Philippe Nahon (1938-2020), un « ogre » seul contre tous…

Posté par kristofy, le 20 avril 2020

Son visage était rarement sur les affiches mais son nom est pourtant au générique de pas loin d’une centaine de films : l’acteur Philippe Nahon est décédé le 19 avril à 81 ans, suite à l’aggravation de son état de santé compliqué par le coronavirus.

Ses débuts se sont faits devant les caméras de Jean-Pierre Melville (Le doulos), Jacques Doillon, René Féret (avec qui il fera plusieurs films tout au long de sa carrière) et Romain Goupil. Mais les propositions de cinéma se font rares et espacées de plusieurs années, alors, pendant ce temps-là, il joue  sur les planches et pour la télévision. Il n’aura presque jamais cessé de tourner des téléfilms, et ce n’est qu’après ses 55 ans que le cinéma s'est souvenu de lui.

Devenu alors très sollicité, il un des rares acteurs avec une certaine notoriété qui acceptait de tourner sans mépris dans des courts-métrages : on le voit trimballer sa gueule et son corps imposant dans 45 courts-métrages de réalisateurs alors débutants (Erick Zonca, Pierre Vinour, Julien Leclercq). C’est justement en tournant un court-métrage, Carne, en 1991, qu'il rencontre Gaspar Noé. Leur collaboration allait s'étendre dans le long-métrage avec le cultissime Seul contre tous en 1998. Ce rôle de boucher incestueux, à la voix râpeuse, va lui coller à la peau longtemps, et Philippe Nahon devient une sorte d’icône contre-culturelle pour une nouvelle génération de cinéastes.

D'Audiard à Spielberg

Curieusement, il n’a pas beaucoup joué pour les réalisateurs de son âge, ni avec les abonnés aux nominations aux César. Philippe Nahon c’est un regard perçant, une présence et un charisme. A la suite des films avec Gaspar Noé (dont Irréversible), il se retrouve alors dans ceux de Mathieu Kassovitz (Les rivières pourpres), Jacques Audiard (Un héros très discret), Guillaume Nicloux (Le poulpe, Une affaire privée), Christophe Gan (Le pacte des loups), Rémi Bezançon (Ma vie en l'air) ou encore Bouli Lanners (Eldorado). Il s'amuse aussi chez Benoît Mariage, Sam Karman, Hélène Fillières ou encore chez Alexandre Astier dans la série Kaamelott, incarnant savoureusement Goustan le cruel…, et mêmes dans les gros films de Jean-Marie Poiré (Les angles gardiens, Les visiteurs 2), Alain Corneau (Le deuxième souffle), Olivier Marchal (MR 73), Luc Besson (Adèle Blanc-sec), ou Steven Spielberg (Cheval de guerre) !

Presque tout ce qui va se tourner en cinéma de genre et d’horreur francophone voudra l’avoir à l’image : Haute Tension d'Alexandre Aja, Calvaire de Fabrice Du Welz, Lady Blood de Jean-Marc Vincent, Humains de Jacques-Olivier Molon, La Meute de Franck Richard, Kill me please d'Olias Barco, Cannibal de Benjamin Viré, Au nom du fils de Vincent Lannoo, Nos héros sont morts ce soir de David Perrault, Ablations d'Arnold de Parscau, Horsehead de Romain Basset…

"Un Gaulois, direct et sentimental"

Et pourtant, si il a été en quelque sorte un ogre inquiétant dans le cinéma, Philippe Nahon était  un bonhomme qui préférait rigoler. Une de ses dernières apparitions publiques aura été en septembre dernier sur la scène de l'Etrange Festival pour une première de Irreversible-inversion integrale de Gaspar Noé où la salle l'a vivement applaudi au point de le faire un peu pleurer...

C’est évidement la lettre de Gaspar Noé (parue dans Libération) qui représente l’hommage le plus émouvant à Philippe Nahon : « Nous, on s’est connus il y trente ans, je rêvais de m’amuser à faire du cinéma, comme Buñuel ou comme Franju. Toi, de vingt-cinq ans mon aîné, tu en faisais déjà depuis longtemps. Au retour de cette sale guerre coloniale que tu n’avais pas réussi à déserter et qui t’a valu trois ans de camp disciplinaire, tu avais commencé à faire du cinéma avec Reggiani et Melville. Moi, je voulais faire un premier film avec un personnage masculin qui soit la quintessence de ce que je croyais être un homme normal, donc complexe et le plus souvent perdu. Ce «héros» devait être bien plus âgé que moi. C’était un vrai homme qu’il fallait, d’une cinquantaine d’années, avec un visage universel et intemporel comme celui de Jean Gabin. Je voulais un Gaulois, direct et sentimental. J’ai vu une photo de toi et le coup de foudre a été immédiat. Tu es venu chez moi, un peu imbibé, et rigolard face à ce jeune étranger à la diction inaudible. Tu rêvais de vrais rôles. Jouer, te transformer, pour t’amuser, pour te faire de nouveaux amis. »

Venise 2019 : Irréversible – Inversion Intégrale, de Gaspar Noé, avec Monica Bellucci et Vincent Cassel

Posté par kristofy, le 2 septembre 2019

Retour en arrière: en 2002 au Festival de Cannes Gaspar Noé et le couple-star du moment Vincent Cassel et Monica Bellucci, avec Albert Dupontel, choquent la Croisette, secouent le cinéma français avec Irréversible, raconté en forme de retour en arrière: le début est à la fin, et inversement. 17 ans plus tard le film, toujours aussi (im)pertinent, est proposé avec un nouveau montage, dans l'ordre chronologique : Irréversible - Inversion Intégrale a été présenté en séance de minuit au Festival de Venise.

