[We miss Cannes] 20 films « queer » dans l’histoire du festival

Posté par redaction, le 23 mai 2020

Une journée particulière d'Ettore Scola. Le fascisme et la solitude. Un intellectuel exclu de la radio nationale et menacé de déportation pour homosexualité, rencontre une femme italienne ordinaire, emprisonnée dans sa vie d'épouse et de mère.

Midnight Express d'Alan Parker. Une prison turque. Un climax hautement érotique. Une homosexualité tabou mais pas si floue. L'homoérotisme à son comble, où les corps sont les seuls pouvoirs d'affection.

Adieu ma concubine de Chen Kaige. U mélo gay dans une fresque historique chinoise. L'homosexualité interdite, et les tourments qui l'accompagne, dans un environnement ambivalent: le théâtre, où les hommes sont seuls autorisés à jouer, y compris des personnages de femmes.

Happy Together de Wong Kar-wai. Buenos Aires. Deux amants qui ont le mal du pays. Et une séquence d'ouverture explicite où Tony Leung et Leslie Cheung s'enlacent fougueusement.

Bent de Sean Mathias. Allemgane nazie. Berlin des années 30 et ses lieux interlopes, ses cabarets, et sa liberté de mœurs. Tout s'effondre avec un triangle rose, et la déportation. Les homosexuels sont dans les camps. Un épisode qu'on a trop souvent tendance à oublier.

Priscilla, folle du désert de Stephan Elliot. L'Australie dans tous ses états. Des travestis fashion, bien avant la série Pose ou la drag race de Ru Paul. Tellement culte que le film est un modèle.

Tabou de Nagisa Oshima. Des samouraïs. Un jeune homme androgyne dans un autre siècle et dans un pays culturellement conservateur. Le film porte bien son titre. Sans provocation, le récit pointe tous les maux d'une société coincée.

Shortbus de John Cameron Mitchell. Un film pansexuel. Toutes les névroses et les pratiques - du soft au hard, du psy au pratique -se mélangent au final dans un corps à corps vertigineux dans ce film plus hédoniste qu'épicurien.

I love You Philip Morris de Glenn Ficarra et John Requa. Jim Carrey et Ewan McGregor tombent amoureux. A priori rien de scandaleux. Pourtant le film ne sortira pas en salles, malgré un parti-pris pour une liaison plus tendre que "hot".

Kaboom de Gregg Araki. College Studs. Bien avant la série Elite, ce délire fantastique aborde la montée de testostérone et le mélange de fluides qui conduisent des twinks et autres weirds dans une nuit en enfer.

Laurence Anyways de Xavier Dolan. Celui-là de Dolan plus qu'un autre parce que cette fois-ci, le jeune cinéaste s'attache à la question transgenre. Du travestissement à la transsexualité, Melvil Poupaud se glisse dans les robes et opère sa mue sous le maquillage face au regard des autres.

La vie d'Adèle d'Abdellatif Kechiche. Palme d'or, double révélation pour Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos. Ce drame romantique lesbien - évidemment torride - a marqué l'époque et les esprits. Si le bleu est une couleur chaude, la passion est ici assez sombre.

L'inconnu du lac d'Alain Guiraudie. Une plage naturiste gay quelque part en France. Des hommes qui se regardent, se draguent, baisent. Et des meurtres. Ce thriller où se mêlent le réalisme et le fantastique mixe ainsi crûment la sexualité sans âge et le suspense plus onirique.

Pride de Matthew Warchus. On attendait depuis longtemps une de ces comédies anglaises, teintée de social et de romantisme, avec des LGBT au cœur du récit. Ce fut chose faite avec ce feel-good movie où homos et prolos sont solidaires fassent un même ennemi, l'ultra-libéralisme conservateur et autoritaire.

Carol de Todd Haynes. Une histoire d'amour entre deux femmes d'âge et de classe sociale différents. Cate Blanchett et Rooney Mara vont jusqu'au bout de leur désir quitte à mettre tout en péril. Loin de la bluette, le film amène une profondeur à l'attirance et la transgression dans une époque moraliste.

Mademoiselle de Park Chan-wook. La Corée occupée. Entre amours saphiques et fétichisme sado-masochiste, cette fresque sulfureuse et sensuelle sur la sororité est une variations des Diaboliques sous l'emprise du patriarcat et des dominateurs. L'amour triomphe toujours, surtout au féminin pluri-elles.

120 battements par minute de Robin Campillo. Paris, années 80-90. Le Sida tue. Des homos, des hétéros, des hommes, des femmes s'activent pour alerter l'opinion. Des jeunes couples d'activistes se forment. S'aiment. Font l'amour. La fête aussi. Eros et Thanatos jusque dans un ultime hand-job bouleversant.

Sauvage de Camille Vidal-Naquet. Prostitution masculine et dérapages incontrôlés. Entre précarité et exe facile (quoique, cela dépend de ce que demande le client), ce film ouvre les horizons sur des sentiers de perdition vers une impossible reconstruction de ceux qui vendent leur corps.

Girl de Lukas Dhont. Belgique de nos jours. Un jeune adolescent veut être danseuse. Déterminée, et soutenue par son père, elle va tout faire pour atteindre son rêve: changer de sexe et tenir sur des pointes. Un film délicat qui aborde la transsexualité sous un angle intime, jusque dans la chair.

Et puis nous danserons de Levan Akin. Géorgie. Pays homophobe. De la danse encore, et du désir. Mais cette fois ce pas de deux se situe entre rivalité et désir, tentation dangereuse et plaisir irrésistible. L'amour et la danse semblent fusionner avec ces corps gracieux malgré le rejet qu'ils peuvent inspirer.

Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma. Bretagne. Il y a deux cent ans. Une île peuplée de femmes. Du regard naît le désir. La chair est pudique mais le la flamme est palpable. La passion, interdite alors. Mélo presque tragique, cette déclaration d'amour conclut 40 ans de films cannois où les LGBTQI ne sont plus marginaux et où leur sexualité n'est plus métaphorique. Cinéma de genre ou œuvre plus classique, venu d'Amérique latine ou d'Asie, le "queer" n'est plus réservé à quelques cinéastes ou thématiques. Même si, on le voit bien, le destin de ces personnages reste trop souvent dramatique. Il ya  encore quelques combats à mener...

