Une édition inédite pour le Festival international du film de La Rochelle

Posté par redaction, le 29 juin 2020

Comme beaucoup d’autres manifestations culturelles, le Festival international du film de La Rochelle subit les conséquences du Covid-19 et de la crise sanitaire. Il n’a donc pas lieu dans les conditions habituelles, mais les organisateurs lui ont donné une forme nouvelle pour l’occasion, avec notamment une première partie en ligne, et un week-end de projections devant un public, en présence de réalisateurs en chair et en os.

Ainsi, seize films (neuf longs et sept courts-métrages) sont disponibles en ligne jusqu’au 5 juillet sur la plate-forme Cinetek, créée par les réalisateurs Cédric Klapisch, Pascale Ferran et Laurent Cantet. Au programme de cette 48e édition du Festival La Rochelle Cinéma (FEMA) : des rétrospectives consacrées à Roberto Rossellini (avec La prise du pouvoir par Louis XIV, Le psychodrame, Le Général della Rovere) et à René Clément (La bataille du rail, Jeux interdits), des courts-métrages d’animation réalisés en stop motion, ou encore une séance « Retour de flamme ». Des films de Mathieu Amalric (Mange ta soupe, Barbara Hannigan...), parrain de cette édition virtuelle, seront également proposés aux internautes cinéphiles. Un pass festival, vendu cinq euros, permet d’accéder à l’ensemble de ces films.

En plus de cette édition virtuelle, sept films seront projetés en avant-première les 3, 4 et 5 juillet dans les salles de La Coursive, en présence des réalisateurs François Ozon (pour Eté 85), Michel Leclerc (pour Pingouin & goéland et leurs 500 petits) et Guillaume Brac (pour A l’abordage). Un hommage sera également rendu à Michel Piccoli, décédé le 12 mai dernier, avec la projection de Milou en mai de Louis Malle.

Enfin, du 1er au 4 octobre, le festival, un peu particulier cette année en raison des circonstances, s’achèvera par de nouvelles projections devant un public, avec des films restaurés, des ciné-concerts, des films pour les enfants, et d’autres films présentés en avant-première.

Pierre-Yves Roger

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48e édition du Festival La Rochelle Cinéma
Jusqu'au 5 juillet
Plus d'informations sur le site de la manifestation

La Rochelle et l’ACID en suspens, Aubagne en virtuel

Posté par vincy, le 20 mars 2020

acid 2020Cinéma du Réel, Festival du cinéma de Brive, Cinélatino à Toulouse, Visions du Réel en Suisse, Festival de films de femmes de Créteil, le BIFFF à Bruxelles ... tous les festivals se sont annulés les uns après les autres. Et hier, c'est le Festival de Cannes qui a officiellement annoncé son éventuel report à fin juin, entre celui d'Annecy, toujours maintenu, et le Festival La Rochelle Cinéma (26 juin-5 juillet).

Ce dernier, se retrouve avec un double problème. Son partenaire Il Cinema Ritrovato à Bologne, du 20 au 28 juin, pourrait être annulé. Mais surtout, le festival pourrait pâtir d'un décalage cannois: "Alors que toute la profession se demandait si le Festival de Cannes pourrait être reporté, nous avons appris avec surprise que "l’hypothèse principale serait un simple report fin juin-début juillet". Si cette option se confirmait, nous serions privés de nos précieux collaborateurs (projectionnistes, régisseurs, interprètes, attachées de presse, etc.) engagés par les deux festivals et déjà lourdement impactés par l’annulation de dizaines d’événements."

Le Festival ajoute que "si cette pandémie s’installait durablement en Europe, aux Etats-Unis, en Amérique latine, en Afrique ou ailleurs", il n'aurait "certainement pas le goût à la fête fin juin" et serait "peut-être dans l’obligation d’annuler cette 48e édition".

L'ACID est la première sélection parallèle à avoir réagit au report du Festival de Cannes. "Nous continuons de visionner les films qui nous ont été envoyés pour l'ACID Cannes, avec le soin et l'exigence que nous devons à ceux qui continuent de créer et de résister. Nous ne savons pas encore la forme que cette programmation prendra, ni quand nous pourrons l'annoncer, mais nous tâcherons d'être à la hauteur de la situation, afin que vivent les cinémas que nous aimons" explique l'association.

La solution est peut-être celle que le Festival International du Film d’Aubagne - Music & Cinema, qui devait se tenir du 30 mars au 4 avril, avant d'être contraint à l'annulation, a choisi. "Les films pour lesquelles il a obtenu l'autorisation de diffusion sur internet seront disponibles gratuitement, pendant 24h, à la date initialement prévue pendant le Festival, en SVOD (subscription video on demand). Il suffira à l’e-festivalier de créer un compte pour y accéder" explique le Festival.

Par ailleurs, tous ses rendez-vous professionnels sont maintenus en visio-conférence: le SiRAR, qui permet à un jeune scénariste de réaliser son premier court métrage et à un jeune compositeur de créer une partition musicale pour cette œuvre, l’Espace Kiosque, un lieu de rencontre entre producteurs et scénaristes, et le Marché européen de la composition musicale pour l’image, une plateforme de mise en connexion entre les réalisateurs-producteurs et les compositeurs autour de projets cinématographiques.

[La Rochelle 6/6] Frank Beauvais: la douceur, le cri et la solitude

Posté par Martin, le 4 août 2019

Le Festival du film de La Rochelle, qui a lieu chaque année fin juin début juillet, est l’occasion de découvrir des films inédits, avant-premières, rééditions, et surtout des hommages et des rétrospectives. Cette année, furent notamment à l’honneur les films muets du Suédois Victor Sjöström (1879-1960) et les dix premiers films de l’Américain Arthur Penn (1922-2010), un des pères du Nouvel Hollywood. Parmi les nouveautés, fut remarqué le très bel essai de Frank Beauvais, Ne Croyez surtout pas que je hurle, qui sortira le 25 septembre 2019 (lire aussi notre article lors de sa projection à la Berlinale). Ces cinéastes questionnent chacun à leur manière la place de l’individu dans la collectivité. Tour d’horizon en trois chapitres.