Pourquoi ce nouveau montage ? En fait Irréversible va faire l'objet d'une nouvelle édition en vidéo avec une qualité 4K en blu-ray. Depuis 17 ans, cet autre montage Irréversible - Inversion Intégrale était un fantasme pour les passionnés du film. Il a été envisagé d'abord comme un énorme bonus à ce futur blu-ray à venir, mais, finalement, il sortira aussi dans certaines salles de cinéma.

Le trio Noé - Cassel - Bellucci est venu à Venise et revenu sur l'aventure de ce film adoré ou détesté.

Gaspar Noé : L'idée originale était que l'histoire se déroule durant une nuit qui promettait d'être festive et durant laquelle le personnage d'Alex [Bellucci, ndlr] allait peut-être révéler quelque chose à propos d'elle. Mais les faits qui vont se dérouler conduisent les personnages de Marcus [Cassel, ndlr] et Pierre [Dupontel, ndlr] et d'autres, de la culture vers la barbarie. C'est ce glissement qui est l'arc du projet. Je suis heureux que le film soit visible dans ces deux versions différentes, et qu’elles soient aussi puissantes l'une que l'autre. Cette nouvelle version n'a aucun rajout, elle n'est pas différente, il y avait une scène qui avait été tournée et jamais montée où on voyait Monica à l'hôpital, et on ne l'a pas ajoutée non plus ici. Irréversible - Inversion Intégrale, c'est le même film avec les séquences dans l'ordre inverse, c'est juste la chronologie qui change. Un film se fait avec l'énergie des gens devant la caméra comme Vincent, Monica et Albert et des gens derrière la caméra comme Benoit Debbie et d'autres, Irréversible c'est vraiment une œuvre collective, ajoute-t-il. Cependant, il confesse: "Plus personne aujourd'hui n'oserait ni financer, ni peut-être même jouer dans un film comme ça".

Anecdotes: Pour les personnes qui ont déjà vu Irréversible et qui hésitent peut-être à le revoir, voici par exemple certains détails que l’on remarque mieux en connaissant déjà l’histoire :
- durant la fête Vincent Cassel se trompe durant son improvisation, au lieux de dire qu’il s’appelle 'Marcus' il dit son vrai prénom 'Vincent', il s’en aperçoit et essaie de corriger ensuite en blaguant avec le prénom 'Jean-François'…
- durant la longue scène violente dans le tunnel, il y a en fait une autre personne qui arrive et qui en est le témoin, mais au lieux d’intervenir elle s’en va.

Vincent Cassel : Faire ce film était une sorte de mission guérilla, on avait eu du financement sur nos noms et avec 3 pages de scenario, et 12 séquences d'improvisation a faire. Je savais que ce film resterait, et serait étudié dans des écoles de cinéma, je l'avais dit il y a 17 ans, c'est encore le cas aujourd'hui.

Monica Bellucci : La fameuse scène du tunnel avait été répétée plusieurs fois pour les gestes qu'on allait faire, la jouer était une performance avec une certaine sécurité quand-même. Ce film a été la première et la dernière fois où on a eu l'opportunité de jouer des longues séquences durant une vingtaine de minutes sans coupure, c'est une expérience rare au cinéma. Quand je l'ai vu, je me suis rendue compte que le film n'avait absolument pas vieilli, que c'était resté un film très fort. Et peut-être que cette nouvelle version du montage met encore plus en évidence cette dualité entre beauté et violence

Le seul changement porté à Irréversible - Inversion Intégrale est sa conclusion finale post-générique qui n'est plus 'le temps détruit tout' mais 'le temps révèle tout'. Logique. Même si ça ne changera rien aux opinions divergentes sur le film, toujours antagonistes depuis 17 ans.

Cannes 2019: Tarantino, Kechiche, Noé et des Ours en sélection officielle

Posté par vincy, le 2 mai 2019

Pas de Kore-eda, mais Tarantino (attendu, avec un DiCaprio qui sera aussi présent avec un docu en séalce spéciale), Kechiche (déjà su et toujours en montage) s'ajoutent en compétition. Avec un deuxième film d'animation dans Un certain regard, un moyen métrage de Gaspard Noé avec Béatrice Dalle et Charlotte Gainsbourg en séance de minuit, et deux cinéastes latino-américains notoires en séances spéciales, la sélection officielle s'enrichit de 9 titres.

Compétition

Once Upon a Time... in Hollywood de Quentin Tarantino

Mektoub, My Love : Intermezzo d’Abdellatif Kechiche

Séances de minuit

Lux Æterna de Gaspar Noé

Un certain regard

La fameuse Invasion des Ours en Sicile / La famosa invasione degli orsi in Sicilia de Lorenzo Mattotti

Odnazhdy v Trubchevske de Larissa Sadilova

Séances spéciales

Chicuarotes de Gael García Bernal

La Cordillère des songes / La Cordillera de los sueños de Patricio Guzmán

La Glace en feu / Ice on Fire de Leila Conners

Ward 5B de Dan Krauss

2018 dans le rétro : la bonne année du cinéma de genre

Posté par kristofy, le 27 décembre 2018

C’était quoi le cinéma de genre en 2018 ?

