Edito: La folie des passions versus la sagesse de l’indifférence

Posté par redaction, le 26 mai 2016

Il n'y a pas que Ken Loach qui a eu une deuxième Palme d'or cette année. Le cinéaste britannique, le plus sélectionné en compétition de l'histoire cannoise, rejoint ainsi Bille August, Francis Ford Coppola, les frères Dardenne, Michael Haneke, Shohei Imamura, Emir Kusturica et Alf Sjöberg dans ce club très fermé. Le Royaume Uni s'offre ainsi sa 10e Palme. Mais derrière cette victoire, il y a aussi celle de Why Not productions, qui avait déjà été palmé l'an dernier pour Dheepan.

C'est peu de le dire : on n'attendait pas Ken Loach en champion du Festival. Le film est honnête, sagement engagé, assez attendu, parfois prévisible. Rien à voir avec le discours de Loach lors de la remise de son prix, qui a rappelé à juste titre le carnage provoqué par un système qui oublie l'être humain. L'être humain, justement, il était aussi incarné par Xavier Dolan, à fleur de peau lorsqu'il a reçu son Grand prix du jury. Le jeune cinéaste-producteur-scénariste-acteur prodige québécois avait ému et enthousiasmé festivaliers et réseaux sociaux quand Mommy avait obtenu le prix du jury il y a deux ans. Retour de bâton, cette année, son discours n'est pas passé. Le film a divisé et beaucoup trouvait ce prix immérité. Mais, tout le monde y a vu du "chiqué" lorsqu'il a rendu hommage, en larmes, à François Barbeau, chef costumier québécois. On a vu les gifs moqueurs fleurir sur la toile, les commentaires et piques méprisantes ou sarcastiques se multiplier. On lui a fait payer sa jeunesse, sa réussite, son apparente arrogance. Pourquoi tant de haine? Nous n'avons pas aimé le film mais on peut aussi croire à la sincérité du discours.

François Barbeau est mort fin janvier. C'était un immense homme du théâtre au Québec. Ses dessins de costumes sont archivés à la Bibliothèques et Archives nationales. Il fait partie de l'émergence du nouveau théâtre québécois dans les années 1960 et a travaillé avec Claude Jutra, Louis Malle, Gérard Depardieu, Jean-Claude Lozon, la Comédie-Française, le Cirque du Soleil, et même la Batsheva Dance Company, l'une des troupes de danse les plus créatives de ces dernières années. C'est à lui qu'on doit les costumes de Laurence Anyways de Xavier Dolan.

Dolan a eu raison de le citer. De mettre en lumière cet homme de l'ombre, ce créateur de génie. Il n'y avait pas de quoi se moquer. Paradoxalement, si le palmarès n'a pas récompensé les films les plus fous, tous les discours possédaient la flamme. Quand Xavier Dolan cite Anatole France - "je préfère la folie des passions à la sagesse de l’indifférence" - il a touché juste: le palmarès n'a pas laissé indifférent (tant il a été incompris et rejeté par les médias, nous inclus) et la passion a été au rendez-vous cette année (avec ce qu'il faut d'enthousiasme, de bashing, de divisions).

Il aurait pu en citer une autre, du même auteur: "Les grandes oeuvres de ce monde ont toujours été accomplies par des fous.” Car cette année, les fous étaient Maren Ade, Alain Guiraudie, Bruno Dumont, Paul Verhoeven, Kleber Mendonça Filho, Jim Jarmusch, Olivier Assayas, Nicolas Winding Refn, Park Chan-wook. Ces cinéastes ont choisi l'audace quand le jury a préféré des auteurs qui ont opté pour des voies plus balisées, jamais transgressives. Un jury qui a préféré la pudeur à la passion justement, les films puritains aux oeuvres plus queer, les tartuffes aux  tabous. Et comme le disait Anatole France, encore lui: "De toutes les aberrations sexuelles, la pire est la chasteté.”