Suite du chapitre 3

Aussi intime que soit le texte, Ne croyez surtout pas que je hurle n’est pas un film égotiste. La rupture n’est pas le sujet. C’est un point de départ, un incident déclencheur : le manque du petit ami est très peu raconté, et quand il revient chercher ses affaires à la fin, la scène est une anecdote, rien de plus. La mort du père, autre scène inaugurale, est autrement plus inoubliable : un soir, devant un film de Grémillon, le père s’écroule et meurt dans les bras de son fils, image d’une piéta inversée. Si le texte nous donne à voir la scène, les images, elles, racontent déjà l’absence du corps : un fauteuil vide, un canapé, un écran de télé, une fenêtre, le sol. Le souvenir personnel devient une image à combler, collectivement.

Cette façon de faire entrer spectateur dans le film vient autant de la distance de l’image et du son que de la façon avec laquelle les événements ayant marqué 2016-2017 s’invitent dans l’intimité du réalisateur. Les attentats du Bataclan, de Nice, les réfugiés en Méditerranée donnent à sa dépression un tour politique. C’est un mal être historique qui est ici représenté, et l’impression d’être enfermé devant un écran est d’autant plus forte que la vie du village, marqué par le sceau de l’extrême droite, n’amène qu’à davantage d’exclusion. La description d’une France profonde à la servitude et à l’aveuglement volontaires a rarement été aussi glaçante. La souffrance ne vient dès lors pas tant d’être exclu, d’être isolé, que de faire partie de ce monde-là, un monde hostile.

La douceur de la voix de Ne croyez surtout pas que je hurle n’y trompe pas : le titre est une antiphrase, et le film tout entier un cri. S’il va vers la lumière, c’est que les films vus, névrose obsessionnelle symptôme de la maladie, sont peut-être aussi un médicament. Les images pansent. L’autre antidote, ce sont les amis. Le film saisit une forme d’échec des élans collectifs, mais il reconstruit in fine une nouvelle façon d’être à plusieurs – un concert avec la mère, une nuit à boire et parler avec un ami, un ex qui vient aider… La reconnaissance des solitudes transforme alors la triste multitude des « je » en un « nous » revigorant. Sur l’écran noir du générique, peut enfin défiler le titre des films cités, et résonner la magnifique chanson de Bonnie Prince Billy, I see a Darkness : « And did you know how much I love you / Is a hope that somehow you, you / Can save me from this darkness. »

[La Rochelle 5/6] Frank Beauvais: l’être, l’intime et la noirceur

Posté par Martin, le 3 août 2019

Le Festival du film de La Rochelle, qui a lieu chaque année fin juin début juillet, est l’occasion de découvrir des films inédits, avant-premières, rééditions, et surtout des hommages et des rétrospectives. Cette année, furent notamment à l’honneur les films muets du Suédois Victor Sjöström (1879-1960) et les dix premiers films de l’Américain Arthur Penn (1922-2010), un des pères du Nouvel Hollywood. Parmi les nouveautés, fut remarqué le très bel essai de Frank Beauvais, Ne Croyez surtout pas que je hurle, qui sortira le 25 septembre 2019 (lire aussi notre article lors de sa projection à la Berlinale). Ces cinéastes questionnent chacun à leur manière la place de l’individu dans la collectivité. Tour d’horizon en trois chapitres.

Chapitre 3 : Le « je » et le monde

2016. A 45 ans, Frank Beauvais vient d’être quitté par l’homme avec qui il vivait. Il est à présent seul, sans permis de conduire, dans une maison isolée, en Alsace. Pendant quelques mois, sa routine dépressive l’empêche de presque tout, sauf de regarder des films – quatre ou cinq par jour. Au son, il n’y a que sa voix, comme un journal des événements de son quotidien et des pensées qui le traversent face à l’état du monde. A l’image, un montage de plans des films vus pendant cette période tour à tour illustre le texte ou s’en éloigne. Si ce procédé s’inscrit dans une droite ligne moderne (Debord, Duras, Godard, Marker), Ne croyez pas que je hurle est un essai sensitif, jamais théorique.

Déjà, dans son moyen métrage Compilation, 12 instants d’amour non partagés (2007), le cinéaste filmait de façon forcenée le visage d’un jeune homme dont il était épris et y accolait des chansons d’amour qui jamais ne semblaient toucher, atteindre le visage. Cri sans écho, distance infranchissable entre une parole pourtant sans ambigüité et ce visage/image. A l’inverse ici, il n’y quasiment aucun visage : des nuques, des mains, des pas, des objets, des lieux vides… C’est comme si, dans sa dépression, Beauvais ne pouvait plus discerner ce qui fait qu’un être est humain. Cette absence participe aussi du fait que jamais le spectateur n’est tenté de reconnaître les films qui défilent – noirs et blancs, couleurs, anciens, récents, peu importe : ils deviennent des impressions plus que des citations. Seule la voix nue nous guide.