On avait observé l’année dernière que 2017 avait été symbolique d’un certain glissement vers une reconnaissance du cinéma de genre : certains de ces films dépassent ‘leur public’ et obtiennent un plus large succès auprès du ‘grand public’. Le film de monstre La Forme de l’eau de Guillermo Del Toro, sorti en février, avait reçu le Lion d’or de Venise avant de décrocher 4 Oscars : meilleur film, meilleur réalisateur, meilleurs décors, et meilleure musique (au français Alexandre Desplat) ; Get Out de Jordan Peele a engrangé 254 millions de dollars de recettes mondiale pour un budget d’environ 5 millions tout en recevant le convoité Oscar du meilleur scénario original ; et en France c’était le film Grave de Julia Ducournau qui avait fait l'évènement pour finir avec le Prix Louis-Delluc et 6 prestigieuses nominations aux Césars.

Ils sont où les films de genre français avec des zombies affamés ou des aliens envahisseurs ? C’est la bonne nouvelle de 2018 : il y a eu plus de films français de ce type distribués en salles, et plusieurs sont des premières œuvres. Parfois l’élément fantastique est central, parfois il réside en périphérie. Il peut prendre la forme d'un polar ou celle d'une introspection intime. En bonus, on y voit aussi quelques noms célèbres sur les affiches.

Une belle diversité

Citons dans ce panorama très diversifié : Burn Out de Yann Gozlan (avec François Civil, Olivier Rabourdin, Manon Azem), Revenge de Coralie Fargeat (l'actrice Matilda Lutz a été retenue dans les 34 révélations pour les prochains Césars), Les Garçons sauvages de Bertrand Mandico (qui ensuite a reçu le Prix Louis-Delluc du premier film, ex-aequo), La nuit a dévoré le monde de Dominique Rocher (avec Anders Danielsen Lie, Golshifteh Farahani, Denis Lavant), Ghostland de Pascal Laugier, Madame Hyde de Serge Bozon (avec Isabelle Huppert), Dans la brume de Daniel Roby (avec Romain Duris, Olga Kurylenko), Caniba de Verena Paravel & Lucien Castaing-Taylor, Climax de Gaspar Noé, Hostile de Mathieu Turi, High Life de Claire Denis (avec Robert Pattinson et Juliette Binoche), et sur Netflix La Femme la plus assassinée du monde de Franck Ribière (avec Anna Mouglalis). A noter toutefois comme les années précédentes que certains de nos talents doivent chercher un soutien hors de France à l’international pour leurs projets (au Canada, Etats-Unis, Canada, Espagne…), ce qui induit souvent un tournage en langue anglaise (Ghostland, Revenge, Hostile, High Life…).

Le maître du suspens Stephen King a même salué à sa manière le cinéma français avec cette éloge : « Juste quand vous pensiez que les films de zombies ont été épuisés, un film parfaitement remarquable débarque, réalisé par Dominique Rocher, intitulé La Nuit a dévoré le monde. Il va vous laisser bouche bée. »

La France est toujours un peu en retard pour le soutien à ses cinéastes de genre : Xavier Gens à réalisé The Crucifixion et Cold Skin, qui ne sont pas sortis chez nous, Julien Mokrani a vu la production de son projet Les Sentinelles abandonnée… Pourtant les nouveaux talents français sont déjà là et ils sont nombreux : Steeve Calvo, William Laboury, Mael Le Mée, Just Philippot qui ont eu une distribution sur grand écran de leurs courts-métrages en février avec 4 histoires fantastiques. Par ailleurs, les films Tous les dieux du ciel de Quarxx et Girls with balls de Olivier Afonso font le tour des festivals en attendant d’être exploités en salles, tout comme Furie de Olivier Abbou. Combien d’entre eux vont devoir s’exporter ailleurs pour leurs prochains projets ?

Le CNC prend enfin la mesure (tardive) que le film de genre français contribue aussi à faire grandir plusieurs métiers techniques spécialisés (effets spéciaux, maquillages et prothésistes, cascadeurs, décors…) et qu’il faut les soutenir  : « Notre volonté est d’encourager la diversité au cinéma et d’inciter les créateurs à s’engager sur des voies insuffisamment empruntées. En France comme à l’étranger, en particulier au sein de la jeune génération, il y a un réel engouement, pour les films de genre : les créateurs français y ont toute leur place ! ». Trois projets en particulier vont être aidés par une bourse dans leur production : La nuée de Just Philippot, Ogre de Arnaud Malherbe, Else de Thibault Emin (une extrapolation de son court-métrage d’il y a 10 ans, en sortie de Fémis, c’est dire si le chemin est long). Il faudrait désormais que les distributeurs suivent, surtout quand il y a une interdiction aux moins de 16 ans.

Des hits au box office

Cette année dans les salles de cinéma le public a eu beaucoup d’occasion de frissonner. Le surnaturel a fait peur avec Verónica de Paco Plaza, Hérédité de Ari Aster (avec l'excellente Toni Collette), Sans un bruit de John Krasinski (avec la non moins excellente Emily Blunt), L'Exorcisme de Hannah Grace de Diederik Van Rooijen et La Nonne de Corin Hardy (avec Taissa Farmiga et Demian Bichir), qui, avec 1,4 million d'entrées en france se hisse au niveau de Ron Howard et Guillermo del Toro. L’horreur s’est cachée dans Le Secret des Marrowbone de Sergio G. Sánchez (avec Anya Taylor-Joy et Mia Goth), Strangers: Prey at Night de Johannes Roberts (avec Christina Hendricks), American Nightmare 4 : Les Origines, qui est aussi millionnaire en entrées, The Strange Ones de Christopher Radcliff, sans compter quelques frayeurs du côté du monde jurassique ou du labyrinthe post-apocalyptique.. L’Asie dont les multiples pays produisent des dizaines de bons films de genre a été quasiment ignorée cette année 2018, mis à part les sorties trop discrètes de Battleship Island de Ryoo Seung-wan et de Avant que nous disparaissions, d'Invasion de Kiyoshi Kurosawa. De son côté, le japonais Shinsuke Sato a gagné pour la seconde fois le Corbeau d'or au BIFFF avec Inuyashiki, film toujours invisible en France...