Et si on binge-watchait… EastSiders sur Netflix

Posté par wyzman, le 6 avril 2020

Pour lutter contre l’ennui durant ce long confinement, Ecran Noir vous propose de (re)découvrir certaines séries passées ou encore sur vos écrans. Et parce qu’avec le retour des beaux jours et des journées qui se ressemblent, certains ont des bouffées de chaleur, on ne pouvait pas faire l’impasse sur EastSiders !

C’est une très jolie série LGBT. Le pitch est simple : à Los Angeles, Cal (Kit Williamson) apprend que son petit ami de 4 ans Thom (Van Hansis) l'a trompé avec Jeremy (Matthew McKelligon). Après la désillusion, Cal entame un énorme travail de réflexion, tente de déconstruire la manière dont il envisage ses histoires d'amour et décide de tromper à son tour Thom avec Jeremy ! Malheureusement, tout ne se passe pas comme prévu...

Si le manque de diversité (et donc de représentativité) du casting n’a pas manqué d’être signalé par les internautes lors de la première saison d’EastSiders en 2012, force est de reconnaître que le créateur et réalisateur de la série, Kit Williamson himself propose ici un programme très efficace sur les psychoses et questionnements de ceux qu’il connaît : les hommes blancs et homosexuels, trentenaires et résidant en zone urbaine. Cela étant dit, au terme de 4 saisons, EastSiders aura fini par atteindre son objectif : montrer à ceux qui sont prêts à l'entendre que le couple n’est pas un monolithe et que malgré l’accès au mariage, le couple gay doit plus que jamais se réinventer.

C’est une série qui parle du couple de manière intelligente. Vous l’aurez compris, au cours de ses 27 épisodes (qui vont de 11 minutes pour la première saison à 53 minutes pour le series finale), EastSiders aura tout mis en œuvre pour déconstruire le couple comme symbole de réussite et de bonheur. Grâce à une belle galerie de couples (gay, lesbien, ouvert, etc.) et de célibataires, Kit Williamson l’assure : l’infidélité et les trahisons ne signent pas nécessairement la fin d’une relation amoureuse. Voilà pourquoi les protagonistes enchaînent parfois les erreurs, quitte à finir seuls avec leurs regrets.

Et parce que le tout est filmé avec une forme de candeur particulièrement touchante lors des premières saisons, l’on finit rapidement par aimer toute cette bande de bras cassés. Et Kit Williamson n’a pas manqué de régaler les fans de la première heure avec les 6 derniers épisodes désormais disponibles sur Netflix.

C’est de la pop culture gay-friendly en boîte. Après avoir mis sur YouTube les deux premiers épisodes d’EastSiders, Kit Williams a lancé une grande campagne de crowdfunding sur Kickstarter pour réunir la somme qui lui permettrait de réaliser la suite. Succès quasi-immédiat du côté des Californiens, la série n’a pas manqué de bénéficier d’une saison 2, toujours portée par une campagne Kickstarter. Par la suite, c’est la chaîne (autrefois) axée sur la culture LGBT Logo (RuPaul’s Drag Race, Finding Prince Charmant) qui a acquis les droits de diffusion au Etats-Unis avant que Vimeo et Netflix n’entrent en jeu.

Après deux Indie Series Awards et pas moins de 8 nominations aux Daytime Creative Arts Emmy Awards, EastSiders est entrée aux panthéons des séries gays incontournables. Les présences des queens de Drag Race Manila Luzon, Katya et Willam, des comédiens Constance Wu, Wilson Cruz et Daniel Newman, des influenceurs gays Max Emerson, Chris Salvatore et Matthew Wilkas et des acteurs porno Colby Keller et Adam Ramzi sont pour beaucoup dans la viralité du programme. Explicite sans jamais être malsain ou trash, EastSiders se dévore sans modération.

EastSiders, 4 saisons disponibles ici sur Netflix.

Et si on regardait… Un chant d’amour

Posté par vincy, le 25 mars 2020

Pour public averti.

Objet rare et donc précieux. Un chant d'amour est l'unique film de Jean Genet (1910-1986), écrivain, poète et dramaturge . Et cinéaste. En 1950, il réalise un court métrage, qui rassemble toutes ses obsessions et tous ses fantasmes, sa poésie et son érotisme.

Le film est visible à partir du portail Open Culture et via You Tube.

Il s'agit d'un film de voyeur. Une prison. Des hommes enfermés dans leur solitude et leurs désirs. Un gardien qui joue de son statut, un brin sadomasochiste sur les bords. La sexualité est à la fois frontale - osée même -, et florale. Phallique et onirique.

La photo noir et blanc sublime cette atmosphère mystérieuse, virile, sensuelle. Un homme danse bite à l'air. Un autre fouraille un slip avec sa main. On inhale de la fumée par un trou entre deux murs. On fait ouvrir la bouche en grand pour y placer un pistolet. Les métaphores psychanalytiques, de la masturbation à la domination, se mélangent aux images de sexes ardents masculins et de rêves évanescents romantiques. Autant de chimères qui se marient aux pulsions.

Car, aussi tendre que désespéré, Un chant d'amour dévoile surtout la souffrance de ces hommes, dans une poésie visuelle qui ne cache rien de leurs tourments. Genet magnifie le mâle dans ce lyrisme brut, avec un montage très découpé et des visages expressifs, hérités du cinéma muet. Il s'agit d'un film sans paroles. Ponctué par des séquences chorégraphiques contemporaines. Passant de la réalité à l'illusion. L'image est l'écrit.

C'est sans aucun doute pour cela qu'il est réussit. La beauté des corps et le sordide du décor ne font qu'un, renvoyant l'homosexualité dans une forme de clandestinité, de secret assumé, de consentement tacite mais inavouable.

