciers de l'image" compose ainsi le vocabulaire et la grammaire d'un nouveau langage.

Mais au-delà de cette étude quasi "anthropologique" du cinéma, Thierry Frémaux, en chapitrant son montage avec des thématiques, offre au spectateur une vision ethnologique de la France au tournant du XXe siècle. Des métiers disparus, des travailleurs, des enfants qui jouent, des bourgeois qui s'amusent... Tout cela témoigne d'une époque, comme une chronique d'un pays en mutation. Ce cinéma du réel, sans reconstitution, n'empêche pas ces plans séquences d'avoir le cadrage soigné, les perspectives sublimes, les travellings verticaux (dans l'ascenseur de la Tour Eiffel), les profondeurs de champs bluffantes, les seconds-rôles comiques, les regards caméra furtifs....

Et puis c'est aussi un voyage. A Lyon, évidemment, leur ville, mais aussi à Paris, avec le Trocadéro comme vous ne l'avez vu qu'en photo, Marseille, Biarritz, Jérusalem, New York, Londres, Chicago, ou encore en Turquie, en Suisse, en Italie, en Espagne, en Allemagne, en Russie, en Azerbaïdjan, au Mexique, au Japon et au Vietnam, avec cette petite fille qui court vers la caméra. Le monde d'alors. le monde comme on l'imaginait, comme on ne l'a pas forcément vu.

Lumière! L'aventure commence est un formidable travail de composition, où une centaine de petites histoires couvre tout le spectre de ce qui sera le cinéma, d'une catastrophe industrielle "surnaturelle" au film réaliste. "Un sujet, un traitement, un point de vue". Les Lumière ont fondé cet art qui déplace les foules du monde entier depuis plus de 120 ans. D'Eisenstein à Ford, de Kurosawa à Ozu, de Visconti à Laurel et Hardy, de W.C. Griffith à Chaplin, le sélectionneur de Cannes rappelle comment les deux français avaient déjà créé tel plan ou tel cadre, bien avant que les grands maîtres n'en fassent leur style.

Avec ce film, Frémaux prouve qu'ils ont été les premiers cinéastes. Son film est un anoblissement en images ludique et jubilatoire.