Cannes 2016: Ken Loach reçoit sa deuxième Palme d’or

Posté par vincy, le 22 mai 2016


Cette année, il y avait deux sortes de films en compétition au 69e Festival de Cannes: ceux qui observaient le monde, sans oublier de nous faire sourire ou de nous séduire, et ceux qui plombaient le moral avec une vision dépressive ou hystérique des rapports humains. Clairement, le jury a choisi la seconde catégorie, oubliant les amples, beaux ou audacieux Aquarius, Toni Erdmann, Elle ou encore Rester vertical.

Non cette année, le jury a aimé le drame social le plus sombre, les émotions manipulées, des scénarios très classiques et souvent balisés. On se félicitera de prix de la mise en scène pour Assayas (pas de jaloux dans son couple puisque Mia Hansen Love a remporté le prix équivalent à Berlin en février dernier). Deux prix pour Farhadi c'est aussi un film en moins de récompensé. Une deuxième Palme pour Ken Loach, grand monsieur et grand cinéaste, n'est pas honteuse mais son film est mineur et bien moins subtil que la dénonciation de la mondialisation dans Toni Erdmann ou la consécration de la résistance dans Aquarius.

Alors voilà, on vous aimait bien membres du jury. Votre délibération a été passionnelle, très très longue. Mais on préférera notre palmarès, car ce sont ces films qui nous resteront en mémoire, plus que les vôtres, à quelques variantes près.

Palme d'or: Moi, Daniel Blake de Ken Loach (Royaume Uni)

Grand prix du jury: Juste la fin du monde de Xavier Dolan (Canada)
Mise en scène: Cristian Mungiu (Baccalauréat, Roumanie) et Olivier Assayas (Personal Shopper, France)
Interprétation masculine: Shahab Hosseini dans Le client (Iran)
Interprétation féminine: Jaclyn Jose dans Ma'Rosa (Philippines)
Scénario: Asghar Farhadi pour Le client (Iran)
Prix du jury: American Honey d'Andrea Arnold

Palme d'or du court métrage: Timecode de Juanjo Gimenez (Espagne)
Mention spéciale Court métrage: A moça que dançou com o diabo de Joao Paulo Miranda Maria (Brésil)

Caméra d'or: Divines d'Houda Benyamina - Quinzaine des réalisateurs (France)

Ken Loach, Ours d’or d’honneur à Berlin

Posté par vincy, le 14 février 2014

ken loach
Avare en prix honorifiques cette année, la Berlinale s'est quand même décidée à remettre un Ours d'or d'honneur jeudi soir à Ken Loach. Cet Ours récompense l'ensemble de sa carrière

Le cinéaste britannique, 77 ans, est un habitué des prix à Berlin : Ae Fond Kiss (2004), Ladybird Ladybird (1994) et Which Side are you on? (1985) ont tous reçu le prix du jury écuménique (ou son ancêtre le prix OCIC). Family Life (1971) avait été récompensé par le prix FIPRESCI.

Le réalisateur a reçu son prix des mains du réalisateur polonais Jirí Menzel, Ours d'or pour Alouettes, le fil à la patte en 1990. La projection de Raining Stones (1993) a suivi la cérémonie.

Ken Loach était présent à Berlin à l'occasion de la rétrospective que la Berlinale lui dédiait. Une "master class" du cinéaste a été organisée mercredi à la cinémathèque allemande.

Son prochain film, Jimmy's Hall, devrait êtreprésenté au prochain festival de Cannes.

Jimmy’s Hall, ultime film de Ken Loach?

Posté par vincy, le 12 août 2013

Dans un entretien à Screen Daily, Rebecca O'Brien, la productrice des films de Ken Loach, a lâché une phrase surprenante : "Jimmy Hall est probablement le dernier long métrage de fiction de Ken". Et elle ajoute : "Je pense qu'il faut mieux partir quand on est au sommet." Rebecca O'Brien évoque le stress des longs tournages, l'énergie déployée, l'intensité physique et mentale que requièrent un film. "De manière réaliste, je serai très surprise si nous faisons un film après celui-ci".

