John Hurt (1940-2017) aux portes du Paradis

Posté par vincy, le 28 janvier 2017

Monstre sacré, immense comédien John Hurt est mort à l'âge de 77 ans des suites d'un cancer du pancréas. Son épouse a communiqué son décès: "C'est avec une tristesse infinie que je confirme que mon époux, John Vincent Hurt, est décédé mercredi 25 janvier à son domicile de Norfolk".

Impossible de résumer une carrière de 55 ans à l'écran. L'élégant John Hurt aura touché à tous les genres, vedette de grands films comme seconds-rôles de blockbusters. Pour les plus jeunes, il était Monsieur Ollivander dans la franchise Harry Potter. Mais John Hurt a été avant tout Elephant Man pour David Lynch. Son rôle le plus marquant assurément.

Un homme pour l'éternité (A Man for All Seasons) de Fred Zinnemann, Davey des grands chemins (Sinful Davey) de John Huston, L'Étrangleur de la place Rillington (10 Rillington Place) de Richard Fleischer, Le Joueur de flûte de Jacques Demy... Il a été éclectique dès ses débuts, avant qu'il ne soit reconnue en 1978 avec le personnage de Max, héroïnomane anglais arrêté et emprisonné dans une prison turque, dans Midnight Express de Alan Parker, qui lui vaut un Oscar du meilleur second-rôle masculin.

Eclectique

L'année suivante, on le retrouve en officier dans Alien, le huitième passager (Alien) de Ridley Scott, immense succès populaire et film culte (il parodiera son personnage dans La Folle Histoire de l'espace (Spaceballs) de Mel Brooks dix ans plus tard). Il enchaîne avec Elephant Man de Lynch (nominations aux Golden Globes et aux Oscar dans la catégorie meilleur acteur). Il y est défiguré pour ce biopic en noir et blanc adapté de la vie de Joseph Merrick, surnommé « Elephant Man » à cause de ses nombreuses difformités. Une interprétation où la souffrance est à la fois extrême et intériorisée qui dévoile l'étendue de son talent.

Dans la foulée, il tourne La Porte du paradis (Heaven's Gate) de Michael Cimino, avec Kris Kristofferson, Isabelle Huppert, Christopher Walken et Jeff Bridges. Cette sublime fresque désillusionnée de l'Amérique des pionniers a été un four commercial. Mais sa splendeur et sa profondeur en font aujourd'hui un des plus grands films de son époque.

Capable de tout jouer, il tourne aussi avec Mel Brooks (producteur d'Elephant Man) dans La Folle Histoire du monde, où il incarne Jésus-Christ, et dans Osterman week-end de Sam Peckinpah , The Hit : Le tueur était presque parfait, polar indispensable de l'œuvre de Stephen Frears, où il s'amuse à être un tueur vieillissant, et l'adaptation du roman de George Orwell, 1984, de Michael Radford, où il tient le rôle principal.

La mort jamais loin

Les années suivantes sont plus fades. Hormis deux films mineurs de John Boorman et quelques cinéastes majeurs (Scandal de Michael Caton-Jones, The Field de Jim Sheridan, L'Œil qui ment de Raoul Ruiz, Even Cowgirls Get the Blues de Gus Van Sant), John Hurt ne retrouve pas de grands personnages. Il faut attendre que Jim Jarmush l'enrôle dans son western spectral, Dead Man en 1995 pour que le cinéphile puisse retrouver son allure et son charisme filmés à leur juste valeur.

Bien sûr, il tourne avec Walter Hill (Wild Bill) et Robert Zemeckis (Contact), continue de faire des voix pour des documentaires animaliers ou des dessins animés, mais c'est le cinéma indépendant qui lui permet de livrer ses plus belles performances. En vieillissant, son jeu à fleur de peau prend une dimension d'écorché vif cicatrisant.
Dans Amour et mort à Long Island (Love and Death on Long Island), film sur fond d'années SIDA de Richard Kwietniowski, il est bouleversant en écrivain anglais veuf détestant le monde moderne et amoureusement fasciné par un acteur secondaire d'un film pour ados.
Pour lui, "prétendre être quelqu'un d'autre" était son "jeu" et ce qui était "l'essence de son travail".

