Cannes 2014 : Lettre à… Gilles Jacob

Posté par MpM, le 25 mai 2014

Gilles JacobCher Gilles Jacob,

Voilà, c'est fini. Cette 67e édition du Festival de Cannes se referme (déjà) sur une multitude d'impressions, d'images et d'émotions. Nous avons vécu tant d'histoires pendant ces dix jours. Tant de destins, de coups du sort, d'émerveillement et de drames. De quoi nous accompagner longuement sur nos chemins respectifs.

Et que dire alors des presque 40 ans que vous avez passé dans l'organisation du Festival ? De ces milliers de films qui ont défilé devant vos yeux, des choix sensibles qu'il a fallu faire, des regrets, des amertumes et des immenses joies ?

Avec votre départ, c'est une page primordiale de l'histoire de Cannes qui se tourne. On ne dira jamais assez ce que le Festival vous doit : le Certain Regard, la caméra d'or, la Cinéfondation... et une certaine idée du cinéma mondial. Tout au long de cette 67e édition, notre série "les années Jajacobbi" est ainsi revenue sur ces cinéastes que vous avez révélés et qui nous ont depuis offert des énergies et des fulgurances inoubliables.

Pour nous tous, amoureux de Cannes et du cinéma (qui se confondent), votre départ va laisser un vide immense, incommensurable. La sensation que plus rien ne sera jamais pareil.

Heureusement, vous continuerez à veiller sur le festival de loin, et notamment à travers la Cinéfondation. On vous imagine riant sous cape en découvrant tous les hommages qui vous sont rendus et balayer joyeusement la nostalgie qui nous gagne déjà. Il vous reste plein d'idées, plein d'envies, plein de découvertes à faire et de choses à raconter. On attend désormais le nouveau volume de vos mémoires de Cannes. Et, qui sait, d'autres surprises.

Car comme vous l'avez si bien dit lors de la clôture de la section un Certain Regard, au sujet de cette sélection parallèle qui gagne chaque année en qualité : "on est là pour mettre en question, repousser les limites, inventer inlassablement." Soit ce qui devrait être le but de toute existence.

Aussi, de notre côté, comme vous nous avez exhortés à le faire, nous continuons notre route avec Cannes et avec le cinéma. Et ce faisant, notre vie de festivalier cannois, malgré votre éloignement, passera comme un rêve.

Les années Jajacobbi : Cannes 1999

Posté par vincy, le 24 mai 2014

rosetta emilie dequenneL'année schizophrène

En 1998, Gilles Jacob créé la Cinéfondation, dernière grande pierre à l'édifice Cannois qu'il bâtit depuis 20 ans. L'Atelier de la Cinéfondation sera lancé en 2000. Les prix de la Cinéfondation en 1999 récompensent Emmanuelle Bercot (scénariste de Polisse, réalisatrice d'Elle s'en va) et Jessica Hausner (en sélection officielle cette année).

Dorénavant, le Festival de Cannes s'occupe quasiment de toutes la chaîne du cinéma : de l'écriture du scénario en résidence au montage financier en passant par le marché, la valorisation des classiques restaurés, etc... Cannes prouve en 1999 qu'il est le plus grand festival du monde. En 1997, Cannes avait sifflé Assassins, hué The Brave, quitté la salle pendant Funny Games, applaudit Kiarostami et Imamura, découvert Wong kar-wai, enfin sélectionné... En 1998, l'année du dogme danois, et l'une des plus faibles sélections de Gilles Jacob, c'est Roberto Benigni et sa Vita è bella qui enthousiasment le président Martin Scorsese puis le monde entier, jusqu'aux Oscars, avec rires et larmes.

Mais 1999 va faire revenir Cannes au premier plan. Les stars sont là. Sean Connery fait sensation. Dans deux ans Gilles Jacob prendra la présidence du Festival et délèguera (modérément) la sélection des films, avant de passer définitivement le flambeau à Thierry Frémaux en 2004. Ses deux dernières sélections, en 2000 et 2001, seront à ce titre splendides, avec ce subtil équilibre entre maîtres et révélations, spectacle et intime.