[La Rochelle 4/6] Arthur Penn: l’individu, la collectivité et la violence

Posté par Martin, le 28 juillet 2019

Le Festival du film de La Rochelle, qui a lieu chaque année fin juin début juillet, est l’occasion de découvrir des films inédits, avant-premières, rééditions, et surtout des hommages et des rétrospectives. Cette année, furent notamment à l’honneur les films muets du Suédois Victor Sjöström (1879-1960) et les dix premiers films de l’Américain Arthur Penn (1922-2010), un des pères du Nouvel Hollywood. Parmi les nouveautés, fut remarqué le très bel essai de Frank Beauvais, Ne Croyez surtout pas que je hurle, qui sortira le 25 septembre 2019. Ces cinéastes questionnent chacun à leur manière la place de l’individu dans la collectivité. Tour d’horizon en trois chapitres.

Suite du chapitre 2

Anti-héros et hors-la-loi

Si Bonnie et Clyde ont toutes les caractéristiques des personnages du cinéma de Penn, ils apparaissent davantage comme les chantres d’une Amérique privée de parole que comme des renégats. L’histoire se passe en 1930, en pleine crise, ils sont eux aussi poursuivis (par la police), mais le peuple américain est loin de les mépriser. Dans une scène,  Bonnie, Clyde et leur acolyte, blessés, s’arrêtent sur un rivage quasi biblique, où une communauté en plein exode se repose. Au lieu de dénoncer les criminels, la petite communauté leur donne de l’eau et les touche du bout du doigt, geste christique, comme pour être certains qu’ils existent. En dépit de sa violence, le couple est l’image d’une révolte qui est celle de tout un peuple.

Une seconde scène, plus tôt dans le film, est encore plus symbolique. Dans une ferme abandonnée, au réveil, Clyde apprend à Bonnie à tirer. Soudain débarquent un fermier et son métayer noir. Ils se présentent. Clyde tend son arme au fermier – qui semble sortir des Raisins de la colère (1940) de Ford – qui lui-même la tend à son employé. C’est comme un relais, Clyde donne une arme à une femme, à un fermier ruiné, à un noir. Dans de nombreux plans, des personnages noirs sont assis au fond du cadre, comme attendant leur heure. Ce sont d’ailleurs deux fermiers noirs qui seront spectateurs involontaires de l’exécution du couple. Si l’histoire se déroule au début des années 1930, elle est bel et bien filmée en 1967, et les révoltes raciales des années 1950 trouvent ici des résonances directes.

Mauvais saints mais vrais martyrs, Bonnie et Clyde ne peuvent qu’être sacrifiés sur l’autel de la violence. Leur destin se joue au milieu du film lorsque, obligé de fuir en voiture dans la précipitation, Clyde tue à travers la vitre un homme qui s’accroche à la portière. Le visage de l’homme qui glisse, une trace de sang, et un trou au milieu du verre : ce miroir brisé est repris à la dernière image, quand une portière dessine un tableau mortifère, comme un écran télévisé, autour des personnages transpercés. Il n’y a pas d’autre espace pour Bonnie et Clyde que celui d’une voiture qui roule, qui roule jusqu’à n’être plus, là encore, qu’une carcasse sur le bas-côté.

Anti western et espace démythifié

Si les westerns Le Gaucher et Missouri Breaks (1976) suivent la trame du personnage recherché et démasqué, Penn réalise entre les deux Little Big Man (1970) qui prend un malin plaisir à défaire les codes du genre. A plus de 120 ans, Jack, recueilli adolescent par les Cheyennes, raconte sa vie, une succession d’allers et retours entre deux civilisations, celle des Blancs et celle des Cheyennes. Mais dès qu’il retourne chez les Blancs, il affronte l’hypocrisie et la bêtise : il y a quelque chose du conte voltairien dans cette satire, particulièrement vive quand le personnage de Faye Dunaway qui, sous couvert de devenir une mère pour lui, lui donne le bain et le tripote, tout en lui parlant de religion. Quand Jack, devenu adulte, la retrouve, la dévote travaille dans un bordel. La réversibilité de ce monde est totale : on fait dire aux mots et aux actes ce que l’on veut qu’ils disent, et on peut très bien faire l’inverse de ce que l’on annonce. En ce sens, le personnage du Général Custer va encore plus loin dans son analyse magistrale de bêtise : il décide d’attaquer les Indiens, suivant les conseils de Jack, car il pense que le jeune Cheyenne d’adoption veut le tromper en disant la vérité. Absurdité d’un monde qui se construit sur la guerre, la violence et une rhétorique vaine. A l’inverse, les Cheyennes sont toujours prêts à remettre en cause une parole, aussi légendaire soit-elle : le grand-père, sentant son heure venir, veut suivre la tradition et monte sur une colline pour attendre la mort, mais il ne tarde pas à redescendre, un peu déçu, car elle n’est pas venue. Jack est un des rares personnages du cinéma de Penn qui réussit à s’intégrer à une communauté, mais c’est au moment où celle-ci est en train de disparaître. Une mélancolie rageuse perce derrière l’humour.

Le territoire de l’amitié

Si une Amérique unie n’est donc définitivement plus un idéal, il reste cependant une association possible, celle de l’amitié – au sens le plus large, le fait d’aimer. L’amour entre Bonnie et Clyde, entre Jack et son grand-père cheyenne, l’amitié dans Georgia (1981) – dont le titre original est Four friends – est le dernier refuge des personnages.

Georgia débute avec l’arrivée de Danilo, enfant, aux Etats-Unis et s’achève par le départ de ses parents qui retournent en Yougoslavie. Entre les deux, trente années sont passées, et Danilo est devenu américain, mais à quel prix… Au commencement, ils sont quatre, la belle Georgia et ses trois amis amoureux d’elle. Il suffit d’un plan pour que la fragile unité du quatuor soit remise en question : alors qu’ils jouent dans l’herbe, le chemisier de Georgia s’ouvre sur un sein que, sans gêne, elle tarde à cacher. Elle se relève, les trois garçons sont au sol, habités par un trouble nouveau. Mais ce désir enfin avoué les sépare moins au fond que l’histoire de leur pays : l’un part au Vietnam, l’autre reprend l’entreprise familiale de pompes funèbres, et Danilo fait, dit-il, ce que les fils d’immigrés font pour s’intégrer, devenir professeur pour parler leur langue mieux que les Américains. Quant à Georgia, elle n’aura de cesse, à force de vouloir être anticonformiste, de fuir toute construction véritable.