A 77 ans, il débute cette semaine le tournage de cet ultime film, Jimmy Hall, avec Barry Ward, dans le rôle du leader communiste irlandais James Gralton. Au générique, on retrouve aussi Simone Kirby, Jim Norton, Brian F. O Byrne et Andrew Scott.

Jimmy Hall se déroule au début des années 30 quand Gralton revient en Irlande, après dix ans passés à New York, pour rouvrir la salle de danse qu'il avait construite en 1921. Le destin de Gralton est surtout connu pour avoir été le seul Irlandais déporté par les gouvernement en 1933.

Le film devrait être prêt pour le prochain Festival de Cannes, où il avait reçu la Palme d'or en 2006 avec Le vent se lève. Ce serait alors sa 12e sélection.

Le cinéaste s'était fait connaître avec Kes en 1969. Depuis, il a tourné plus de 30 longs métrages.

En revanche, Loach n'abandonne pas la caméra : il a quelques idées de documentaires en tête. Son dernier, L'esprit de 45, a été présenté au Festival de Berlin en début d'année.

Leigh et Loach sont de retour

Posté par vincy, le 9 février 2013

Mike Leigh a choisi son nouveau film : un biopic du peintre J.M.W. Turner, sans doute le plus célèbre peintre britannique. L’artiste sera interprété par Timothy Spall. Leigh explique dans une note d’intention qu’il souhaite explorer sa vie professionnelle, ses relations humaines et son quotidien. Le cinéaste veut montrer le lien entre cet excentrique et le monde qu’il dépeint dans ses chefs d’œuvres. Le tournage devrait débuter cette année.

De son côté, Ken Loach présente un documentaire à Berlin, The Spirit of ’45 ; mais son retour à la fiction ne devrait pas tarder. Il devrait réaliser cet automne un film en Irlande, écrit par lui-même et son complice Paul Laverty.

Ken Loach refuse son prix honorifique au 30e Festival de Turin

Posté par vincy, le 23 novembre 2012

ken loach cannes 2012"C'est avec grand regret que je suis contraint de refuser le prix que m'a accordé le festival du film de Turin" a déclaré Ken Loach dans un courrier envoyé au Festival du film de Turin (Italie), où il devait recevoir le Grand Premio Torino, prix en hommage à l'ensemble de sa carrière, le 26 novembre prochain. Le Festival a indiqué que "pour des raisons dont il n'est pas responsable", Loach ne viendra pas dans la ville italienne et, par conséquent, "la projection de La Part des anges est annulée".

Loach veut être ainsi solidaire avec les employés chargés du nettoyage et de la sécurité du Musée national du cinéma de la ville, organisateur du festival du Festival de Turin. Selon le cinéaste, impliqué politiquement très à gauche, les travailleurs du musée "ont perdu leur boulot parce qu'ils s'opposaient à des réductions de salaires". "Il est injuste que les plus pauvres payent pour une crise économique dont ils ne sont pas responsables".

Pataquès en vue dans un pays habitué aux scandales lors de ses festivals : Alberto Barbera, directeur du Musée mais aussi directeur artistique de la Mostra de Venise, a été interrogé par l'AFP. Il dit "tomber des nues" et rappelle à son ami "Ken", qu'"il fait une erreur grossière, il se trompe de cible". Selon Barbera, ces travailleurs sont employés par une coopérative qui n'a fait état d'aucun conflit social.

Ettore Scola doit également recevoir un Grand Premio Torino le 1er décembre. Le Festival du film de Turin, dont on célèbre cette année la 30e édition, débute aujourd'hui et s'achève le 1er décembre.

Lumière 2012. Ken Loach reçoit son Prix Lumière et défend le système de financement français

Posté par Morgane, le 23 octobre 2012

Samedi 20 octobre, l'amphithéâtre du Centre des Congrès de Lyon se remplit peu à peu pour le grand soir du Festival Lumière. Acteurs, actrices et cinéastes (les frères Dardenne, Jerry Schatzberg, Ariane Ascaride, Julie Gayet, Anaïs Demoustier, Hippolyte Girardot, Léa Drucker, Marjane Satrapi, Julie Ferrier, Laura Morante, Christian De Sica...) se succèdent devant l'affiche de Ken Loach pour la traditionnelle photo. Les spectateurs garnissent les sièges rouges de la salle.