Des films de genre et d'auteurs

Les années 2000, outre Harry Potter, lui permettent de s'offrir des personnages secondaires dans des films populaires: Hellboy et Hellboy 2: Les Légions d'or maudites (Hellboy II: The Golden Army) de Guillermo del Toro, The Proposition de John Hillcoat, V pour Vendetta (V for Vendetta) de James McTeigue, Crimes à Oxford (The Oxford Murders) de Álex de la Iglesia, Indiana Jones et le Royaume du crâne de cristal (Indiana Jones and the Kingdom of the Crystal Skull) de Steven Spielberg, Le Transperceneige de Bong Joon-ho, Hercule (Hercules) de Brett Ratner, et l'an dernier Tarzan de David Yates.

John Hurt a aussi été un fidèle de Lars von Trier, narrateur de Dogville et Manderlay, acteur dans Melancholia. Il a été également un comédien récurrent chez Jim Jarmusch (The Limits of Control, Only Lovers Left Alive). Blues-man par excellence du 7e art, avec son physique atemporel, on le voit aussi faire des grands écarts cinématographiques, de Boxes de Jane Birkin à La Taupe (Tinker, Tailor, Soldier, Spy) de Tomas Alfredson.

Lord John

Né le 22 janvier 1940 près de Chesterfield, peintre à ses heures, il se pensait destiné au dessin avant d'intégrer la Royal Academy of Dramatic Art. Sa carrière comporte pas moins de 140 films, 20 téléfilms et autant de séries (dont Doctor Who et Panthers). Récipiendaire de quatre BAFTA, anobli par la reine Elizabeth II en 2014, il continuait de tourner malgré son cancer.

On le verra mercredi à l'affiche de Jackie de Pablo Larrain, dans le rôle d'un prêtre confesseur. The Journey de Nick Hamm a été présenté à Venise en septembre, ChickLit de Tony Britten est sorti en décembre aux USA, That Good Night de Eric Styles, Damascus Cover de Daniel Zelik Berk et My Name is Lenny de Ron Scalpello sont prévus dans les salles cette année.

Le voici disparu. Et comme il aimait le citer: "Comme Beckett le disait, il ne suffit pas de mourir, il faut oublier aussi." On ne l'oubliera quand même pas de si tôt.

Enregistrer

Lumière 2012. Une soirée de clôture au Paradis!

Posté par Morgane, le 24 octobre 2012

Tout comme lors de l'ouverture, la Halle Tony Garnier a fait salle comble en ce dimanche après-midi pour assister à la clôture de cette quatrième édition du Festival Lumière. Thierry Frémaux monte sur scène appelant à le rejoindre tous les bénévoles (au nombre de 388) qui ont rendu ce festival possible. Il est vrai que ce travail de titan a été mené de main de maître. Gérard Collomb, en tant que maire de Lyon, est venu annoncé, comme on s'en doutait, qu'il y aurait bel et bien une cinquième édition l'an prochain.

Avant de projeter ce monstre du cinéma qu'est La porte du paradis (par son résultat mais aussi par le travail pharaonesque qu'il a demandé), Isabelle Huppert, actrice principale, prend le micro pour dire son émotion. "Je crois que ce film a été victime d'une injustice historique. C'est le début de cette réparation aujourd'hui. (...) Tout ça grâce à Michael Cimino qui est un immense réalisateur, un immense metteur en scène."

C'est ensuite au tour de Michael Cimino, en larmes, de monter sur scène rejoindre son actrice. "Je n'ai pas de mots, mon coeur bat trop vite. J'ai toujours su que les Français aimaient le cinéma mais là, c'est fou. Je suis très fier de partager cette scène avec ma bien-aimée Isabelle. Quand nous avons travaillé ensemble, nous étions des enfants du paradis mais nous ne le savions pas. Je vais m'arrêter là avant d'avoir une crise cardiaque. (...) Je m'attendais à ce que le film soit dans un petit cinéma. C'est un grand choc."

Le choc est désormais pour nous lorsque l'on découvre sur un écran géant la beauté cinématographique du film. 32 ans après sa sortie catastrophique (boudé par le public en grande partie pour son message anti-patriotique), suite à une restauration menée par Michael Cimino et la maison Criterion, cette oeuvre se révèle de nouveau sublime grâce aux couleurs à couper le souffle du grand directeur de la photographie Vilmos Zsigmond (qui avait déjà travaillé aux côtés de Michael Cimino pour Voyage au bout de l'enfer).