En 1999, le Festival est bipolaire : des oeuvres radicales (à commencer par Pola X de Leos Carax) et des films destinés à un public plus large. Les premières se retrouveront au plus haut niveau du palmarès : Rosetta des Frères Dardenne, première Palme des Belges présentée en fin de Festival et qui les consacre parmi les futurs abonnés du Festival ; L'Humanité de Bruno Dumont, film dérangeant et sans concession, qui séduit le jury de Cronenberg et moins les festivaliers. Les deux films remportent aussi les prix d'interprétation, éliminant de nombreux favoris du palmarès. La rupture entre le jury et les critiques est nette. On parle même d'un divorce. Le jury choisit de récompenser les films d'Oliveira et de Sokurov.

Pourtant, cette année-là il y a le très beau Voyage de Félicia d'Atom Agoyan, le fascinant Ghost Dog de Jim Jarmusch, le lumineux Kadosh d'Amos Gitaï, le touchant (et mémorable) Eté de Kikujiro de Takeshi Kitano, la surprenante et sensible Histoire vraie d'un David Lynch maîtrisant parfaitement son art. Autant de films qui permettront à ces cinéastes d'élargir leur public une fois sortis en salles.

Une seule oeuvre fait consensus entre le jury, les festivaliers et le public. Bien sûr, la Palme d'or aurait été méritée. Il n'y a "qu'un" prix de la mise en scène. Mais n'était-ce pas la plus belle récompense pour un cinéaste qui a tant attendu d'être accueillit à Cannes? Plus de 20 ans après ses débuts, Pedro Almodovar monte enfin les marches, avec Tout sur ma mère, peut-être son plus grand film. Gilles Jacob a longtemps regretté d'être passé à côté de Femmes au bord de la crise de nerfs. Les films suivants lui ont toujours échappé. Il se rattrape sur la fin et fera d'Almodovar l'un des grands cinéastes cannois des années 2000. Avec son mélo flamboyant, Pedro n'avait pas besoin de Cannes (hormis pour satisfaire son immense égo). Mais Cannes ne pouvait pas être le plus grand festival du monde sans lui.

Les années Jajacobbi : Cannes 1996

Posté par vincy, le 23 mai 2014

mike leigh secrets and liesL'année culte

Ceux qui étaient à Cannes en 1996 se souviendront d'une bataille passionnelle entre partisans et opposants autour de deux films : Secrets et mensonges de Mike Leigh et Breaking the Waves de Lars Von Trier. Le premier repart avec la Palme d'or, le second avec le Grand prix du jury. Le président du jury Coppola a appliqué strictement le règlement : la Palme revient à un film qui peut toucher le plus grand nombre, le Grand prix récompense une audace.

C'est cruel de départager deux grandes oeuvres, transcendées par leurs comédiennes, signées de cinéastes au sommet de leur talent. Leigh a réalisé ce film dans l'improvisation, sans scénario. Il en ressort une histoire bouleversante. Von Trier a poussé ses comédiens jusqu'à leurs limites. L'expérience bouscule. Les deux déshabillent de leur caméra les secrets les plus enfouis, déchirent les cicatrices jamais guéries, entrainent leurs personnages dans les abîmes.

Tout se professionnalise à Cannes. Dans un an, Internet va faire son entrée : quelques journalistes web venus d'outre-atlantique, un site pour le Festival. En attendant, le cinéma s'offre une orgie aux saveurs variées : Ruiz, Desplechin, Russell, Lee, Altman, Kaurismaki, Taviani, Bertolucci, Cimino, Kaige, De Heer, Frears, Audiard... Le Crash de David Cronenberg fait scandale, mais lui permet d'acquérir ses lettres de noblesse. Le Fargo des frères Coen fait rire, et leur permet de se propulser dans la course aux Oscars. Daniel Auteuil s'offre un doublé avec le sensible film de Jaco Van Dormael, le Huitième Jour, et le polar trouble d'André Téchiné, Les voleurs, où Deneuve émeut en lesbienne. Le cinéma français est dans tous ses états avec le fabuleux documentaire Microcosmos et une ouverture pleine d'esprit, Ridicule. Miramax achète le film de Patrice Leconte pour un million de dollars, un record pour un film européen à l'époque.

C'est une année où l'amour est entier, qu'on soit blanc, noir, homosexuel, handicapé, mutilé, intellectuel, croyant... Un jeune comédien vient défendre The Pillow Book de Peter Greenaway à Un certain regard et Trainspotting de Danny Boyle hors compétition. Ewan McGregor était inconnu du public, le voici starisé par les montées des marches. L'acteur est brillant (et totalement nu) dans le film érotique de Greenaway, il est constamment juste dans le film générationnel de Boyle, qui deviendra culte, même si on a oublié qu'il a fait son avant-première internationale sur la Croisette.

