[We miss Cannes] Le cinéma sud-coréen en vedette sur la Croisette

Posté par kristofy, le 17 mai 2020

Si 2019 devait être symbolisée par un seul film ce serait évidement Parasite de Bong Joon-ho : à l'international, il a gagné plus de 200 récompenses en plus d'avoir été un grand succès en salles un peu partout. #ParasiteMadeHistory aux Oscars : il a réalisé l'exploit d'en remporter 4 (Meilleur film, Meilleur film international, Meilleur réalisateur, Meilleur scénario original). Et le détonateur aura été la Palme d'Or du Festival de Cannes 2019. C'est la première fois dans l'histoire du cinéma de Corée du Sud qu'un film provoque une telle adhésion populaire. Et ce n'est pas le seul film coréen à s'être imposé très largement au delà de ses frontières grâce à l'appui de Cannes.

Déjà en 2004 Old Boy de Park Chan-wook avait frôlé lui aussi la Palme d'or, et a terminé son beau parcours en recevant le Grand Prix. Depuis le début des années 2000 le cinéma coréen est l'un des plus dynamiques dans les festivals, devenant culte, souvent après coup. Le Festival de Cannes y a largement contribué. D'abord avec des films d'auteurs qui vont devenir de grands noms du cinéma mondial, puis avec des films de genre qui vont s'imposer comme des références. Bref un plaisir de cinéphiles sans cesse renouvelé par des scénarios maîtrisés et des mises en scène souvent épatantes.

Durant les années 1980 et fin des années 1990 le cinéma de Corée du Sud est en quelque sort encore considéré comme 'émergent'. Quelques films figurent dans certaines sections du Festival de Cannes comme dans celle Un Certain Regard : Le Rouet, l'histoire cruelle des femmes de Lee Doo-yong en 1984, la découverte de Hong Sang-soo pas encore connu avec Le Pouvoir de la province de Kangwon en 1998 et La Vierge mise à nu par ses prétendants du même réalisateur en 2000 (ces films ne sortiront dans les salles françaises qu'en 2003).

En sections parallèles La Semaine de la Critique découvre Christmas in August de Hur Jin-ho en 1998 et La Quinzaine des Réalisateurs révèle Le Printemps dans mon pays natal en 1998 aussi et surtout en 2000 Peppermint Candy de Lee Chang-Dong.

La Sélection officielle a été plus patiente. Outre une séance spéciale en 1994 de Vanished de Shin Sang-ok (à 59 ans après de nombreux films depuis les années 1960), il faut attendre le début des années 2000 pour que la Corée du Sud soit remarquée en compétition avec le réalisateur Im Kwon-taek (à plus de 60 ans, aussi après déjà de nombreux films depuis les années 1960) : en 2000 Le Chant de la fidèle Chunhyang puis en 2002  avec Ivre de femmes et de peinture.

Dès lors les choses bougeront un peu plus vite. Cannes va devenir plus réactif sous le règne de Thierry Frémaux, qui va sélectionner Park Chan-wook et Bong Joon-ho (Parasite, Okja, Mother; avant son The Host - plus gros succès coréen en 2006 - était à La Quinzaine des Réalisateurs).

Le réalisateur Park Chan-wook (Old Boy, Thirst, ceci est mon sang, Mademoiselle) et les acteurs star Choi Min-sik (Ivre de femmes et de peinture, Old Boy) et Song Kang-ho (Secret Sunshine, Thirst ceci est mon sang, Le bon, la brute et le cinglé, Parasite) sont donc devenu très familiers du tapis rouge.

Le palmarès du cinéma coréen au Festival de Cannes :

2002 : meilleur réalisateur pour Im Kwon-taek avec Ivre de femmes et de peinture (son 100ème film !)
2004 : Grand Prix pour Old Boy de Park Chan-wook
2007 : meilleure actrice pour Jeon Do-yeon dans Secret Sunshine de Lee Chang-Dong
2009 : prix du jury pour Thirst, ceci est mon sang de Park Chan-wook
2010 : prix du scénario pour Poetry de Lee Chang-dong
2016 : prix technique Vulcain pour la directrice artistique Seong-Hie Ryu avec Mademoiselle de Park Chan-wook
2019 : palme d'or pour Parasite de Bong Joon-ho

Mais ils ne sont pas les seuls, Cannes a aussi accueilli dans l'une ou l'autre de ses sections d'autres grandes personnalités du cinéma coréen, comme Hong Sang-soo avec une grande partie de ses films. On y a aussi vu plusieurs fois donc Bong Joon-ho (The HostMother, Okja, Parasite), le réalisateur Kim Ki-Duk (L'Arc, Arirang, Souffle), Im Sang-soo (The Housemaid, L'ivresse de l'argent), Lee Chang-dong (Secret Sunshine, Burning)... Autant de variations stylistiques (et thématiques) en provenance d'un des pays à la cinématographie chaque année plus riche.

Mais si le cinéma sud-coréen brille plus que tout autre pays, c'est grâce à ses films d'action, ses films de genre et ses polars, ou plus largement le 'cinéma de genre'. Park Chan-wook et Boon Jong-ho en sont les parfaits exemples, et finalement les deux maîtres (avec aussi Kim Jee-woon). Cannes n'est pas passé à côté de ce phénomène particulier en y invitant (souvent en séance de minuit) Na Hong-jin avec ses 3 films (The Chaser, The Murderer, The Strangers), Kim Jee-woon (le jouissif Le bon, la brute et le cinglé), Yen Sang-ho (Dernier train pour Busan, devenu culte, et dont la suite Peninsula était attendue à Cannes cette année), Yoon Jong-bin (The spy gone North), Lee Won-jae (le percutant et malin Le gangster, le flic et l'assassin).

Les sections parallèles ont elles aussi su dénicher et mettre en avant d'autres films coréen comme Bedevilled de Jang Cheol-soo et Coin Locker Girl de Han Jun-hee à La Semaine de la Critique; La Quinzaine des Réalisateurs a souvent été initiatrice des premières sélections de certains grands noms comme évidemment Bong Joon-ho (The Host), Ryoo Seung-wan (Crying Fist, avec Choi Min-sik), Yeon Sang-ho (The kings of pigs, en animation), Kim Sung-hoon (Hard day)...

Et c'est dans la section Un Certain Regard qu'une femme réalisatrice a eu l'honneur d'être présente au Festival de Cannes : July Jung et son A girl at my door, avec la star Bae Doo-na.

Berlin 2020: l’Ours d’or pour l’iranien Mohammad Rasoulof

Posté par vincy, le 29 février 2020

La 70e Berlinale, entre coronavirus menaçant et compétition décevante, s'est achevée. Au moins le public a répondu présent à cette édition, la première de l'ère post-Dieter Kosslick, avec Carlo Chatrian, ex-directeur artistique du Festival de Locarno, qui a transformé la Berlinale en un festival plus pointu (peut-être trop).

