Une rétrospective en hommage à Ronit Elkabetz

Posté par vincy, le 24 mai 2016

Du 25 au 31 mai, le Cinéma L'Arlequin (Paris 6e) organise une rétrospective-hommage à l'actrice et réalisatrice israélienne, Ronit Elkabetz, disparue le 19 avril dernier.

Au programme, les films qu'elle a réalisé avec Schlomi Elkabetz (Prendre femme, en présence de Gilbert Melki et Simon Abkarian, Les sept jours et Le procès de Viviane Amsalem) mais évidemment, aussi, les films dans lesquels elle imposait sa présence charismatique et sa voix à nulle autre pareil: Edut, Les mains libres, en présence de Brigitte Sy, Alila, en présence de Amos Gitai, Zion et ses frères, Origine contrôlée, Mariage tardif, Invisible, Le prédestiné, en présence de Dani Wachsmann, Sion, en présence de Joseph Dadoune, Sh'Chur, Eddie King, Cendres et sang, en présence de Fanny Ardant, La cicatrice, Tête de turc, en présence de Pascal Elbé, Mon trésor et Jaffa, en présence de Keren Yedaya, La fille du RER, et Mabul.

A cette liste s'ajoute La visite de la fanfare, de Eran Kolirin, qui viendra accompagner la projection. Son dernier film, Au de la des montagnes et des collines, a été présenté à Cannes dans la section Un certain regard. Il avait, lors de l'avant-première cannoise, dédié la projection à Ronit Elkabetz. Le film lui est aussi dédié, avec une dédicace en début de générique de fin.

Cannes 2014 : qui est Keren Yedaya ?

Posté par MpM, le 16 mai 2014

keren yedaya

LE COEUR DES FEMMES

Son premier long métrage fut un coup de poing : Mon Trésor, présenté à Cannes en 2004, raconte la relation subtilement inversée entre une fille prématurément adulte et sa mère immature qui se prostitue. Sa réalisation épurée (de longs plans séquence, un montage simple, pas de musique) et la manière dont elle mêle tragédie intime et drame social bouleversent le jury de Tim Roth, qui lui décerne la Caméra d’or du meilleur premier film.

Keren Yedaya, cinéaste israélienne née en 1972 aux Etats-Unis, fait ainsi une entrée fracassante sur la scène internationale. Elle-même n'est pas dupe de ce succès fulgurant, dont elle prend en quelque sorte le contre-pied. En 2005, elle déclare à Reverse Shot, mi-modeste, mi-provocatrice : "entre nous, je trouve que mon propre succès est ridicule. Lorsque vous voyez mes films, ce n'est pas difficile de remarquer que je ne sais pas comment bouger la caméra. J'ai seulement de la chance, parce que les gens ne prennent pas le cinéma suffisamment au sérieux et ne sont pas capables de voir que mes capacités cinématographiques ne dépassent pas celles d'un étudiant en première année. Je ne sais pas vraiment comment connecter un plan à un autre, comment cadrer un personnage qui va de gauche à droite, etc. Il y a tant de choses que je veux encore apprendre !"

La jeune femme, qui a fait des études à l’école d’art Camera Obscura de Tel Aviv, n'est pourtant pas tout à fait une néophyte. Elle a tourné son premier court métrage, Elinor, en 1994. Elle y suivait une conscrite israélienne dans l’armée. Son film suivant, Lulu (1998), abordait la prostitution en Israël, et lui permet d'être remarquée au niveau international.

En 2001, elle vient à Paris à l'invitation du producteur français Emmanuel Agneray. Elle y tourne Les dessous, sur un magasin de lingerie féminine. La même année, le Festival international du cinéma méditerranéen de Montpellier lui offre un soutien financier pour tourner son premier long métrage. Ce sera donc Mon trésor, œuvre éminemment politique qui résume les préoccupations de son auteur.

"La société sacrifie les hommes pour qu’ils deviennent des "soldats" et sacrifie les femmes pour qu’elles deviennent des "putes". Le corps de la femme devient une "récompense" pour les soldats – une compensation du fait qu'ils acceptent de mourir pour rien" déclare-t-elle dans le dossier de presse du film. "Il est évident que cela reflète une réalité, tant en Israël qu'en Palestine. Dans cette situation violente d’occupation et de guerre, la société a besoin d’une distribution des rôles poussée à l’extrême. Mais cette répartition des rôles existe à une plus ou moins grande échelle dans toute société."