Puis, sous un tonnerre d'applaudissements, Ken Loach et Éric Cantona font leur apparition.

Thierry Frémaux monte sur scène et présente cette remise de prix "pour l'ensemble de son oeuvre, non pas qu'elle soit finie", à un homme d'une "extraordinaire homogénéité entre ce qu'il raconte dans ses films et ce qu'il fait dans la vie."

Les lumières baissent, le silence se fait et Looking for Éric commence, ponctué de-ci de-là de salves d'applaudissements lors de répliques mythiques, principalement prononcées par Cantona, que ce soit l'épisode des mouettes et du chalutier ou bien la fameuse phrase "I'm not a man. I am Cantona". C'est un grand plaisir de redécouvrir cette comédie (qui ne sont pas si nombreuses dans le répertoire de Loach) sur fond social toujours dur mais qui réussit à enchanter. Le film avait été sélectionné à Cannes. Loach y révèle in Cantona plein d'autodérision et un Steve Everts superbe dont cette expérience loachienne fut sa première expérience cinématographique d'acteur.

Les lumières se rallument, Thierry Frémaux reprend le micro et appelle sur scène toutes les personnalités de cette semaine encore présentes ce soir. Rebecca O'Brien (productrice) et Paul Laverty (scénariste), compagnons de route de Ken Loach sont également présents. Et c'est au tour d'Éric Cantona d'entrer en scène qui, avec un discours bref, concis et ensoleillé de son accent du midi, conclut avec "c'est un grand soir pour Ken... et pour Bath (équipe de foot supportée par Ken Loach) qui a gagné."
Un nouveau tonnerre d'applaudissements pour Ken Loach qui rejoint la scène afin de recevoir le Prix Lumière de cette quatrième édition des mains de l'ancien footballeur. Le King Cantona, imposant par sa carrure et son charisme, semble s'opposer quelque peu au personnage de Ken Loach, beaucoup plus petit, timide et modeste, s'excusant presque d'être là et de recevoir tous ces honneurs.

Le cinéaste anglais entame son discours par "un grand merci et beaucoup de respect au cinéma français car sans votre cinéma, nous n'existerions pas. L'intérêt que vous nous avez montré nous donne l'envie et la possibilité de continuer. (...) C'est votre enthousiasme et votre amour du cinéma qui nous permet de rester vivant." Il rappelle alors que pour Le Vent se lève, par exemple, le film est sorti en France dans 300 salles environ alors qu'en Angleterre, il n'a été projeté que dans une quarantaine de salles et remercie donc grandement la société Diaphana qui distribue ses films en France. Remerciements donc au cinéma français et à son fonctionnement qu'il faut défendre (voir actualité du 21 octobre). S'ensuit une critique d'une Europe ultra-libérale qu'il voudrait beaucoup plus solidaire.

Il poursuit alors sur la responsabilité du Cinéma. "Est-ce que le cinéma peut changer les choses? Probablement non. Et je pense que c'est une bonne chose, sinon on serait tous des Américains avec des flingues dans la poche. Mais on peut soulever des questions, célébrer des choses, partager l'idée d'une communauté humaine. Nous pouvons ajouter notre voix au grand bruit fait par l'humanité." Il déclare également son soutien aux cinéastes qui, soumis à la censure de leurs pays, ne peuvent travailler, ou du moins pas librement. Et conclut par ces mots : "C'est une soirée extraordinaire et recevoir ce prix des mains du King Éric, il n'y a rien de mieux. Longue vie au cinéma!" Que dire de plus...