Les cinémas latino-américains, italiens et même français (surtout à travers les coproductions ont plutôt brillé dans les différents palmarès qui se sont succédés depuis hier.

C'est un choix politique et courageux d'avoir décerné l'Ours d'or au cinéaste iranien Mohammad Rasoulof. Le réalisateur, primé à Cannes en 2017 pour son film Un homme intègre, a été condamné en Iran le 23 juillet dernier à un an de prison ferme suivi de deux ans d'interdiction de sortie de territoire et d'interdiction de se livrer à une activité sociale et politique. Déjà, en 2011, il avait été condamné à un an de prison et en 2013, l'Iran lui avait déjà confisqué son passeport. Depuis septembre 2017, le cinéaste ne pouvait plus circuler librement, travailler et se rendre à l'étranger.

Malgré les interdictions qui le frappent et à l'instar de son compatriote Jafar Panahi, le réalisateur a pu tourner ce film assez long composé de quatre histoires avec Heshmat, Pouya, Javad et Bahram, quatre personnages face à des doutes et des dilemmes, qui sont incapables de tuer malgré le prix à payer.

10 ans après son Prix d'interprétation masculine au 63e Festival de Cannes pour La nostra vita, Elio Germano est sacré à Berlin. Et 5 ans après son Léopard d'or au Festival international du film de Locarno pour Un jour avec, un jour sans, Hong Sang-soo repart avec l'Ours du meilleur réalisateur. Enfin, la réalisatrice américaine Eliza Hittman, révélée avec Beach rats à Sundance, il y a trois ans, repart avec le Grand prix du jury.

Compétition

Ours d'or: Sheytan vojud nadarad (There Is No Evil) de Mohammad Rasoulof
Grand prix du jury: Never Rarely Sometimes Always d'Eliza Hittman
Ours d'argent du meilleur réalisateur: Hong Sang-soo pour Domangchin yeoja (La femme qui court)
Prix d'interprétation féminine: Paula Beer dans Undine de Christian Petzold
Prix d'interprétation masculine: Elio Germano dans Volevo nascondermi (Hidden Away) de Giorgio Diritti
Prix du scénario: Favolacce (Bad Tales) de Damiano et Fabio D'Innocenzo
Prix du jury : Effacer l’historique de Benoît Delépine et Gustave Kervern
Contribution artistique: Le directeur de la photo Jürgen Jürges pour DAU. Natasha de Ilya Khrzhanovskiy et Jekaterina Oertel

Section Encounters
Meilleur film: The Works and Days (of Tayoko Shiojiri in the Shiotani Basin) de C.W. Winter et Anders Edström
Prix spécial du jury: The Trouble With Being Born de Sandra Wollner
Meilleur réalisateur: Cristi Puiu pour Malmkrog
Mention spéciale pour la réalisation: Matias Piñeiro pour Isabella

Sélection officielle

Prix du meilleur documentaire: Irradiés (Irradiated) de Rithy Panh
Mention spéciale du jury documentaire: Aufzeichnungen aus der Unterwelt (Notes from the Underworld) de Tizza Covi et Rainer Frimmel

Prix du meilleur premier film : Los conductos de Camilo Restrepo
Mention spéciale du jury premier film: Nackte Tiere (Naked Animals) de Melanie Waelde

Audi Short Film Award (court métrage): Genius Loci de Adrien Mérigeau
Ours d'or court métrage: T de Keisha Rae Witherspoon
Ours d'argent court métrage: Filipiñana de Rafael Manuel

Section Panorama
Prix du public fiction: Otac (Father) de Srdan Golubovic
- 2e place: Futur Drei (No Hard Feelings) de Faraz Shariat
- 3e place: Hap (Hope) de Maria Sødahl
Prix du public documentaire: Welcome to Chechnya de David France
- 2e place: Saudi Runaway de Susanne Regina Meures
- 3e place: Petite fille (Little Girl) de Sébastien Lifshitz

Teddy Award
Meilleur film: Futur Drei (No Hard Feelings) de Faraz Shariat
Meilleur documentaire: Si c’etait de l’amour (If it Were Love) de Patric Chiha
Meilleur court métrage: Playback, Ensayode una despedida d'Augustina Comedi
Prix du jury: Rizi (Days) de Tsai Ming-Lang
Prix du public: Futur Drei (No Hard Feelings) de Faraz Shariat

Section Generation Kplus (jeunesse)
Meilleur film: Sweet Thing d'Alexandre Rockwell
Mention spéciale: H Is for Happiness de John Sheedy,
Meilleur court métrage : El nombre del hijo (The Name of the Son) de Martina Matzkin
Mention spéciale: El sghayra (Miss) d'Amira Géhanne Khalfallah

Section Generation Kplus (international)
Meilleur film: Los Lobos (The Wolves) de Samuel Kishi Leopo
Mentions spéciales: Mignonnes (Cuties) de Maïmouna Doucouré ; Mamá, mamá, mamá (Mum, Mum, Mum) de Sol Berruezo Pichon-Rivière
Meilleur court métrage: El nombre del hijo (The Name of the Son) de Martina Matzkin
Mention spéciale: The Kites de Seyed Payam Hosseini

Berlin 2020 : La Femme qui court, un Hong Sang-soo en demi-teinte

Posté par MpM, le 27 février 2020

Hong Sang-soo tourne tellement qu'il parvient à être à la fois un habitué de Cannes, de Locarno et de la Berlinale. Deux ans seulement après le très bon cru Grass présenté au Forum, il est donc de retour à Berlin, et en compétition qui plus est, avec son nouveau film La femme qui court (à ne pas confondre avec son autre nouveau film, Hotel by the river, qui sort le 22 avril en France).

Dans ce nouvel opus, changement de décor : le film s'ouvre sur un plan rapproché de poules, puis sur une femme qui jardine. Nous sommes à la campagne, dans un pavillon tranquille et reculé en banlieue de Séoul, où l'héroïne Gamhee (Kim Minhee, l'interprète désormais fétiche de Hong Sang-soo) vient rendre visite à l'une de ses amies. La structure sera comme toujours symétrique : trois rencontres, trois successions de conversations à bâtons rompues, et une multitude de similarités, de variations et de non-dits.

Malgré ce dispositif presque austère qui repose principalement sur les dialogues, il se dégage du film une impression appuyée de romanesque, en raison d'un foisonnement de personnages et d'intrigues secondaires réelles, supposées, suggérées ou même cachées. On a alors plus que jamais l'impression d'une immense connexion entre tous les éléments du film, et on se prend à imaginer les histoires qui se dissimulent derrière le récit principal, et dont la plupart nous sont invisibles. Il y a cette jeune fille qui va à un entretien d'embauche avec une gueule de bois, un voisin dont l'épouse a peur des chats, un poète harceleur, une jeune femme en admiration devant l'écrivain qu'elle interview... Sans oublier des personnages qu'on ne voit jamais, et qui sont pourtant source de nouvelles histoires : le voisin du dessus, le mari de Gamhee, la femme disparue...

