Prix Magritte 2020: 9 trophées pour Duelles, sans rival

Posté par kristofy, le 3 février 2020

La cérémonie des Magritte du cinéma belge (francophone), l'équivalent de nos César, a consacré le film qui était favori avec 10 nominations : Duelles d'Olivier Masset-Depasse. Le film est sorti en France début mai 2019 (distribué par Haut et Court) après avoir été présenté dans plusieurs festivals comme Toronto, Arras, Les Arcs ou Beaune.

Dans l'histoire des Magritte jamais encore un film n'avait remporté 9 statuettes. C'est un record. En fait la dixième nomination, infructueuse, était pour Anne Coesens comme meilleure actrice dans la même catégorie que Veerle Baetens: il a fallu choisir l'une des deux actrices. Olivier Masset-Depasse avait déjà été primé aux Magritte pour son film Illégal en 2011, à travers son actrice principal... Anne Coesens. Notons enfin que Arieh Worthalter est récompensé comme meilleur acteur de second rôle pour la deuxième fois consécutive. Il avait reçu le même prix pour Girl de Lukas Dhont en 2019.

Autant la mise en scène que l'interprétation font grandir le suspense de cette histoire - dans la banlieue de Bruxelles au début des années 1960 - où deux amies avec leur famille vivent en étant voisine. Mais un évènement tragique va provoquer une dangereuse rivalité particulièrement entre ces deux femmes incarnées par Veerle Baetens et Anne Coesens. Il s'agit en fait d'une adaptation du roman Derrière la haine de la belge Barbara Abel.

Ce film est une telle réussite qu'on imagine facilement que Brian De Palma aurait fantasmé pour en faire un remake avec Rachel McAdams et Noomi Rapace, et d'ailleurs il y a un vague projet de remake américain de Duelles par son réalisateur Olivier Masset-Depasse, possiblement avec Jessica Chastain et Anne Hathaway...

Les 9 trophées de Duelles

Meilleur film : Duelles
Meilleure réalisation : Olivier Masset-Depasse
Meilleure actrice : Veerle Baetens
Meilleur acteur dans un second rôle : Arieh Worthalter
Meilleur scénario original ou adaptation : Olivier Masset-Depasse et Giordano Gederlini
Meilleur montage : Damien Keyeux
Meilleure image : Hichame Alaouié
Meilleure musique originale : Frédéric Vercheval
Meilleur son : Marc Bastien, Thomas Gauder, Héléna Réveillère et Olivier Struye pour Duelles.

Duelles a quand même laissé quelques prix aux autres concurrents.

On remarque plusieurs films passés par le Festival de Cannes : Seule à mon mariage passé par l'ACID (meilleurs costumes), Le jeune Ahmed de Luc Dardenne et Jean-Pierre Dardenne, en compétition, (meilleur espoir masculin, meilleure actrice dans un second-rôle), et Nuestras madres, Caméra d'or sur la Croisette (meilleur premier film). Deux films se retrouvent d'ailleurs en lice pour le César du meilleur film étranger : Le Jeune Ahmed et Lola vers la mer de Laurent Micheli, primé ici pour les décors et l'espoir féminin. La Belgique récompense ainsi une actrice trans, Mya Bollaers, qui figurait aussi dans les 36 révélations en lice pour les César, sans être nommée dans la liste finale. Belgique 1, France 0.

Ce palmarès lave aussi le déshonneur des César français face au scandaleux oubli de Bouli Lanners dans catégorie meilleur acteur pour C’est ça l’amour de Claire Burger. Bouli Lanners repart avec le trophée, après trois nominations entre 2015 et 2017.,

Le scénariste belge Giordano Gederlini, primé ici avec le film Duelles, est aussi nommé pour le César du meilleur scénario pour Les Misérables de Ladj Ly.

