L’Exercice de l’Etat et Mélancholia primés par le Syndicat Français de la Critique

Posté par vincy, le 7 février 2012

Le Syndicat Français de la Critique a remis ses prix lundi 6 février. Logiquement, L'Exercice de l'Etat, de Pierre Schoeller, a été couronné Meilleur film français. C'est un autre film cannois, Mélancholia, de Lars von Trier, qui a été distingué comme Meilleur film étranger.

Angèle et Tony, d'Alix Delaporte, a reçu le prix du Meilleur premier long métrage français tandis que Carré blanc, de Jean-Baptiste Léonetti s'est vu récompenser par le prix du Meilleur film singulier francophone.

Un monde sans femmes, de Guillaume Brac a été nommé Meilleur court métrage français.

Par ailleurs, Mystères de Lisbonne, de Raoul Ruiz, s'est vu remettre le prix de la Meilleure série française dans la catégorie télévision. Le film du regretté cinéaste franco-chilien a aussi reçu le prix du Meilleur DVD récent. Le prix du Meilleur coffret DVD a été donné à Alan Clarke, celui du Meilleur DVD Patrimoine au film de Marcel Ophuls, Le chagrin et la pitié et le prix du Meilleur Blu-Ray est allé à Apocalypse Now, de Francis Ford Coppola.

Côté littérature, Le cinéma d'Akira Kurosawa, d'Alain Bonfand (éd. VRIN) a été sacré par le prix du Meilleur livre français sur le cinéma ; Alfred Hitchcock, une vie d'ombres et de lumières, de Patrick McGilligan (éd. Institut Lumière / Actes Sud) a été considéré comme le Meilleur livre étranger sur le cinéma. Enfin, Fritz Lang au travail, de Bernard Eisenschitz (éd. Cahiers du Cinéma) a été promu Meilleur album sur le cinéma.

Raoul Ruiz (1941-2011) prend sa place parmi les morts

Posté par vincy, le 19 août 2011

Le cinéaste franco-chilien Raoul Ruiz est décédé vendredi matin à l'âge de 70 ans, à Paris, des suites d'une infection pulmonaire, a annoncé son producteur François Margolin. Il avait reçu le Prix Louis-Delluc l'an dernier pour Mystères de Lisbonne.

On imagine mal l'étendue de l'oeuvre du cinéaste (67 films!), érudit et perfectionniste, maniériste et passionné. Inspiré par la littérature sud-américaine et ses flamboyances surréalistes et fantastiques (Borgès, Garcia Marquez), son cinéma magnifiait les symboles, situés dans chaque petit détail de l'image, et sublimait l'inconscient à travers des comédies humaines, tantôt tragiques tantôt dérisoires. Il s'amusait avec les genres, du film d'époque au polar, qu'il revisitait avec un style singulier et des histoires issues de la littérature (Giono, Proust, Balzac, Kafka) ou flirtant avec les grands maîtres (Hitchcock, Bunuel).

Raoul Ruiz a commencé sa carrière cinématographique en 1967 avec El tango del Viudo. L'artiste chilien avait, auparavant, fait ses armes dans le théâtre expérimental, et écrit des pièces d'avant-garde. Il réalise des films courts avant de passer aux longs.  Mais l'arrivée du dictateur Augusto Pinochet en 1973 va le contraindre à fuir en Argentine, puis, un an plus tard, en France, où il s'exile avec sa femme, monteuse, Valéria Sarmiento.

Cannes l'a déjà repéré. En 1972, il a présenté Que faire?, son quatrième long métrage. Il viendra présenté quatorze films, toutes sélections confondues, durant 35 ans. Membre du jury du Festival de Cannes en 2002, il fera l'événement avec Le temps retrouvé en 1999 et la clôture de la compétition avec Les âmes fortes en 2001. C'est aussi à Cannes, en 1992 et 1996 que son cinéma s'ouvre à un public plus large avec, respectivement, L'oeil qui ment et surtout Trois vies et une seule mort, l'avant-dernier film avec Marcello Mastroianni, et le seul où il joue avec sa fille Chiara.