L'intuition que tous sont liés d'une manière ou d'une autre (même si on n'en aura jamais de confirmation concrète) est renforcée par un motif propre lui-aussi au cinéma de Hong Sang-so, le jeu d'échos permanent entre les différentes parties du film et les petits détails qui se répondent et se complètent. Car ce qui relie les personnages de La femme qui court est peut-être tout simplement leur plus petit dénominateur commun, à savoir leur part d'humanité, une question qui ne cesse d'obséder le réalisateur coréen depuis ses premiers films, et dont une carrière entière ne suffirait à faire le tour.

Si l'on prend son oeuvre sous cet angle, pas étonnant que Hong Sang-soo tourne tant, et que ses détracteurs (de mauvaise foi) aient le sentiment de voir sans cesse le même film. C'est que la condition humaine, puisque c'est bien ça dont il est question, mérite bien quelques variations répétées sur le thème de l'amitié et de l'amour, sur la manière dont on communique les uns avec les autres, ou celle dont on vit ensemble, séparément, ou les uns à côté des autres, en harmonie ou dans l'indifférence.

Quelle surprise, c’est le couple qui est au centre de son nouveau film, comme des préoccupations des personnages. Des couples que l’on ne voit jamais, mais qui sont abondamment évoqués dans les longues conversations que Damhee a avec ses amies. On est d’ailleurs dans la situation presque caricaturale d’un film réunissant principalement des personnages féminins (les hommes sont des figurants et des silhouettes, et souvent ils n’ont pas le beau rôle) qui passent néanmoins la majorité de leur temps à parler d’hommes. On croit, à deux reprises, que le film suggère des relations lesbiennes. Mais c’est bien le couple hétéro-normé qui occupe tout l’espace.

Comme souvent avec Hong Sang-soo, ce qui est dit compte moins que ce qui est suggéré ou tu. À l’une de ses amies, qui vient de divorcer, l’héroïne déclare que son ex-mari (metteur en scène) mérite d’échouer. Elle n’en dira pas plus, mais la référence à la situation du réalisateur lui-même, qui a quitté sa femme pour Kim Minhee, est transparente. Même chose avec cette autre jeune femme qui se plaint que son compagnon parle trop, et pour dire toujours la même chose, qui résonne avec les propos de Damhee elle-même. Cette dernière raconte en effet à ses trois amies, sensiblement dans les mêmes termes, qu'elle est séparée pour la première fois de son mari depuis leur mariage, cinq ans auparavant. Et d'expliquer que pour lui, lorsqu'on s'aime, on doit rester ensemble en permanence. Rien de plus n'est dit, mais le spectateur s'interroge : pourquoi avoir soudain dérogé à cette règle ?

Le reste du film est tout à fait dans la lignée du cinéma habituel de Hong Sang-soo : plans fixes, mouvements lents de caméra qui zooment et dézooment, longs dialogues. L'alcool, de même que le cinéma et la création en général, jouent un rôle moins important que parfois, mais ne sont pas totalement absents pour autant. Les conversations sont souvent terre-à-terre ou à double lecture (comme ce coq méchant qui assoit son autorité en arrachant les plumes des poussins). Les animaux, de manière générale, reviennent à plusieurs reprises, avec une mention spéciale à la séquence totalement burlesque dans laquelle un homme vient se plaindre parce que ses voisines nourrissent les chats errants, et qu'elles lui répondent en substance : "que peut-on y faire ? Les chats ont besoin de manger", suivie de l'apparition (adorable) d'un chat qui vient corroborer leurs propos.

On est donc immanquablement en terrain connu, dans l'un de ces Hong Sang-soo mineurs auxquels on n'a pas grand chose d'autres à reprocher que de ne pas tout à fait répondre à nos attentes. Peut-être tout simplement parce que le récit est moins fluide que dans des films comme Un jour avec, un jour sans, Seule sur la plage la nuit ou Grass, pour ne citer que les plus récents, et que la construction paraît aussi plus relâchée, moins millimétrée, et le propos tout simplement moins fort. On est comme le cinéaste fasciné par la nature humaine et ses manifestations, mais parfois le miroir qu'il nous tend renvoie une image trop minuscule pour véritablement nous passionner.

Vesoul 2020 : Regard sur le cinéma tibétain et hommage à Ronit Elkabetz

Posté par kristofy, le 11 février 2020

La ville de Vesoul, en Haute-Saône, devient comme chaque année le temps d'une large semaine une capitale asiatique : du 11 au 18 février le 26e Festival International des Cinémas d'Asie de Vesoul vous ouvre ses portes avec 84 films en provenance de 24 pays, dont 40 films inédits accompagnés d'autant d'invités. Comme toujours, on y met en lumière des cinématographies parfois raresn du continent asiatique au sens géographique, du proche à l'extrême orient : Afghanistan, Bangladesh, Chine, Corée, Inde, Indonésie, Iran, Japon, Kazakhstan, Liban, Myanmar, Philippines, Sri Lanka...

Cette année le FICA de Vesoul va mettre particulièrement à l'honneur le Tibet, avec pour la première fois une rétrospective sur ce cinéma: l'ensemble des films du réalisateur Pema Tseden (qui est d'ailleurs le seul a avoir gagné deux fois le Cyclo d'Or à Vesoul) et ceux de Sonthar Gyal, en plus de découvertes.

Les deux autres pays mis en avant seront Israël par le biais d'un hommage particulier à l'actrice Ronit Elkabetz, et le Japon avec notamment des films d'Akira Kurosawa et le meilleur de l'animation récente avec Les enfants du temps, Le mystères des pingouins, ou encore Millennium actress.

Une nouvelle fois le Festival sera riche de multiples sections, avec une compétition documentaires, une thématique "Liberté, Egalité, Créativité", qui sera l'occasion de voir ou revoir une vingtaine de classiques éclectiques tels Conte des chrysanthèmes tardifs de Mizoguchi Kenji (1939), Le Héros de Satyajit Ray (1966), Dunia de Jocelyne Saab (2005), Taxi Téhéran de Jafar Panahi (2015)...

Il y aura en avant-première Hotel by river de Hong Sang-so, le délicat et sensible Wet season d'Anthony Chen, ou le nouveau film de Pema Tseden, Balloon.