Les autres récompensés:

Magritte d'honneur : Monica Bellucci
Meilleur acteur : Bouli Lanners pour C’est ça l’amour
Meilleur espoir masculin : Idir Ben Addi pour son rôle dans Le jeune Ahmed
Meilleure actrice dans un second rôle : Myriem Akheddiou pour Le jeune Ahmed
Meilleur espoir féminin : Mya Bollaers, pour son rôle dans Lola vers la mer
Meilleurs décors : Catherine Cosme pour Lola vers la mer
Meilleurs costumes : Claudine Tychon pour Seule à mon mariage
Meilleur court-métrage de fictionMatriochkas de Bérangère McNeese.
Meilleur court-métrage d'animation : La foire agricole de Stéphane Aubier et Vincent Patar .
Meilleur film flamand : Tim Mielants pour De Patrick
Meilleur documentaire : Mon nom est clitoris de Lisa Billuart Monet et Daphné Leblond.
Meilleur premier film : César Diaz pour Nuestras madres
Meilleur film étranger en coproduction : Sorry we missed you, de Ken Loach

[2019 dans le rétro] Des films LGBT : une belle quantité et surtout une bonne qualité

Posté par wyzman, le 3 janvier 2020

Après une année 2018 marquée par des avancées majeures dans la représentation de la communauté LGBT au cinéma, l’année 2019 aura été celle des explorations (plus ou moins) réussies.

Une compétition cannoise très queer

Une fois n’est pas coutume, c’est sur la Croisette que l’on a vu d'excellents films autour de personnages LGBT. A commencer par Douleur et Gloire, le dernier film de Pedro Almodóvar. Pendant près de deux heures, le cinéaste espagnol propose une analyse poussée de ses propres traumas grâce à  l'histoire d’un réalisateur, à la sexualité jamais cachée, qui a connu le succès avant d’être dans l’incapacité physique de tourner des films. L’occasion pour Pedro Almodóvar d’offrir un rôle de premier plan à Antonio Banderas qui a décroché un prix d’interprétation. On se souviendra longtemps de cette scène où le personnage de Banderas enfant tombe dans les pommes en voyant le bel artisan se laver devant lui. Egalement en compétition à Cannes, Roubaix, une lumière était la plus atypique des déclarations d’amour d’Arnaud Desplechin. Cela étant, à l'aide de Léa Seydoux et Sara Forestier, il y dépeint une relation amoureuse lesbienne toxique particulièrement intrigante.

Les véritables moments marquants de la compétition nous ont été offerts par Xavier Dolan et Céline Sciamma. Avec Matthias et Maxime, celui que l’on a très tôt considéré comme un prodige prouve qu’il n’a rien perdu de sa superbe. Après deux films internationaux qui n’ont pas autant convaincus que prévu, Xavier Dolan signe un film personnel sur deux amis d’enfance bouleversés par un baiser effectué pour les besoins d’un film. Véritable drame sur l’éclosion des sentiments, Matthias et Maxime fait partie des films les plus touchants de la filmographie du Québécois.

De son côté, Céline Sciamma n’a pas démérité. Avec Portrait de la jeune fille en feu, elle a complètement retourné la Croisette, offrant aux spectateurs et aux critiques le drame lesbien dans la Bretagne de 1770 qu’ils méritaient. Aussi sentimental et cérébral que Carol de Todd Haynes, Portrait de la jeune fille en feu fait la part belle aux jeux de regards et captive par les performances très authentiques de Noémie Merlant et Adèle Haenel.

La Queer Palm, un gage de qualité ?

Toujours à Cannes, mais hors compétition, il ne fallait pas manquer Rocketman de Dexter Fletcher. Ce biopic consacré au génie créatif d’Elton John donne lieu à de jolies séquences musicales tout en ayant l’allure d’un couteux album souvenir validé par l’artiste lui-même. Loin d’être aussi queer et flamboyant que prévu, malgré quelques allusions sexuelles, Rocketman a bénéficié d’une tournée promotionnelle parfaitement assurée par ses (très beaux) acteurs principaux : Taron Egerton, Jamie Bell et Richard Madden. Du côté d’Un Certain Regard, le drame Port Authority aura fait parler de lui grâce à Leyna Bloom, la première actrice transcengenre et de couleur à être la tête d’affiche d’un film cannois. Centré sur la rencontre entre un jeune homme blanc (Paul joué par Fionn Whitehead) et une danseuse trans noire (Wye), Port Authority vaut le détour pour ce qu’il dit de la masculinité et de la notion de « famille ».

