Vesoul 2014 : les 5 Cyclos d’or à (re)voir absolument

Posté par MpM, le 16 février 2014

A l'occasion de la 20e édition du Festival international des Cinémas d'Asie de Vesoul qui se poursuit jusqu'au 18 février, retour sur les temps forts qui ont jalonné l'histoire de la manifestation.

C'est en 2000 qu'est décerné le premier Cyclo d'or de l'histoire du Festival de Vesoul. Il est remis à Yara de Yilmaz Arslan par le jury du cinéaste iranien Rafi Pitts. Jusque-là, seul le public remettait un prix. Depuis, le palmarès du FICA s'est étendu, et pas moins de 12 prix sont distribués lors de chaque édition.

S'il est encore un peu tôt pour essayer de deviner quel sera l'heureux lauréat du Cyclo d'or du 20e anniversaire, retour sur cinq films ayant reçu la récompense suprême, à découvrir absolument.

Lan Yu de Stanley Kwan (2002)

lan yuLa rencontre entre Lan Yu, un étudiant pauvre, et Chen Handong, un homme d'affaire de la grande bourgeoisie, dans le Pékin de la fin des années 80.

Entre comédie romantique et mélodrame, Stanley Kwan raconte une histoire d'amour qui se noue et se dénoue sur une période de onze ans. Avec énormément de pudeur, et une démarche esthétique d'une grande finesse, le réalisateur rend tangible la relation complexe qui relie ses deux personnages, tout en captant quelque chose du climat ambigu qui les entoure.

Derrière l'épure des scènes, la sensualité des corps s'exprime, et donne une vision sensible de l'amour à la fois charnel et sentimental. Le parfum d'interdit qui accompagne la relation entre les deux hommes (contexte politique oblige) exacerbe le romantisme presque noir du récit et laisse une impression étrange de tragédie moderne.

Vodka lemon d'Hiner Saleem (2004)

vodka lemonDans un village kurde au pied de la plus haute montagne d’Arménie, entouré de vastes étendues enneigées et presque entièrement coupé du monde en hiver, un veuf élégant rencontre une veuve séduisante.

Fantaisie et humour un peu absurde font le charme de cette chronique douce-amère sur le quotidien post-soviétique d’un petit village kurde d'Arménie. Le burlesque y côtoie ainsi le non-sens et la fantaisie la plus décalée : un lit transformé en traîneau, un chauffeur de bus obsédé par Adamo, une défunte qui manifeste encore quelque jalousie…

La gravité n’est jamais loin, pourtant, dans une région autrefois sous influence soviétique, où le chômage et la misère font rage. Mais elle sait se faire discrète. Quand Hamo, le personnage principal, se plaint de sa maigre pension et du manque de travail, la musique recouvre ses paroles. Lorsqu’il est contraint de vendre ses meubles pour survivre, le réalisateur insiste soudain sur un détail amusant qui atténue la tristesse, ou passe à autre chose sans s’attarder. Même l’éventuelle nostalgie "du temps des Russes" est vite étouffée. "On n’avait pas de libertés, mais on avait tout le reste", se souvient Hamo, sous l’œil dubitatif de l’un de ses amis. Difficile de savoir quelle période a été la plus dure, semble penser celui-ci.

La pudeur interrompt toutefois systématiquement ce qui pourrait passer pour des plaintes. Les scènes se succèdent trop vite, tantôt gaies et tantôt graves, pour que l’on ait le temps de s’apitoyer. "Le peuple kurde est le plus triste et le plus joyeux des peuples", prétendait un orientaliste du 17e siècle cité par Hiner Saleem, et les héros du film ne dérogent pas à la règle.

Grain in ear de Zhang Lu (2006)

grain in earCui Shun-ji est une Chinoise d’origine coréenne qui vit seule avec son fils dans un baraquement désaffecté au milieu des voies ferroviaires. Pour survivre, elle vend du Kemchi (un plat coréen) à la sauvette. Parmi ses clients, elle compte un autre sino-coréen, Kim, par qui elle est peu à peu attirée.

Ce qui frappe dans Grain in ear, c’est la mise en scène implacable qui crée une ambiance oppressante et étouffante d’où toute émotion semble absente. Zhang Lu observe ses personnages à distance, dans de longs plans fixes qui frôlent l’asphyxie, et s’attache à ne montrer que des scènes anodines, quotidiennes, presque sans intérêt. Tous les temps forts de l’intrigue sont ainsi relégués hors-champ (quelques bribes sonores peuvent alors nous parvenir) ou tout simplement absents.