Enfin, la compétition internationale de 9 films (encore sans distributeur en France) sera arbitrée par le jury, présidé par Jay Jeon (directeur du Festival International du Film de Busan en Corée), lui-même entouré de Yuliya Kim (directrice du Festival International du Film d’Almaty au Kazakhstan, et productrice), Joji Alonso (productrice aux Philippines) et Ariel Schweitzer (critique, en Israël).

La compétition:

  • Hava, Maryam, Ayesha, de Sahraa Karimi (Afghanistan)
  • Saturday Afternoon, de Mostofa Sarwar Farooki (Bangladesh)
  • Changfeng Town, de Wang Jing (Chine)
  • A Bedsore, de Shim Hye-jung (Corée du sud)
  • Just Like That, de Kislay (Inde)
  • Among the Hills, de Mohammad Reza Keivanfar (Iran)
  • Mariam, de Sharipa Urazbayeva (Kazakhstan)
  • John Denver Trending, de Arden Roz Condez (Philippines)
  • Children of the Sun, de Prasanna Vithanage (Sri Lanka)

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26e Festival des Cinémas d'Asie de Vesoul

Du 11 février au 18 février 2019
Informations pratiques sur le site de la manifestation

Cannes 2019: le Festival, décor de cinoche, et pas que chez Les Nuls

Posté par vincy, le 21 mai 2019

Avec ou sans festival, il sont nombreux les films a avoir pris la Croisette comme décor. L’enfilade d’hôtels et de palmiers sous le ciel azur de la riviera, tout comme Nice, est un parfait arrière-plan glamour, pour un thriller, une « romcom » ou une parodie.

Pour les 25 ans de La Cité de la peur, d’Alain Berbérian, hit culte avec Les Nuls (Chabat, Lauby, Farrugia et toute une bande de guests), Cannes Classics a projeté le 16 mai, le film restauré en 4K, en présence des trois Nuls, sur le Cinéma de la Plage.

Entre les cons de mimes sur la Croisette, la scène du Palais où on danse la Carioca, l’attachée de presse dépassée par « toutes ses pressions », la sous-préfète accro aux marches et aux flashs, et les salles miteuses du marché où l’on passe des séries Z : tout y passe. Le Festival de Cannes est parodié pour notre plus grand plaisir (ne vomissez pas Simon).

Le Festival, en 25 ans, a bien changé. Sauf peut-être pour les attachés de presse (mais ce n’est pas une raison pour les jeter du taxi).

Paradoxalement les films qu’il inspire sont tous sauf « cannois » : des films de genre, souvent violents, ou des farces. Il y a une exception, la plus récente : La Caméra de Claire de Hong Sang-soo, avec Isabelle Huppert et Kim Min-hee. Le cinéaste sud-coréen filme une rencontre entre une productrice de cinéma et une photographe française, dans l’envers du décor du festival. Le film a été tourné pendant le Festival, alors qu’Huppert présentait Elle de Paul Verhoeven, et a été sélectionné en séances spéciales.

Sinon, c’est souvent Hollywood qui a fantasmé le festival. En 2002, Brian de Palma filme les toilettes du Palais pour une scène torride de Femme fatale, lors de l’avant-première d’un film de Régis Wargnier. Dans Panique à Hollywood (2008), un réalisateur (Robert de Niro) doit changer la fin de son film sur ordre de sa productrice. S’il ne s’exécute pas, son film n’ira pas en compétition. Le Festival, enfer ou sacralisation ? Souvent le Festival est anecdotique, et ne fait qu’illustrer le couronnement d’un personnage.

Bien plus loin dans le temps, en 1979, dans Un scandale presque parfait, c’est un jeune cinéaste (Keith Carradine), un producteur italien (Taf Vallone) et son épouse (Monica Vitti) qui jouent un triangle amoureux lors d’un Festival, qui, ici, sert de prétexte. A la même époque, en 1978, c’est une prise d’otage qui interrompt une projection d’un film en compétition : Evening in Byzantium, avec Glenn Ford et Patrick Macnee, est un navet. En 1982, Les Frénétiques (The Last Horror Film), de David Winters est aussi un avant-goût du film des Nuls, entre épouvante et comédie. Cette fois on est dans la peau d’un fan, un chauffeur de taxi new yorkais cinéphile qui veut devenir cinéaste, et cherche à embaucher une actrice qui est à Cannes. Cette série B a été tournée durant le festival de 1982, avec Isabelle Adjani, Kris Kirstofferson et Marcello Mastroianni croisés à l’image.

Cannes reste malgré tout une affaire de rire. Avec Les vacances de Mister Bean en 2007 (Gilles Jacob donna les autorisations en grand fan de Rowan Atkinson) ou Les vacances de Noël (en 2005), faux docu tourné lors du Festival 2004, sur l’entarteur Noël Godin. On peut aussi citer Cannes Man, en 1996, une comédie avec un producteur pourri, où John Malkovich, Dennis Hopper, Benicio del Roro, Chris Penn, Johnny Depp, Jim Jarmusch, Bryan Singer, et Menahem Golan apparaissent à l’écran.

Mais finissons sur un pastiche français, et primé pour son scénario à Cannes : Grosse fatigue de Michel Blanc, qui fait une incartade au Festival puisque le sosie du « Bronzé » s’incruste dans la suite de Depardieu (clin d’œil : Blanc a été primé à Cannes pour son interprétation dans Tenue de soirée, avec Depardieu). L’acteur, à cause de son double maléfique, est accusé d’avoir violé Josiane Balasko, Charlotte Gainsbourg er Mathilda May. Un goujat à Cannes qui rappelle finalement un autre film, bien réel : les frasques d’Harvey Weinstein sur la Croisette. Parfois la fiction a un temps d’avance sur la réalité.

Maintenant, vous pouvez quitter votre écran et selon l’heure, prendre un doigt de whisky, des gencives de porc ou un chewing-gum en revoyant La Cité de la peur, qu’on peut revoir mille fois avec mille personnes… non, on peut le voir une fois avec mille personnes, mais on ne peut pas le revoir mille fois avec mille personnes. Non, on peut le voir une fois avec mille personne mais on ne peut pas le revoir mille fois avec une personne. Bref il ne peut rien vous arriver d’affreux à Cannes après avoir vu tous ces films. Sauf si vous êtes projectionniste.

Les 18 qui ont fait 2018

Posté par vincy, le 1 janvier 2019

Juliette Binoche
On l'a vue chez Kawase et Denis, dans les forêts japonaises et dans l'espace. Nommée pour la 10e fois aux César en février, future présidente du jury de la prochaine Berlinale, elle est aux avant-postes de L'affaire du siècle, la pétition pro-écolo qui veut attaquer l'Etat français pour "crime" environnemental contre l'humanité.