Les surprises les plus fortes de l’année en films de genre, de la SF à l'horreur, nous sont venues en fait des plus grands cinéastes : Guillermo del Toro avec La Forme de l'eau, Steven Spielberg avec Ready player one, Lars von Trier avec The House that Jack built, la version en 3D de Détective Dee : La légende des Rois Célestes de Tsui Hark, et Ghostland de Pascal Laugier. 2018 a été aussi l’occasion de redécouvrir le classique de Stanley Kubrick 2001 : l'odyssée de l'espace dans une restauration célébrant son 50ème anniversaire.

Hollywood continue encore de produire/distribuer des suites ou des remakes de grands succès passés: Halloween de David Gordon Green (avec Jamie Lee Curtis), Suspiria de Luca Guadagnino (avec Dakota Johnson et Tilda Swinton), The Predator de Shane Black. Ou s'acharne à écrire de mauvais films dans l'air du temps comme Unfriended, Action ou vérité?, Escape room. Parallèlement, de nombreux titres pourtant de qualité, portés par des sélections en Festivals, sont ignorés (Tigers are not afraid de Issa Lopez) ont n’arrivent qu’en DVD/VàD (comme Muse de Jaume Balagero). Il faut donc aussi désormais évoquer la plateforme Netflix : c’est là qu’il fallait aller pour découvrir Apostle de Gareth Evans, Hold the dark de Jeremy Saulnier, Illang the wolf brigade de Kim Jee-woon, Psychokinesis de Yeon Sang-ho, The night comes for us de Timo Tjahjanto, Annihilation d'Alex Garland, avec Natalie Portman, Bird Box de Susanne Bier, avec Sandra Bullock, et donc aussi La Femme la plus assassinée du monde de Franck Ribière (avec Anna Mouglalis).

Le genre était de genre féminin, assez logiquement. La plupart des films marquants, soit par leur popularité, soit par les louanges reçues, avaient une ou plusieurs héroïnes, victimes ou/et combattantes.

Alors finissons avec une belle promesse (au féminin) pour 2019: Alita: Battle Angel. Réalisé par Robert Rodriguez et coproduit par James Cameron, cette adaptation du manga japonais Gunnm nous transporte le futur... bien au-delà de 2019

Cannes 2018 : Le palmarès de la Quinzaine des Réalisateurs

Posté par wyzman, le 17 mai 2018

Il y a quelques minutes seulement, les membres de la Société des réalisateurs de films (SRF) ont dévoilé leur palmarès. Et c'est Climax de Gaspar Noé qui remporte le Graal du cru 2018 de la Quinzaine des réalisateurs, l'Art Cinema Award remis par la Confédération internationale des cinémas d'art et essai (CICAE). De son côté, En liberté est reparti avec le prix SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques).

Art Cinema Award : Climax de Gaspar Noé

Label Europa Cinemas : Troppa Grazia de Gianni Zanasi

Prix SACD : En liberté de Pierre Salvadori

Prix Illy du court métrage : Skip Day d' Ivete Lucas & Patrick Bresnan

Carrosse d'or : Martin Scorsese

Cannes 70 : minuit, l’heure du film

Posté par cannes70, le 27 mars 2017

70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Critique-Film, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.

Aujourd'hui, J-52. Et pour retrouver la totalité de la série, c'est par .


Pour les films en compétition à Cannes, les séances officielles se déroulent selon un rituel devenu habituel : le message automatique « mesdames et messieurs veuillez accueillir l’équipe du film » résonne, on les applaudit pendant que le réalisateur et ses talents s’assoient au centre, la grande salle Lumière est plongée dans le noir et l’écran s’éclaire avec le début du film dans un silence sacré… Mais chaque année, il y a quelques séances dites "de minuit" (sur le programme minuit trente, en vrai plutôt 1h du matin… ça fait partie du folklore) pour des films hors-compétition où l’ambiance est différente : le plus souvent Thierry Frémaux est sur scène avec un micro pour présenter l’équipe, on applaudit en sifflant, et, quand le film commence, les noms du générique provoquent encore des applaudissements et des hurlements…

Thierry Frémaux a déjà déclaré que le Festival de Cannes repose sur 4 piliers qui sont les auteurs, le marché, les médias et le glamour ; et que « ces quatre piliers doivent être à égalité ». C’est parfois difficile quand il y a un film roumain, iranien, ou philippin en course, mais cette délicate équation s’équilibre sur l’ensemble des films sélectionnés ; elle est vérifiée aussi pour presque chaque séance de minuit. Un exemple l’année dernière avec Blood Father : retour de Jean-François Richet aux commandes d’un film tourné aux Etats-Unis, présence de Mel Gibson, fin de festival… et résultat , une grosse ambiance au rendez-vous !

Dans ces moments-là, on va non seulement au cinéma mais aussi au spectacle, le public cinéphile (relativement) sage en journée devient aussi agité que celui d’un concert. Alors que pour la sélection en compétition c’est parfois "haters gonna hate", pour les films de minuit c’est plutôt "ceux qui savent, savent". Les films des autres séances se doivent de conquérir le public, pour les séances de minuit  le public est déjà acquis d’avance au film qu’il s’attend à voir. C'est ainsi que, depuis quelques années, avec des thrillers sanglants et des documentaires rock’n’roll, les séances de minuits sont devenues un rendez-vous événementiel à ne rater sous aucun prétexte.