Cette passion entre voyous, tendue comme une érection sous un jean, attirante comme des lèvres entrouvertes, douloureuse comme la sentence que l'on craint, est en effet un chant d'amour aux jeux interdits et à l'homoérotisme. Mais pas seulement: à la liberté. Car derrière l'envie de baiser, il y a aussi l'espoir de le faire à l'air libre, dans la forêt, loin des barreaux qui condamnent les invertis.

[2019 dans le rétro] Des films LGBT : une belle quantité et surtout une bonne qualité

Posté par wyzman, le 3 janvier 2020

Après une année 2018 marquée par des avancées majeures dans la représentation de la communauté LGBT au cinéma, l’année 2019 aura été celle des explorations (plus ou moins) réussies.

Une compétition cannoise très queer

Une fois n’est pas coutume, c’est sur la Croisette que l’on a vu d'excellents films autour de personnages LGBT. A commencer par Douleur et Gloire, le dernier film de Pedro Almodóvar. Pendant près de deux heures, le cinéaste espagnol propose une analyse poussée de ses propres traumas grâce à  l'histoire d’un réalisateur, à la sexualité jamais cachée, qui a connu le succès avant d’être dans l’incapacité physique de tourner des films. L’occasion pour Pedro Almodóvar d’offrir un rôle de premier plan à Antonio Banderas qui a décroché un prix d’interprétation. On se souviendra longtemps de cette scène où le personnage de Banderas enfant tombe dans les pommes en voyant le bel artisan se laver devant lui. Egalement en compétition à Cannes, Roubaix, une lumière était la plus atypique des déclarations d’amour d’Arnaud Desplechin. Cela étant, à l'aide de Léa Seydoux et Sara Forestier, il y dépeint une relation amoureuse lesbienne toxique particulièrement intrigante.

Les véritables moments marquants de la compétition nous ont été offerts par Xavier Dolan et Céline Sciamma. Avec Matthias et Maxime, celui que l’on a très tôt considéré comme un prodige prouve qu’il n’a rien perdu de sa superbe. Après deux films internationaux qui n’ont pas autant convaincus que prévu, Xavier Dolan signe un film personnel sur deux amis d’enfance bouleversés par un baiser effectué pour les besoins d’un film. Véritable drame sur l’éclosion des sentiments, Matthias et Maxime fait partie des films les plus touchants de la filmographie du Québécois.

De son côté, Céline Sciamma n’a pas démérité. Avec Portrait de la jeune fille en feu, elle a complètement retourné la Croisette, offrant aux spectateurs et aux critiques le drame lesbien dans la Bretagne de 1770 qu’ils méritaient. Aussi sentimental et cérébral que Carol de Todd Haynes, Portrait de la jeune fille en feu fait la part belle aux jeux de regards et captive par les performances très authentiques de Noémie Merlant et Adèle Haenel.

La Queer Palm, un gage de qualité ?

Toujours à Cannes, mais hors compétition, il ne fallait pas manquer Rocketman de Dexter Fletcher. Ce biopic consacré au génie créatif d’Elton John donne lieu à de jolies séquences musicales tout en ayant l’allure d’un couteux album souvenir validé par l’artiste lui-même. Loin d’être aussi queer et flamboyant que prévu, malgré quelques allusions sexuelles, Rocketman a bénéficié d’une tournée promotionnelle parfaitement assurée par ses (très beaux) acteurs principaux : Taron Egerton, Jamie Bell et Richard Madden. Du côté d’Un Certain Regard, le drame Port Authority aura fait parler de lui grâce à Leyna Bloom, la première actrice transcengenre et de couleur à être la tête d’affiche d’un film cannois. Centré sur la rencontre entre un jeune homme blanc (Paul joué par Fionn Whitehead) et une danseuse trans noire (Wye), Port Authority vaut le détour pour ce qu’il dit de la masculinité et de la notion de « famille ».

Mais c’est sans l’ombre d’un doute Et puis nous danserons (présenté à la Quinzaine des réalisateurs) que l’on ne cessera jamais de vous recommander. Premier long-métrage LGBT en Géorgie, le film de Levan Akin raconte comment Merab, un danseur de l’Ensemble national géorgien est troublé par l’arrivée dans sa classe d’Irakli, un rival plein de surprises. En s’éloignant du très basique film d’apprentissage sur le coming out, Et puis nous danserons montre avec beaucoup de sérieux la prise d’indépendance un jeune homme rejeté de toutes parts et pourtant loin d’être aussi fragile qu’on ne le pense. Grâce à des séquences dansées hypnotiques et terrifiantes et un acteur principal charismatique, le superbe Levan Gelbakhiani, Levan Akin signe ici le meilleur drame gay de l’année. Rien que ça !


Des pépites trop vite oubliées ?

Disponible sur Netflix depuis le 1 février, Velvet Buzzsaw de Dan Gilroy n’a pas fait couler autant d’encre que prévu. Thriller horrifique de bonne facture, le film s’est révélé un peu trop prévisible pour que la presse l’applaudisse. Et malgré un teasing généreux autour des scènes de sexe de Jake Gyllenhaal, son rôle de critique d’art bisexuel n’était finalement accompagné que de coïts hétérosexuels. Une déception qui a vite fait tomber le projet dans les abîmes d’Internet...

A l’inverse, Boy Erased de Joel Edgerton a su davantage convaincre. Malheureusement, son sujet (la thérapie de conversion forcée d’un jeune homme gay par son père pasteur) pourrait en avoir rebuter plus d’un. Nécessaire et rigoureusement réalisé, Boy Erased jouit d’un casting quatre étoiles (Lucas Hedges, Russell Crowe, Nicole Kidman, Joe Alwyn, Xavier Dolan, Flea, Troye Sivan)  qui vaut tous les visionnages du monde !

En parallèle, Entre les roseaux est la jolie surprise de l’année. En dépeignant l’histoire d’amour d’un étudiant finlandais et d’un réfugié syrien, Mikko Mäkelä a pris tout le monde de court. Ode à peine déguisée à la libération des corps et de l’esprit, Entre les roseaux peut se vanter de disposer d’une photographie et d’une lumière extraordinaires. Ses acteurs principaux Janne Puustinen et Boodi Kabbani sont des raisons supplémentaires de découvrir cette belle découverte.