Mais il y a un cinquième ami qui raconte plus encore la destruction et le chaos de l’Amérique. C’est Louie, grand bourgeois gravement handicapé avec qui Danilo partage sa chambre à l’Université. Condamné, Louie, personnage le plus bouleversant du film, voit sa santé se dégrader au fil du récit, il ne se départ pourtant jamais d’un large sourire. Sa maladie semble être l’incarnation de sa caste malade. Son père, qui rappelle le magnat de La Poursuite impitoyable, ira cette fois au bout de la violence de ses propres mains : fou de jalousie que sa fille, la sœur de Louie, épouse Danilo, il prend son arme et la tue. La famille américaine modèle est malade et incestueuse ; elle ne peut accueillir d’étranger sous peine de s’autodétruire. Malgré la différence de classes, Louie crée un lien inédit avec Danilo et lui propose un pacte : le jour où l’homme marchera sur la lune, ils penseront l’un à l’autre. Ce lien par-delà la mort, par-delà l’espace terrestre, Danilo l’expérimente avec cet ami avant de pouvoir, in fine, demander à son père, qui à l’inverse de Louie ne montre jamais le moindre signe de joie, de lui offrir un sourire, et d’aller vers Georgia accepter un amour que leurs trajets respectifs – s’intégrer pour lui, se désintégrer pour elle – condamnaient à l’échec. Entre les années 1950 et les années 1980, les rêves de chaque personnage s’effondrent, miroir d’une Histoire sanglante marquée par la Guerre du Vietnam, l’assassinat de Kennedy et le scandale du Watergate, et il ne reste finalement à Danilo qu’un seul possible, celui d’aimer.

[La Rochelle 3/6] Arthur Penn: l’individu, la collectivité et la violence

Posté par Martin, le 27 juillet 2019

Le Festival du film de La Rochelle, qui a lieu chaque année fin juin début juillet, est l’occasion de découvrir des films inédits, avant-premières, rééditions, et surtout des hommages et des rétrospectives. Cette année, furent notamment à l’honneur les films muets du Suédois Victor Sjöström (1879-1960) et les dix premiers films de l’Américain Arthur Penn (1922-2010), un des pères du Nouvel Hollywood. Parmi les nouveautés, fut remarqué le très bel essai de Frank Beauvais, Ne Croyez surtout pas que je hurle, qui sortira le 25 septembre 2019. Ces cinéastes questionnent chacun à leur manière la place de l’individu dans la collectivité. Tour d’horizon en trois chapitres.

Chapitre 2 : Arthur Penn

Arthur Penn est un cinéaste à part. Ses films évoquent tous une part de l’Histoire américaine, mais selon un angle singulier, comme de biais. C’est sans doute ce qui fait qu’il lui faut tant lutter contre les studios qui ne comprennent définitivement rien à l’intellectuel qu’il est, avec sa sensibilité européenne et des thèmes ancrés dans le sol américain. Un western intimiste tourné avec des moyens télévisés : et cela donne son premier film Le Gaucher (1958) – pour lequel il souffre de ne pas avoir le final cut. Un film déconstruit, sous l’influence de Godard sur un comédien de stand up : c’est le libre et singulier Mickey One (1965). Ni l’audacieux scénario de Bonnie and Clyde (1967) ni le film fini ne séduiront la Warner – le film deviendra pourtant un immense succès.

Dès ses débuts, Arthur Penn dérange. A y regarder de plus près, les questions même de son cinéma – qu’est-ce qu’appartenir à un groupe ? la loi est-elle toujours bonne ? – l’éloignent de la philosophie manichéenne américaine alors même qu’il en utilise les codes – le shérif ou policier face aux escrocs, la mafia face au renégat… Chez Penn, il n’y a plus ni Bien ni Mal, mais des foules idiotes, des soldats arrogants et stupides, des politiciens corrompus et les autres, des déclassés, perdus, trahis, tués. Si ce regard pessimiste correspond bien à un nouveau cinéma en train d’éclore (Le Parrain date de 1972, Taxi Driver de 1976), Penn est de quelques années en avance sur les autres cinéastes du Nouvel Hollywood.

Une des caractéristiques de ce cinéma, c’est le regard frontal sur la violence. Penn commence à faire du cinéma en pleine guerre du Vietnam, et s’il ne l’aborde pas de front, ses films sont généreux en morts sanglantes. Cette guerre a une image, et même des images : pour la première fois, la violence s’invite dans les foyers américains par le biais de l’écran de télévision. Difficile dès lors de se reconnaître dans un groupe dominant qui se constitue sur le chaos et la mort. Les personnages de Penn sont des individualistes, moins par volonté qu’en réponse à une société qui les rejette. Quelque chose en eux les empêche de faire partie du monde, comme une tache qu’ils portent à la naissance. C’est le cas du Billy le Kid du Gaucher, précédé de sa légende : dès l’enfance, il aurait tué. C’est le cas de Helen Keller, la fillette aveugle et sourde, de Miracle en Alabama (1962). Penn fait de ces personnages, qui ont existé, des héros modernes : luttant pour communiquer, pour trouver une place dans une société qui ne sait pas quoi faire d’eux. Si l’institutrice de Helen lutte avec elle, pour elle, Billy perd très vite le père protecteur qui lui apprend à lire et veut faire de lui un homme, c’est-à-dire un être social. Mais être socialement, sans père ni repère, qu’est-ce que c’est ?