Les séances de minuit c’est rock !


En 2007, le groupe U2 a joué deux titres en live sur les marches juste avant la projection de U2 3D, en fait une captation d’un extrait de concert en relief à voir seulement avec des lunettes 3D. Le documentaire musical est un genre qui s’invite souvent aux séances de minuit. L’année dernière c’est Iggy Pop qui est venu pour le documentaire Gimme Danger qui lui a consacré Jim Jarmush. La chanteuse Amy Winehouse a été trouvée morte à 27 ans, de nombreuses vidéos personnelles ont été retrouvées ensuite pour que Asif Kapadia en fasse Amy à Cannes en 2015 avant de gagner un Oscar du meilleur documentaire. Et c’est justement pour anticiper un éventuel futur succès avec un Oscar que Cannes essaie d’attirer des films sur la musique à minuit, comme par exemple The Sapphires de Wayne Blair en 2012 (mais qui n'aura finalement eu des statuettes qu’en Australie).

Les séances de minuit ça fait peur !


Les zombies c’est la vie, mais c’est injustement mort pour figurer en compétition : alors séance de minuit. En 2004 on découvre ainsi L’armée des morts, c’est non seulement un très bon remake du Zombie de George A. Romero mais aussi le premier film (son meilleur ?) d’un nouveau réalisateur qui allait ensuite se consacrer au blockbuster de super-héros : Zack Snyder. L’année suivante il y aura à minuit un documentaire dont le sujet est justement les films de minuits qui deviennent de plus en plus populaires Midnight Movies : From the Margin to the Mainstream par Stuart Samuels. Mais le souvenir de celui-ci a été en partie éclipsé par l’événement organisé en introduction juste avant : une vingtaine de minutes d’images exclusives de Land of the Dead, le prochain film que tournait justement le père des zombies de retour à la réalisation. Et, cri d'effroi supplémentaire sur la gâteau horrifique, George A. Romero lui-même était présent et est monté sur scène !

Autre pointure du genre depuis son Evid Dead et après sa trilogie Spiderman, voici Sam Raimi invité en séance de minuit en 2009 pour son nouveau film Jusqu’en enfer avec une malédiction démoniaque qui avait bien fait palpiter la salle. Même si son nouveau film est plutôt raté, un grand nom du fantastique sait désormais qu’il pourra être à Cannes à minuit, comme par exemple Dario Argento en 2012 avec son Dracula 3D. 2012 toujours à minuit la claque viendra de Maniac par Franck Khalfoun et Alexandre Aja entièrement en caméra subjective du point de vue du tueur, avec l’équipe était présent William Lustig le réalisateur de l’original 30 ans avant (on espère le revoir encore à Cannes en 2018 pour le remake de son Maniac cop coproduit par Nicolas Winding Refn). Un des meilleurs films de 2016 aura été un film avec des zombies qui a été découvert à minuit à Cannes l’année dernière : Dernier train pour Busan de Sang-ho Yeon, qui a comme qualité bonus de venir de Corée du Sud, grand pays pourvoyeur de films pour les séances de minuit...

Les séances de minuit c’est asiatique !


Le savoir-faire coréen dans le genre thriller place la barre très haut, comme par exemple donc bien entendu ce Dernier train pour Busan de Yeon Sang-ho. En 2008 une autre séance de minuit a vu une longue ovation pour un nouveau réalisateur qui s’est imposé à coups de marteau : Na Hong-Jin avec The Chaser qui aurait d’ailleurs pu bousculer le palmarès s'il avait été en compétition (comme Old boy de Park Chan-wook en 2004). En 2015 ça sera O Piseu (Office) de Hong Won-Chan. Les autres pays asiatiques sont aussi régulièrement en séance de minuit avec certains de leurs réalisateurs les plus connus. En 2010, on découvre par exemple la grande fresque cape et épée Wu Xia de Peter Ho-Sun Chan, en 2013 c’est Blind Detective de Johnnie To et aussi Monsoon Shootout de Amit Kumar. En 2014 la surprise vient du film The Target de Yoon Hong-seung, qui est un dynamique remake du thriller français À bout portant de Fred Cavayé.

Les séances de minuit c’est aussi français !


C’est un reproche que l’on entend pour ces dernières éditions pour les films en compétition de la sélection officielle : il y a trop de films français, et pas les meilleurs. Certains films français tentent des choses dans le cinéma de genre, pas souvent pour le meilleur, mais Cannes se débrouille pour en placer certains en séances de minuit. Ainsi en 2009 on voit Ne te Retourne pas de Marina De Van dans lequel Sophie Marceau prendra l’apparence de Monica Bellucci. L’année suivante en 2010 c’est L’autre monde de Gilles Marchand avec Melvil Poupaud, Louise Bourgoin et Grégoire Leprince-Ringuet et un jeu vidéo mortel. Pour ce qui est du cinéma de genre français, la séance de minuit est presque synonyme malheureusement d’une appréciation de type : "des efforts mais peut mieux faire" (d’ailleurs Gilles Marchand avec Dans la forêt en février 2017 et Marina De Van avec Dark Touch en 2014 ont fait mieux ensuite).

D’autres films ont voulu exploiter sur leur affiche le logo du Festival de Cannes (surtout pour être vendus dans d’autres pays) mais bien qu’étant du genre "séance de minuit", ils n’ont pas pu avoir cette séance de prestige et ont été relégués pour ça en séance spéciale du Cinéma de la Plage (qui ne rend pas service aux nouveaux films) comme en 2015 Les enragés ou en 2010 La meute. Curieusement les séances de minuit sont plutôt bénéfiques à n’importe quel film, sauf aux films français qui semblent eux mieux accueillis en passant par La Semaine de la Critique : comme Grave (dans les salles depuis le 15 mars) l’année dernière ou A l’intérieur en 2007.