Des surprises très engagées

Longtemps critiqués pour leur manque d’intérêt pour le cinéma LGBT, producteurs, scénaristes et cinéastes francophones semblent de plus en plus inspirés par une communauté aux mille facettes. Si la télévision commence tout juste à s'en emparer, le cinéma, cette année, a montré qu'on pouvait être populaire et queer. Il ne fallait donc pas louper Les Crevettes pailletées, la comédie déjantée de Maxime Govare et Cédric Le Gallo. Dans celle-ci, Nicolas Gob joue un vice-champion de natation homophobe qui est contraint d’entraîner une équipe gay de water-polo. L’occasion pour les acteurs Alban Lenoir, Michaël Abiteboul, David Baiot, Roman Lancry, Roland Menou, Geoffrey Couët, Romain Beau, Félix Martinez ou encore Pierre Samuel de nous faire rêver et rire au cours de séquences d’anthologie (l’enterrement, really!)

Du côté de la Belgique, impossible de ne pas évoquer Lola vers la mer ou l’un des meilleurs drames jamais réalisés sur la jeunesse trans. Porté par le duo père fille Mia Bollaers/Benoît Magimel, le film de Laurent Micheli montre comment l’incompréhension est souvent à l’origine des pires situations transphobes dans le cercle familial. Plus sensé et sensible mais sans doute moins maîtrisé que Girl de Lukas Dont, Lola vers la mer est un sacré road-movie sur la différence !

C'est autre chose qu'un simple clin d'oeil aux gays et lesbiennes dans Avengers ou Star Wars. Car du côté d'Hollywood, si les gays, lesbiennes, trans, bi sont de mieux en mieux représentés, notamment dans les séries, ils restent absent des gros blockbusters de l'année. A deux exceptions notables, datant de 2018 mais sorties en 2019: le personnage homosexuel de Mahershala Ali dans Green Book, Oscar du meilleur film et Oscar du meilleur second-rôle masculin. Et la reine aux amours invertis dans La favorite, qui a valu l'Oscar de la meilleure actrice à Olivia Colman.

Evidemment, on reste loin du cas de la série "Elite" où le gender fluid domine et où chacun baise qui il veut, sans se soucier des jugements.

[Passions américaines] La chatte sur un toit brûlant (1958) avec Elizabeth Taylor et Paul Newman

Posté par vincy, le 11 août 2019

Immense succès de l’époque, La chatte sur un toit brûlant (Cat on a hot tin roof) est un drame quasi passionnel datant de 1958. Réalisé par Richard Brooks, à qui l’on doit le scénario de Key Largo, il s’agit de l’adaptation d’une célèbre pièce de théâtre écrite par le géant Tennessee Williams. Et Johnny Hallyday avait raison quand il chantait « on a tous en nous quelque chose de Tennessee… » Quoi de plus proche qu’un de ces conflits familiaux, qui révèlent le pire et le meilleur de chacun d’entre nous ? Avec Un tramway nommé désir et La ménagerie de verre, La chatte sur un toit brûlant est l’une des trois plus grandes adaptations cinématographiques de son répertoire, sans doute la plus cinglante.

Le film raconte l’histoire d’un couple qui bat de l’aile, dans un contexte familial où la mort du patriarche menace. Avec ses plans très construits, Richard Brooks accentue la symétrie des séquences qui se font écho. Au final, de révélations en réconciliations, les six personnages, trois couples formés de trois personnages principaux et trois secondaires, se confronteront à cette vérité qu’ils renient.

Le couple principal est incarné par deux des beautés les plus incandescentes des années 50 et 60, Elizabeth Taylor et Paul Newman. Un couple en déliquescence. Elle est une garce manipulatrice, dure, cruelle, orgueilleuse, souffrant surtout de ne plus être aimée de lui. Il est une ancienne gloire sportive, aujourd’hui imbibée d’alcool et surtout insensible aux charmes de sa femme. Pour ne pas dire impuissant. Mais cet amour défunt n’a rien d’éteint. Même si Maggie avoue désespérément que « Vivre avec celui qui m’aime est la pire solitude quand l’autre ne vous aime pas», elle veut encore espérer. Après tout ils sont encore insolemment beaux et pas encore fanés. Pas comme ses beaux-parents…

Leur première grande scène n’est autre qu’une partie de ping-pong acerbe où chacun se masquent derrière une forme de méchanceté. D’ailleurs le mensonge s’effondre vite. Après avoir rejeté les avances de Taylor, il succombe en cachette au désir de sentir sa nuisette. Mais la plus cruelle est la belle-sœur, Mae, une vraie peste qu’on n’aurait pas aimé avoir en copine de classe. Un vrai moulin à méchanceté.

La violence des dialogues permet au film, sans trop de mouvements, de créer un climat pesant. Ce film est comme un orage qui couve en permanence. Et on attend qu’il éclate. Et quand la pluie se déverse, c’est pour laver les péchés. Big Daddy transforme des aveux en tribunal familial où les trois personnages principaux, Newman, Taylor et lui, l’excellent Burl Ives, décident que la vérité aura raison de tout. Leur combat contre la dissimulation, leur volonté d’aller « au fond des choses » vont dissiper les malentendus et permettre au couple de renaître doucement.

Il y a deux scènes cruciales pour bien comprendre l’amertume qui déchire Taylor et Newman.