Lumière 2012, Jour 3. Voyage d’Angleterre en Italie en passant par Paris

Posté par Morgane, le 19 octobre 2012

Aujourd'hui au programme du Festival Lumière à Lyon, Cléo de 5 à 7, Kes et Sciuscia. France, Angleterre et Italie. 1962, 1969, 1946. Voyages dans le temps autour de l'Europe. On peut tout de même trouver un point commun à ses trois films : ils font partie des premières réalisations de trois grands cinéastes : Vittorio De Sica, Agnès Varda ou bien encore Kenneth (qui ne signe pas encore Ken) Loach.

Sciuscia (1946) de Vittorio De Sica est un film poignant contant la vie de deux jeunes garçons, dans la Rome de la seconde guerre mondiale, injustement envoyés en prison. À travers ce film, Vittorio De Sica dénonce les conditions de détention affreuses, la justice arbitraire, l'instrumentalisation des enfants et les difficultés lourdes de cette époque qui pèsent sur chaque famille. À travers ce prisme, le cinéaste pointe tout de même le doigt et l'attention du spectateur vers l'amitié entre deux jeunes garçons (cireurs de chaussures) qui, pour s'en sortir, doivent se serrer les coudes, mais...

Vittorio De Sica et ce film appartiennent au mouvement cinématographique du néoréalisme italien (dont Rome, ville ouverte de Roberto Rossellini est l'un des plus connus) qui nait après la seconde guerre mondiale. "L’expérience de la guerre fut déterminante pour nous, raconte De Sica. Nous ressentions le besoin de planter la caméra au milieu de la vie réelle, au milieu de tout ce qui frappait nos yeux atterrés. Nous cherchions à nous libérer du poids de nos fautes, nous voulions nous regarder en face, et nous dire la vérité, découvrir ce que nous étions réellement, et chercher le salut." Mais De Sica ne veut pas uniquement dresser un portrait, un constat terrible, il cherche à faire réagir les Italiens en leur tendant un miroir en face duquel ils ne pourront se dérober, celui de leur conscience. Car au-delà du constat, le cinéaste accuse l'Italie d'injustices et de traitements quasi inhumains que le pays a infligé à une grande partie de la population et principalement aux enfants.

Grande oeuvre de Vittorio De Sica, Sciuscia annonce déjà le grand chef d'oeuvre du réalisateur deux ans plus tard, Le voleur de bicyclette.

Restons dans le monde de l'enfance avec Kes (1969) de Ken Loach. Le film est présenté par Jean-Pierre Darroussin (photo) avec flegme et nonchalance. Pour lui, c'est un film d'après mai. "En France, on a vécu mai 68, en Angleterre beaucoup moins, mais ils ont vécu une révolution culturelle. Mai 68 n'a pas eu lieu en Angleterre mais c'est une époque de mouvement. 1989, chute du Mur de Berlin et 1969, dissolution des Beattles". Kes est le troisième long-métrage de Ken Loach et c'est "une source fondatrice. C'est dans ce film que son talent se révèle. Film très sensoriel, on le ressent au niveau de l'inconscient. Dans ce film, Ken Loach parle de lui. En tant que fils d'ouvrier, il sent que le monde ne lui appartient pas, qu'il faut le conquérir." Ici, c'est la famille qui est oppressante, voire aliénante. Plus tard dans sa filmographie, c'est la société qui tiendra ce rôle.

Kes est l'histoire d'un jeune garçon, Billy Casper, souffre-douleur de son frère, délaissé par sa mère et peu entouré à l'école. Dans un monde qui ne lui correspond pas, Billy trouve un échappatoire en apprenant à dresser un jeune faucon. Comme l'a dit à juste titre Jean-Pierre Darroussin, Kes est un film qui relève énormément du ressenti. L'histoire parmi tant d'autres d'un gamin malmené par la vie dans l'Angleterre de cette époque. Pourtant, Ken Loach nous touche profondément avec cette figure de gosse paumé qui ne demande qu'à se sentir un peu aimé et soutenu. Billy et son faucon c'est un grand cri de désespoir d'une jeunesse délaissée au bord du chemin. David Bradley (l'interprète de Billy que l'on ne verra malheureusement plus sur grand écran ensuite) est impressionnant par sa justesse mêlant à merveille cette timidité de l'enfant qui ne veut pas déranger mais cherche une petite place pour lui et ce petit côté voyou qu'il a endossé pour pouvoir survivre. Une interprétation sans fausse note aucune et un film majeur de la filmographie de Ken Loach.