Cocorico, il y a quand même chez nous un cinéaste qui a pour particularité d’avoir eu plusieurs films en séance de minuit : c’est Gaspar Noé. En 2015 Love 3D provoque presque une émeute car il y a beaucoup plus de spectateurs présents que de places dans le théâtre Lumière, même à minuit (il n'y avait eu aucune séance plus tôt pour les journalistes, et un surnombre de tickets avaient distribués pour cette séance), en 2002 Irreversible est bien dans la compétition officiellen en course pour la palme, mais a quand-même été projeté à minuit avec quelques personnes qui ont dû en sortir avant la fin (quelques malaises à cause du mixage sonore avec des infra basses, et également dus à la longue scène de viol). Programmer Gaspar Noé à minuit provoque assurément un certain buzz : un buzz bénéfique partagé à la fois par le cinéaste et par le Festival.

On pourrait d'ailleurs mesurer le degré de réussite d’une édition du Festival de Cannes non pas seulement à son palmarès mais pourquoi pas aussi à ses films de minuit, et au buzz qui en est résulté. Alors, qu’en sera-t-il pour Cannes 2017 ?

Kristofy pour Ecran Noir

[69, année érotique] Cannes 2016: Love en 2015

Posté par kristofy, le 11 mai 2016

Pendant longtemps le cinéma français a raconté des histoires sentimentales ponctué de temps en temps d'une scène "osée" de nu : de Brigitte Bardot, à Catherine Deneuve, d'Isabelle Huppert à Anne Parillaud, de Valérie Kaprisky à Sophie Marceau en passant par... Gérard Depardieu. Des seins sous la douche, des fesses sur un lit, mais quasiment jamais de sexe masculin en érection. Il y a bien eu le cas Stéphane Rideau (Sitcom, Presque rien), le films "gays" L'inconnu du lac et Théo et Hugo sont dans le même bateau. Mais les cinéastes hétéros ont une certaine pudeur à montrer un mec qui bande. La sexualité frontale est tabou dans un pays qui a la réputation d'être grivois.

Dans son film Love Gaspar Noé fait dire à son personnage qu’il voudrait "faire un film avec du sexe qui montre des sentiments". Et dès la toute première image de Love, le ton est donné : lui et elle sont nus sur un lit avec les doigts autour et dans le corps de l’autre : la première scène est un plan-séquence de masturbation qui dure 2 minutes et demi jusqu’au moment d’une éjaculation. Le temps de découvrir deux personnages et déjà 7 minutes après une image de pénétration, mais qui est justifiée pour raconter que la femme va tomber enceinte. Si le sexe semble très présent dans le film c’est surtout par la puissance évocatrices des cadrages de l’image: il y a bien une demi-heure de narration avant la scène de sexe suivante : un rapport à trois (l’homme et deux femmes, forcément) très sensuel, en fait l’une des plus belles scènes du film.

Une image qui bien que très courte, 1 minute, a pu surprendre ou choquer : le sexe de l’homme sur lequel s’active la main de sa compagne est filmé face-caméra en très gros plan, et le sperme en jaillit donc à la face des spectateurs devant l'écran. Gaspar Noé s’en est expliqué : c’est Love 3D, sur ce film il utilise une technique de 3D pour le rendu d’un certain relief dès lors il aurait été dommage de ne pas y inclure une image d’éjaculation en relief en direction du public, c’est d’ailleurs aussi une auto-citation d’un plan similaire de son film précédent Enter the void. C'est aussi l'exact opposé d'un autre film qui avait choqué pas mal de festivaliers quelques années plus tôt, Irréversible (que ce soit la backroom SM ou la séquence du viol), où l'on de voyait rien mais où le sexe était malsain, caché, honteux.

Dans Love, présenté en séances de minuit l'an dernier (les places valaient chères), il y a donc plusieurs séquences à caractère sexuel, avec le plus souvent un couple, et parfois un trio (et un 69 d’ailleurs). La caméra s’attarde à plusieurs moments en gros plan sur les seins des femmes et sur le sexe de l’homme durant le plaisir. C’est avant tout et d’abord des images où on fait l’amour: c’est le sujet du film, qu'il soit physique, sexuel et bien entendu sentimental. Bref, intime.

Le film Love était sorti en salles de cinéma (en 3D donc) avec une interdiction aux moins de 16 ans avant qu’une action judiciaire la modifie interdit aux moins de 18 ans, mais pas classé X : la représentation du sexe ce n’est pas forcément pornographique. C'est même, rappelons le, ce qu'il y a de commun à tous les humains, et tous les arts l'ont représenté depuis la nuit des temps.

Toronto 2015 dévoile Platform, sa première section compétitive, et complète sa sélection

Posté par MpM, le 15 août 2015

un français de diasteme

Pour la première fois cette année, le festival de Toronto qui fête son 40e anniversaire proposera une section compétitive intitulée Platform. Elle comporte douze longs métrages dont deux films français (Un Français de Diastème, notre photo, et Bang gang d’Eva Husson ) et deux coproductions (The White Knights de Joachim Lafosse et Sky de Fabienne Berthaud). On retrouve également le nouveau film de Pablo Trapero, El clan, et celui de Ben Wheatley, High-rise, également présenté à San Sebastian.