L’une se compose en plusieurs tableaux. C’est le premier vrai dialogue entre Brick et son père. Le père décide de partager un verre de whisky avec son fils, pour faciliter l’échange. De plans en plans, seuls ou à deux, on assiste à une chorégraphie où chacun s’approche et s’éloigne de l’autre jusqu’au moment où l’un boit en regardant le passé, et l’autre en regardant l’avenir. Parfait Janus…

L’autre scène montre le jeune couple sur le balcon, mal à l’aise de surprendre Big Daddy et Big Mamma avouer l’illusion de leur union. Clairement Taylor et Newman se voient finir comme eux, frustrés et distants, et le refusent inconsciemment. Car aucun couple n’est épargné par l’hypocrisie, l’aveuglement et les mensonges qui les rongent. Ils s’expriment à travers la cupidité, l’alcool, un Cancer. Mais seuls s’en sortiront ceux qui ne se mentiront pas.
« La dissimulation mène nos vies » et même si le cinéma est l’art de la dissimulation, ici La chatte sur un toit brûlant essaie de coller au plus près des tourments psychologiques qui brouillent les sentiments des uns pour les autres. Y compris entre adultes et enfants.

Enfin il faut parler de la filiation, a priori morale essentielle et fondamentale à Hollywood. Les enfants de Cooper et Mae sont des monstres sans cou, des singes, des surdosés en sucre détestables. Big Daddy ou Big Mamma ignorent sciemment Cooper ; quant à Brick, il accuse son père de ne jamais l’avoir aimé. Ce manque affectif remonte ainsi les générations jusqu’au père de Big Daddy, un clochard, ou à la pauvreté des parents de Maggie, ce qui les rapproche dès leur première scène. Quand il parle de son père, Big Daddy est ému en avouant qu’il avait été aimé. Mais travers les yeux de son fils, on découvre à quel point il n’avait pas aimé. Le scénario impose alors sa morale. L’argent ne fait pas le bonheur. A cette époque on croyait encore à de bien plus grandes valeurs.

Cette réalisation très sobre, un huis-clos théâtral où seul le cadrage met en scène, sans effet particulier, a énormément déplu à Tennessee Williams qui trouvait le film ringard comparé à la mise en scène d’Elia Kazan à Broadway. Pourtant, pour la première fois, afin de magnifier le regard violet de Taylor et celui très bleu de Newman, une adaptation de Williams fut filmée en couleurs. Peut-être que le dramaturge voyait trop les artifices du studio, comme lorsque Taylor, chat trempé sous la pluie, est, la scène suivante, complètement sèche et bien coiffée. Ou alors, il reprochait que le script ait gommé les références à l’homosexualité, présentes dans la pièce. Ironiquement, il était arrivé la même chose à l’adaptation du roman de Richard Brooks, The Brick Foxholes, quelques années auparavant, où la discrimination homosexuelle avait été remplacée par l’antisémitisme. Hollywood était moins courageux que Broadway. On devine juste que l’amitié de Brick avec Skipper était « vraie » et « profonde ».

« La vérité c’est renoncé à ses rêves et mourir inconnu ». Tout le contraire du cinéma.

[Passions américaines] Macadam Cowboy (1969) avec Dustin Hoffman et Jon Voight

Posté par vincy, le 10 août 2019

Macadam Cowboy (Midnight Cowboy en vo) est une œuvre majeure du cinéma américain de la fin des années 1960. L’adaptation du roman de James Leo Herlihy a été un énorme succès dans les salles puis aux Oscars avec trois statuettes, dont celle de meilleur film, meilleur réalisateur et meilleur scénario. Dustin Hoffman, Jon Voight et Sylvia Miles ont tous été nommés de leur côté.

Considéré dorénavant comme un classique, il aborde des sujets aussi peu populaires que la prostitution masculine, l’homosexualité, la précarité extrême, la mort, et surtout, il dresse une sévère critique à l’égard de l’hypocrisie américaine et de la religion.

Et puis, il y a aussi le style visuel, propre à cette époque, qui tentait de déconstruire la narration en essayant de traduire le subconscient des personnages avec des flash-backs ou des images oniriques. Enfin, il y a la musique, notamment ce tube de Fred Neil, Everybody’s Talkin, qui trotte dans la tête comme nos anti héros se promènent sur les trottoirs…

Le réalisateur John Schlesinger s’était fait connaître avec Darling Chérie quatre ans auparavant. Avec Macadam Cowboy, ce britannique se détournait de ses films avec Julie Christie pour changer complètement d’univers. Sa réalisation marque les esprits grâce à son esthétique tantôt onirique, tantôt psychédélique. On est, comme souvent à la fin des années 60, aux limites de l’expérimental. Schlesinger avoue s’être inspiré d’un film de Andy Warhol pour le style visuel. My Hustler est un moyen métrage sur un homme d’un certain âge cherchant un jeune homme pour compagnie. Mais il a aussi été influencé par un film yougoslave de Zivojin Pavlovic, Quand je serai mort et livide, primé à Berlin en 68. Un film sur la précarité.

Il est étonnant que Macadam Cowboy ait été un aussi gros succès tant le réalisateurr a usé de méthodes narratives peu conventionnelles avec une histoire pas franchement moralement correcte. Il n’hésite pas à filmer les actes sexuels de manière crue et sauvage, il illustre avec des images furtives et sans paroles les hallucinations et les fantasmes, il tente finalement de mettre en parallèle le monde réel, et peu glorieux, et les pensées intérieures, tantôt tourmentées tantôt délirantes.

L’autre gageure du film c’est le numéro d’équilibriste entre la comédie, parfois absurde, notamment quand il montre la futilité de la société de consommation sur les écrans télévisés, et la tragédie, avec la pauvreté qui briserait n’importe quels rêves. Cet oscillement entre le drame humain et les situations parfois cocasses, soutenues par des dialogues souvent cyniques, enrichissent le film et lui donne une couleur indéfinissable : à la fois une critique de l’Amérique puritaine, hypocrite et consumériste et une empathie vis-à-vis de tous ceux que cette même Amérique a abandonné. Cette dualité est permanente dans le film : le Texas et New York, les bourgeois et les gens de la rue, les hommes et les femmes… Ceux qui ont et ceux qui ne sont pas. Une sorte d'antithèse au rêve américain.

Le film est ce qu’on pourrait appeler un Buddy Movie, un genre en soi. Un buddy movie c’est une histoire de binome que tout oppose. Le choix des acteurs est d’autant plus crucial.