Mais c’est sans l’ombre d’un doute Et puis nous danserons (présenté à la Quinzaine des réalisateurs) que l’on ne cessera jamais de vous recommander. Premier long-métrage LGBT en Géorgie, le film de Levan Akin raconte comment Merab, un danseur de l’Ensemble national géorgien est troublé par l’arrivée dans sa classe d’Irakli, un rival plein de surprises. En s’éloignant du très basique film d’apprentissage sur le coming out, Et puis nous danserons montre avec beaucoup de sérieux la prise d’indépendance un jeune homme rejeté de toutes parts et pourtant loin d’être aussi fragile qu’on ne le pense. Grâce à des séquences dansées hypnotiques et terrifiantes et un acteur principal charismatique, le superbe Levan Gelbakhiani, Levan Akin signe ici le meilleur drame gay de l’année. Rien que ça !


Des pépites trop vite oubliées ?

Disponible sur Netflix depuis le 1 février, Velvet Buzzsaw de Dan Gilroy n’a pas fait couler autant d’encre que prévu. Thriller horrifique de bonne facture, le film s’est révélé un peu trop prévisible pour que la presse l’applaudisse. Et malgré un teasing généreux autour des scènes de sexe de Jake Gyllenhaal, son rôle de critique d’art bisexuel n’était finalement accompagné que de coïts hétérosexuels. Une déception qui a vite fait tomber le projet dans les abîmes d’Internet...

A l’inverse, Boy Erased de Joel Edgerton a su davantage convaincre. Malheureusement, son sujet (la thérapie de conversion forcée d’un jeune homme gay par son père pasteur) pourrait en avoir rebuter plus d’un. Nécessaire et rigoureusement réalisé, Boy Erased jouit d’un casting quatre étoiles (Lucas Hedges, Russell Crowe, Nicole Kidman, Joe Alwyn, Xavier Dolan, Flea, Troye Sivan)  qui vaut tous les visionnages du monde !

En parallèle, Entre les roseaux est la jolie surprise de l’année. En dépeignant l’histoire d’amour d’un étudiant finlandais et d’un réfugié syrien, Mikko Mäkelä a pris tout le monde de court. Ode à peine déguisée à la libération des corps et de l’esprit, Entre les roseaux peut se vanter de disposer d’une photographie et d’une lumière extraordinaires. Ses acteurs principaux Janne Puustinen et Boodi Kabbani sont des raisons supplémentaires de découvrir cette belle découverte.

Des surprises très engagées

Longtemps critiqués pour leur manque d’intérêt pour le cinéma LGBT, producteurs, scénaristes et cinéastes francophones semblent de plus en plus inspirés par une communauté aux mille facettes. Si la télévision commence tout juste à s'en emparer, le cinéma, cette année, a montré qu'on pouvait être populaire et queer. Il ne fallait donc pas louper Les Crevettes pailletées, la comédie déjantée de Maxime Govare et Cédric Le Gallo. Dans celle-ci, Nicolas Gob joue un vice-champion de natation homophobe qui est contraint d’entraîner une équipe gay de water-polo. L’occasion pour les acteurs Alban Lenoir, Michaël Abiteboul, David Baiot, Roman Lancry, Roland Menou, Geoffrey Couët, Romain Beau, Félix Martinez ou encore Pierre Samuel de nous faire rêver et rire au cours de séquences d’anthologie (l’enterrement, really!)

Du côté de la Belgique, impossible de ne pas évoquer Lola vers la mer ou l’un des meilleurs drames jamais réalisés sur la jeunesse trans. Porté par le duo père fille Mia Bollaers/Benoît Magimel, le film de Laurent Micheli montre comment l’incompréhension est souvent à l’origine des pires situations transphobes dans le cercle familial. Plus sensé et sensible mais sans doute moins maîtrisé que Girl de Lukas Dont, Lola vers la mer est un sacré road-movie sur la différence !