Engagée, féministe, activiste politique, Keren Yedaya assume tous les qualificatifs. "Ces deux dernières années, les deux sujets les plus sensibles pour moi ont été la prostitution et la lutte contre l’occupation des territoires palestiniens", explique-t-elle. La réalisatrice ne cache en effet pas son hostilité à la politique israélienne en Palestine (elle a participé à de nombreux mouvements de protestation) et accuse son pays de réduire en "esclavage trois millions de Palestiniens".

Son deuxième long métrage, Jaffa, s’inspire directement de ce combat. Là encore, l’intime de la cellule familiale trahit les maux d’une société incapable de vivre ensemble : son jeune héros, Toufik, un Arabe israélien, vit un amour impossible avec Mali, une jeune fille juive de Jaffa. Leur relation et les événements qui en découlent montrent la complexité d’une situation où tout dialogue est rompu et où les peurs et les haines ancestrales se perpétuent sans même qu’on en ait conscience.

Moins réussi que le précédent, le film mélange un profond pessimisme avec une petite pointe d’espoir : avec du temps, de l’éducation et de la bonne volonté, quelque chose de beau peut encore arriver, suggérait alors la réalisatrice. Le pense-t-elle encore aujourd'hui ?

Sa présence sur la Croisette avec Loin de mon père (projeté à Un Certain Regard) devrait permettre d'aborder la question. La 3e sélection de Keren Yedaya à Cannes (en trois films, c’est assurément une bonne moyenne) sera en effet l'une des nombreuses occasions offertes par cette 67e édition pour réintroduire du politique sur la Croisette.

Cannes 2014 – Lettre à… Abderrahmane Sissako

Posté par MpM, le 15 mai 2014

SissakoCher Abderrahmane Sissako,

Vous avez beaucoup ému la Croisette avec votre film Timbuktu présenté aujourd'hui en compétition officielle. Vous y montrez avec humanité la situation inhumaine d'une population soumise à la loi de l’absurdité et de l'intransigeance. Un film beau et poétique, parfois même drôle, s'il ne faisait un constat si terrible sur ce qu'ont vécu les habitants de Tombouctou pendant l'occupation de la ville par des Djihadistes intégristes en 2012.

Dans votre film, hommes et femmes souffrent de la même manière des lois toujours plus strictes des occupants : pas de musique, pas de football, des coups de fouet au moindre écart de conduite... Pourtant, la peine s'alourdit pour les femmes d'une tentative de prise de contrôle de leurs corps, qui deviennent eux-aussi un enjeu de pouvoir (comme c'est le cas dans la plupart des guerres). Les Djihadistes entreprennent ainsi de leur faire porter le voile, mais aussi de les obliger à porter des chaussettes et des gants lorsqu'elles sont dans un lieu public, y compris la commerçante qui vend du poisson et a par conséquent les mains dans l'eau toute la journée.

Cette main-mise sur le corps de la femme, qui confine ici au ridicule, semble avoir été le fil directeur de la journée, prouvant que la problématique est on ne peut plus universelle. Dans Bande de filles de Céline Sciamma (film d'ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs), le corps de l'héroïne appartient symboliquement à son frère, qui ne supporte pas qu'elle ait une vie sexuelle.

Dans Loin de son père de Keren Yedaya (Un Certain Regard), c'est le père qui exerce un pouvoir absolu sur le corps de sa fille, avec laquelle il entretient une relation incestueuse. Il lui reproche par ailleurs de grossir ou de se laisser aller. Et quand il veut la punir, il la viole.

Cette violence pas uniquement symbolique à l'égard du corps des femmes est une constante dans les rapports de domination, qu'ils soient dans le cercle familial ou à l'échelle d'une société. Mais le fait qu'elle soit si répandue, touchant tous les pays, toutes les couches sociales et toutes les cultures, ne la rend que plus insupportable.

Dans votre film, cher Abderrahmane Sissako, la lueur d'espoir vient de l'art et de l'imagination. C'est en jouant au foot avec un ballon imaginaire que les jeunes hommes de Tombouctou luttent contre les intégristes. C'est en chantant que la jeune femme condamnée à 25 coups de fouet résiste symboliquement à ses oppresseurs. De même, c'est en faisant des films, des livres, des chansons... et même des articles, que l'on s'oppose à de telles pratiques, et surtout que l'on peut faire changer les mentalités.