L’interprétation de Dustin Hoffman est considérée comme un sans faute. Son personnage de Ratso, paumé parmi les paumés, lui a valu sa deuxième nomination à l’Oscar deux ans après Le Lauréat. On oublie que l’acteur, qui a tourné le film à l’age de 31 ans, n’en est qu'à son quatrième long métrage. Il était alors un jeune premier adulé par une horde de jeunes adolescentes.

Pour obtenir ce rôle aux antipodes de l’image qu’il véhiculait, il a donné un rendez-vous à un cadre du studio producteur au coin d’une rue de Manhattan. Le décideur ne l’a pas remarqué, il ne voyait qu’un mendiant réclament quelques cents aux passants… Ce mendiant c’était bien sûr l’acteur qui dévoila alors son identité, et empocha son contrat. Il apportera sa minutie légendaire à la construction de son personnage. Lorsqu’il tombe malade, ses quintes de toux l’ont presque fait vomir. Et pour boiter en permanence de la même façon, il ajoutait des cailloux dans ses chaussures…

Face à lui, Jon Voight, le père d’Angelina Jolie. Lui aussi fut nommé à l’Oscar pour ce film. Il a sensiblement le même âge que Hoffman et n’en est qu’à son troisième long métrage de cinéma. Il a remplacé de nombreux comédiens qui ont refusé ou se sont désistés pour ce rôle périlleux. Ce playboy naïf presque analphabète déguisé en cowboy est tout aussi « loser » que son compagnon d’infortunes. Mais son personnage de Joe Buck, s’il est moins excentrique que celui de Ratso, est aussi plus attachant. Séducteur, cerné par les femmes depuis son enfance, ne voyant pas le mal à se prostituer et faire plaisir aux dames, c’est Candide débarquant à Babylone. Il incarne un idéal physique masculin, admirant son corps, reproduisant le mythe de l’étalon. Il va évidemment tomber de haut mais jamais il ne perdra sa dignité et ses valeurs fondamentales.

Car Midnight Cowboy c’est avant tout une grande histoire d’amitié, où chacun essaie de faire atteindre son rêve à l’autre. Leur binôme va évoluer au fil du film. Hoffman va jouer les grands frères, sauf par la taille évidemment, durant une grande partie du film. Mais Voight, sur la fin, se transformera en père essayant de sauver son enfant.

On peut avoir l’impression que Macadam Cowboy se disperse dans tout ce qu’il veut montrer. Pourtant, le film est porté par un pilier : l’identité masculine. Déjà en 1969, celle ci est trouble, elle vacille sous les coups de butoir du féminisme. L’humiliation n’est jamais loin. La dégradation de cette identité traverse de nombreuses scènes, qu’elle soit matérielle ou physique. La figure paternelle est un mythe au même titre que le cowboy, que ce soit John Wayne ou celui qui hante Joe dans ses souvenirs d’enfance. C’est la virilité absolue, mais ce n’est qu’une image. Les hommes sont méprisables : illuminés de Dieu, que Jésus ne sauve d’aucun de leurs vices, homosexuels efféminés noctambules comme les Vampires, étudiant ou père de famille n’assumant pas leurs actes clandestins… Tout est refoulé, amenant ainsi une violence contenue qui parfois s’évacue en mots grossiers ou en coups de poings…

Le sexe est tabou, salle, interdit. Il envoie l’amour d’adolescence de Joe à l’asile. Il est aussi un jouet pour les femmes new yorkaises. La scène la plus marquante du film est celle où Joe trouve enfin une cliente riche, avec un contrat clair. Une passe qui lui donne l’espoir de pouvoir enfin concrétiser ses rêves et ceux de Ratso. Mais il subit une panne sexuelle. Elle s’en amuse en usant de métaphores vexantes. Un artisan avec un outil cassé… Elle prolonge l’humiliation en lui donnant une leçon au Scrabble. Joe n’a que deux petits mots : Man et Mony, Homme et Argent. Mais il écrit mal Mony. Il l’écrit comme les grosses lettres lumineuses qu’il a vu sur un building… A force de perdre, Joe, lui aussi refoulé, humilié, blessé, va vouloir reprendre le dessus. Mais là aussi, la femme domine : c’est elle qui le chevauche, qui l’agresse, qui l’allume. C’est la femme qui veut prendre son plaisir, qui ne veut pas simplement l’égalité des sexes, mais la toute puissance de son sexe. Sur une musique de Western, la bête, c’est à dire l’Homme, se fera domptée et même sa jouissance n’est qu’un piètre réconfort : le mâle a perdu la bataille. Il n’est plus qu’un objet de désir.

3 raisons d’aller voir « L’étincelle, une histoire des luttes LGBT+ »

Posté par vincy, le 24 juillet 2019

Le pitch: Une histoire de la lutte LGBT des années soixante à nos jours, après que l’étincelle des émeutes de Stonewall a embrasé l’action militante qui, de New York, devait se répandre partout dans le monde. De San Francisco à Paris en passant par Amsterdam, entre les premières Gay Pride, l’élection d’Harvey Milk, la « dépénalisation » française, l’épidémie du Sida et les premiers mariages homosexuels, ces quelques décennies de lutte s’incarnent au travers de nombreux témoignages d’acteurs et actrices de cette révolution arc-en-ciel.

Des témoignages forts. Avec ce documentaire initialement prévu pour la TV, Benoît Masocco a capté la parole des décideurs et des activistes ou des artistes qui ne secachent pas, de ceux qui ont vécu le combat pour l'affirmation comme ceux qui ont traversé l'apocalypse des années Sida, qu'ils soient américains, français, néerlandais... A chaque fois, c'est bouleversant. Qu'il s'agisse d'une confession intime ou d'un engagement politique, les écouter est une épreuve émotionnelle: ils partagent leur souffrance, leur désespérances ou leur combattivité avec une belle pudeur, une dignité respectable ou une flamme vivace. On voit ainsi défiler Robert Badinter et Didier Lestrade, Bertrand Delanoë et Gérard Lefort, Dustin Lance Black (When We Rise, scénariste de Harvey Milk et J. Edgar) et l'écrivain Edmund White, John Cameron Mitchell (Shortbus) et Cleve Jones... Tous, femmes ou hommes, rappellent le parcours semé d'embûches des homosexuels, des années 1960 à aujourd'hui... Ils se sont battus politiquement, médiatiquement, collectivement. Ils revendiquent une culture queer alternative face à ceux qui se sentent bien dans une société "normalisante". Ils se souviennent avec amusement des rébellions contre les forces policières, avec douleur des morts du sale virus, avec joie des avancées pas à pas pour la cause, avec regrets des années folles, avec bonheur des victoires, amères ou triomphales.