C'est autre chose qu'un simple clin d'oeil aux gays et lesbiennes dans Avengers ou Star Wars. Car du côté d'Hollywood, si les gays, lesbiennes, trans, bi sont de mieux en mieux représentés, notamment dans les séries, ils restent absent des gros blockbusters de l'année. A deux exceptions notables, datant de 2018 mais sorties en 2019: le personnage homosexuel de Mahershala Ali dans Green Book, Oscar du meilleur film et Oscar du meilleur second-rôle masculin. Et la reine aux amours invertis dans La favorite, qui a valu l'Oscar de la meilleure actrice à Olivia Colman.

Evidemment, on reste loin du cas de la série "Elite" où le gender fluid domine et où chacun baise qui il veut, sans se soucier des jugements.

3 bonnes raisons de voir Lola vers la mer de Laurent Micheli

Posté par wyzman, le 11 décembre 2019

Deux ans après le très intelligent Even Lovers Get the Blues, Laurent Micheli s'intéresse à nouveau aux passions qui dévorent une jeunesse marginale. Après la peur de l'attachement, le réalisateur-scénariste belge propose une plongée consciencieuse dans l'enfer que représente le quotidien des femmes transgenres. Lola vers la mer est à voir de toute urgence. Voici pourquoi.

Une histoire simple. Jeune fille transgenre de 18 ans, Lola apprend qu'elle va pouvoir être opérée. Malheureusement, sa mère qui devait l'aider financièrement vient de décéder. Afin de respecter ses dernières volontés, Lola embarque donc dans un voyage vers les plages belges avec un père qu'elle n'a pas vu depuis deux ans. Mais au fil des kilomètres, le père et la fille réalisent qu'ils ne sont peut-être pas si différents l'un de l'autre... Pour camper ses deux personnages, Laurent Micheli s'est entouré d'acteurs taillés pour ces rôles. L'actrice elle-même transgenre Mya Bollaers rayonne et rend justice à des personnages trop souvent confiés à des acteurs.trices cisgenres et donc incapables de révéler toute la douleur vécue par ces individus. En face, Benoît Magimel est particulièrement convaincant. Confronté à sa propre virilité lorsqu'il comprend que son fils a toujours été une fille, l'acteur récemment à l'affiche d'Une fille facile de Rebecca Zlotowski  semble se bonifier avec le temps.

Un road-movie atypique. Si Lola vers la mer s'intéresse au regard que les personnes transgenres subissent, c'est bien la relation père-fille qui captive Laurent Micheli — autant que le spectateur. A la fois en colère et en plein deuil, le père de Lola ne parvient pas à comprendre les motivations de sa fille. Miroir adéquat des proches incapables de percevoir la douleur de ces individus, le road-trip du duo s'accompagne sans surprise d'une trajectoire intellectuelle voire spirituelle. Lionel a toujours été Lola mais Lola n'est pas Lionel. Et c'est cette antithèse que Philippe (Benoît Magimel) se refuse à appréhender. Au détour de passages tragi-comiques (le club de strip-tease, le seau de peinture, les klaxons d'automobilistes, etc.), Lola vers la mer délivre son lot de séquences nécessaires pour comprendre l'importance de la filiation dans l'acceptation des personnes transgenres tout en nous faisant rire.

Un film sur la différence. A l'inverse du Girl de Lukas Dhont, Lola vers la mer évite tout voyeurisme et ne fétichise pas le corps de son interprète principale. Il n'est pas ici question d'une personne en pleine transformation mais bien de la manière dont le reste du monde accepte ce changement — qui ne le regarde pourtant pas. Grâce à un style naturaliste qui n'est pas sans rappeler le documentaire et une bande-son intemporelle, Lola vers la mer évite également le jargon médical pour ne laisser qu'une seule impression, celle d'un film qui dépasse sa thématique. A quelques passages près, le film pourrait ainsi évoquer une adolescente révélant son homosexualité, une éventuelle grossesse ou un désir de tatouage. Bref, quelque chose de bien moins tabou à l'heure où nous écrivons ces lignes. Porté par une seule envie, celle de faire un film authentique, Laurent Micheli a même le temps de sublimer Bruxelles et la côte belge et d'offrir un nouveau rôle surprenant au beau Sami Outalbali. Un exploit !