Un pas de géant nous transporte dans l'univers de Cléo de 5 à 7 (1962) d'Agnès Varda, à deux pas de la Nouvelle Vague. C'est Thierry Frémaux qui prend le micro pour nous présenter ce film restauré cette année même par le CNC et Agnès Varda. Il en profite pour nous rappeler qu'Agnès Varda n'appartient pas officiellement à la Nouvelle Vague mais qu'elle a beaucoup travaillé autour de la bande de Truffaut, Godard, Rohmer, Chabrol et Rivette... et ça se voit à travers ses images.

Corinne Marchand endosse le rôle d'une jeune chanteuse qui attend des résultats d'analyse et s'angoisse, persuadée d'avoir une maladie grave et d'en mourir bientôt. On suit littéralement (90 minutes de film pour 90 minutes dans la vie de Cléo, de 5 à 6h30 et non de 5 à 7) Cléo pas à pas déambulant dans les rues de Paris, torturée par cette attente. C'est tour à tour auprès de sa gouvernante, de son amant, de son musicien, de son amie puis d'un soldat rencontré au hasard d'un chemin qu'elle s'épanche, ouvre son coeur et laisse sortir sa peur. Tous tentent de la rassurer, de lui ouvrir les yeux.

Mais Cléo de 5 à 7, c'est avant tout une fable sur le temps qui passe, l'histoire d'une femme admirée pour sa beauté qui réalise petit à petit que celle-ci s'envole avec les années et ouvre alors les yeux sur le monde qui l'entoure, réalisant ainsi que la vie peut être toute autre. Film d'une femme (peu nombreuses à être réalisatrices à cette époque, pas beaucoup plus nombreuses aujourd'hui non plus malheureusement) sur une femme. Film qui sent étrangement bon les années 60 et nous transporte dans un Paris d'un autre temps.

Dinard 2012 : les belles échappées de Marjane Satrapi

Posté par vincy, le 6 octobre 2012

Membre du jury du Festival du film Britannique de Dinard cette année, la touche-à-tout Marjane Satrapi savoure cette pause bretonne avant une année 2013 chargée.

Elle vient de boucler son troisième long-métrage, mais le premier qu'elle réalise en solo : La bande de jotas. Tourné en douze jours dans le sud de l'Espagne avec une équipe réduite de cinq personnes, elle a imaginé ce délire - tuer des gens sous prétexte que leur prénom commence par une jota - sans vraiment penser à le sortir en salles. "Je dans, je chante, je joue. J'ai même filmé mon mari en slip" explique-t-elle. L'idée n'était pas forcément de le sortir en salles. "Si c'était réussi, j'étais prête à le montrer à mes copains lors d'une projection spéciale". Mais voilà, un distributeur a aimé le projet. Urban distribution compte le sortir sur dix à quinze copies. Et l'auteure de Persépolis avoue désormais vouloir faire une série de films avec cette bande au fil des années qui passent. "Je suis fumeuse, je bois, il me reste quoi, trente ans à vivre. Un projet me prend trois ans..." La voici donc avide de profiter de son autonomie. Le film lui a coûté 40 000 euros, dont la moitié en production. "Je préfère mettre mon épargne dans un film que dans des vêtements, une maison de vacances ou ce genre de choses". Cette "chef d'entreprise", tel qu'elle se voit, un peu "communiste" au fond, a financé ce projet dans un esprit de coopérative : "je voulais une liberté totale". Elle s'est donnée les moyens de s'affranchir du qu'en dira-t-on et s'amuse à être là où on ne l'attend pas. Aucune BD en perspective et d'ailleurs, étrangement, même la belle affiche du film, stylisée, qu'elle nous montre sur son iPhone a été dessinée par son compositeur. Son talent graphique s'exprime autrement ces temps-ci.