"Nous avons créé cette nouvelle section afin de pouvoir concentrer ce focus sur un cinéma artistiquement ambitieux pour notre 40e année et nous sommes ravis de pouvoir mettre l’accent sur ces 12 brillants réalisateurs", a expliqué Piers Handling, directeur et Pdg du TIFF. "Ce sont d’importantes forces créatives : la nouvelle génération de maître du cinéma dont la vision personnelle va captiver le public mais aussi l’industrie et les médias du monde entier."

Le jury international composé de Jia Zhang-Ke, Claire Denis et Agnieszka Holland remettra le 20 septembre le prix Platform Toronto d’une valeur de 25 000 CAD (environ 17 200 €).

Par ailleurs, Toronto a complété sa sélection avec les sections Midnight madness et Avant-gardes qui mettent en avant des films d’horreur ou de genre. Parmi les œuvres sélectionnées, on retrouve le controversé Love de Gaspar Noe ainsi que les nouveaux films de Jeremy Saulnier (présenté à Cannes), Takashi Miike (idem) et Lucile Hadžihalilovi? (en compétition à San Sebastian).

Ont également été annoncés les documentaires et films du patrimoine retenus, ainsi que le Masters programme qui réunit les grands noms du cinéma mondial, dont une forte proportion de cinéastes asiatiques (Hou Hsiao-Hsien, Apichatpong Weerasethakul, Jafar Panahi, Hirokazu Kore-eda, Hong Sang-soo...)

Fin juillet, le festival avait divulgué les films de gala et les projections spéciales.

Les films sélectionnés pour le prix Platform Toronto

- Bang gang d’Eva Husson (France)
- El clan de Pablo Trapero (Argentine/Espagne)
- Un Français de Diastème (France)
- Full Contact de David Verbeek (Pays-Bas, Croatie)
- High-Rise de Ben Wheatley (Royaume-Uni)
- Hurt d’Alan Zweig (Canada)
- Looking for Grace de Sue Brooks (Australie)
- Neon Bull de Gabriel Mascaro (Brésil/Uruguay/Pays-Bas)
- Sky de Fabienne Berthaud (France/Allemagne)
- The Promised Land de He Ping (Chine)
- The White Knights de Joachim Lafosse (France/Belgique)
- Land of Mine de Martin Zandvliet (Danemark/Allemagne)

Midnight Madness

- The Devil’s Candy de Sean Byrne (États-Unis)
- Baskin de Can Evrenol (Turquie)
- The Girl in the Photographs de Nick Simon (États-Unis)

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Love de Gaspar Noé finalement interdit aux moins de 18 ans

Posté par MpM, le 5 août 2015

loveLa justice a tranché : le film Love de Gaspar Noé doit donc être interdit aux moins de 18 ans en raison de ses scènes de sexe non simulées.

Cette décision du tribunal administratif de Paris fait suite à sa saisie par l'association Promouvoir qui vise "la promotion des valeurs judéo-chrétiennes dans tous les domaines de la vie sociale" (!) et qui avait déjà obtenu le 1er juin dernier, devant le Conseil d'Etat, l'annulation du visa d'exploitation du film d'horreur américain Saw 3 D Chapitre final après plusieurs années de procédure.

La même organisation s'était déjà battue (en vain) pour obtenir l'interdiction d'Antichrist de Lars von Trier aux moins de 18 ans.

Logiquement, Gaspar Noé a qualifié cette décision d'"aberration", attaquant ouvertement l'avocat de Promouvoir, Patrice André : "On est clairement face à quelqu'un qui est proche de Bruno Mégret, de la Manif pour tous, et qui est dans une stratégie d'autopromotion", a-t-il en effet déclaré au journal Libération. "Mon film est inoffensif, mais il semble déranger. Ce qui m'angoisse, c'est que, à cause de ce genre de choses, des réalisateurs ou producteurs peuvent se mettre à avoir peur. Il y a un risque que les cinéastes ou scénaristes s'autocensurent."

Avant la sortie du film le 15 juillet dernier, la commission de classification des oeuvres du Centre national du cinéma (CNC) avait recommandé par deux fois une interdiction aux moins de 16 ans seulement, avis qui avait finalement été suivi par la ministre de la Culture au moment de délivrer le visa début juillet. Le ministère avait justifié ainsi sa position : "L’évolution des mœurs de la société impose à la Ministre d’arbitrer entre liberté d’expression et mesure de police restrictive, dans un sens par principe favorable à la liberté."

Vincent Maraval, co-producteur du film, a laissé entendre sur Twitter qu'il allait faire appel du jugement, faisant de Love un symbole du retour de bâton moral actuellement observé en France :"La décision est maintenant dans les mains du Conseil d'Etat. On devrait en savoir plus sur la France très bientôt."

Tout en lui laissant la responsabilité de ses paroles, force est de constater que la question va bien au-delà du cas de Love. Il faut en effet rappeler que contrairement à ce que pourrait laisser penser la croisade de l'association Promouvoir, le film était jusqu'à présent interdit aux moins de 16 ans. Aucune chance, donc, qu'un jeune public non averti ne tombe devant des scènes de fellations ou de sexes en érection. Et si l'on considère que le web regorge de contenus pornographiques, on peut quelque peu s'amuser de cette hypocrisie consistant à "protéger" les 16-18 ans qui n'ont pas vraiment attendu Gaspar Noé pour découvrir, en gros plans et en détails, les pratiques sexuelles les plus diverses.