Sans doute parce que 1996, c'est aussi l'année de Marcello, celui-là même qui sert d'icône au 67e Festival de Cannes qui s'achève dans deux jours. Mastroianni a présenté 25 films en sélection officielle, reçu deux fois le prix d'interprétation masculine. On ne le sait pas encore mais il fait cette année là son ultime montée des marche, avec sa fille, Chiara. Magique. La chaleur qu’il dégage efface la maladie qui le ronge. Il rejoindra Fellini à la fin de l'année. Eux qui avaient imaginé Le voyage de G. Mastorna, ce film jamais réalisé où un violoncelliste se retrouvait dans l'au-delà. Ciao Marcello.

Les années Jajacobbi : Cannes 1994 et 1995

Posté par vincy, le 22 mai 2014

uma thurman john travolta pulp fictionLes enfants terribles

1994 et 1995 confirment l'émergence de nouveaux grands cinéastes et la confirmation d'autres "nés' à Cannes sous l'ère de Gilles Jacob. Ainsi Quentin Tarantino avec son cultissime Pulp Fiction et Emir Kusturica avec son controversé Underground empochent la Palme d'or ces deux années. Kusturica, après Coppola et August, rentre dans le club des double palmés. Côté Caméra d'or, Pascale Ferran (Petits arrangements avec les morts) et Jafar Panahi (Le Ballon blanc) sont révélés et reconnus dès leur premier film.

Durant ces années, le nombre de journalistes venus des Etats-Unis augmente considérablement. Le succès du cinéma indépendant américain a compensé l'absence de stars hollywoodiennes. Avec Clint Eastwood en président du jury en 94, le phénomène s'amplifie : Cannes devient la poche de résistance à un cinéma formaté, industriel. Pourtant, l'invasion US n'aura pas lieu, même si l'on retient le triomphe de Tarantino, l'enfant de Cannes. D'abord, parce que, pour la première fois, la présidence du jury a une double tête : Catherine Deneuve accepte la vice-présidence. Le tandem qu'elle forme avec Eastwood affole les paparazzis. Et ils décerneront ensemble une Palme d'or unanime à Pulp Fiction. "(C’est un) film moderne, gonflé, audacieux, d’une belle virtuosité, et il y a une vraie jubilation du cinéma. Tarantino, en plus d’être un grand metteur en scène, aime beaucoup les acteurs. J’ai beaucoup défendu Journal Intime de Moretti" expliquait à l'époque Deneuve.

Ensuite, les sélections de Jacob durant ces deux années font aussi la part belle à quelques uns des meilleurs films de la décennie et parfois les meilleurs films de leurs auteurs : Journal intime de Nanni Moretti, Exotica de Atom Egoyan, La Reine Margot de Patrice Chéreau, Soleil trompeur de Nikita Mikhalkov, Trois couleurs : Rouge de Krzysztof Kieslowski, Au travers des oliviers d'Abbas Kiarostami, Dead Man de Jim Jarmusch, Ed Wood de Tim Burton, Kids de Larry Clark, La cité des enfants perdus de Jeunet et Caro, La haine de Mathieu Kassovitz, Land and Freedom de Ken Loach, Le regard d'Ulysse de Théo Angelopoulos, N'oublie pas que tu vas mourir de Xavier Beauvois, The Usual Suspects de Bryan Singer, les Roseaux sauvages d'André Téchiné, Regarde les hommes tomber de Jacques Audiard...

Mais avant tout, le délire n'est plus tabou. Priscilla folle du désert, Grosse fatigue, Desperado, Serial Mom (inoubliable Kathleen Turner chez John Waters), Le grand saut, Prête à tout font rire les festivaliers. On parle désormais de cinémania. Et dans les sous-sols du Palais, les nababs ont fait place aux business-men, agents et avocats. Les Miramax, New Line, Ciby 2000, Studio Canal+ et autres Channel 4 font monter les enchères. Le marché prend une importance de plus en plus grande, loin du palmarès et des avis des critiques, snobant parfois ce cinéma qui préfère la poésie ou l'actualité au pur divertissement.