Poursuivis par la foule


Billy le Kid n’est pas antipathique, mais il est du mauvais côté. Penn arrive à nous faire aimer des personnages de voleurs, de tueurs, et dont la principale caractéristique est d’être recherchés, voire objets d’une chasse à l’homme – ce sera encore le cas avec Bonnie and Clyde (1967). La tête de Billy est mise à prix. Mickey One est poursuivi par des truands, menace sourde et invisible, intériorisée par le personnage incapable de vivre autrement que dans la fuite.

Dans La Poursuite impitoyable (1966), la chasse à l’homme – c’est le titre original : The Chase – est nettement plus concrète. Bubber (Robert Redford) apparaît finalement peu dans le film : il s’échappe de prison, la foule se lance à sa recherche, tandis que ses amis et le shérif tentent de le sauver. Bubber met en route l’intrigue, et quand il réapparaît enfin, il n’a pas idée de ce qui s’est passé sans lui. Il ne sait pas par exemple que le shérif (Marlon Brando) a tout fait pour le sauver. Il ne sait pas que sa femme (Jane Fonda) est amoureuse d’un autre, qui n’est autre qu’un de ses amis. Bubber est coupable – il s’est échappé, il a essayé de voler un homme au début – mais c’est le personnage le plus innocent. Il ne s’est pas vendu comme le shérif, il n’a pas trahi comme sa femme et son ami, et surtout il n’a pas déclenché un incendie, il n’a pas tué, comme la foule furieuse s’apprête à le faire.

Cette inversion des valeurs est totale dans le film : le lieu même de la justice devient celui de la violence aveugle. C’est en effet dans son bureau, au-dessus de la prison, que le shérif est lynché par les sudistes ivres. Cette longue scène, d’une rare violence, montre le visage de Brando qui se défait peu à peu sous les coups. Lui, le dernier visage humain de la ville, devient un masque de sang. Mais cette violence, elle rôde partout : dès le début, Bubber retourne l’homme à qui il veut voler sa voiture et se rend compte que son complice de fuite l’a tué. Ensuite, c’est un mécano noir qui est dangereusement suivi par trois gaillards ivres : à tout moment, le récit pourrait basculer dans le crime raciste. Et évidemment il y a le crime social, le plus insidieux, car le mieux admis, qui règne au-dessus des autres – ce magnat qui refuse de boire un verre avec ses employés et pense acheter le shérif qu’il a lui-même placé. Les cercles de cette société sont infranchissables : en haut, le patron et les grands bourgeois, puis il y a ceux qui rêvent d’en être, et enfin il y a la troisième caste, les criminels, les noirs et les pauvres. Cette violence culmine dans un autre lieu hautement symbolique pour la culture américaine du déplacement et de la vitesse : la casse où s’est réfugié Bubber. Des idéaux, il ne reste que les cadavres, les carcasses démontées qui brûlent dans une civilisation qui ressemble furieusement, et cela bien avant que le feu ne prenne, à l’enfer.

[La Rochelle 2/6] Victor Sjöström: l’homme, la communauté et la nature

Posté par Martin, le 21 juillet 2019

Le Festival du film de La Rochelle, qui a lieu chaque année fin juin début juillet, est l’occasion de découvrir des films inédits, avant-premières, rééditions, et surtout des hommages et des rétrospectives. Cette année, furent notamment à l’honneur les films muets du Suédois Victor Sjöström (1879-1960) et les dix premiers films de l’Américain Arthur Penn (1922-2010), un des pères du Nouvel Hollywood. Parmi les nouveautés, fut remarqué le très bel essai de Frank Beauvais, Ne Croyez surtout pas que je hurle, qui sortira le 25 septembre 2019. Ces cinéastes questionnent chacun à leur manière la place de l’individu dans la collectivité. Tour d’horizon en trois chapitres.

Suite du chapitre 1


Fuir la ville, entrer dans le paysage

Directeur d’acteurs subtil – certains de ses acteurs jouent avec une modernité stupéfiante – Victor Sjöström est également metteur en scène de théâtre et comédien – il incarnera le vieil homme qui se souvient dans Les Fraises sauvages (1957) d’Ingmar Bergman. Sjöström en tant qu’acteur s’engage physiquement dans ses films, notamment Terje Vigen, Les Proscrits et La Charrette fantôme. Il faut le voir dans Terje Vigen se présenter face à la mer orageuse, puis secourir une barque au bord d’être brisée, ou se laver dans la chute d’eau des Proscrits. Chef d’œuvre impérissable, Les Proscrits pose mieux encore la question de la collectivité. Une veuve tombe amoureuse d’un étranger qui arrive du désert (il s’est échappé du bagne), et une fois son identité connue, s’enfuit avec lui. C’est la femme cette fois qui doit faire le choix entre son monde (dans lequel elle tient une place de choix) et l’amour, ici un sentiment qui semble venir du fin fond du corps autant que de l’âme. Le couple reconstruit une communauté, d’abord avec un enfant, puis avec un ami qui lui aussi a fui – mais que le désir frustré transforme en nouvel ennemi, intérieur. Chaque communauté sème, dès sa création, sa propre destruction : en s’exilant dans la nature, le couple se crée un refuge en forme de tombeau, la femme met au monde un enfant qu’elle tuera, l’ami qui aide à survivre, à chasser et pêcher, retournera sa main contre eux. Au-delà de la tension du récit, mélodramatique, extrêmement bien construit, ce qui sidère le plus dans Les Proscrits, ce sont les paysages. Tourné en décors naturels, le film est parsemé de plans impressionnants dans l’eau, dans la montagne, au bord d’un précipice. Ce qu’essaie de calmer les hommes « d’en bas », ceux du village, ce sont des passions que la nature, elle, déploie pleinement. La dernière image, sublime, sculpte le couple autant qu’elle l’efface, l’immortalisant à jamais dans la nature.