Laure Calamy
Vedette incontestable de la série Dix pour cent, elle a brillé en second-rôle dans des films promis aux César, Nos batailles et Mademoiselle de Joncquières, sans oublier son passage dans Roulez jeunesse. Tout terrain, la comédienne, attendue chez Bertuccelli, Hamidi, Triet et Lespert, a été sacrée par un Molière de la comédienne dans un spectacle de théâtre privé pour Le Jeu de l'amour et du hasard.

Timothée Chalamet
En un an, il se sera imposé comme l'étoile montante à Hollywood. Nommé aux Oscars pour Call Me by Your Name, à l'affiche de Lady Bird et Hostiles, deux films chouchoutés par la critique, il a déjà une deuxième nomination consécutive aux Golden Globes avec Un Garçon magnifique (My Beautiful Boy) de Felix Van Groeningen, qui sort en février. Depuis il a enchainé The King de David Michôd pour Netflix, The French Dispatch de Wes Anderson, Les Quatre Filles du docteur March de Greta Gerwig et prépare Dune de Denis Villeneuve.

Bradley Cooper
Difficile d'échapper à cette star francophone cette année. Il est toujours la voix de Rocket Raccoon dans Avengers, qu'on retrouvera en mai pour le final. Il a aussi retrouvé Clint Eastwood avec La Mule, sorti en fin d'année aux USA et joli succès au box office. Mais c'est évidemment avec A Star Is Born qu'il a marqué les esprits: Il en est l'acteur principal et le producteur, avec Eastwood. Il en est surtout le réalisateur. Son premier film a révélé Lady Gaga en actrice, récolté 5 nominations aux Golden Globes, et amassé près de 400M$ de recettes dans le monde.

Penélope Cruz
Omniprésente, l'actrice espagnole a enchaîné les promos avec Escobar, Everybody Knows, film d'ouverture de Cannes, la série American Crime Story - Versace qui lui a valu plusieurs nominations, dont une aux prochains Golden Globes. Elle a aussi amené du glamour à Paris en recevant un César d'honneur en février. La Cruz continue sa carrière globe-trotter en passant du nouvel Almodovar, celui à qui elle doit beaucoup, Douleur et Gloire, au nouvel Olivier Assayas, Wasp Network.

Alfonso Cuaron
Un Lion d'or à Venise, de probables nominations aux Oscars. Cuaron est incontestablement l'un des grands cinéastes de ce début de siècle, tant par ses succès passés que par le prestige de son œuvre. Roma a fait l'événement: un film ample, splendide, hors des sentiers battus (noir et blanc, en dialecte mexicain, sans structure narrative classique). Sa diffusion sur Netflix a provoqué le débat de l'année sur la chronologie des médias en Italie, en France, aux Etats-Unis. En se différenciant de la production hollywoodienne par son style et sa diffusion, Roma est, quelque part, le symbole d'une époque en mutation.

Michael B. Jordan
Et si c'était lui la star de demain? On va commencer à le croire. Il est l'un des "héros" du hit de l'année, Black Panther. Il est la tête d'affiche de la suite de Creed, gros succès aux USA en fin d'année, prolongeant ainsi la franchise Rocky avec classe. Il a aussi produit et joué dans Kin le commencement, et foulé le tapis rouge de Cannes avec le remake de Fahrenheit 451, téléfilm HBO. Michael B. Jordan enchaîne les projets pour le cinéma et la télévision, acteur comme producteur. Last but not least, il est apparu dans le clip de Family Feud de Jay-Z et Beyoncé.

Wanuri Kahiu
La réalisatrice kényane de Rafiki a été la première de son pays à être sélectionnée à Cannes. Le film, une histoire d'amour entre deux femmes de Nairobi, est aussi l'un des rares du continent africain à être distribué en France cette année (et aux USA l'année prochaine). La cinéaste montre ainsi que le cinéma africain peut exister et s'exporter. Il a surtout été au cœur de l'actu avec un gouvernement, pourtant co-financeur du film, qui l'a censuré, symbolisant ainsi deux phénomènes de sociétés remarqués là-bas ou ailleurs: l'homophobie et l'atteinte à la liberté d'expression.

Hirokazu Kore-eda
Une Palme d'or à Cannes, c'est le sacre suprême pour ce réalisateur adoré plus souvent à l'extérieur de son pays. Une affaire de famille a fait consensus: gros succès au Japon, mais aussi en Chine. Il n'y a bien que le premier ministre, Shinzo Abe, qui n'a pas apprécié cette observation des exclus de la société nippone. Cela ne l'empêchera pas d'être l'un des favoris aux Oscars. San Sebastian lui a décerné un prix honorifique pour son œuvre. Et depuis, le réalisateur japonais a tourné en France l'un des films qui fera l'événement de l'année 2019, La vérité, avec Deneuve, Binoche et Hawke.

Vincent Lacoste
Impossible de passer à côté de l'acteur français cette année. Il a été jeune homo provincial dans Plaire, aimer et courir vite, en compétition à Cannes et Prix Louis-Delluc. Il fut étudiant déterminé en médecine dans Première année, un des films millionnaires en entrée en France. Et puis on l'a vu, différemment, touchant et mélancolique, dans Amanda, Grand prix du festival de Tokyo, où il affrontait les conséquences d'un attentat avec sa jeune nièce. Lacoste a définitivement changé de statut cette année, gagnant ses gallons d'acteur dramatique.

Gilles Lellouche
Mieux que Cassel et Canet, la star du cinéma français cette année fut Lellouche. On passera sur l'échec de L'amour est une fête, pourtant pas mauvais. Son année a débuté avec une nomination aux César, sa troisième seulement, pour Le sens de la fête. Elle se termine avec le joli succès de Pupille, où il continue de dévoiler une facette plus sensible. Mais c'est évidemment avec sa réalisation, 14 ans après son premier film, Le grand bain, qu'il laisse une empreinte dans le cinéma français: hors-compétition à Cannes, où il a été chaleureusement accueilli, il a enregistré 4,2 millions d'entrées, se classant 3e des films français de l'année, devant Taxi 5!

Thomas Lilti
Première année est son troisième hit d'affilée, et son troisième film sur le milieu médical. Il conforte ainsi son style, mélange de récit documenté et de comédie dramatique autour de personnages passionnés et dépassés. Paradoxalement, c'est pourtant avec la série télévisée Hippocrate, déclinée de son deuxième film éponyme sorti en 2014, avec Vincent Lacoste, qu'il a frappé le plus fort. La série Hippocrate, sur Canal +, est sans doute la plus belle réussite française dans ce format. Toujours en explorant les urgences, réas et autres services hospitaliers à travers un groupe de quatre internes, il pose un regard lucide et acide sur le système de santé. Brillant.