Bien sûr, il y a des loupés. Quatre mariages et un enterrement a failli être de la sélection officielle. Almodovar n'est toujours pas présent sur la Croisette. On s'enchante avec Vanessa Paradis qui reprend le Tourbillon de la vie (Jules et Jim) en hommage à Jeanne Moreau (pour la deuxième fois présidente du jury en 1995). Et on se désole de voir Pamela Anderson, starlette de la télé, attirer davantage l'attention des médias que quelques grands réalisateurs.

Télé américaine + Vanessa Paradis = Johnny Depp. Avec Ed Wood et Dead Man, le comédien incarne parfaitement ces années cannoises : une star au service de films singuliers, hors des sentiers battus. Pour une fois, la starlette est un homme.

Les années Jajacobbi : Cannes 1993

Posté par vincy, le 21 mai 2014

holly hunter la leçon de pianoUn nouveau monde

Le début des années 90 avaient marqué le grand retour du cinéma américain au palmarès avec la Palme d'or pour David Lynch puis pour les Frères Coen. Et même quand Bille August l'emporte contre toute logique sur James Ivory en 1992, c'est bien l'arrivée de Reservoir Dogs de Quentin Tarantino et la montée des marches e Sharon Stone pour Basic Instinct qui ont affolé les festivaliers.

Pourtant, 1993 marquera un changement de cap cinéphilique. Une double Palme d'or (une fois de plus) et une caméra d'or sont décernées à trois cinéastes du bout du monde, tous issus de la zone Asie-Pacifique. La néo-zélandaise Jane Campion est la première femme à être "palmée" (et la seule à ce jour) avec sa magnifique, érotique et mélancolique Leçon de Piano. Chen Kaige est le premier chinois à être "palmé" (et le seul à ce jour) avec sa fresque fascinante et ambivalente Adieu ma concubine. Enfin, Tran Anh Hung est le premier cinéaste vietnamien à recevoir un prix de première importance dans un grand festival international avec la Caméra d’or pour son enivrant film L’odeur de la papaye verte.

Le cinéma du Pacifique fait ainsi une razzia sur la Croisette, au moment où Venise et Berlin couronnent également Zhang Yimou, Xie Fei, Ang Lee, Hou Hsiao-hsien et Tsai Ming Liang avec Ours et Lion d'or.

Bien sûr 1993 n'est pas une année uniquement orientée vers le soleil levant. C'est même une année très française et Cannes s'offre les deux plus grandes actrices du cinéma hexagonal. Trois mois après sa nominations aux Oscars pour Indochine, Catherine Deneuve fait l’ouverture pour la troisième fois depuis 1984 avec Ma saison préférée, où elle a l'un de ses plus beaux rôles. En clôture, Isabelle Adjani fait son retour sur les grands écrans après 5 ans de silence avec le très médiocre Toxic Affair. On retient davantage son naturel à faire le clown, alors qu'on attendait une tragédienne. Gilles Jacob aurait sans doute préferé Jurassic Park, mais le studio a refusé le risque d’une mauvaise critique qui tuerait la sortie américaine du film. Toujours cette méfiance hollywoodienne, qui va durer encore une petite dizaine d'années.

1993 c'est aussi l'année où la cérémonie d’ouverture est retransmise pour la première fois en direct sur Canal +. Sur le fronton du bunker, s’installe une fresque de Guy Peellaert, consacrée aux grands cinéastes. On en oublierait presque que cette édition est celle de tous les grands écarts : Abel Ferrara et Renny Harlin, Joel Schumacher et les Taviani, Hou Hsiao-hsien et Wim Wenders, Raoul Peck et Alain Cavalier, Roger Planchon et Akira Kurosawa, Mike Leigh et Kenneth Branagh (avec une comédie shakespearienne au casting cinq étoiles, Beaucoup de bruit pour rien), Ken Loach (ah! Raining Stones!) et Peter Greenaway.

Car 1993 fut surtout du pain béni pour les télévisions, qui continuent de distordre chaque année un peu plus l'image de festival du 7e art. Les Nuls qui ont profité d’une soirée du Tout-Cannes au Palm Beach pour se lancer dans l’aventure cinématographique de leur film La cité de la peur. Valérie Lemercier débarque en perruque, manteau de fourrure et robe rouge. La consolation viendra des salles : les deux Palmes d'or seront des succès publics. N'en déplaise aux Guignols qui se moquent chaque jour de cinéastes au nom inconnus et de films "intellectuels" sous titrés.