50 ans de luttes nécessaires. Car ce combat n'est pas fini. Et les débats changent de forme. L'histoire commence avec la révolte de Stonewall à New York et l'année suivante, la naissance des marches de la fierté. La fameuse étincelle. L'émancipation sexuelle, l'égalité civique des noirs américains, la progression du féminisme: tout conduit la communauté LGBT à revendiquer ses droits, sortir du placard et casser les lois discriminatoires. Le documentaire montre l'horreur de certaines lois anti-homosexuels à l'époque. L'avènement d'Harvey Milk et son assassinat, la loi Badinter de 1982 dépénalisant l'homosexualité et les horreurs des anti-Pacs ou anti-Mariage pour tous, la liberté folk des années 1970 et l'enfer pop des années 1980: tout contribue à la libération des mœurs et leur concrétisation politique. Le Sida va siffler la fin de la fête. Un autre combat va commencer. Puis ce sera celui de l'égalité des droits. Aujourd'hui commence un travail de mémoire avec la réhabilitation des grandes personnalités LGBT, la création de centres d'archives ou de chaires universitaires, les droits des transsexuels ... Aujourd'hui, on parle d'homoparentalité dans les pays où le mariage est déjà acquis. Mais il ne faut pas oublier que l'homosexualité reste interdite dans des dizaines de pays (voire passible de peine de mort), qu'en Europe des gouvernements agitent une homophobie populiste qui peut s'avérer meurtrière, que les crimes homophobes augmentent un peu partout.

Nous vieillirons ensemble. L'un des mérites du film est avant tout de déterrer les racines d'un combat qui est devenu public il y a cinquante ans. Et, par conséquent, de montrer des femmes et des hommes homosexuels qui étaient adolescents sous Woodstock et qui sont de beaux seniors aujourd'hui. Pour la première fois, une génération née après la guerre peut être ouvertement et publiquement gay et toujours en vie. Et la génération LGBT post-SIDA peut apprendre de son passé commun, et comprendre qu'après 30 ans, on n'est pas forcément condamné à être obsolète (sauf sur Grindr). Car c'est, en creux, l'un des aspects les plus intéressants de ce documentaire. Avec ses archives, son voyage dans le temps, ses souvenirs qu'on aurait pu croire révolus voire éteints, il dévoile une histoire qui n'est plus si jeune et qui aurait pu disparaître avec la propagation du HIV ou l'obligation de vivre caché. Grâce à ses anciens combattants, la communauté LGBT d'aujourd'hui, peut s'engager dans les combats de demain. L'étincelle devient alors un film qui sert de relais entre ceux qui ont vécu toutes ces batailles et ceux qui aujourd'hui profitent de cette liberté chèrement acquise. Or, on le sait, la liberté est une valeur fragile. Comme une flamme est facile à éteindre. Les luttes continuent.

3 raisons d’aller voir « Bixa Travesty »

Posté par vincy, le 26 juin 2019

[Le pitch] Bixa Travesty est le portrait électrisant de Linn da Quebrada (site officiel), artiste à la présence scénique extraordinaire qui réfléchit sur le genre et ose affronter avec un rare panache le machisme brésilien. Le corps féminin trans comme moyen d’expression politique.

Un personnage de cinéma. Le documentaire de Claudia Priscilla et Kiko Goifman, récompensé aux prestigieux Teddy Awards, mais aussi à Biarritz et à Chéries Chéris, met en scène Linn da Quebrada, artiste charismatique qui s'affranchit des étiquettes et des genres et utilise son corps (féminin) trans comme arme politique dans un pays encore dominé par le machisme et subissant une forte recrudescence des actes homophobes et transphobes. Linn est magnifique, drôle, enragée, directe, provocatrice, révolutionnaire, réfléchie. Ce qui pourrait passer pour un ego trip devient une guerre pour que nous soyons tous égaux. Sa manière d'être à la fois drama queen, ultra-queer, chanteuse énervée et voix engagée (posée) la rend aussi attachante que séduisante. Elle peut ainsi être déchaînée avec un icro et décalée quand elle se fait opérer d'un cancer. A cela s'ajoute, Jup, éternelle complice. Un duo parfois hilarant, à la Laurel et Hardy, complémentaire et revendicateur. Accessoires, perruques et maquillages font le reste : autant de moyens d'affirmer sa différence pour qu'il n'y ait plus de norme dogmatique.

Un pamphlet engagé. Face à la haine, à un gouvernement appelant à la violence contre les LGBT, au repli sur soi constaté un peu partout, le documentaire fait office de tract en images contre le machisme, le racisme, le sexisme et l'homophobie. Salutaire, cette prise de parole, qui n'est pas didactique, partage l'existence et l'expérience d'une combattante, qui n'hésite pas à utiliser sa musique ou Canal Brésil, pour partager sa vision ouverte et tolérante du monde. Linn da Quebrada ne mâche pas ses mots mais sait aussi conquérir ses audiences. En interpellant l'humaniste qui est en nous, en constatant la méconnaissance globale de son monde, elle projette les spotlights sur les trans et les minorités opprimées, sur la condition des femmes et sur la difficulté d'être respecté en tant qu'être humain. Bixa veut dire pédé. Terme choc qui affronte un monde où cette expression est surtout devenue une insulte pour les intolérants ou les ignorants.