Marjane Satrapi peint le matin. Elle prépare sa première exposition, qui débutera le 29 janvier à la galerie Jérôme de Noirmont (Paris 8e). L'après-midi, elle travaille sur son quatrième film, The Voices. Une commande américaine à partir d'un scénario de Michael Perry (Paranormal Activity 2). Une histoire de psychopathe qu'elle devrait tourner en avril prochain. "C'est un scénario irrévérencieux, pas moraliste" explique-t-elle. L'irrévérence, c'est ce qu'elle aime dans le cinéma britannique : "ils ont inventé le punk, les Monty Python, la pop..." C'est une des raisons  pour laquelle elle est ici, à Dinard.

L'autre raison c'est la curiosité. "C'est bien de découvrir, de rencontrer des films, des gens qu'on n'aurait jamais vu. Même les mauvais films nous apprennent des choses" nous confie-t-elle. Marjane Satrapi aime être dans les jurys. "Ce n'est pas pour le bel hôtel, ou parce qu'on m'offre du foie gras. J'ai les moyens d'aller dans ces hôtels et de l'offrir du foie gras". Et le cinéma anglais lui parle, qu'il soit drôle comme Joyeuses funérailles ou social. Fan d'Aki Kaurismaki, elle l'est aussi de Ken Loach. "Ce sont les deux seuls qui font un cinéma social où ce n'est pas un bourgeois qui regarde les pauvres dans un zoo. Ils font un cinéma humain, pas misérabiliste."

Avec un emploi du temps chargé, des projets plein la tête, un enthousiasme communicateur, un humour aussi franc qu'incorrect, Satrapi a un moteur qui tourne à l'envie. La vie est courte : il faut la remplir.

Lumière 2012: Ken Loach retrouve Eric Cantona

Posté par Morgane, le 21 septembre 2012

La remise du 4e Prix Lumière à Ken Loach aura lieu le samedi 20 octobre à l'Amphithéâtre du Centre des Congrès de Lyon. Mais qui donc allait remettre ce fameux prix au réalisateur britannique?

Eh bien ça y est, confirmation est faite : ce sera des mains d'Eric Cantona que Ken Loach recevra la "palme" du Festival... Et à la vue du film projeté pour cette soirée, le choix est plutôt judicieux puisque c'est Looking for Eric qui sera sur grand écran lors de cette soirée hommage. Parmi les invités on retrouvera la productrice Rebecca O’Brien et le scénariste Paul Laverty, tous deux associés de Ken Loach dans Sixteen Films. Bertrand Tavernier fera l'éloge du cinéaste en tant que Président de l'Institut Lumière.

Deux adeptes du ballon rond pour l'occasion... ce qui ne frustrera aucun supporter de l'Olympique Lyonnais, qui jouera le lendemain à domicile face à Brest. La clôture aura lieu d'ailleurs dans l'après midi de ce dimanche, pour ne pas subir la rivalité du match.

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Les autres films de Loach qui seront présentés lors du Festival.

Cathy Come Home (1969, 1h15, film BBC)
Kes (1969, 1h50)
Raining Stones (1993, 1h30)
Ladybird (Ladybird Ladybird, 1994, 1h42)
Land and Freedom (1995, 1h45)
Carla’s Song (1996, 2h07)
My Name is Joe (1998, 1h45)
The Navigators (2001, 1h36)
Sweet Sixteen (2002, 1h46)
Le Vent se lève (The Wind that Shakes the Barley, 2006, 2h04)
It’s a Free World de Ken Loach (2007, 1h36)
Route Irish (2010, 1h49)
Kes dans la nouvelle copie restaurée Park Circus.

Des documentaires sur Ken Loach seront montrés dont un film inédit Cinéastes et cinéma – Ken Loach’s Worlds de Richard Bean (2012, 52min)