Les années Jajacobbi : Cannes 1989

Posté par vincy, le 20 mai 2014

sexe mensonges videoAu fil des années 80, Gilles Jacob a su maintenir l'équilibre entre vétérans (Ferreri, Allen, Godard, Scorsese, Oliveira, Saura, Altman, Polanski, Oshima), les talents prometteurs (Jordan, Jarmusch, Menges, Kaige) et des cinéastes de tous horizons (Spielberg, Blier, Cavalier, Denis, Besson, Kieslowski, Von Trotta, Howard). 1989 sera à ce titre une année symptomatique de Cannes. Quel autre festival peut dérouler le tapis rouge à un tel catsing: Fred Schepisi (première apparition de Meryl Streep à Cannes), Giuseppe Tornatore (Cinema Paradiso, le bijou du Festival), Spike Lee (Do the Right Thing), Emir Kusturica, Denys Arcand (Jésus de Montréal), Shohei Imamura, Patrice Leconte (Monsieur Hire), Jim Jarmusch (désormais abonné), Luis Puenzo (avec le dernier rôle de Gregory Peck, qui reçoit un prix honorifique spécial), Ettore Scola et Bertrand Blier (Trop belle pour toi, son plus beau film).

Oui on se souvient d'images très fortes de ces films. De Josiane Balasko coincée entre Bouquet et Depardieu, de Michel Blanc en voyeur inquiétant, de Noiret à bicyclette, ... On voit bien que le sélectionneur aime l'humour ponce sans rire, défriche le cinéma indépendant américain, adore les films lyriques et universels... Et le jury de Wenders est assez d'accord : Blier, Tornatore, Kusturica, Arcand, Imamura, Meryl Streep... ils sont tous récompensés!

Quelle belle année!

Mais le flair de Jacob cette année-là va bien au-delà. Il repère Jane Campion en 1986 avec son court métrage (Palme d'or au passage) et son premier long métrage, Sweetie, est en compétition. Il choisit un film indépendant américain d'un illustre inconnu, là encore un premier long métrage, en compétition!, celui de Steven Soderbergh. Sexe, mensonges et vidéo. Une Palme écrasante dont Soderbergh ne saura pas quoi faire, explorant le cinéma sous toutes ses coutures, avant de trouver le bon équilibre entre divertissement et singularité. Cette année de la jeunesse, en pleine célébration du bicentenaire de la Révolution française, met à l'honneur un film sur la jeunesse. Une oeuvre générationnelle, entre érotisme et psychologie, qui va avoir une répercussion inespérée : faire de Cannes le grand rendez-vous du cinéma d'auteur américain. L'antichambre des Oscars.

Les années Jajacobbi : Cannes 1987

Posté par vincy, le 19 mai 2014

gérard depardieu maurice pialat sous le soleil de satanLe désir avant tout

40e Festival. Liz Taylor débarque en star. Fellini a le droit à tous les honneurs. Lady Di monte les marches. Lilian Gish, star du cinéma muet, doyenne hollywoodienne, accompagne son ultime film, Les baleines du mois d'août, 75 ans après son premier film. La télévision, et particulièrement Canal +, vole la vedette au cinéma. Pourtant c'est à Cannes que l'on découvre les premières images du nouveau Bernardo Bertolucci, Le dernier Empereur, qui n'est pas prêt, hélas. Le cirque médiatique s'accélère cette année là, une année charnière.

Le 7e art n'a pas dit son dernier mot. A cette époque, Mickey Rourke et Faye Dunaway ne sont pas encore transformés par la chirurgie esthétique mais ils sont déchirés par l'alcool dans Barfly. Francesco Rosi adapte un chef d'oeuvre de la littérature de Gabriel Garcia Marquez, avec un Anthony Delon superbe de beauté dans Chronique d'une mort annoncée. On rend hommage à Fellini, qui vient présenter Intervista. Marcello Mastroianni est primé pour son interprétation dans un film de Nikita Mikhalkov qui nous éblouissent avec Les yeux noirs. Stephen Frears entre dans le monde des grands avec Prick Up Your Ears. Woody Allen nous fait swinguer avec Radio Days. les Coen nous font délirer avec Arizona Jr. Jonathan Demme, Andreï Kontchalovski, les Taviani, Souleymane Cisse, Shohei Imamura montrent que Cannes est encore et toujours le coeur du cinéma du monde.

