Et si on regardait… Un chant d’amour

Posté par vincy, le 25 mars 2020

Pour public averti.

Objet rare et donc précieux. Un chant d'amour est l'unique film de Jean Genet (1910-1986), écrivain, poète et dramaturge . Et cinéaste. En 1950, il réalise un court métrage, qui rassemble toutes ses obsessions et tous ses fantasmes, sa poésie et son érotisme.

Le film est visible à partir du portail Open Culture et via You Tube.

Il s'agit d'un film de voyeur. Une prison. Des hommes enfermés dans leur solitude et leurs désirs. Un gardien qui joue de son statut, un brin sadomasochiste sur les bords. La sexualité est à la fois frontale - osée même -, et florale. Phallique et onirique.

La photo noir et blanc sublime cette atmosphère mystérieuse, virile, sensuelle. Un homme danse bite à l'air. Un autre fouraille un slip avec sa main. On inhale de la fumée par un trou entre deux murs. On fait ouvrir la bouche en grand pour y placer un pistolet. Les métaphores psychanalytiques, de la masturbation à la domination, se mélangent aux images de sexes ardents masculins et de rêves évanescents romantiques. Autant de chimères qui se marient aux pulsions.

Car, aussi tendre que désespéré, Un chant d'amour dévoile surtout la souffrance de ces hommes, dans une poésie visuelle qui ne cache rien de leurs tourments. Genet magnifie le mâle dans ce lyrisme brut, avec un montage très découpé et des visages expressifs, hérités du cinéma muet. Il s'agit d'un film sans paroles. Ponctué par des séquences chorégraphiques contemporaines. Passant de la réalité à l'illusion. L'image est l'écrit.

C'est sans aucun doute pour cela qu'il est réussit. La beauté des corps et le sordide du décor ne font qu'un, renvoyant l'homosexualité dans une forme de clandestinité, de secret assumé, de consentement tacite mais inavouable.

Cette passion entre voyous, tendue comme une érection sous un jean, attirante comme des lèvres entrouvertes, douloureuse comme la sentence que l'on craint, est en effet un chant d'amour aux jeux interdits et à l'homoérotisme. Mais pas seulement: à la liberté. Car derrière l'envie de baiser, il y a aussi l'espoir de le faire à l'air libre, dans la forêt, loin des barreaux qui condamnent les invertis.

Nikos Papatakis rejoint les abysses (1918-2010)

Posté par vincy, le 23 décembre 2010

Né en Éthiopie, décédé à Paris, le réalisateur-producteur-scénariste d'origine grecque Nikos (ou Nico) Papatakis s'est éteint le 17 décembre dernier. Provocateur, engagé, intellectuel, sa vie fut presque passionnante que sa filmographie. "Ennemi du pouvoir et défenseur des humiliés" comme l'écrit Il Manifesto.

Il fut soldat dans la Corne de l'Afrique, avant de devoir s'exilé au Liban puis en Grèce avant de s'installer à Paris en...1939. L'époque est sombre mais il y fréquente les meilleurs : Jean-Paul Sartre, André Breton, Jacques Prévert, Robert Desnos, Jean Vilar et se lie d'amitié avec le sulfureux Jean Genet, prince de la perversion et de la subversion. Ironiquement, ces deux destins se sont croisés de bout en bout. Papatakis est mort, à deux jours près, cent ans après la naissance de son ami Genet.

En 1947, il créé le cabaret La Rose Rouge, à Saint-Germain-des-Prés. Il en a presque inventé l'esprit jazz-intello-chansonnier qui a fait la réputation du quartier. Il fait éclore Juliette Gréco et lance les Frères Jacques. En 1951, il épouse la jeune Anouk Aimée, bien avant Un homme et une femme. Il sortira plus tard avec un mannequin allemand, Nico, égérie d'Andy Wahrol et du Velvet Underground, une actrice grecque Olga Karlatos.

Mais c'est le cinéma qui le happe. C'est le début d'une histoire maudite entre lui et le 7e art.

Pour commencer, il produit un court métrage de Genet, Un chant d'amour, dont la photo est signée Jean Cocteau. La censure empêchera de le voir avant 1975. En 1959, il rencontre John Cassavetes, qui manque d'argent pour finir Shadows. Papatakis trouve les financements nécessaires et de vient coproducteur. Il se met alors à vouloir se lancer dans la réalisation. En 1963, il adapte la pièce culte de Genet, Les bonnes, d'après le fait divers des Soeurs Papin. Le film, intitulé Les abysses, est présenté à Cannes où il fait scandale.

Jamais assagi, il se lance en 1968 dans Les Pâtres du désordre, film qui dénonce le régime dictatorial des Colonels grecs. Il sort en plein mai 1968 ce qui le conduit au fiasco.

Il revient en 1975 avec Gloria Mundi, qui évoque la torture en Algérie. Mais un attentat à la bombe dans un cinéma parisien le retire immédiatement de l'affiche. Sa version retouchée, en 2005, rencontrera un joli succès en Grèce.

En 1986, il présente La photo à la Quinzaine des réalisateurs et en 1991, il boucle la boucle avec un portrait de Jean genet, interprété par Michel Piccoli dans Les Equilibristes. Présenté à Venise, le film est conspué par les admirateurs de l'écrivain.

En 2003, il publie ses mémoires, Tous les désespoirs sont permis (Fayard).

Il a voué sa vie à la passion et à la marginalité, à l'existentialisme et à l'amour. "L'idée communément admise est que l'amour, c'est formidable. C'est totalement faux : c'est terrible l'amour, il faut être extrêmement costaud pour pouvoir vivre ça!", s'exclame en 2005 le cinéaste. Il aura bien résisté.