Félix Maritaud
L'espoir masculin de l'année. Avec sa belle gueule, son air farouche, ses tatouages, le comédien révélé il y a un an avec 120 battements par minute, s'est installé dans le paysage cinématographique "arty". Prix Louis Roederer de la révélation au Festival de Cannes et Valois de l'acteur au Festival du film francophone d'Angoulême, il a séduit par son charisme et son magnétisme dans Sauvage de Camille Vidal-Naquet. Il était aussi à Cannes, dans un petit rôle, avec Un couteau dans le cœur de Yann Gonzalez. Toujours enfermé dans les personnages gays, un peu marginaux, un peu en perdition, il a aussi porté la fiction d'Arte, Jonas de Christophe Charrier. On l'a enfin vu dans quatre courts. Une année bien remplie.

Marvel
Grand triomphateur de la saison, humiliant Star Wars, Pixar et autres marques de la galaxie Disney ou tout simplement du cosmos hollywoodien. Les super-héros ne sont pas prêts de mourir. Rien qu'aux USA, Black Panther et Avengers: Infinity War sont devenus les deux films Marvel les plus prospères du box office avec respectivement 700M$ et 680M$. Au BO américain, les deux films dominent l'année, mais Deadpool 2 (320M$) et Venom (215M$) se classent dans le Top 10 également. Et n'oublions pas le carton du film animé Spider-Man: Into The Spider-Verse (New Generation) qui file vers les 100M$ et une nomination aux Oscars. Ces 5 films ont récolté 5,2 milliards de dollars dans le monde. Une domination quasi sans partage qui se double, cette année, de bonnes critiques et même d'éloges pour ses audaces concernant Black Panther et le Spider-Man animé.

Netflix
Impossible de passer à côté de la plateforme de streaming cette année. D'un côté, elle cartonne en nombre d'abonnés (140 millions). De l'autre, elle donne une force de frappe aux séries (La casa del papel, Bodyguard, The Crown, Maniac, Stranger Things, OITNB, Mindhunter...) qui les rendent aussi bien cultes que populaires, lançant de nouvelles stars par la même occasion. Ses documentaires sont plébiscités par la critique et cités dans les palmarès. Désormais c'est le long métrage qui est la nouvelle ambition : des prix à foison à Venise, de possibles nominations aux Oscars à venir, Netflix est déjà le deuxième pourvoyeur de nominations aux Golden Globes. Reste à savoir si Cannes va passer à côté de noms prestigieux que la plateforme achète à prix d'or...

Hong Sang-soo
A 58 ans, le cinéaste sud-coréen n'arrête plus de tourner. Variations sur le même thème, et même sur le même "t'aime". On a pu ainsi voir Seule sur la plage la nuit, prix d'interprétation féminine pour sa muse Kim Min-hee à Berlin en 2017, La Caméra de Claire, avec Isabelle Huppert, et Grass, le plus abouti de tous, tout aussi romantique et existentialiste que les autres. Et c'est sans compter la rétrospective qui lui a été consacré à Bruxelles et Hotel by the River, qui lui a valu cet été le prix du meilleur acteur à Locarno pour Joo-Bong Ki, et trois prix, dont celui du meilleur film, au festival de Gijon. Tranquillement, il créé une œuvre "monstre" de films plus ou moins courts, pas si spontanés. Une respiration continuelle où chaque battement de cœur devient un petit bijou.

Steven Spielberg
40 ans après sa première nomination à l'Oscar du meilleur réalisateur, l'homme le plus puissant d'Hollywood et l'un des rares producteur-réalisateur star du cinéma est toujours au top. Après l'échec du Bon gros géant, il a su rebondir deux fois. Avec un drame politique, Pentagon Papers, sorti en janvier: nommé à l'Oscar du meilleur film, succès au box office (1,3 million d'entrées en France, 165M$ dans le monde). Avec un divertissement régressif et futuriste merveilleux, Ready Player One, triomphe en salles (2,2 millions d'entrées en France, 582M$ dans le monde). Spielberg est toujours un roi. Comme producteur, il sait que Bumblebee ne sera pas un carton, mais il peut compter sur la franchise Jurassic née il y a 25 ans, avec un nouvel opus plus que rentable (1,3 milliard de $ dans le monde). Le vétéran se porte bien et prépare une nouvelle version de West Side Story.

Locarno 2018: A Land Imagined couronné, le docu de Yolande Zauberman distingué

Posté par vincy, le 12 août 2018

Les femmes sont à l'honneur dans les différents palmarès du 71e Festival du film de Locarno, avec 12 réalisatrices récompensées sur 25 films primés. Le singapourien Yeo Sew Ha a remporté le prestigieux Léopard d'or avec A Land Imagined. Premier film en compétition venu de l'île-Etat de Singapour, ce film social sur la précarité et l'ultramoderne solitude tourne autour d'un immigré chinois recherché par un inspecteur de police. L'œuvre symbolise finalement assez bien ce que Carlo Chatrian, directeur artistique du Festival, expliquait sur cette sélection dont "la recherche esthétique d’une forme en phase avec une réalité qui change rapidement, où les images semblent omniprésentes, racontent un monde où l’homme n’est pas encore la mesure de toutes choses." Aevec les codes d'un polar, une plastique très Wong Kar-wai grâce au chef op japonais Hideho Urata, il signe une critique insidieuse de la réussite "de façade" de Singapour.

M de Yolande Zauberman a reçu le Prix spécial du jury avec un documentaire autour d'un scandale ignoré, ou presque, sur une affaire de pédophilie chez les ultra-orthodoxes de Tel Aviv. La réalisatrice de Moi Ivan, toi Abraham (1993) filme ainsi la confession de Menahem Lang, qui a aujourd'hui 35 ans, et qui fut violé lorsqu'il était enfant par plusieurs hommes de la communauté hassidique à laquelle il appartenait.

Tarde para morir joven de la chilienne Dominga Sotomayor, chronique d'adolescents durant un été 199, a récolté le Prix de la mise en scène. Les deux prix d'interprétations ont été décernés à la jeune roumaine Andra Guti pour Alice T. de Radu Muntean, jeune femme qui cumule les problèmes, à commencer par une grossesse non désirée, et au vétéran sud-coréen Ki Joo-Bong pour Gangbyun Hotel (Hotel by the River) de Hong Sangsoo, mélopée rohmérienne désillusonnée, qui incarne un vieux poète seul dans un hôtel.

Une mention spéciale a été attribué à Ray & Liz de Richard Billingham, film inspiré de sa propre enfance, où il dépeint le quotidien singulier de ses parents, en marge de la société, brisant les tabous sociaux.