Habiter le vent

Avec Le Vent (1928), son chef d’œuvre américain, Sjöström va encore plus loin dans l’affrontement. Une jeune femme, Letty, vient s’installer dans un village – cette fois c’est le personnage féminin qui vient d’ailleurs. Elle est une fois encore incarnée par Lillian Gish, mélange de fragilité et de détermination inégalable. Poussée hors du giron protecteur de la ferme de son cousin dont l’épouse est jalouse (on la comprend, Gish est sublime), elle est obligée d’épouser un cow-boy qu’elle n’aime pas. Mais le vent souffle dans ce désert américain et recouvre tout sur son passage. Le cow-boy part sauver quelques chevaux et défier le vent, dans l’espoir que Letty finisse par l’aimer. Restée seule, la jeune femme affronte un élément d’une telle force qu’il recouvre quasiment la porte de la petite maison, la transformant – là encore – en tombe. Le conflit apparent – exister face à une communauté jalouse, envieuse – est dépassé par un autre, celui d’une nature violente. Sjöström enferme son héroïne dans cette maison, devenue centre de toutes les passions. Letty comprend qu’il y a plus fort qu’elle, qu’eux tous. C’est en acceptant cette découverte que le vent devient pour elle un allié – il recouvre un cadavre qu’elle veut cacher. A la fois film très impressionnant et capable du plus grand dénuement – la seconde partie se passe uniquement dans une chambre et devant la porte – Le Vent dessine une réconciliation de l’homme avec la Nature. A la fin, Letty ne fuit plus, elle accepte les lois, qui ne sont pas tant celles, éphémères, d’une communauté, que celles, atemporelles, de la Nature. Comme le personnage de Terje Vigen qui apprend à se mouvoir dans la mer, Letty a appris à habiter le vent, et c’est ce qui la rend capable d’aimer. Sa nouvelle identité est donc une acceptation inespérée, un pacte entre l’homme, la collectivité et la nature.

[La Rochelle 1/6] Victor Sjöström: l’homme, la communauté et la nature

Posté par Martin, le 20 juillet 2019

Le Festival du film de La Rochelle, qui a lieu chaque année fin juin début juillet, est l’occasion de découvrir des films inédits, avant-premières, rééditions, et surtout des hommages et des rétrospectives. Cette année, furent notamment à l’honneur les films muets du Suédois Victor Sjöström (1879-1960) et les dix premiers films de l’Américain Arthur Penn (1922-2010), un des pères du Nouvel Hollywood. Parmi les nouveautés, fut remarqué le très bel essai de Frank Beauvais, Ne Croyez surtout pas que je hurle, qui sortira le 25 septembre 2019. Ces cinéastes questionnent chacun à leur manière la place de l’individu dans la collectivité. Tour d’horizon en trois chapitres.

Chapitre 1 : Victor Sjöström

Si la carrière de Sjöström semble se partager en deux périodes, la suédoise et l’américaine – il fut appelé à Hollywood après le succès des Proscrits (1917) et de La Charrette fantôme (1921) – elle n’en reste pas moins profondément unie. L’intrigue de ses films repose en effet toujours sur une dialectique qui oppose l’homme et la communauté dans laquelle il vit, souvent une petite ville perdue au bord de la nature : un homme ou une femme cherche à faire partie d’un groupe puis à le fuir. C’est de la tension entre ses deux mouvements que naissent des récits riches en tensions qui donnent la part belle aux paysages.

Les larmes du monde

Femmes infidèles ou considérées comme telles dans La Fille de la tourbière (1917) ou La Lettre écarlate (1926), patronne qui tombe amoureuse d’un proscrit dans le film du même nom, homme qui sort du bagne dans Terje Viegen (1916) mais aussi dans Les Proscrits : comment être dans ce monde qui nous rejette ? Larmes de clown (1924) raconte bien aussi la même souffrance : après avoir été volé à la fois de sa découverte scientifique et de sa femme par un ami, Lon Chaney est giflé aux yeux d’un groupe de scientifiques hilares. Cette humiliation première, il n’a pas de cesse de la rejouer puisque, scientifique déchu, mari abandonné, il devient clown qui se fait gifler dans un cirque : c’est le sens du titre original, He who gets slapped. L’espace du chapiteau devient un miroir déformant de la scène originelle – il fait rire en recevant des gifles qui lui coupent constamment la parole, tombe amoureux d’une jeune acrobate qui n’a d’yeux que pour un autre. Chaney se réapproprie son humiliation autant qu’il n’arrive pas à la dépasser. A la fin, il se confond avec son personnage de scène et détache le cœur de son costume pour le tendre à la jeune acrobate. L’élan comique du clown rejoint le geste tragique de l’homme. La place du public, donc du groupe, est centrale : dans la vision subjective du clown, les scientifiques moqueurs se transforment en clowns grimés, tandis les spectateurs du cirque se transforment en scientifiques. En devenant clown, il n’est plus le scientifique qu’il était, mais il renonce également à sa place d’homme dans la communauté : il est l’objet des regards au centre d’un chapiteau, il n’est ni partie prenante du public ni même, à l’inverse des autres artistes, d’un groupe sur scène – le couple d’acrobates, le dompteur et son lion. Il est montré du doigt, désigné par la foule comme à jamais exclu, par ce rire qui le condamne tel Sisyphe à revivre le même calvaire.