Ce montage elliptique a de quoi frustrer le spectateur habitué à se voir expliquer le moindre ressort de l’intrigue. Mais il n’en sera que plus attentif aux détails infimes par lesquels passent les sentiments. L’évolution psychologique du personnage féminin est ainsi perceptible à travers les plus petites choses : ce qui lui semblait important n’a soudainement plus d’importance à ses yeux (que son fils apprenne le coréen), ce qui la faisait encore réagir (les rats morts) la laisse désormais indifférente.

L’actrice Ji Liu Lian fait un gros travail physique (corps désarticulé, visage totalement inexpressif) pour incarner cette femme qui se trouve au-delà de la souffrance sans trahir la ligne dramatique volontairement ténue du film. Sa prestation, en parfait accord avec la sobriété (la froideur ?) confondante du reste, fait naître par contraste une émotion saisissante.

Je ne peux pas vivre sans toi de Leon Dai (2010)

vivreWu-Hsiung cumule les petits boulots pour élever sa fille de sept ans, avec laquelle il vit sur les docks du port de Kaohsiung, la deuxième métropole de Taiwan. Mais la fillette a désormais l'âge d'aller à l'école et Wu-Hsiung est sommé de l'inscrire. Commence alors un inextricable imbroglio juridique avec les services sociaux qui menacent de lui retirer l'enfant.

Leon Dai insuffle rythme et personnalité à son récit en mêlant séquences à la limite du documentaire et scènes plus fictionnelles qu'il accompagne d'une musique tantôt entraînante, presque guillerette, tantôt mélancolique. Il parvient de cette manière à déjouer les attentes du spectateur et à créer des ruptures de ton, voire des simili-rebondissements.

Je ne peux vivre sans toi est ainsi un film ambivalent, âpre et austère dans sa forme (noir et blanc non esthétisé, peu de dialogues), plus démonstratif sur le fond, dont la grande force est de se concentrer sur les détails pour évacuer le pathos des bons sentiments. C'est sans doute pourquoi, malgré quelques maladresses scénaristiques, on retient plus sa sensibilité humaniste que sa tonalité dramatique.

Jiseul de O Muel (2013)

JiseulEn 1948, en Corée, l’ordre fût donné aux soldats d'éliminer les résidents de l’île de Jeju désignés comme communistes. Environ 30 000 civils ont ainsi été tués.

Tout en noir et blanc très esthétique et très graphique, le film joue avec différents éléments visuels : une fumée qui se dissipe montre plus de détails, des gros plans de visages se détachent sur un fond sombre qui fait abstraction du décors, des plans larges de paysages enneigés isolent les personnages...

C'est aussi un film de guerre avec une dimension universelle qui parvient à réunir dans certaines situations un peu d'humour noir burlesque et rendre compte à la fois des différents comportements face aux horreurs subies. En plus du Cyclo d'or à Vesoul, il a reçu le grand Prix du jury international à Sundance en 2013.

Berlin 2010 : les secrets de l’hospitalité taïwanaise

Posté par MpM, le 18 février 2010

taiwan_directors.jpgA Berlin comme dans tous les festivals de cinéma du monde, après les quatre ou cinq films courageusement enchaînés, il est temps de se détendre en se rendant dans l'un des cocktails, soirées ou fêtes organisés chaque soir. Dans des lieux souvent select se pressent ainsi les heureux détenteurs d'invitations, sésame indispensable pour atteindre le buffet, le bar et la piste de danse.

Exemple avec la sympathique Taïwan Party qui se tenait le 16 février dans une des salles de réception du Ritz-Carlton : ambiance bon enfant (comme on l'avait précédemment remarqué à Cannes et à Vesoul, la représentation cinématographique de Taïwan sait s'amuser), service impeccable, animation joyeusement débridée et défilé permanent des équipes de films présents à Berlin. Avec, cerise sur le gâteau, la visite éclair de Jackie Chan, star internationale qui a provoqué quelques minutes de pur délire.

Les enjeux d'une telle soirée ne sont pas difficiles à comprendre, quoi que multiples. Une fête réussie, c'est bon pour l'image d'un pays, mais c'est surtout excellent pour les affaires. Il est ainsi primordial de promouvoir les quelque 100 films taïwanais (fictions, documentaires, animations, courts métrages et projets en cours de réalisation) disponibles sur le marché pendant la Berlinale. Parmi ces films (dont les plus anciens datent de 2008), on retrouve par exemple Cape n°7, prodige du box-office taïwanais en 2008, toujours pas sorti en France, No Puedo Vivir Sin Ti de Leon Dai, Cyclo d'or à Vesoul en début de mois, ou encore le dernier Tsai Ming-Liang (Visages), présenté à Cannes en 2009. Aux acheteurs, distributeurs et organisateurs de festival de tous les pays de faire leur choix !