Les autres prix

Prix Variety Piazza Grande

Le vent tourne de Bettina Oberli

Section Cinéastes d'aujourd'hui
Pardo d’or: Chaos de Sara Fattahi
Prix du meilleur cinéaste émergent décerné par la ville et la région de Locarno: Dead Horse Nebula de Tarik Aktass
Prix spécial du jury Ciné+: Closing Time de Nicole Vögele
Mentions spéciales: Fausto d'Andrea Bussmann et Rose, personnage de L’époque de Matthieu Bareyre

Signs of Life
Prix du meilleur film: The Fragile House (Hai shang cheng shi) de Lin Zi
Prix de la Fundación Casa Wabi y Mantarraya: Le discours d'acceptation glorieux de Nicolas Chauvin de Benjamin Crotty

Premiers films
Prix Swatch de la meilleure première œuvre: Alles ist Gut d'Eva Trobisch
Swatch Art Peace Hotel: Rugstus miskas (Acid Forest) de Rugil? Barzdziukaité
Mention spéciale: Tirss, rihlat alsoo'oud il almar'i (Erased, ascent of the Invisible) de Ghassan Halwani

Berlin 2018 : Hong Sang Soo et l’éloge des émotions

Posté par MpM, le 16 février 2018

Un an seulement après avoir présenté le très beau Seule sur la plage la nuit, Hong Sang Soo est de retour à Berlin, cette fois dans la section Forum. Il présente Grass, un film choral d’à peine plus de 60 minutes, qui fait brillamment la synthèse de tout son cinéma, et paraît un camouflet pour tous les films de plus de deux heures, tant il semble dire de choses en un temps si resserré.

Le dispositif de départ est pourtant d'une grande simplicité. Il filme (en noir et blanc et en plans souvent fixes, fidèle à ses codes traditionnels de mise en scène) une succession de conversations entre des couples installés dans le même café, puis dans un restaurant. Leurs relations sont différentes, leurs propos aussi, et pourtant, bien sûr, les correspondances entre eux sont troublantes et nombreuses : ils s'assoient à la même place, prennent des boissons identiques, abordent des thèmes qui se répondent, du suicide à l'écriture, en passant par des remords ou des regrets sur le temps passé.

Lorsque l'on est un habitué du cinéma d'Hong Sang Soo, on a appris à se méfier des apparences. Aussi suspecte-t-on rapidement que les différents couples, et leurs discussions, sont en réalité le fruit de l'imagination d'une jeune femme, assise à l'écart devant un ordinateur, et incarnée par Kim Min-hee, nouvelle muse d'Hong Sang Soo. Les mouvements de caméra eux-mêmes le suggèrent lors de travellings latéraux explicites entre les deux tables. La voix-off, celle de la jeune femme commentant, voire expliquant la situation et le contexte, ne fait que confirmer cette impression, qui sera pourtant troublée par la suite du récit, avant d'être à nouveau validée par l'image, et ainsi de suite jusqu'à la toute fin du film.

Le film propose ainsi une double lecture de son récit, à la fois réalité captée par une observatrice distante et fiction imaginée par cette même observatrice. Peu importe, au fond, puisque ce personnage à part (en apparence le seul à ne pas fonctionner en duo) peut être perçu comme le double de cinéma du réalisateur. Que ce soit elle, ou lui, qui modèle l'intrigue à sa guide, reviendrait finalement au même.  Elle est à la fois la figure du réalisateur qui contrôle hors champ ce que disent ses acteurs, et celle du spectateur qui écoute et regarde sans prendre part à l'action.

On sent d'ailleurs Hong Sang Soo de plus en plus introspectif sur son propre cinéma, glissant des remarques sur la musique (classique) qui sert d'ambiance sonore à la première partie du film, ou des compliments à l'égard du mystérieux propriétaire du café où se déroule l'intrigue, jusqu'à constituer une sorte de portrait en creux de lui-même. Un autre personnage se plaint même d'avoir l'impression de toujours dire la même chose (n'est-ce pas le reproche principal fait abusivement au cinéma d'Hong Sang Soo ?).

Fidèle à son habitude, le cinéaste coréen brouille donc les pistes et tisse une intrigue faussement limpide (mais réellement fine, légère  et drôle) dont chaque scène entre pourtant de manière complexe en résonance avec les autres, formant un ensemble cohérent et dense sur l'éternelle question des rapports entre les hommes et les femmes. On pourrait un temps penser que Hong Sang Soo est dans une phase pessimiste, et qu'il remet en question avec ses personnages la notion même d'amour. Mais ce n'est que pour mieux retourner chacun de ses propres arguments dans une seconde partie qui fait l'éloge de l'émotion comme trait indissociable de la nature humaine.

Rarement, peut-être, aura-t-on vu une telle chaleur humaine se dégager d'un des films du réalisateur coréen lors d'un final admirablement filmé (qui a dit que Hong Sang Soo n'était pas un véritable metteur en scène ?) où la cartographie des lieux et la chorégraphie des corps suffisent à nous éclairer sur les rapports de chacun avec les autres. De l'intérieur à l'extérieur, d'une table à une autre, d'un plan serré à un plan d'ensemble, les liens se renouent, les émotions se libèrent, les espoirs renaissent.

On se sent comme la narratrice, sentimentale devant ce ballet sensibles des êtres et des sentiments. "A la fin, les gens sont émotions" dit-elle dans une de ces formules grandiloquentes que Hong Sang Soo affectionne, principalement pour les tourner en dérision. Et pourtant, on sent dans cet émerveillement du personnage quelque chose de sincère, une admiration réelle pour la propension de l'être humain à se laisser déborder par ses émotions, et à les vivre pleinement, sans retenue.

Comme le personnage interprété par Kim Minhee (et par ricochets Hong Sang Soo lui-même ?), le spectateur n'a plus qu'une seule envie : entrer à son tour dans la danse, et participer à la grande ronde des émotions humaines. Peu importe qu'elle ne mène nulle part, l'essentiel est juste d'y avoir sa place.

Cannes 2017 : Qui est Kim Min-hee ?

Posté par MpM, le 22 mai 2017

Kim Min-hee a connu un début de carrière plutôt classique, alternant productions sud-coréennes destinées au marché local et séries télévisées. Elle fait en effet ses premiers pas au cinéma en 2000 (elle a dix-huit ans) avec le film Asako in Ruby Shoes de Lee Jae-yong, puis à la télévision avec The age of innocence.

C'est en 2008 que sa performance dans Hellcats de Kwon Chil-in lui permet de se faire remarquer. Elle reçoit d'ailleurs le Baeksang Arts Award (récompense cinématographique sud-coréenne) de la meilleure actrice. Elle est à nouveau nommée en 2012 pour Helpless de Byeon Yeong-joo et récompensée en 2013 pour Very ordinary couple de Roh Deok. Autant de films inédits en France.