La chair qui brûle

En adaptant le roman de Nathaniel Hawthorne, Sjöström trouve un personnage idéal, moins dans Hester, l’héroïne (divinement incarnée par Lillian Gish) qui, croyant son mari mort, tombe amoureuse du Révérend, que dans le personnage du Révérend lui-même (Lars Hanson). En effet, il est l’ordre. Au début de La Lettre écarlate, Hester est dénoncée pour avoir regardé son reflet – les miroirs sont présents dans le décor, mais recouverts de tissu, comme une tentation perverse – et elle est punie comme il se doit, mais le Révérend prend pitié d’elle, si frêle, les mains liées dans un bout de bois au centre du village. Elle est déjà persona non grata, exclue, même à l’intérieur du cercle. Et c’est pourtant l’homme des lois qui tombe amoureux d’elle. Leur amour ne peut avoir lieu qu’à l’orée du village, lorsque qu’il découvre un sous-vêtement de la jeune femme, partie à la rivière laver le linge. Dans l’alcôve soudain protectrice d’une clairière, le désir se libère. Il faudra pourtant au personnage tout un film pour assumer cet amour et déclarer être le père de l’enfant que la jeune femme met au monde. Cette tension parcourt son corps tout entier, et son geste final rappelle celui du clown qui tend son cœur : il ouvre sa chemise libérant le signe infamant, le « A » de l’adultère. Mais alors qu’Hester le porte sur son vêtement – et le cache parfois avec l’enfant qu’elle porte devant sa poitrine, ce qui ne manque pas d’ironie – le Révérend, lui, a gravé la lettre écarlate dans sa chair, sur son cœur. Aveugle village qui n’a pas voulu voir derrière les apparences – un bout de tissu – aveugle révérend qui a succombé aux interdits qu’il a lui-même nommés. Appartenir à une communauté, c’est faire brûler ses interdits dans sa propre chair.

Festival de la Rochelle : le rendez-vous estival des cinéphiles

Posté par redaction, le 27 juin 2019

Pour tous les cinéphiles, le Festival de cinéma de La Rochelle est un des événements incontournables du début de l’été. Lors de cette 47e édition, qui aura lieu du 28 juin au 7 juillet,  quelque 200 films seront projetés : fictions, documentaires, films d’animation provenant de très nombreux pays.

Organisé depuis 1973 dans le chef-lieu de Charente-Maritime, ce festival a la particularité de ne pas  présenter de compétition, ce qui permet de mettre les films et les réalisateurs sur un même pied d’égalité, sans en privilégier certains.

Marraine de l’édition 2019, l’actrice canadienne Alexandra Stewart présentera trois films de sa filmographie : Le feu follet de Louis Malle, Mickey One d’Arthur Penn et La duchesse de Varsovie de Joseph Morder.

Des hommages seront rendus, en leur présence, au réalisateur italien Dario Argento (Les frissons de l’angoisse, Suspiria), à la directrice de la photographie Caroline Champetier (collaboratrice de Leos Carax, Jean-Luc Godard et Claude Lanzmann notamment), à la cinéaste autrichienne Jessica Hausner (Lourdes, Little Joe), au réalisateur de films d’animation Jean-François Laguionie (Louise en hiver, Le voyage du prince) et au cinéaste palestinien Elia Suleiman (Intervention divine, It Must Be Heaven).

Des rétrospectives seront consacrées à l’acteur Charles Boyer, séducteur français qui a fait l’essentiel de sa carrière aux Etats-Unis, au réalisateur américain Arthur Penn (Bonnie and Clyde, Miracle en Alabama, Little Big Man), et à la réalisatrice ukrainienne Kira Mouratova (Brèves rencontres, Le syndrôme asthénique).

La comédie aura une place de choix cette année, avec la projection de films de Louis de Funès et de Jim Carrey, deux maîtres dans l’art de la mimique et de la grimace. Le premier a fait les beaux jours de la comédie populaire dans les années 1960 avec notamment La grande vadrouille (1966), qui est longtemps resté le film ayant réalisé le plus d’entrées au cinéma en France, avec plus de 17 millions de spectateurs. Il n’a été détrôné que ces dernières années par Bienvenue chez les Ch’tis (2008) et Intouchables (2011). Le second, Jim Carrey, a fait briller la comédie américaine dans les années 1990, notamment avec son interprétation déjantée dans The Mask.

Les festivaliers pourront aussi découvrir 13 films venus d’Islande, ainsi que neuf films muets du réalisateur suédois Victor Sjöström, accompagnés au piano par Jacques Cambra. Parmi les autres événements proposés : des films pour les enfants, un concert hommage à François de Roubaix, compositeur de bandes originales de films (L’homme orchestre, Le samouraï) et des films inédits ou présentés en avant-première.

L’an dernier, la manifestation rochelaise a présenté 158 longs métrages et 56 courts métrages, accueillant au total 86 037 spectateurs. Une belle affluence montrant qu’il n’est pas indispensable pour un festival d’organiser une compétition pour attirer le public dans les salles obscures.

Pierre-Yves Roger

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47e Festival de la Rochelle
Du 28 juin au 7 juillet
Retrouvez toute la programmation sur le site de la manifestation

La Rochelle 2018: Fanny et Alexandre, le décor et l’imaginaire

Posté par Martin, le 12 juillet 2018

Fanny et Alexandre (1982) est, à juste titre, considéré comme le film testamentaire d’Ingmar Bergman, dont on célèbre les 100 ans de la naissance et qui, à cette occasion, a eu l'honneur d'une grande rétrospective au Festival du Film de la Rochelle.