Ce poète de l'image avait un don soigné pour l'écriture et une curiosité généreuse pour choisir ses comédiens : Deneuve, Giraudeau, Béart, Malkovich, Casta, Huppert, Berling, Alvaro, Piccoli, Dombasle, Paredes... il n'y avait aucune frontière. Les miroirs se dédoublaient, les fantômes rodaient. Le surréalisme régnait. L'expérimental, l'avant-gardisme, l'onirisme se confondaient de plus en plus dans des films conceptuels ou abstraits, ou se diluaient dans des fresques somptueuses, qui n'avaient de classiques que leur apparence. Ruiz cherchait l'essence même du théâtre : la phrase forte, le comédien charismatique, la restitution d'une ambiance qui n'avait rien de réel. Il coupait au couteau ses films. Il concédait quelques échecs, mais jamais de complets ratages.

Filmant avec la délectation la folie des hommes, son cinéma reste, à l'image de ses castings cosmopolites et de ses influences culturelles, un mélange harmonieux de cultures variées. Son cinéma était aussi délicat que raffiné, intellectuel et formel, anticonformiste et ludique.

Gilles Jacob, président du Festival de Cannes lui a rendu hommage très rapidement : "Comme souvent chez les meilleurs écrivains latinos, il était doué d'une imagination d'une prodigalité incomparable". "C'était un conteur des mille et une nuits, dont les aventures, les bizarreries, la logique, les incidentes, les quiproquos renvoyaient l'art d'un Stevenson (qu'il avait adapté) au niveau de la comtesse de Ségur."

Ruiz fit considéré tardivement comme un grand. Berlin lui décerne un Ours d'argent pour l'ensemble de son oeuvre en 1997, près de trente ans après son léopard d'or à Locarno (Tres tristes Tigres). Le Delluc l'an dernier restera son prix le plus prestigieux pour l'un de ses films.

"Il était en train de finir le montage d'un film (La noche de enfrente) qu'il avait tourné sur son enfance au Chili. Et par ailleurs, il préparait un autre film au Portugal sur une bataille napoléonienne célèbre. Il devait y avoir Melvil Poupaud", a précisé son producteur François Margolin.

Le cinéaste franco-chilien Raoul Ruiz sera inhumé au Chili, a annoncé le ministre chilien de l'Education Luciano Cruz-Coke. Une cérémonie religieuse se tiendra à Paris le mardi 23 août 2011 à 10h30 à l’Eglise Saint-Paul à Paris.

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Raoul Ruiz en 10 dates :

25 juillet 1941 : naissance à Puerto Montt, Chili

1963 : premier court métrage, La maleta

1969 : Trois tigres tristes, Léopard d'or à Locarno

1973 : L'expropriation

1985 : L'île au Trésor

1996 : Trois vies et une seule mort

1997 : Généalogies d'un crime, Ours d'argent à Berlin

1999 : Le Temps retrouvé, d'après Marcel Proust

2010 : Mystères de Lisbonne, Prix Louis-Delluc

19 août 2011 : décès à Paris

Un prix Louis-Delluc pour l’étrange Mister Ruiz et ses Mystères de Lisbonne

Posté par vincy, le 18 décembre 2010

On attendait Des Hommes et des Dieux, voire en outsider le Polanski, The Ghost-Writer, mais les jurés du prix Louis-Delluc (créé en 1937) ont opté pour un choix plus radical. Le plus étonnant fut sans doute que les trois favoris du jury n'était aucun des deux films précités puisque Claire Denis (White Material) et Olivier Assayas (Carlos, version longue) faisaient davantage hésiter les votants.

Plus en phase avec l'esprit de cette récompense élitiste, prestigieuse, qui valorise aussi bien un film pour sa dimension artistique qu'un cinéaste pour son parcours artistique, le Delluc est allé à  un film hors-normes par sa durée (4h30), un cinéaste transfrontalier mais intègre depuis 40 ans avec ses choix (risqués) cinématographiques : Mystères de Lisbonne, de Raoul Ruiz. Lui qui adapta Proust, offrit des thrillers psychanalytiques et symbolistes, des histoires étranges où les objets ont autant d'importance que des comédiens, voit ici son oeuvre sacralisée avec un film pour le moins singulier, sélectionné aux Festivals de Toronto, de New York, de Vienne, de Vancouver, de Londres, de Turin et de São Paulo.