Mais il faut attendre 2015 pour que la comédienne soit réellement révélée sur le marché international à l'occasion de sa première collaboration avec Hong Sang-soo, Un jour avec, un jour sans. On la remarque tout de suite dans le rôle d'une jeune artiste qui se cherche, et qui, selon les versions de l'intrigue, dresse même un portrait étonnamment lyrique de la recherche artistique. Il y a une pureté, inhabituelle chez Hong Sang-soo, et même une véritable élévation, dans le long monologue de la jeune femme qui explique pourquoi elle peint, et ce que cela lui apporte. Kim Min-hee y est bouleversante, comme elle sait à d'autres moments être irrésistible de drôlerie ou de maladresse.

Le film est couronné d'un léopard d'or à Locarno et son partenaire Jeong Jae-yeong remporte le prix d'interprétation masculine. Pourtant, c'est bien la rencontre avec Kim Min-hee qui marque un tournant dans l'oeuvre du cinéaste sud-coréen, lequel semble ne plus pouvoir se passer d'elle. Ils enchaînent ensemble On the beach at night alone (2017), La caméra de Claire (2017) et The day after (2017).

Entre temps, Kim Min-hee a croisé la route d'un autre cinéaste coréen habitué de Cannes, Park Chan-wook, qui lui confie le rôle titre de son venimeux et sulfureux polar présenté sur la Croisette en 2016, Mademoiselle. Le film lui permet de révéler différentes facettes de jeu, son personnage apparaissant tour à tour fragile, cruel, passionné, manipulateur et surtout extrêmement sensuel. On croit à chaque aspect de cette personnalité multiple qui tire son épingle du jeu avec un plaisir gourmand.

Multiple, elle l'est aussi d'une certaine manière dans On the beach at night alone qui lui vaut l'Ours d'argent de la meilleure actrice lors de la Berlinale 2017. Elle y campe avec justesse, sensibilité et humour une femme aux prises avec ses sentiments suite à une histoire d'amour avec un homme marié (toute ressemblance avec des faits réels...). Là encore, elle brille lors de monologues véhéments (et alcoolisés) sur l'amour et ses pièges, et passe avec facilité du burlesque au sensible, et même à l'émotion.

On attend donc forcément avec un mélange d'excitation et d'anxiété ses deux prochaines apparition chez Hong Sang-soo, aux côtés d'Isabelle Huppert dans La Caméra de Claire, et avec un autre habitué de l'univers d'Hong Sang-soo, Kwon Hae-hyo (Yourself and yours, On the beach at night alone) dans The day after. Ce n'est pas nous qui allons nous plaindre de cette double dose cannoise de Kim Min-hee. En espérant la découvrir prochainement dans un autre registre encore.

Berlin 2017 : c’est l’amour à la plage (et de nuit) avec Hong SangSoo

Posté par MpM, le 16 février 2017

Alors que la Berlinale 2017 touche à sa fin, on a découvert ce jeudi 16 février le dernier film en date de Hong SangSoo, intitulé On the beach at night alone. A ne pas confondre avec Yourself and yours, récompensé à San Sebastian en 2016, et qui vient de sortir en salles. Ni avec Woman on the beach, sélectionné à la Berlinale en 2007. Quoique... Avec le cinéaste coréen, chaque nouvelle histoire ressemble tellement à la précédente qu'il semble avoir élevé le déjà-vu au rang d'art, offrant film après film une variante infiniment complexe de ses obsessions principales : les rapports amoureux, le milieu du cinéma, le hasard et les coïncidences.

Cette fois, pourtant, on le sent plus mélancolique qu'ironique, plus désenchanté que moqueur. Le film, conçu comme un diptyque dont les deux parties semblent se succéder, suit Yonghee, une actrice qui a mis sa carrière entre parenthèses après avoir vécu une histoire mouvementée avec un réalisateur marié. Dans le premier volet, elle est en Allemagne avec une amie à qui elle raconte à demi-mots ses mésaventures sentimentales. Dans le second, elle est rentrée en Corée et rend visite à des amis de jeunesse. Là, elle s'endort sur la plage, et à son réveil, retrouve son ancien amant.

Mélancolie jazzy

L'amour, plus que d'habitude, occupe une place centrale dans le récit. Un amour toujours vivace dans la première partie, et qui accompagne l’héroïne partout, et un amour plus amer, parce que déçu, dans la seconde. C'est d'ailleurs justement dans ce deuxième chapitre que, par deux fois, la jeune femme s'énerve sous le coup de l'alcool, et dit ce qu'elle a sur le cœur au sujet des hommes et de l'amour. Pour elle, personne n'est qualifié pour aimer, comme elle le lance dans une formule à la fois définitive et provocatrice. Dans ces passages, Hong SangSoo renoue avec le versant le plus "alcoolisé" de son cinéma et poursuit son éternelle réflexion sur les relations sentimentales. Comme un musicien de jazz, il adjoint à son thème de prédilection des fioritures et des trilles qui se manifestent sous forme de thématiques et d'intrigues parallèles.

On remarque ainsi qu'une fois encore, les hommes ne brillent pas spécialement pas leur bravoure et se laissent mener par le bout du nez tandis que les femmes savent ce qu'elles veulent. Pour Younghee, l'essentiel est de suivre son propre chemin, à son rythme, et de "mourir gracieusement". A plusieurs reprises, elle manifeste aussi bruyamment sa faim, allégorie transparente pour la soif de vivre qui l'anime, en dépit de fugaces crises d'apathie. Younghee a en effet besoin de manger et de boire, de dormir et de fumer. C'est un être de chair et de sang qui a un irrépressible besoin d'exprimer ses désirs et ses envies.

Peindre le même paysage où seule la lumière change

Malgré la tonalité plus sombre du film, l'humour propre à Hong SangSoo est lui aussi omniprésent, notamment parce qu'il fait écho avec ses films précédents. Cela passe principalement par les dialogues et le choix de situations qui se répètent et finissent par se confondre. Les propos définitifs tenus sur la vie et la mort, le hasard des rencontres, les versions alternatives d'une même histoire donnent un aspect irréel à l'histoire, à mi-chemin entre le conte onirique et le cauchemar. Pas étonnant, alors, qu'une séquence de rêve occupe justement une place centrale dans l'intrigue, et la fasse basculer sur une autre interprétation.

Peut-être est-ce là un changement significatif dans le cinéma de Hong SangSoo (toutes proportions gardées) : perdre en légèreté là où il gagne en profondeur, et cultiver une part de mystère plus importante sur les rapports de temporalité et de causalité entre ses différentes séquences. Moins basé sur un "dispositif" que certains de ses derniers films, On the beach at night alone renoue avec l'idée d'un cinéma qui expérimente, pensé pour décortiquer inlassablement les rouages complexes de la nature humaine. Si on osait une analogie avec Monet, qui peint sans cesse le même paysage dans des conditions de lumière différentes, peut-être irait-on jusqu'à renommer le film. Quelque chose comme : Femme aux prises avec ses sentiments, lumière du soir, horizon brumeux.