Scorsese en 2013?

Après avoir été projeté à Venise et à New York, le voici donc projeté à Lyon avant de sortir dans plusieurs salles début 2013 grâce à Carlotta. C'est donc une sorte de renaissance pour ce film, aujourd'hui reconnu à sa grande et juste valeur.

En 1870, James (Kris Kristofferson) et Billy (John Hurt) fêtent la fin de leurs études. On les retrouve 20 ans plus tard dans le comté de Johnson dont James est devenu le shérif. Billy, quant à lui, est devenu un éleveur appartenant à l'Association des éleveurs (très influente et aux racines politiques très ancrées) qui souhaitent se débarrasser des immigrants d'Europe centrale qu'ils voient comme des "voleurs de bétails et des anarchistes." Une liste noire de 125 noms est alors dressée et des mercenaires envoyés pour les éliminer... tout ça dans la légalité. Derrière cette lutte de survie aux accents politiques et sociaux se joue également un drame humain, celui d'Ella (Isabelle Huppert), directrice de bordel d'origine française, aimée par James (shérif) et Nathan (qui appartient à l'Association) interprété par Christopher Walken.

La Porte du Paradis est un prologue à la Révolution Industrielle, une ouverture sur le XXe siècle sur fond de rêve américain qui s'envole. Loin des verts pâturages décrits par la plupart des films sur la conquête de l'ouest, Michael Cimino montre un tout autre visage de l'Amérique, chose qui ne plaira guère lors de sa sortie. Dirigeant un nombre impressionnant d'acteurs, tous parfaits, dans des conditions parfois difficiles, Cimino offre un spectacle dont les scènes n'en ressortent que plus belles, que ce soit celle du bal lors de la remise des diplômes ou bien encore celle du bal, 20 ans plus tard, sur des patins à roulettes. C'est également un cinéaste qui sait suggérer donnant ainsi une belle finesse à ce western des temps modernes.

La barre est mise haute pour l'année prochaine mais si, comme l'a laissé entendre Thierry Frémaux, l'invité Lumière de la cinquième édition est bel et bien Martin Scorsese le défi sera aisément relevé. Rendez-vous dans un an!

Lumière 2012 : Huppert et Cimino en clôture

Posté par Morgane, le 26 septembre 2012

Le Festival Lumière 2012 continue d'égrainer ses annonces petit à petit... Isabelle Huppert, qui sera présente, et Michael Cimino feront donc la clôture du festival qui aura lieu le dimanche 21 octobre à 14h45 à la Halle Tony Garnier avec La Porte du paradis, qui succède alors à Le Bon, la Brute et le Truand (2009), Le Guépard (2010) et Cyrano de Bergerac (2011).

L'actrice Isabelle Huppert (actuellement ou très prochainement à l'affiche de trois films : Captive, In another country et Amour - Palme d'Or du dernier festival de Cannes) présentera le film La Porte du paradis (1980) de Michael Cimino, projeté en copie restaurée dans sa version de 3h36 récemment achevée par le réalisateur (sur une durée initialement prévue de 5h25).

La sortie du film, il y a plus de 30 ans, fut plutôt chaotique. Avec un budget de 44 millions de $ (120 millions de $ aujourd'hui) et des recettes atteignant à peine 3,5 millions de $ aux USA, ce fut véritable échec ; le film serait à l'origine de la faillite de la United Artists). Sélectionné au Festival de Cannes en 1981, 5 fois cité aux Razzie awards (dont un Razzie du pire réalisateur), La Porte du paradis a désormais retrouvé un statut de grand film du 7e Art auprès des critiques et cinéphiles. Il vient d'être restauré par MGM et l'éditeur-distributeur américain Criterion et sera distribué en France (en janvier sur les écrans) par Carlotta et sera donc projeté lors du Festival Lumière, après avoir été projeté lors des festivals de Venise et de New York.

Isabelle Huppert y interprète Ella Watson aux côtés de Kris Kristofferson, John Hurt et Christopher Walken, entre autres. Elle reviendra certainement pour l'occasion sur cette expérience particulière, ce tournage pas comme les autres, cette sortie désastreuse puis le retour en grâce de cette oeuvre maudite.