Pour ce 40e anniversaire, Gilles Jacob a mis les petits plats dans les grands : Paul Newman, Peter Greenaway, Ettore Scola montent les marches avec leur nouvelle réalisation. Wim Wenders revient avec un sublime poème en noir et blanc, Les ailes du désir. Le favori du Festival. Mais Cannes c'est une histoire de passion et souvent de désirs frustrés.

Et quand Maurice Pialat reçoit la Palme d'or pour Sous le Soleil de Satan, la première Palme française depuis Lelouch en 1966,  c'est encore une image qui nous imprime les yeux : celle du poing levé du cinéaste, à côté du duo du Sauvage, la remettante Catherine Deneuve et Yves Montand, président du jury. La Palme est accueillie par les sifflets, contestée. "Si vous ne m’aimez pas je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus" clame-t-il. Il y a aussi des bravos. C'est à l'image du film : Glacial, entre ciel et terre, Dieu et Diable. Un film en clair obscur et sans concession.

Les ailes du désir ne reçoit aucun prix.

Les années Jajacobbi : Cannes 1984 et 1985

Posté par vincy, le 18 mai 2014

paris texas kinski wendersA l'Est du nouveau

Deuxième année dans le Bunker. Tout le monde critique le blockhaus. Après la catastrophe l'édition 1983, le Festival adopte difficilement ce bâtiment massif. Le génie de Jacob est d'avoir rendu les marches spectaculaires. Il a créé le cérémonial de cette montée sur tapis rouge. Comme un sacre.

1984, c'est l'année de la Palme pour Wim Wenders et son Paris, Texas. Un film passionnel où les êtres errent seuls dans des paysages fordiens somptueux. La Palme d'or reçoit 15 minutes d'applaudissements. Les cinéastes nous font une invitation au voyage. On pourra revoir le film mercredi 21 mai dans le cadre de Cannes Classics.

On découvre Il était une fois en Amérique de Sergio Leone, le Voyage à Cythère de Theo Angelopoulous, un certain Lars von Trer et son Element of Crime, Sous le Volcan de John Huston... La sélection française est plus faible. L'absence de Bertrand Blier fait polémique. Fort Saganne ouvre avec faste et glamour un Festival qui croise tous les cinémas. Ailleurs sur la Croisette, on découvre Leos Carax (Boy meets Girls), Stephen Frears (The Hit) et surtout Jim Jarmusch (Caméra d'or avec Stranger than Paradise).

1985 sera du même genre. Moins de stars. Mais l'émergence de cinéastes qui vont devenir des fidèles du Festival. A la Quinzaine on croise Mike Newell, Wayne Wang, et même Madonna (Recherche de Susan désespérément), à Un certain regard, on côtoie Wenders, Depardon, Charef, Marker, ...
Youssef Chahine, Alan Parker, Clint Eastwood, Luis Puenzo, Claude Chabrol, André Techiné, John Boorman, Jean-Luc Godard, Istvan Szabo, Woody Allen et Peter Weir composent une sélection dont plusieurs films restent dans les mémoires. William Hurt chez Babenco et Cher chez Bogdanovitch font sensation. Mais la Palme d'or est décernée à un jeune cinéaste yougoslave : Emir Kusturica avec Papa est en voyage d'affaires. Une métaphore de la politique d'un pays à travers celle d'une famille, quatre ans avant la chute du Mur de Berlin. Le film surprend tout le monde mais conquiert un jury piloté par Milos Forman.

Désormais, le jury monte sur scène lors de la cérémonie du palmarès.

Les années Jajacobbi : Cannes 1982

Posté par vincy, le 17 mai 2014

La dernière séance

C'est la dernière année que le Festival se déroule dans l'ancien Palais des Festival, où se situe aujourd'hui le QG de la Quinzaine des réalisateurs. Depuis 1949, le palais Croisette servait d'écrin aux films et aux stars. En 1982, Gilles Jacob délivre pourtant une sélection choc, assez étonnante, pour ne pas dire audacieuse. Les allemands et les italiens dominent la compétition et le palmarès où se côtoient Antonioni (Identification d'une femme, Prix du 35e anniversaire), les Taviani (Grand prix spécial du jury), Herzog (Prix de la mise en scène). Herzog aura conquis le jury pour la "Puissance de son inspiration et l’audace de son entreprise".