Un film punk-attitude. Du slam et du rock au look, de la liberté de ton à l'intimité des plans, Bixa Travesty est un cri qui vient de l'intérieur mais qui hurle fort. Du sexe comme propagande et des paroles comme pistolets. En fusionnant les genres sexuels - on se fout de l'inclusif, du pronom personnel. Elle est il et il est elle. Le documentaire déconstruit nos préjugés et ouvre nos yeux sur des territoires flous, illustrant ce fameux et récent concept du "genderfluid". Filmé dans la durée à la fois immersif et observateur, à l'écoute et haut-parleur, ce film n'agressera que ceux qui veulent garder leurs œillères et rester sourds à cette déclaration de liberté et de fraternité prônée par Linn (et ses gants d'argent).

La Russie raccourcit Rocketman

Posté par vincy, le 31 mai 2019

Il fallait s'y attendre. Taron Egerton, qui incarne Elton John dans le biopic Rocketman, avait d'ailleurs anticipé le problème. "Je me fous de savoir si le film marchera en Russie" affirmait-il il y a quelques semaines en pointant un pays qui peut rejeter sa distribution pour "atteintes au valeurs traditionnelles". "Ça n’a pas d’importance, poursuit-il. Ça ne veut pas en avoir. Qu’est-ce que 25 millions de dollars en plus au box office ? Pourquoi faire cela ? Pour ne pas dormir la nuit parce que tu as tout édulcoré ?"

Et bien, ça n'a pas coupé. En fait, si ça a bien coupé. L'AFP rapporte que des scènes d'amour homosexuelles (il y en a trois) et de consommation de drogues ont été retirées de la version russe du film selon des critiques ayant assisté vendredi à une projection en Russie. "Toutes les scènes de baisers, d'amour et de sexe oral entre hommes ont été coupées", a écrit sur Facebook le critique de cinéma russe Anton Doline. C'est d'autant plus ironique qu'on ne voit pas grand chose à part la tête entre les jambes d'un homme ou deux corps presque nus enlacés.

Le distributeur du film a confirmé que ces modifications avaient été faites pour "respecter les lois russes". Depuis 2013, la loi punit d'une amende ou de prison tout acte de "propagande" homosexuelle auprès des mineurs. En l'occurrence, le gouvernement n'a rien demandé, si on en croit le ministère russe de la Culture.

Déshumanisation

Amnesty International a dénoncé un cas de "censure" "ridicule" qui "déshumanise les relations homosexuelles". L'ONG exige la sortie de la version originale du film au nom du respect des droits des minorités sexuelles. Ce sera vain, évidemment.

Le distributeur Central Partnership a aussi modifié le texte précédent le générique de fin. Dans la version normale, il est rappelé qu'Elton John est marié avec un homme et a adopté deux enfants avec son époux. Dans la version russe, il est indiqué qu'il a créé une association contre le sida. Mais aucune mention sur son mariage et sa paternité.

Etrangement, les scènes d'amour gay, plus rares avouons-le, dans Bohemian Rhapsody n'avaient pas été coupées en Russie.

Peut-être qu'il faut y voir une petite revanche sur Elton John, qui a souvent critiqué le pays sur ses lois discriminatoires envers les homosexuels. Là aussi, c'est assez ironique: en 1979, il a été l'une des premières stars occidentales à se produire dans l'Union soviétique d'alors, lors d'une tournée. Sans compter la chanson "Nikita" très russophile. Il n'a cessé de passer par la Russie lors de ses tours de chant. En 2014, il s'est même exprimé sur le sujet: "En tant qu’homme gay, je me suis toujours senti aussi bien accueilli ici en Russie. Les histoires de fans russes - des hommes et des femmes qui sont tombés amoureux en dansant sur "Nikita" ou de leurs enfants qui chantent pour "Le cercle de la vie" - définissent le monde selon moi. Si je ne suis pas honnête avec qui je suis, je ne pourrais pas écrire cette musique. Ce n’est pas de la propagande gay. C’est comme ça que j’exprime la vie. Si nous commençons à punir les gens pour cela, le monde perdra son humanité. "

Cannes 2019 : Céline Sciamma décroche la Queer Palm avec Portrait de la jeune fille en feu

Posté par wyzman, le 25 mai 2019

C’était l’un des événements les plus attendus hier soir, l’annonce des lauréats de la 10e édition de la Queer Palm.

Un palmarès logique

Et c’est donc au film de Céline Sciamma Portrait de la jeune fille en feu qu’est revenu la Queer Palm, le prix qui, depuis 2010, a pour ambition de récompenser les films qui traitent intelligemment d’une thématique altersexuelle. Porté par Adèle Haenel et Noémie Merlant, Portrait de la jeune fille en feu traite de l’intense complicité qui se crée entre une peinture et jeune femme qui vient de sortir du couvent et s’apprête à se marier. C'est la première fois qu'une réalisatrice remporte ce prix et la troisième fois que la Queer Palm distingue un film de la compétition.

Parmi les autres films en compétition, on trouvait notamment Douleur et gloire de Pedro Almodóvar, Roubaix, une lumière d’Arnaud Desplechin, Matthias et Maxime de Xavier Dolan, Rocketman de Dexter Fletcher, Port Authority de Danielle Lessovitz ou encore And Then We Danced de Levan Akin.

Côté courts métrages, le jury 2019 a par également récompensé Vasilis Kekatos pour La distance entre le ciel et nous, film proposé en sélection officielle.

Pour rappel, le jury de cette 10e édition était présidé par l’actrice Virginie Ledoyen et composé par Claire Duguet (directrice de la photographie), Kee Yoon Kim (actrice), Filipe Matzembacher (réalisateur) et Marcio Reolon (réalisateur). Lors des éditions précédentes, ce sont Girl de Lukas Dhont, 120 battements par minute de Robin Campillo et Les Vies de Thérèse de Sébastien Lifshitz qui ont raflé le prix en ce qui concerne les longs métrages. Chez les courts, The Orphan de Carolina Markowicz et Les Îles de Yann Gonzalez sont les lauréats les plus récents.