Vesoul 2013 : Rencontre avec Kamila Andini

Posté par kristofy, le 11 février 2013

Vesoul 2013Le 19e Festival International des Cinémas d'Asie de Vesoul propose un Regard sur le cinéma indonésien composé de 22 films, du classique Après le couvre-feu de Usmar Ismail datant de 1954 à la première de The Blindfold, le dernier film de Garin Nugroho, le président du jury.

« Le cinéma indonésien est en pleine renaissance et fait preuve d'une grande effervescence créative » a ainsi expliqué Jean-Marc Thérouanne, délégué général du FICA de Vesoul. Des premiers films de jeunes cinéastes qui feront le cinéma indonésien de demain sont d'ailleurs présentés durant la semaine.

La jeune réalisatrice Kamila Andini est l'un de ces nouveaux talents à suivre en Indonésie. Son premier film The mirror never lies s’intéresse aux ‘gitans de  la mer’, la tribu Bajo dans le petit archipel de Wakatobi; dont le mode de vie est d’ailleurs méconnu de la plupart des Indonésiens. Il s’agit de nomades qui font de la mer leur maison, et qui ont construit au milieu de la mer des huttes sur pilotis au-dessus de l’eau. Cette communauté s’étend d’ailleurs jusqu’en Malaisie et aussi aux Philippines (là où d’ailleurs Brillante Mendoza a filmé son dernier film Thy Womb).

The mirror never lies suit une fillette d’une douzaine d’année qui voudrait voir dans un petit mirroir un reflet de son père, signe qu’il n’est pas mort après avoir disparu en mer. En parallèle, son meilleur ami voudrait lui dire qu’il est amoureux d’elle en utilisant la chanson d’un copain, sa mère dissimule ses émotions avec de la poudre blanche sur le visage, et un étranger en provenance de Jakarta arrive chez eux et dans leurs vies…

Rencontre avec la réalisatrice Kamila Andini.

Ecran Noir : La production de votre film The mirror never lies a duré 3 ans avant son tournage, quelles en ont été les étapes ?

Kamila Andini : En tant que cinéaste indépendante qui faisait son premier long métrage, le premier objectif était de trouver le financement, ce qui est difficile quand c’est un premier film, ça a pris beaucoup de temps. La deuxième chose concernait le lieu de tournage du village en mer qui est en fait plutôt éloigné de l’Indonésie. Pour mes recherches et la préparation j’ai fait plusieurs voyages aller-retour entre là-bas et le pays. A un moment où on était prêt à commencer le tournage il y a eu des complications de la météo, il nous fallait un beau temps calme et ensoleillé et il y a eu des tempêtes et plusieurs ouragans. La météo a ainsi été une cause de report du tournage à l’année d’après. Or, les enfants initialement choisis avaient changé et mué, on a dû recaster des enfants deux semaines avant de tourner.

EN : Comment la tribu Bajo qui vit en pleine mer a réagi en voyant arriver une équipe de cinéma ?

KA : Mes différents voyages chez eux ont justement permis une connexion de confiance avec eux avant le tournage, j’avais une petite caméra pour filmer des choses et le leur montrer ensuite, ils savaient ce que je faisais et que je voulais réaliser un film avec eux. La deuxième année ils attendaient que le tournage commence, ils étaient très content d’en faire partie, ce sont ceux qui y vivent qui sont mes acteurs. Le bouclage du financement tardait et eux me demandaient quand les gens de Jarkarta viendraient filmer. Notre équipe était composée de 25 personnes venant de Jakarta et les autres personnes de l’équipe étaient des pêcheurs. Plusieurs scènes du film sont devenues meilleures que ce que j’avais imaginé grâce à la participation des Bajo. Pour un endroit où j’avais besoin d’un bateau, il y en avait une cinquantaine qui arrivaient pour participer, du coup j’ai une longue file de bateaux à l’image et c’est magnifique. Pour moi le film c’est moins mon travail que notre travail collectif avec eux

EN : Ces enfant de l’île s’imaginent quitter la mer pour un jour aller dans les villes du continent, tandis que la plupart des gens en Indonésie ignorent tout de la façon de vivre de ces gens sur la mer, et pourtant certaines personnes comme vous rêvent d’aller là-bas…

KA : Oui, chaque endroit est en quelque sorte une oasis pour les gens d’un autre endroit, tout le monde s’imagine un ailleurs plus agréable. La perception de ce qui est mieux est différente pour chacun. Le plus grand problème des enfants de la mer est qu’ils n’ont vraiment pas beaucoup d’options pour ce qui est de quoi faire quand ils grandiront, c’est soit pêcheur ou soit enseignant pour d’autres enfants. C’est pour ça que les jeunes veulent aller dans une ville ou même dans un autre pays, ils souhaitent quelque chose de nouveau à vivre. Pour moi, en tant que femme qui vit dans une ville très urbaine, quand j’arrive chez eux je me dit que le bien-être est là-bas. Eux, ils n’ont pas vraiment besoin d’argent pour vivre, la nourriture est vraiment sous leur pied avec les poissons. Dans une ville on est dépendant de beaucoup de choses pour vivre, eux n’ont pas ce genre de besoin ce qui les rend peut-être plus libre, ils ont une sorte d’indépendance que j’aime, et particulièrement la relation qu'ils ont avec la nature.

EN : Pour votre second film The Seen and Unseen vous avez le soutien de la Résidence Cinéfondation du Festival de Cannes, ça se passe comment ?