La Palme d'or est une fois de plus dédoublée entre deux films radicalement différents, a priori : Missing de Costa-Gavras, film politique inspiré d'un fait divers réel durant la dictature de Pinochet au Chili. Jack Lemmon remporte aussi le prix d'interprétation pour l'un de ses plus grands rôles. Et Yol, la permission, film turc de Yilmaz Güney, qui relate une permission accordée à cinq prisonniers kurdes. Güney a réalisé le film à partir de sa cellule de prison, en donnant des directives à Serif Gören, son assistant. Le film a failli se faire détruire par le régime turc de l'époque. Le cinéaste s'est évadé et le montage a pu s'achever en France. Deux histoires de dictature : avec le regard de celui qui l'a vécue, Costa-Gavras, et declui qui la subissait, Güney.

La Caméra d'or revient à Romain Goupil pour son film culte Mourir à trente ans. Là encore un film engagé.

Et pourtant 1982, c'est la dernière séance qui marque à jamais l'histoire de Cannes. Le film le mieux accueilli durant ce Festival, le plus chaleureusement applaudit, et finalement le plus grand succès populaire jamais projeté à Cannes était hors-compétition.

L'avant-première mondiale de E.T. l'extra-terrestre fait la clôture du 35ème Festival. Steven Spielberg, poule aux bobines d’ors d’Hollywood, provoque avec son film l'unn des moments les plus électriques, les plus sensationnels de l’aventure cannoise. C’est ici que la légende de ce film est née.  Steven Spielberg a souvent raconté ce moment magique "A la fin du film, l’accueil de la salle fut si incroyable, si prolongé, et si bouleversant, que je me revois debout, au balcon de l’ancien Palais, abasourdi et en larmes. Ce fut un moment dont je doute qu’il puisse à jamais être égalé."

Les années Jajacobbi : Cannes 1980

Posté par vincy, le 16 mai 2014

kagemushaGuerre et morts

L'édition cannoise de 1980 commence avec un deuil. Quelques jours avant le début du 33ème Festival, le 29 avril, Sir Alfred Hitchcock est mort. Il avait ouvert le premier Festival de Cannes en 1946. En urgence, le Festival décide de lui rendre hommage avec un mini -film, monté jour et nuit, à partir d’extraits de pellicules directement coupés dans les copies.

1980 pourrait être considérée comme terne. Le cinéma change. Hollywood mise de plus en plus sur les blockbusters et se détourne du festival. La fréquentation des salles baisse partout dans le monde. Pourtant, Peter Sellers, à quelques mois de son décès, est là pour faire rire. Et après la une provocatrice d'un journal italien clamant la "mort" artistique  de Fellini, un scandale éclate sur la Croisette. Jacob réussit malgré tout à mélanger nouveaux talents et vétérans. Jean-Luc Godard, Maurice Pialat, Alain Resnais symbolisent l'excellence française. Le cinéma italien est toujours en force.

La véritable star, finalement, c'est Isabelle Huppert, à l'affiche du Godard (Sauve qui peut la vie) et Pialat (Loulou), mais aussi du film de Màrta Mészàros (Les héritières). Une année un peu fraîche? Outre le scandale autour de Fellini, la guerre froide s'est aussi invitée sous les palmiers.

Stalker de Tarkovski est en effet présenté en film-surprise. Surprenant. En fait les Soviétiques ne voulaient pas que le film soit montré à Cannes. Les bobines sont donc arrivées avec comme titre "J’irai cracher sur vos tombes", célèbre roman controversé de Boris Vian. Personne ne savait quel film allait être projeté. Dès les premières images, la délégation d’URSS (reconnaissant le film) est ortie de la salle. Première étape: la cabine de projection (fermée à clé). Ensuite, le bureau de Gilles Jacob qui veut gagner du temps. On fait croire aux russes que c’est du ressort du Président du festival. Qui les invite à boire et à parler...

Mais une vraie guerre va bien avoir lieu du côté du jury de Kirk Douglas.

Au milieu de ce pugilat mondain : All that Jazz de Bob Fosse, Kagemusha d'Akira Kurosawa et Mon oncle d'Amérique d'Alain Resnais. Cela finira avec une double palme (Fosse et Kurosawa, deux fresques picturales sur le dédoublement) et un Grand prix spécial (Resnais). Jugement de Salomon qui fut justifié ainsi par le jury: «dans son esprit, comme dans celui du Festival, la palme d’or et le prix spécial du jury, de vocation différente, sont du même niveau.»

Gilles Jacob n'aura de cesse de modifier le règlement pour éviter que pareille situation ne se reproduise. Ou que certains films cumulent les prix.