Autre cible de la délégation taïwanaise : les producteurs et réalisateurs étrangers désireux de venir tourner à Taipei. Un guide très bien fait détaille ainsi les hauts lieux  de la capitale susceptibles d'accueillir un tournage. Temples, musées, monuments, clubs... tous les décors du monde sont là ! Et ce n'est pas tout.

Depuis janvier 2008, la commission du film de Taipei (une organisation semi-gouvernementale) est chargée d'assister les productions ayant lieu sur son territoire. Il s'agit notamment de faciliter les autorisations de tournage, favoriser les coproductions, fournir aux réalisateurs toutes les informations dont ils ont besoin... Un système d'aides financières est par ailleurs prévu pour les productions répondant à certaines conditions. En 2008, 660 000 dollars auraient ainsi été distribués.

Et Taïwan n'est qu'un exemple parmi d'autres, chaque pays présent ayant dans une certaine mesure des films à vendre, un paysage à louer et surtout sa part de rêve à gagner. Un joli cercle vertueux (?) qui devrait permettre d'alimenter les festivals en oeuvres comme en festivités pendant encore un bon moment...

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photo : les réalisateurs Hou-Chi-jan (One Day), Niu Chen-zer (Monga) et Arvin Chen (Au revoir Taipei)

Vesoul : les films en compétition et le Palmarès

Posté par kristofy, le 4 février 2010

FICA palmarès

Durant ce 16ème Festival international des Cinémas d’Asie, on pariait sur l’un ou l’autre des neuf films inédits en compétition. Lequel recevrait le Cyclo d’Or du jury présidé par le réalisateur taïwanais Wan Jen ?

Ce sont en fait deux films ex-aequo qui ont remporté cette récompense, un fait rare dans l’histoire du FICA, qui peut être vu comme le signe d’une sélection de haute tenue. Cependant, les membres des différents jurys n’ont semble-t-il pas réussi à se mettre d’accord entre eux puisqu’ils ont accordé des coups de cœur et mention spéciale. Ayant pu voir 8 films en compétition (sur 9), ce sont en fait véritablement les 4 meilleurs films qui ont été remarqués par le jury international, dont voici le palmarès :

Cyclo d’or (ex-aequo) 
Cow de Guan Hu (Chine) et No Puedo Vivir Sin Ti de Leon Dai (Taiwan)

Grand Prix du jury
The Damned Rain de Satish Manwar (Inde)

Mention spéciale du jury
Animal Town de Jeon Kyu-hwan (Corée du sud)

Retour sur les 4 principaux primés

Cow était peut-être le filmCyclo le plus commercial parmi cette sélection de films d’auteur, Cow montre en effet une esthétique proche des films à gros budget. Un villageois simplet est chargé de s’occuper d’une vache étrangère monstrueuse pendant une bataille qui va dévaster son village. Avec ce duo étrange, le film évoque toute la brutalité et l’absurdité d’une guère avec du spectaculaire et de l’humour.

No Puedo Vivir Sin Ti raconte en noir et blanc le combat d’un marginal vivant de petites combines qui voudrait inscrire sa fille à l’école. Il n’avait plus de nouvelles de la mère depuis des années mais il apprend que bien qu’il soit le père, il n’est pas reconnu comme le responsable légal de la fillette. Il est envoyé de bureau en bureau sans succès, à bout de cette situation ubuesque il va alors menacer de se suicider. Cette histoire d’un homme qui ne rentre dans aucune case administrative est un drame émouvant et élégant qui est logiquement primé.

The Damned Rain s’intéresse à une femme qui commence à s’inquiéter pour son mari et va faire en sorte qu’il soit toujours accompagné de sa mère ou de son fils pour éviter qu’il ne soit un moment seul. Quelques situations cocasses vont laisser place aux difficultés de cultiver la terre (labourer, semer, traiter, récolter, vendre, transporter…). On mesure le déséquilibre entre les dettes énormes et le petit bénéfice aléatoire. Une fiction qui a valeur de témoignage sur les milliers d’agriculteurs qui se suicident chaque année.

Animal Town était le film le plus fragile car il n’a pas encore été vraiment distribué dans aucun pays, mais il est remarqué dans chacun des quelques festivals où il est vu. On suit les parcours de deux hommes solitaires qui vont se croiser. Un pédophile sorti de prison lutte pour se réinsérer avec un travail et contre ses pulsions tandis qu’un imprimeur néglige son travail et sombre dans le désespoir. C’est le second volet d’une trilogie sur le thème de ville, il s’agit de la ville qui blesse les gens et en même temps des gens qui blessent la ville.

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