Film de 3 heures – dont la version télévisée en fait 5 – il résume, théorise et diffracte à la fois la vie et l’œuvre du cinéaste suédois. Sa vie, on peut la lire dans son délicieux texte autobiographique (Laterna magica) qui fait la part belle à l’imagination du jeune Bergman : il définit d’abord son lien avec les autres sous les auspices du mensonge et du jeu. Il s’étonne d’ailleurs quand ses parents et ses amis ne goûtent pas son plus beau mensonge – il fait croire à l’école qu’il a été vendu à un cirque. Son œuvre est connue pour l’analyse poussée des rapports humains dans des milieux troubles, où la folie et la violence guettent toujours, que ce soit au sein du couple, da la famille ou du monde (l’ombre du nazisme). Contrairement à ce que son titre pourrait laisser penser, Fanny et Alexandre n’est pas l’analyse du rapport entre la sœur et le frère – ce que sera davantage Cris et chuchotements par exemple – et d’ailleurs Fanny prend nettement moins de place dans le récit qu’Alexandre. Si le point de vue est nettement celui du jeune garçon, sa sœur est néanmoins son auditrice privilégiée, et c’est en cela qu’elle est centrale, devenant celle qui entre dans les récits d’Alexandre : elle y croit. Dans le cinéma de Bergman, la vraie famille, c’est celle avec qui l’on crée un imaginaire collectif et donc bien souvent avec qui l’on monte sur scène – gens du cirque, du théâtre, montreurs d’ombres. Ainsi, la dramaturgie comme la scénographie du film pourraient se résumer à la façon de passer d’un monde à l’autre, de la dureté du réel aux puissances de l’imaginaire. Fanny et Alexandre se partage en trois parties qui chacune crée un espace propre, aux cloisons bien différentes.

La première partie marque le règne des rideaux. Le film commence d’ailleurs par le visage de l’enfant derrière un petit théâtre de marionnettes. On le découvre donc depuis une scène miniature comme si l’on était invité dans les coulisses. La famille a un théâtre, et le père, la mère, la grand-mère d’Alexandre sont des acteurs et, si on ne les voit pas jouer, leur maison devient une grande scène, délimitée par les tentures. Les portes, toujours encadrées de rideaux, sont grandes ouvertes, et l’espace poreux, comme le montre bien la scène de la danse, une farandole qui fait passer les personnages dans toutes les pièces. Cette porosité n’est pas que physique, elle est aussi sociale puisque les employés du théâtre sont invités à la même table, ou que la servante est acceptée sans difficulté comme amante d’un oncle, puis mère de son enfant. La fluidité de tous ces passages se traduit autant par les amples mouvements de caméra que par les liens qui se tissent entre les êtres : quand l’un s’essouffle en pleine danse, c’est son frère qui meurt deux scènes plus tard. Le voile recouvre le corps, et le paradis, celui d’un imaginaire collectif heureux, est à jamais perdu.

Dans la seconde partie, les tentures rougeoyantes font place à des murs blancs et nus. L’austère maison du pasteur, nouveau père des deux enfants, est une épure glaçante, aux portes lourdes, aux fenêtres grillagées. L’enferment est là encore aussi physique que symbolique. Dans une scène inoubliable, Alexandre est frappé par son beau-père, puni par ce qu’il ment… mais, au fond, ment-il ? L’enfant a inventé un conte de princesses enfermées qui se seraient échappées par la fenêtre et seraient mortes noyées. Mais les filles du pasteur sont effectivement mortes noyées, et n’est-il pas en train de raconter sa propre histoire, lui qui ne peut sortir de cette maison devenue prison ? Alexandre transforme ses sentiments réels en histoire, car il est doué du gène familial, contrairement au pasteur qui, lui, nie toute possibilité de fiction. Comment sortir de cet enfer, quand les lois – de Dieu et des hommes – l’interdissent ? Ce n’est pas la logique des événements qui permet aux enfants de s’échapper mais plutôt un vrai tour de passe-passe scénaristique qui fait basculer le film dans l’imaginaire : un ami de la famille débarque avec sa malle magique et embarque littéralement le frère et la sœur. Ils ne sortent pas par une porte, mais plutôt par la force de la pensée, la pensée qu’ils sont soudainement invisibles au fond de ce coffre. Quand le magicien l’ouvre, le pasteur n’y voit que du feu. Il n’y a rien.

La troisième partie bascule donc avec ce coffre – qui est aussi d’une certaine manière le cercueil du père, donc y entrer est la plus grande des transgressions. Les enfants atterrissent dans un atelier de marionnettes. Ce nouveau décor est la concrétisation du rapport à l’imaginaire, et les règles de la physique y sont défiés : quand Alexandre cherche les toilettes la nuit, il entre par une porte de placard et ressort immédiatement par une autre. C’est un univers clos sur lui-même, comme un monde en miroir. Le garçon se heurte à deux frères dont l’un est androgyne (dualité au sein du dédoublement). Il n’y a plus d’entrée ni de sortie, pas de fenêtre donc pas de jour ni de nuit, mais seulement des coulisses et un monde entre deux. Ce passage nécessaire dans les entrailles de la création rend Alexandre apte à poursuivre la quête du père, celle d’un créateur. Quand il retourne dans la maison familiale, la mère et la grand-mère décident d’ailleurs de reprendre le théâtre et de remonter ensemble sur scène, comme un retour au temps béni d’avant. Un retour vraiment ? Impossible d’effacer la mort du père, les deux bébés nés entre-temps, les traces des coups, reçus par le corps et l’âme d’Alexandre et dans le regard de Fanny, la traversée du monde des marionnettes…

A la fin, le film peut, à la manière d’A la recherche du temps perdu quand le narrateur comprend que l’objet de sa littérature sera la vie que nous venons de lire, recommencer, éternellement raconté par Alexandre, derrière son petit théâtre, qui tire le rideau et rejoue pour nous la plus belle des fictions.