On a clairement le sentiment que derrière la prétendue volonté de "protéger" l’innocence de la jeunesse se dissimule surtout un rejet haineux de tout ce qui touche à la sexualité ainsi que le désir secret de la faire disparaître de la sphère publique. Car entre pudeur et puritanisme, il y a un fossé que franchit allègrement l'association pour laquelle la moindre représentation sexuelle est synonyme de vice. Ces personnes semblent ne toujours pas avoir compris que rien ne les oblige à aller voir un film qui ne leur plaît pas.

Quant à la justice, si elle a suivi le mouvement, c'est probablement parce déterminer si une oeuvre est pornographique, ou pas, demeure relativement subjectif... mais surtout parce que l'attirail juridique à sa disposition est terriblement daté. De nos jours, une interdiction aux moins de 18 ans (verdict légal en cas de "pornographie") n'a plus ni le même sens, ni la même nature qu'autrefois. En revanche, pour les films qui en sont victimes, cela constitue toujours un handicap économique (refus de programmation de certaines salles, contraintes de diffusion télévisée) dont il est difficile de se relever.

Sur le web, les réactions ne manquent pas, la plupart indignées, quelques-unes plus mesurées. Certains font en effet remarquer qu'un sexe en érection est interdit aux moins de dix-huit ans mais que la violence la plus brute n'est presque jamais touchée par ce type d'interdiction. D'autres crient tout simplement à la censure ou au puritanisme. Mais la meilleure réponse est probablement la nouvelle affiche du film, diffusée sur Twitter par Vincent Maraval, et sur laquelle on peut lire : en France, l'amour est désormais interdit aux moins de 18 ans.

Cannes 2015 : retrouvailles avec Gaspar Noé et sa « dimension organique de l’état amoureux »

Posté par kristofy, le 19 mai 2015


Cher Gaspar (sans d),

Vous êtes déjà venu plusieurs fois à Cannes, en fait presque à chaque fois que vous aviez réussi à finir un film. On pourrait penser que vous êtes un enfant du Festival de Cannes, mais vous êtes aussi en même temps une sorte de patron. A la première annonce des films retenus en sélection officielle, la principale question était bien: " Love de Gaspar Noé ?", comme s'il était évident que vous seriez parmi nous cette année.
Cannes a beau jeu d’équilibrer sa sélection entre habitués et nouveaux, s'il y a bien un réalisateur que l’on attend de voir sur la Croisette c’est évidement vous (et la confirmation de votre sélection a été annoncée quelques jours plus tard).

Tout vos films ont d’abord été découvert à Cannes. Ils étaient tellement inattendus que le nouveau est maintenant devenu très attendu. Carne en 1991 et Seul contre tous en 1998 (Semaine de la Critique), le controversé Irreversible en 2002 (en compétition officielle), Enter the Void en 2009 (en compétition officielle), 7 jours à la Havane-Ritual en 2012 (à Un Certain Regard, aux côtés de sept réalisateurs différents). On n’oublie pas non plus La bouche de Jean-Pierre avec Lucile Hadzihalilovic en 1996 (à Un Certain Regard) ni les courts-métrages - We Fuck Alone (dans Destricted, Semaine de la Critique dont il a été le parrain) ou comme 8 (sur le thème du sida).

Un malentendu subsiste depuis la projection à minuit de Irreversible, malentendu pas dissipé avec Enter the void: vous seriez un réalisateur sulfureux qui fait des films violents et presque pornographiques. Il s’agit avant tout d’histoires d’amour qui meurent, des films pessimistes, désenchantés, formellement intrigants mais volontiers provocateurs (n'hésitant pas à être politiquement incorrects). Certains vous haïssent, ou rejettent, d'autres vous adorent. La passion selon Noé: vous ne laissez pas indifférent. Et c’est encore le cas de votre nouveau film où l’amour dégouline même du titre : Love.  "Au cours d'une longue journée pluvieuse, Murphy va se retrouver seul dans son appartement à se remémorer sa plus grande histoire d'amour, deux ans avec Electra. Une passion contenant toutes sortes de promesses, de jeux, d'excès et d'erreurs..." Les affiches annoncent du sexe, du sperme, des seins, un gland. Bref ce que l'on peut voir sur Tumblr, mais cela choque-t-il encore? Lars Von trier a aussi introduit la pornographie dans films. Le lesbianisme a envahit les publicités de marque de luxe. Quant au triolisme, de Korine à Bertolucci, ce n'est plus très neuf.

On devine qu’aujourd’hui la projection en 3D à minuit hors-compétition risque de ne pas faire bander Cannes: certains journalistes dorment déjà à la projection de 19 heures, d'autres festoient sur les plages. Il est loin le temps où un Noé annonçait un peu de frisson et de sensations dans les discussion.

Alors vous avez publié une note d'intention pour bien expliquer votre démarche: "Pendant des années, j'ai rêvé de faire un film qui reproduise au mieux la passion amoureuse d'un jeune couple dans tous ses excès physiques et émotionnels. Une sorte d'amour fou, comme la quintessence de ce que mes amis ou moi-même avons pu vivre. Un mélodrame contemporain qui intègre de multiples scènes d'amour, et dépasse le clivage ridicule qui fait qu'un film normal ne doit pas montrer des séquences trop érotiques alors que tout le monde adore faire l'amour. Je voulais filmer ce que le cinéma peut rarement se permettre, pour des raisons commerciales ou légales, c'est- à- dire filmer la dimension organique de l'état amoureux. Pourtant, dans la plupart des cas, c'est là que réside l'essence même de l'attraction à l'intérieur d' un couple. Le parti-pris était donc de montrer une passion intense sous un jour naturel, donc animal, ludique, jouissif et lacrymal. Contrairement à mes projets précédents, pour une fois, il n'est question que de violence sentimentale et d'extase amoureuse."