KA : Il y a une centaines de postulants et ils choissent moins d’une dizaine de projets pour ensuite retenir six cinéastes qu’ils vont aider avec un séjour à Paris, un peu comme une bourse. Cette année il y a moi d’Indonésie, une personne du Costa Rica, du Brésil, un américain qui vit en Chine, un autre du Sri-Lanka, et aussi du Kirghizstan. Ils nous donnent accès à tous les cinémas, moi en Indonésie je ne peux pas voir autant de films différents. Ici à Vesoul c’est extraordinaire de voir autant de films de chaque partie de l’Asie alors j’en profite pour en voir beaucoup. En Indonésie, je n’ai jamais eu l’occasion de voir tous ces films du festival, chez moi il n’y a pratiquement aucun film de pays voisins. Vivre un peu en France avec cette Résidence je découvre d’autres films, et aussi l’art en général comme les peintures des musées, ça aide beaucoup pour notre créativité, on peut rencontrer différentes personnes qui travaillent dans le cinéma comme des producteurs ou des distributeurs. D’ailleurs mon film The mirror never lies n’a pas de distributeur français, alors qu’il y en a un par exemple pour une sortie au Japon. C’est difficile pour un film asiatique d’avoir un distributeur européen, j’espère que ça sera le cas pour mon prochain film.

Vesoul 2013 : Sinema Indonesia, un cinéma en suspens

Posté par kristofy, le 10 février 2013

Vesoul 2013Le 19e FICA de Vesoul a su organiser une sélection unique avec le Regard sur le cinéma indonésien : 1954 – 2013 dont son délégué général Jean-Marc Thérouanne souligne qu'elle est  "la première depuis 30 ans en France' et constitue "l'événement majeur du festival avec 22 films clés de l'histoire cinématographique de l'Indonésie".

Cette rétrospective unique en son genre a été accompagnée pour l’occasion du documentaire tout aussi unique Sinema Indonesia, un cinéma en suspens réalisé par Bastian Meiresonne et qui pour la première fois aborde le cinéma indonésien en mettant en perspective à la fois les problématiques de son passé et les perspectives futures. On y trouve notamment des interventions de Riri Riza (Atambua 39° celcius) et de Gareth Evans (The Raid).

Plusieurs générations de cinéastes indonésiens invités Garin Nugroho à montrer leurs films à Vesoul, dont Garin Nugrobo (The blindfold) [photo de droite], Kamila Andini (The mirror never lies), Nia Dinata (Love for share) et Sammaria Simanjuntak (Demi ucok), se sont par ailleurs réunis lors d’une table ronde publique pour mieux faire connaître le cinéma de leur pays .

Depuis les années 1910, époque de l’adaptation de pièces de théâtre et de légendes populaires, le cinéma indonésien a gagné en popularité. Après la guerre et l’indépendance du pays, la plupart des films se partageaient entre deux courants : le cinéma au service du gouvernement, et le cinéma commercial de divertissement.

Le nombre de films produits chaque année a progressivement baissé pour deux raisons : l’arrivée des films américains et ceux de Hong-Kong qui étaient beaucoup mieux et visibles gratuitement à la télévision, et les règles imposées par le gouvernement pour autoriser la production de films. Pendant longtemps, il a fallu d’abord soumettre son scénario à un comité, puis demander l’obtention d’une autorisation de tournage (avec des techniciens imposés), et enfin soumettre le film terminé à un autre comité…

Ainsi, jusqu’au début des années 2000, peu de films indonésiens se produisent et circulent. Pourtant, en moins de cinq ans, un renouveau s'est opéré (une vingtaine de films en 2002, plus de 80 films en 2008) en même temps que le retour du public dans les salles car les films sont bien meilleurs.

Néanmoins, l’Indonésie est toujours confrontée à un manque de structures à développer : il faut plus de circuits de distributions de films (les producteurs doivent eux-mêmes s’occuper de placer leurs films) et il faut plus de salles (environ 600 écrans pour plus de 260 millions d’habitants, une seule société gère tous les multiplexes). Bastian Meiresonne remarque même que ce sont les cinéastes de son documentaire et ceux invités à Vesoul qui font la promotion du cinéma indonésien et non le gouvernement du pays qui n’est pas assez impliqué dans la promotion et la défense de son identité culturelle (sur 2800 films produits depuis 1926 seulement 250 sont conservés dans une cinémathèque).

Garin Nugrobo se souvient de l’époque où faire un film était un combat :  "On n’était ni libre de choisir ses techniciens ni libre d’envoyer nos films dans des festivals étrangers, il fallait passer par les ambassades. Les années 90 ont été une période de transition économique, politique, et cinématographique. Pour faire des films il fallait dire Non au gouvernement. En 1998 mon film Feuille sur un oreiller a été sélectionné à Cannes mais je n’y suis pas allé car  je faisais parti du mouvement pour la destitution de Soeharto au pouvoir depuis 20 ans. On n’avait pas non plus accès aux connaissances du monde et pas aux films d’ailleurs. En 1994, j’ai reçu un prix dans un festival où dans le jury il y avait Quentin Tarantino et Pedro Almodovar, mais je ne savais pas qui ils étaient à ce moment-là."

Sammaria Simanjuntak est confrontée à d’autres difficultés : "pour produire mon film j’ai fait appel au crowfunding avec la participation au budget des internautes, mon film n’est pas assez commercial pour l’Indonésie et il n’est pas assez exotique pour les festival." Kamila Andini qui représente la nouvelle génération avec un second film en préparation à 26 ans a également une analyse pertinente : "Avant se posait la question de l’existence de notre cinéma, maintenant il s’agit de celle de sa consistance. On peut traiter de n’importe quel sujet mais il est difficile de s’imposer avec face à nous les films américains. On va se heurter au problème de la distribution de nos films face au poids de ceux de Hollywood et aussi face au poids grandissant d'internet où on peut tout trouver."