"Un rendez-vous d'amour"

A peine 25 000 entrées presque deux mois après sa sortie : l'adaptation du roman portugais de Camilo Castelo Branco (qui sera édité en mars chez Michel Lafon, avec une préface de Raoul Ruiz) dans une Lisbonne du 19è siècle n'a touché qu'une poignée de cinéphiles, courageux, prêts à affronter l'équivalent de deux à trois films en une séance.  Le chilien Ruiz, 69 ans, n'était pas là pour recevoir le "Goncourt du cinéma", car il met en scène actuellement une pièce de théâtre. C'est donc le producteur Paulo Branco qui a reçu le prix des mains du président du jury, Gilles Jacob (qui l'a sélectionné quatre fois en sélection officielle à Cannes).

Tout le monde a donc relayé les éléments de langage du jour : "risque", "audace", "juste". Rebecca Zklotowski, primée par le Prix Louis-Delluc du premier film pour Belle-Epine, en remerciant les jurés, a quelque part mieux résumé le contraste entre cette attente du public insatisfaite (son film a aussi échoué au box office) et cet amour des critiques pour des films "à la marge" : "Quand on fait un film, on doute de tout, on a peur de ne pas être aimée... Quand la critique vous regarde, c'est une grande chance et comme un rendez-vous d'amour".

Mystères de Lisbonne (avec son budget plus que modeste de 1,5 millions d'euros) a reçu un accueil critique très favorable de la part de la presse écrite (Ecran Noir s'incluant dans le concert de louanges). Il fut snobé par les télévisions (pas assez grand public), remarqué par les radios publiques. Mais, avec une combinaison de salles trop faibles, il ne pouvait pas faire de miracle, étant réduit à trois séances par jour.

Paulo Branco (en photo avec Ruiz), un de ces rares producteurs qui méritent encore le titre, avait pris l'initiative en envoyant à son compère Ruiz la trilogie romancée. Le cinéaste est enthousiaste mais il ne veut pas répéter l'horreur de l'adaptation du Temps retrouvé, dix ans plus tôt, et considère qu'il s'agit d'un projet davantage destiné pour le petit écran, avec une vingtaine d'heures au compteur. Il demande, cependant, au scénariste Carlos Saboga (par ailleurs le traducteur de la future édition française du livre) de rendre le projet plus adapté au format du cinéma. Ce qui exige un remodelage complet.

"Chaque jour était une conquête."

Comme pour le Carlos, d'Assayas, le projet est alors présenté sous deux formats : le cinéma et la télévision (en une série de six épisodes, à découvrir l'an prochain). Ruiz est d'ailleurs assez excité à l'idée d'expérimenter le deuxième genre. Évidemment on retrouve dans cette production, tout ce que son style apprécie : une absence de construction classique en terme de narration, une éviction de conflits centraux et de déterminisme (le film ne va nulle part et ne s'axe sur rien), une forte nécessité de plans séquence pour donner de l'ampleur et de l'atmosphère à des troubles intimes, et ces mélanges de chronologie qu'il affectionne tant et qui rendent les repères temporels confus.

Cet ancien assistant réalisateur de télénovelas chiliennes trouve ici son aboutissement avec un soap opéra cinématographique, mais autrement plus profond par sa dimension épique et littéraire.

Surtout Ruiz a souvent cru que ce serait son dernier film, qu'il bouclerait la boucle. Il a du subir une greffe du foie durant les quatre mois de tournage (il y a un an), incertain de survivre à une telle opération. Il avoue qu'il mis dans chacun de ses plans "quelque chose d'inéluctable", un "dramatisme", lié au sentiment que "chaque jour était une conquête."

On est presque heureux que le Delluc ne lui soit pas remis de façon posthume. Et avouons-le, si le prix n'aura pas un énorme impact sur le film, ni sur le public, il a le mérite de contribuer à la reconnaissance d'un certain cinéma, entre métissage et ambition, originalité et diversité. Mais il prouve, aussi, que ce cinéma là, indispensable à la variété du 7e art, tend à se "muséifier", subissant les lois d'une industrie de plus en plus dominante, et peu défendue par une cinéphilie de moins en moins résistante.

En ce sens, il y a bien un sentiment d'inéluctabilité, un dramatisme à souligner. Chaque film de ce type est une conquête.